20 novembre 2018 : deuxième jour du rencontre des responsables de la pastorale des vocations de la Congrégation de la Mission :

Réflexion sur la pastorale des vocations à l’ère du monde numérique  et sur l’état actuel de la Congrégation de la Mission

Aidés par la grâce de Dieu et la prière de Saint Vincent de Paul, ce matin, les responsables de la pastorale vocationnelle qui se réunissent ici à Paris, ont pu procéder à la réflexion sur les nouveaux défis que la congrégation devrait faire au niveau de la pastorale vocationnelle dans le monde digitale. C’était une intervention de la Sœur Thérèse Read, sœur de la Charité de Sainte Jeanne-Antide Touret, intitulée « réalité et contexte de la promotion vocationnelle » qui se résume ainsi :

Quand nous parlons de «culture numérique», nous ne parlons pas de Culture au sens de Hannah Arendt selon lequel «la crise de la culture s’explique tout d’abord par la massification ». Nous sommes dans un tout autre paradigme. Hannah Arendt montre que la société de consommation de masse rompt avec la tradition culturelle parce qu’elle traite tout objet comme un produit consommable. On voit là encore que l’on ne peut parler de culture numérique hors du contexte social qui l’a produit, que les nouvelles communications ne peuvent en rien s’isoler dans l’analyse d’un ensemble qui n’a rien de virtuel. Alors que la culture fait référence à une continuité dépassant le seul cadre de la vie humaine, la modernité favorise la transformation de la culture en biens de consommation forcément éphémères. Nous sommes là au cœur du problème du monde contemporain, car l’Église est supposée participer elle aussi d’une pérennité et d’une forme d’intemporalité que le siècle vient ébranler sans cesse. «La crise de la culture résulte ensuite de la priorité donnée au divertissement». Et l’internet est visiblement passé du côté du divertissement, tout simplement parce que dans les sociétés occidentales c’est ce qui est mis en avant, «les produits» du divertissement. Dès lors, être cultivé ne signifie pas s’intéresser à l’art ou posséder certaines connaissances, mais être capable de juger et de décider de la valeur de l’art d’une manière politique, en étant « quelqu’un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé». La disparition de cette conception est, selon Hannah Arendt, la raison profonde à l’origine de la crise de la culture moderne.

Le plus grand danger serait de se laisser prendre à une forme de fascination et de sidération devant l’émergence rapide et omniprésente des nouvelles technologies, de se laisser prendre à l’éphémère des réseaux sociaux, à leur extrême labilité, à cette non permanence, à cette dilution, car cela ne sera pas fondateur d’une culture, mais bien d’une apparence sur un vide abyssal. D’où la nécessité de comprendre les enjeux du net et d’une présence de l’Église dans des espaces qui fonctionnent selon leurs propres règles, en particulier les réseaux sociaux, tout en s’efforçant de garder à l’Église une visibilité toujours représentative de ses valeurs, du message évangélique, dans le respect des hommes et des femmes qui la composent. Porter la parole du Christ, sans naïveté, en comprenant que cela passe par une connaissance des outils et des fonctionnements du net et que toute une génération en effet passe désormais par ces flux où nous devons être présents sans oublier que notre rôle est d’être aussi fidèle au corps du Christ, sans jamais oublier que ces espaces qui peuvent pénétrer et laisser leurs empreintes dans la sphère mentale de chacun ne peuvent nous soustraite encore fort heureusement, aux contraintes, aux devoirs et aussi aux joies de notre incarnation.

L’après-midi, les participants ont suivi « la conférence vidéo » du Père Rolando Giutiérrez, CM, sur « les statistiques et la réalité de la promotion vocationnelle dans la Congrégation de la Mission ». Ses analyses nous ont permis de constaté une baisse considérable de nombres des confrères au niveau mondial au sein de la Congrégation de la Mission. La variété du caractère des sources nous obligera à nous en tenir aux chiffres exacts, par exemple, lorsque la dernière version du catalogue a été imprimée, il y a presque deux ans, le CM comptait 507 maisons, mais dans les dernières statistiques publiées par Vicentiana il y en avait 504, alors qu’à la date de cet enregistrement, le 11 novembre 2018, nous avions enregistré 497 maisons dans le catalogue numérique. Nous sommes intéressés à jouer avec les chiffres dans le but de la pastorale vocationnelle et non pour une étude statistique. La pastorale des vocations dit-il ne part pas de l’urgence numérique et le recrutement n’est pas la tâche principale. Cependant, c’est un aspect à prendre en compte pour enrichir la réflexion. Certes, la réalité de l’augmentation ou de la diminution du nombre des membres incorporés ne nous laisse pas indifférent mais le problème des vocations est beaucoup plus complexe que de chercher la solution de prosélytisme pour attirer les jeunes à remplir nos maisons de formation. À la base du défi de la culture vocationnelle, il y a la vie des gens, dans notre cas, les missionnaires, et c’est pourquoi nous devons comprendre le sens de notre vœu de stabilité. La conviction de saint Vincent nous enseigne qu’il ne s’agit pas de vivre une vie appartenant légalement à la Congrégation, mais de vivre dans la fidélité à l’esprit de la petite compagnie qui fait que le missionnaire reste dans la mission de l’évangélisation des pauvres. Voici un défi auquel le ministère des vocations doit également répondre. Supposons qu’il serait très malheureux de traiter le problème de la stabilité en tant que problème des nombres manquants, car en réalité, il nous faudrait approfondir l’impact de ceux qui sont encore physiquement présents mais dont le mode de vie est totalement absent. Pour ce groupe, il me semble que la thèse du père Amadeo Cencini pourrait très bien aller : le vrai problème de la vie religieuse ou sacerdotale n’est pas la situation critique et objectivement problématique des prêtres, des frères et des sœurs, mais cette masse de personnes “consacrées” qui vivent subjectivement dans le calme, le calme et l’imperturbabilité, ou dans des situations critiques car rien n’est en crise, alors qu’il devrait l’être. 

Ces deux interventions ont montré l’interdépendance du problème de crise de vocation, amplifié par la difficulté vécue dans ce monde numérique, et les défis que la Congrégation de la Mission doit faire face pour donner la priorité à une vraie culture vocationnelle. Ces deux conférences ne proposaient aucune solution toute faite. Pourtant, elles nous ont fait réveiller pour réfléchir aux nouveaux défis vocationnels d’aujourd’hui.

Propos recueillis par JEAN Dario, c.m., Province de Madagascar.