1.2. Demander la grâce de bien prier
Nous pouvons nous rapprocher de Dieu parce que Dieu s’est d’abord rapproché de nous (cf. 1 Jean 4, 10), révélant son amour sauveur, nous appelant à participer à sa vie et insufflant en nous le désir de le rencontrer comme ce qui constitue le sens ultime de ce que nous sommes. Par conséquent, la prière est un don qui importe d’être vécu. De ce point de vue, Vincent recommande que nous demandions la grâce de bien prier et que nous le fassions avec la certitude que « nous ne pouvons pas avoir une bonne pensée sans la grâce de Dieu . »
Ici, nous parlons de nous disposer à la prière, de permettre à nos esprits et à nos cœurs de se diriger vers Dieu et de nous placer, avec confiance et volonté, dans les mains de Dieu. Nous demandons l’assistance divine et nous ouvrons à la motion de l’Esprit Saint, “notre enseignant intime”, avec une prière traditionnelle ou des mots similaires. Les paroles suivantes, évoquées par Vincent pendant une conférence aux membres de la Congrégation, seraient les plus appropriées :
« O Sauveur, vous savez ce que mon cœur veut dire ; il s’adresse à vous, fontaine des miséricordes ; vous voyez ses désirs ; ah ! ils ne tendent qu’à vous, ils n’aspirent qu’à vous, ils ne veulent que vous. Disons-lui souvent : Doce nos orare, donnez-nous, Seigneur, ce don d’oraison ; apprenez-nous vous-même comment nous vous devons prier. C’est ce que nous lui demandons aujourd’hui et tous les jours avec confiance, grande confiance en sa bonté . »
Dans cette même ligne de pensée, Vincent conseillait aux Sœurs de demander l’intercession de la Bienheureuse Mère, de son saint patron et/ou de son ange gardien comme stimulus à la prière (cf. SV IX, 426 et SV X, 590). La foi nous assure que nous participons à la communion des saints. Sur le plan anthropologique, personne n’est une île et c’est encore plus vrai sur le plan spirituel : « nous aussi [sommes] entourés de cette immense nuée de témoins » (cf. Hébreux 12, 1), d’hommes et de femmes qui nous ont précédés en servant le Seigneur et qui nous inspirent à concentrer notre regard sur notre foi.
1.3. Rappeler ou sélectionner un thème
Après avoir lu en priant un texte biblique ou médité sur un mystère, une vertu ou une maxime chrétienne, choisissons un thème de méditation :
« Après avoir demandé à Notre Seigneur de vous donner la grâce d’apprendre à bien prier, appliquez-vous intérieurement aux points lus, comme nous l’avons dit. Ô Sauveur, donne-moi la grâce d’entrer dans cette sainte pratique. Sœurs, si vous faites bien votre prière, que ne recevrez-vous pas de Dieu en conséquence ? »
Il convient d’accorder une attention particulière à l’humanité du Christ, c’est-à-dire à sa vie, à sa mission et à ses enseignements (cf. SV XII, 133-134 ; SV X, 716-717). Se laisser surprendre et s’inspirer des paroles et de l’exemple de Jésus. Vincent disait aux Sœurs : « ressouvenez-vous des mystères de la vie et de la passion de Notre-Seigneur, pour en prendre tantôt l’un, tantôt l’autre, pour vos sujets d’oraison . » Vincent aimait particulièrement méditer sur l’évangile que l’Église proposait pour les célébrations liturgiques, et en particulier sur l’Évangile proposé pour les fêtes : « il serait à désirer que vous méditiez, les jours de fêtes, sur les évangiles qui s’y disent ».
Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, le pape François a renouvelé l’invitation ignacienne qui consiste à se livrer à une contemplation aimante de l’Évangile comme un préalable à toute activité missionnaire :
« La meilleure motivation pour se décider à communiquer l’Évangile est de le contempler avec amour, de s’attarder en ses pages et de le lire avec le cœur. Si nous l’abordons de cette manière, sa beauté nous surprend, et nous séduit chaque fois. Donc, il est urgent de retrouver un esprit contemplatif, qui nous permette de redécouvrir chaque jour que nous sommes les dépositaires d’un bien qui humanise, qui aide à mener une vie nouvelle. Il n’y a rien de mieux à transmettre aux autres . »
Parmi les valeurs et les attitudes qui ont été vécues et communiquées par Jésus, certaines sont particulièrement importantes pour notre spiritualité vincentienne, comme la suite radicale de Jésus (Mc 8, 27-35 ; Mt 8, 18-27), la communion avec le Père (Jn 8 25-29 ; Jn 15, 9-16), la passion pour le Royaume et l’appel à la conversion (Mc 1, 14-15 ; Mt 13, 18-23), la confiance en la Providence (Mt 6, 25-34 ; Lc 11, 1-4), l’œuvre de charité compatissante et efficace (Mc 6, 30-44 ; Lc 10, 25-37), le choix des pauvres (Mt 25, 31-40 ; Lc 4, 14-21), l’engagement pour la liberté (Lc 10, 28-31 ; Jn 10, 14-18), l’amour de la vérité (Mc 12, 28-34 ; Jn 8, 25-32), l’établissement de la justice (Mc 2, 1-12 ; Jn 8, 1-11), la disponibilité pour servir (Mc 10, 35-45 ; Lc 7, 11-17), le zèle missionnaire (Mt 9, 35-38 ; Lc 9, 1-6), la formation des disciples (Mc 3, 13-19 ; Lc 10, 1-11), l’humilité et la simplicité (Lc 9, 46-48 ; Lc 17, 7-10), la douceur et la fermeté (Mc 10, 17-22 ; Mt 11, 28-30), la joie et la gratitude (Mt 11, 25-27 ; Lc 1, 46-56), l’ouverture à l’esprit (Jn 7, 37-39 ; Jn 14, 15-26), la croix et la résurrection (Mc 10, 32-34 ; Lc 24, 13-35).
Souple et insistant sur l’utilisation de la méthode proposée, Vincent suggérait que, lorsque cela était possible, les points à examiner au cours de la méditation soient lus à haute voix, facilitant ainsi le processus de méditation. C’était le plus important, étant donné que certaines des Sœurs n’étaient pas en mesure de lire et avaient peu d’expérience des questions spirituelles : « Qu’une sœur députée dise tout haut, après la lecture des points de la méditation du lendemain matin, ce qu’il faudra faire pour bien prendre la lecture . »
Vincent, inspiré par les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, rappelle à ses disciples qu’au stade initial de la méditation, l’imagination peut aider à bien prier (cf. SV IX, 3-4). Ainsi, comme l’a souligné notre fondateur, nous avons affaire à une ressource supplémentaire – utile mais non indispensable à la méditation – qui repose sur la compréhension et la volonté et qui est éclairée par la foi. Voici quelques exemples :
a) en se plaçant en présence de Dieu, on pourrait imaginer être avec Moïse dans la Tente de la Rencontre où Dieu lui a parlé « face à face, comme on parle à un ami » (Exode 33, 11). On pourrait aussi imaginer être un invité, partageant le repas avec la Sainte Trinité (comme suggéré dans la célèbre icône d’Andrei Roublev qui a dépeint la scène narrée de Genèse 18, 1-15 ;
b) lorsqu’on demande à la grâce de bien prier, on peut imaginer s’incliner sur la poitrine de Jésus comme le disciple bien-aimé au moment de la Cène (Jean 13, 22) ou imaginer s’asseoir aux pieds de Jésus, comme Marie, la sœur de Marthe et de Lazare, qui s’est laissée former par les paroles du Maître (Luc 10, 39) ou imaginer faire partie du groupe qui s’est rassemblé autour de Jésus pour écouter son enseignement (Marc 2, 2) ;
c) au moment de choisir un thème, on pourrait imaginer être l’une des personnes décrites dans la scène que l’on a choisie pour la méditation. Tout ceci est voulu pour éviter les distractions et pour se concentrer pendant la prière.
Vincent a même suggéré que les Filles puissent contempler des représentations sur des images pieuses :
« Il serait encore propos que vous eussiez à la main des portraits des mystères sur lesquels vous méditez. En les regardant, vous pensez : “que fait cela ? que veut dire cela ?” Et ainsi vous avez l’esprit ouvert . »
Il convient également de mentionner que Vincent a évoqué la pratique d’une femme – sainte Jeanne de Chantal – qui contemplait l’image de la Bienheureuse Mère et était ainsi en mesure de prendre des résolutions :
« Une dame que j’ai connue se servit longtemps du regard de la sainte Vierge pour toutes ses oraisons. Elle regardait premièrement ses yeux, puis disait en son esprit : “O beaux yeux, que vous êtes purs ! Jamais vous n’avez servi qu’à donner gloire à mon Dieu. Que de pureté paraît dans vos saints yeux ! Quelle différence avec les miens, par lesquels j’ai tant offensé mon Dieu ! Je ne veux plus leur donner tant de liberté, mais, au contraire, je les habituerai à la modestie” . »
En parlant de celles qui ne pouvaient pas lire, en plus de contempler des images, le fondateur avait suggéré qu’elles feraient bien de méditer sur les évangiles qui sont lus les jours de fête. Vincent déclarait : « J’ai connu des personnes qui ne savaient ni lire ni écrire, et néanmoins faisaient parfaitement bien l’oraison » (cf. SV IX, 32). Vincent a aussi déclaré que, lorsqu’elles méditaient sur la passion, elles pouvaient contempler le crucifix (cf. SV IX, 32).
Avec son admirable sens de la pratique, Vincent ne cessait de recommander la lecture quotidienne d’un chapitre du Nouveau Testament. Lorsqu’il s’adressait aux membres de la Congrégation, il avait déclaré :
« Nous devons avoir grande dévotion à nous rendre fidèles à la lecture du chapitre du Nouveau Testament et à produire, au commencement, les actes : 1° d’adoration, adorant la parole de Dieu et sa vérité ; 2° entrer dans les sentiments avec lesquels Notre-Seigneur les a prononcées, et consentir à ces vérités ; 3° se résoudre à la pratique de ces mêmes vérités. Par exemple, je lirai : “Bienheureux sont les pauvres d’esprit” ; je me résoudrai et me donnerai à Dieu pour pratiquer cette Vérité dans telle et telle rencontre. Tout de même, quand je lirai : “Bienheureux sont les débonnaires”, je me donnerai à Dieu pour pratiquer la douceur. Surtout il faut se donner de garde de lire par étude, disant : “Ce passage me servira pour telle prédication” mais seulement lire pour notre avancement. Il ne faut pas se décourager, si, l’ayant lu plusieurs fois, un mois, deux mois, six mois, on n’en est pas touché. Il arrivera qu’une fois nous aurons une petite lumière, un autre jour une plus grande, et encore plus grande lorsque nous en aurons besoin. Une seule parole est capable de nous convertir . »
Il ne fait aucun doute que la spiritualité vincentienne, dans son origine même, est profondément enracinée dans le terreau fertile et solide de la Parole de Dieu.
P. Vinicius Teixeira Ribeiro, CM
Province de Rio