II. LE CORPS DE LA PRIÈRE 

Dans une attitude de recueillement, on se penche sur le thème choisi (un mystère, une vertu, une maxime évangélique) pour en découvrir son sens le plus profond. Vincent avait mesuré le risque de réduire la prière mentale à un exercice intellectuel ou spéculatif. En réalité, l’oraison proposée par Vincent harmonise la raison et l’émotion et crée ainsi des personnes priantes, pensantes et actives. C’est pour cette raison que Vincent exhortait ses disciples à ne pas perdre de vue la présence de Dieu et à suivre les trois étapes de sa « petite méthode » (cf. SV XI, 257 et suivantes). En d’autres termes, par la prière mentale, on entre dans un dialogue affectif avec le Seigneur, en inclinant son cœur aux exigences de la parole de Jésus. Par la prière mentale, Dieu clarifie la compréhension, enflamme la volonté, prend possession du cœur et de l’âme, inspire des attitudes et incite à des engagements.

Vincent décrit aux Filles quelques-uns des détails de sa méthode de prière :

« Loraison mentale se fait en deux façons : lune dentendement et lautre de volonté. Celle dentendement, quand, après la lecture ouïe, lesprit se réveille en la présence de Dieu et là soccupe à rechercher lintelligence du mystère qui lui est proposé, à voir linstruction qui lui est propre et à produire des affections dembrasser le bien ou de fuir le mal. Et quoique la volonté produise ces actes, cette oraison néanmoins sappelle dentendement, parce que la principale fonction dicelle, qui est la recherche, se fait par lentendement qui est le premier à soccuper du sujet présenté. Cest ce que lon appelle ordinairement méditation. Tout le monde le peut faire, chacun selon sa portée et les lumières que Dieu lui départ . »

L’entendement crée la possibilité de devenir de plus en plus conscient du contenu de la méditation et la volonté stimule la recherche de ce qui est bon, vrai, juste, nécessaire et beau… Ou encore comme saint Augustin l’avait exprimé dans sa lettre à Faltonia Proba, veuve du consul romain Probus : « Car leffet de notre prière sera dautant plus précieux que plus fervente aura été laffection qui le précède . » De cette intégration de l’entendement et de la volonté naîtra la résolution pratique qui permettra à la personne de mettre en œuvre ce que le Seigneur lui a inspiré.

Dès le départ, la méditation doit toujours être consciente des exigences de notre vocation et de notre mission, consciente de la demande de faire face à la réalité, aux espoirs et aux préoccupations de ceux qui sont pauvres. Vincent a proposé que les Sœurs prennent leurs résolutions à la lumière des activités qu’elles mèneront pendant la journée. Dans sa conférence du 2 août 1640, Vincent parle de la fidélité à la prière mentale et déclare :

« Vous pouvez faire votre oraison de cette manière, qui est la meilleure ; car il ne la faut pas faire pour avoir des pensées relevées, pour avoir des extases et ravissements, qui sont plus dommageables quutiles, mais seulement pour vous rendre parfaites et vraiment bonnes Filles de la Charité. Vos résolutions doivent donc être ainsi : Je men irai servir les pauvres ; jessaierai dy aller dune façon modestement gaie pour les consoler et édifier ; je leur parlerai comme à mes seigneurs. Il en est qui me parlent rarement ; je le souffrirai. Jai accoutumé de contrister ma sœur en telle ou telle occasion ; je men abstiendrai. Elle me donne mécontentement quelquefois en ce sujet ; je le supporterai. Telle dame me gronde, une autre me blâme ; jessaierai de ne point sortir de mon devoir et lui rendrai le respect et honneur auquel je suis obligée. Quand je suis avec telle personne, jen reçois presque toujours quelque dommage pour ma perfection ; jen éviterai, autant que possible, loccasion.” Cest ainsi, ce me semble, mes filles, que vous devez faire vos oraisons . »

De nouveau, le 16 août de la même année, Vincent a parlé du même thème et a déclaré :

« Vous ferez porter vos résolutions sur les actions de la journée, principalement sur celles qui vous font tendre à la perfection et à laccomplissement de votre règle, pour mieux honorer Dieu en votre vocation . »

La prière qui s’enracine dans la réalité tiendra toujours compte des défis de la mission.

Première étape : la nature des choses

Il nous faut maintenant réfléchir au thème : Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça me dit ? Quel est le sens de ce mystère, de cette vertu ou de cette maxime ? Que faudrait-il éviter ?

À la lumière de la Parole de Dieu, des Pères de l’Église, de la Tradition, des pensées de Vincent de Paul, de notre héritage vincentien, etc., formulons des convictions sur le thème. Sans convictions fermes, l’expérience spirituelle s’affaiblit et devient inconsistante. À ce stade, la compréhension et l’intelligence de l’unique prière sont les plus importantes, c’est-à-dire qu’il faut se concentrer sur des pensées respectueuses et sages qui conduiront à méditer sur un mystère spécifique de Dieu :

« Méditer sur la lecture, raisonner sur ce qua dit lauteur, voir à quelle fin tendent les points que vous avez pour sujet doraison . »

Par exemple, relisons Jean 15, 9-19 et la conférence du 30 mai 1659, De la charité, en SV XII, 260-276. La charité consiste à accepter l’amour de Dieu de telle manière que nous puissions aimer notre prochain avec l’amour effectif et compatissant de Jésus-Christ.

Deuxième étape : les raisons

Trouver le courage : quels sont les lieux qui m’encouragent à vivre ce mystère, à chercher cette vertu ou cette maxime, à avoir un tel comportement, à fuir ce vice ? Se convaincre de la valeur de la chose en question, ainsi que de la nécessité de l’expérimenter et de la rechercher constamment (qu’il s’agisse d’un bien ou d’une vertu) ou de l’éviter (qu’il s’agisse d’un mal ou d’un vice). Ici, prévaut la volonté ou le cœur, siège des sentiments profonds et des désirs qui stimulent l’existence. Il s’agit donc d’éclairer la conscience, d’enflammer la volonté et d’éveiller les affections, en unissant pensées et désirs en vue de l’objectif à atteindre « puisque la volonté suit la lumière de l’entendement et se porte à ce qui lui est proposé comme bon et désirable » Cela dit, Vincent précise : « Le second point est qu’après avoir bien reconnu la vertu ou le vice où tend le sujet que vous avez médité (car, si c’est une vertu, le but de l’oraison est de vous la faire pratiquer ; si c’est un vice, elle tend à l’exterminer) vous voyiez les raisons que vous avez d’embrasser l’un et de fuir l’autre. »

Exemple [Jn 15,9-17 / Conférence de Saint Vincent sur la charité (SV XI, 260-276)}

La meilleure manière de correspondre à l’amour de Dieu est de développer cette capacité d’aimer que lui-même nous a donnée.

L’amour est la grâce et le défi de la vie chrétienne. C’est ce qui correspond le plus à la personne de Jésus-Christ, le modèle de l’homme véritable.

C’est la principale dynamique de notre participation à la construction du règne et à la transformation de la réalité.

Troisième étape : les moyens

Prendre une révolution : que puis-je ou devrai-je faire pour reconnaître une inspiration qui a grandi dans la prière ? une résolution pratique qui permette à celui qui parle de gouter le mystère, d’assimiler la vertu, de pratiquer la maxime, de revêtir une valeur ou une attitude, d’éviter ou d’éliminer un mal ou un vice, en vue de la mission et de la communauté. Une seule résolution par jour devrait être adoptée, avec la possibilité de l’adopter de nouveau autant de fois que nécessaire. (cf. SV. IX, 13). Ne pas se perdre dans des résolutions génériques, qui ne font référence à des situations spécifiques. Saint Vincent nous prévient :

« Ce n’est pas encore tout que de prendre une résolution si, de ce pas, vous ne cherchez quelque moyen pour la mettre en pratique. Quand donc vous prenez la résolution ou de fuir un vice, ou de pratiquer une vertu, vous devez dire en vous-mêmes : « Eh bien ! je me propose cela, mais c’est bien difficile à pratiquer. Le puis-je faire de mes propres forces ? Non ; mais, avec la grâce de Dieu, j’espère y être fidèle, et pour cela je dois me servir de tel moyen. » »

La résolution pratique è présentée comme une expression du désir de conversion continuelle et de vivre avec dans la justice et la charité.

Saint Vincent prévient ses confrères, dans la déjà citée répétition d’oraison du 10 Août 1657 : « il ne suffit pas d’avoir de bonnes affections, il faut passer plus avant et se porter aux résolutions de travailler tout de bon à l’avenir pour l’acquisition de la vertu, se proposant de la mettre en pratique et d’en faire des actes. C’est ici le point important et le fruit qu’on doit tirer de l’oraison. » 

Exemple [Jn 15,9-17 / Conférence de Saint Vincent sur la charité (SV XII, 260-276)]

Se faire proche des pauvres, s’y exercer avec gratitude, écoute, compassion et disponibilité. Découvrir les formes créatives e appropriées d’intervention dans la réalité où je vis, combinant charité et mission, service et évangélisation, promotion humaine et proclamation du Royaume.

Investir dans le développement et la réalisation de projets qui correspondent aux besoins réels et aux aspirations des personnes impliquées dans la coopération au changement des structures. Lors de la conférence, il s’adressait aux Filles de la Charité le 17 novembre 1658, saint Vincent résuma sa méthode de prière :

« Voyant la vertu, vous connaissez l’estime qu’il en faut faire. Et parce que nous ne pouvons pas voir le bien comme bien sans nous porter à l’affectionner, ni connaître le vice comme vice sans le détester, voilà pourquoi, si vous êtes fidèles à cette pratique, Dieu vous fera la grâce de connaître et affectionner la vertu ; et pour cela vous direz : « Oh ! que cela est beau ! Oh ! qu’il fait bon aimer à obéir ! Oh ! qu’il est bon de servir les pauvres en l’esprit qu’une bonne Fille de la Charité le doit faire !» Incontinent que vous aurez fini ce deuxième point, vous passerez au troisième, qui comprend les résolutions. »

Dans cette troisième étape, il peut également être utile de mettre en évidence un mot, une phrase ou un verset qui, pris au cours de la journée, motive et éclaire la résolution.

P. Vinicius Teixeira Ribeiro, CM
Province de Rio