Cher Mark,
J’ai regroupé quelques réflexions qui pourraient être utiles aux collaborateurs de l’Alliance Famvin avec les personnes sans-abri (FHA en anglais), en particulier maintenant que nous sommes confrontés à de nouveaux défis créés par le COVID-19. J’écrirai sans doute un article plus détaillé. Mais, la crise étant urgente, je te transmets tout de suite cette brève synthèse. Elle décrit comment Saint Vincent a réagi dans la pratique à la peste. J’espère que son expérience stimulera la réflexion et générera des idées créatives parmi nous, membres de sa Famille. Bob
Saint Vincent a fait l’expérience des pandémies. Aucun autre sujet peut-être ne l’a aussi profondément troublé. Les épidémies de la peste ont fréquemment ravagé l’Europe au cours de ses années d’activité, tuant de nombreuses personnes qu’il aimait. Marguerite Naseau, dont il a souvent raconté l’histoire et qu’il a toujours considérée comme la première Fille de la Charité, a succombé à la peste à 27 ans, avant même que les Filles ne soient reconnues juridiquement. Lambert au Couteau – dont Vincent a dit un jour « la perte de cet homme, je la vis comme si je m’arrachais un œil ou que je me coupais le bras » et qu’il a envoyé pour établir la Congrégation de la Mission en Pologne – est décédé au service des victimes de la peste à Varsovie en 1653. Antoine Lucas – très admiré non seulement par Vincent, mais aussi par d’autres fondateurs de communautés religieuses à cette époque – mourut de la peste à Gênes en 1656.
Les tragédies se sont multipliées dans la vie de Vincent, en particulier dans les années 1650. Il a souvent parlé de « la guerre, la peste et la famine » comme du fléau des pauvres. De plus, il y a eu des persécutions à Alger, à Tunis, en Irlande et aux Hébrides. Le premier martyr de la Congrégation de la Mission, Thaddeus Lye, séminariste, a donné sa vie à Limerick en 1652. Ses persécuteurs lui ont écrasé le crâne et lui ont coupé les mains et les pieds en présence de sa mère. Lorsqu’en 1657, en plus d’entendre que trois prêtres étaient morts en route pour Madagascar, Vincent a appris que six membres de la maison de Gênes avaient succombé à la peste, il s’est dit « accablé de chagrin » et a ajouté qu’il « serait incapable de recevoir un plus grand coup sans être complètement dévasté ». Dans ses lettres et ses conférences, Vincent a mentionné la peste plus de 300 fois. Il a envoyé de longues lettres offrant des conseils pratiques sur l’aide aux victimes de la peste à son ami Alain de Solminihac, Evêque de Cahors, et aux supérieurs de Gênes et de Rome. Dans ses entretiens, il a décrit la peste en France, à Alger, à Tunis, en Pologne et dans toute l’Italie.
Les chiffres étaient impressionnants. La France à elle seule a perdu près d’un million de personnes à cause de la peste lors de l’épidémie de 1628-1631. À peu près à la même période en Italie, 280 000 personnes sont mortes. En 1654, 150 000 habitants de Naples succombent. Alger a perdu environ 40000 personnes en 1620-21 et de nouveau en 1654-57.
Gênes a été parmi les villes les plus durement touchées. La moitié de la ville est morte en 1657. La longue liste des membres de la Famille Vincentienne qui y ont perdu la vie est touchante.
Comme on pourrait l’imaginer, les Filles de la Charité et les confraternités étaient en première ligne pour servir ceux qui ont été touchés par la peste (sans parler de leur service à ceux dont la vie avait été perturbée par la guerre, la famine et les conflits politiques en même temps). Certaines affirmations de Vincent à ses prêtres, ses frères et sœurs, ainsi qu’aux membres laïcs des confréries, sont marquées par les circonstances de l’époque et par le manque de connaissances et de ressources médicales que nous en avons aujourd’hui. Mais une grande partie de ce qu’il a dit et comment il a réagi est tout à fait pertinente alors que les membres de la Famille Vincentienne affrontent COVID-19.
Permettez-moi de souligner quatre points :
- Alors qu’il se débattait avec des émotions douloureuses, Vincent est resté convaincu que, quelles que soient les circonstances, nous ne devons jamais abandonner les pauvres. Ils sont « notre part » dans la vie, a-t-il déclaré. Il disait avec fermeté aux membres de sa Famille que, même dans des circonstances extrêmement difficiles, nous devons faire preuve de créativité pour trouver des moyens de répondre aux besoins de ceux qui Vincent a écrit à Alain de Solminihac : « Les pauvres paysans frappés par la peste sont généralement abandonnés et très à court de nourriture. Ce sera une action digne de votre piété, Excellence, de prévoir cela en envoyant l’aumône à tous ces endroits. Veillez à ce qu’ils soient confiés à de bons pasteurs, qui apporteront du pain, du vin et un peu de viande pour que ces pauvres gens les ramassent aux endroits et aux heures qui leur sont indiqués… ou à quelque bon fidèle de la paroisse qui pourrait faire ça. Il y a généralement quelqu’un dans chaque zone capable de faire cet acte de charité, surtout s’ils n’ont pas à entrer en contact direct avec les pestiférés. »
- L’interprétation évangélique des événements par Vincent est rapidement passée au premier plan en ces temps de En décembre 1657, pensant à onze membres de sa Famille qui avaient récemment perdu la vie, il écrivait : « Nous avons tant de missionnaires au ciel maintenant. Il n’y a pas lieu d’en douter, car ils ont tous donné leur vie pour la charité, et il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour le prochain, comme Notre Seigneur l’a dit et pratiqué. Ainsi donc, si nous avons perdu d’une part, nous avons gagné d’autre part car il a plu à Dieu de glorifier les membres de notre Famille, comme nous avons de bonnes raisons de le croire, et les cendres de ces hommes et femmes apostoliques seront la semence d’un grand nombre de bons missionnaires. Telles sont, tout au moins, les prières que je vous demande d’offrir à Dieu. »
- Dans ses conseils aux membres de sa Famille sur la manière de servir en pleine épidémie, Vincent a choisi un juste D’une part, il les a exhortés à rester près des personnes atteintes de la peste et à ne pas les abandonner ; d’autre part, il a encouragé la Famille à respecter les mises en garde des autorités civiles et ecclésiastiques. Il dit à Etienne Blatiron, le supérieur de Gênes : « La seule chose que je vous recommande le plus sérieusement et ardemment est de prendre toutes les précautions raisonnables pour préserver votre santé ». Blatiron a pris de nombreux risques et est décédé de la peste en 1657. Vincent a écrit à Jean Martin, le supérieur de Turin : « Je crains que vous ne vous reposiez que peu de temps et que vous retourniez au travail si tôt. Au nom de Notre- Seigneur, veuillez modérer ce que vous faites et obtenir toute l’aide que vous pouvez ». Martin a survécu et servi énergiquement jusqu’en 1694.
- Il a élargi la définition du martyr pour inclure tous ceux qui ont vaillamment donné leur vie pour les pauvres et il n’a cessé de chanter leurs Parlant des Filles de la Charité, il a déclaré : « Un saint Père a dit un jour que quiconque se donne à Dieu pour servir son prochain et endure volontiers toutes les difficultés qu’il peut rencontrer en ceci est un martyr. Les martyrs ont-ils souffert plus que ces sœurs… qui se donnent à Dieu (et) sont parfois auprès de malades pleins d’infection et de plaies et souvent de fluides corporels nocifs ; parfois avec des enfants pauvres pour qui tout doit être fait ; ou avec de pauvres condamnés chargés de chaînes et d’afflictions… Elles sont bien plus dignes
d’éloges que tout ce que je pourrais vous dire. Je n’ai jamais rien vu de tel. Si nous voyions l’endroit où s’est trouvé un martyr, nous ne l’aborderions qu’avec respect et l’embrasserions avec une grande révérence. Considérez-les comme des martyrs de Jésus-Christ, car elles servent leur prochain par amour pour Lui. »
Aujourd’hui, nous sommes confrontés au COVID-19, ce qui, pour la plupart d’entre nous, est une crise sans précédent. Comment pourrions-nous y faire face dans l’esprit de Saint Vincent? J’ose suggérer trois actions, qui se font déjà d’une manière ou d’une autre. Ton équipe et toi, ainsi que les membres de toutes les branches de notre Famille, serez certainement en mesure de les développer davantage.
- Bénévolat. Les pauvres souffrent le plus de crises comme celle-ci. Souvent, ils se retrouvent sans emploi. Ils ont besoin de logement, de nourriture et d’autres services essentiels. De l’époque de Saint Vincent à nos jours, la longue histoire de notre Famille a été une réponse à de telles nécessités. On ne peut qu’admirer les médecins, les infirmières, les techniciens médicaux d’urgence, les visiteurs à domicile et autres qui continuent de servir ceux qui souffrent en ce moment.
- Dons. Le marché boursier et d’autres indices économiques ont baissé de façon spectaculaire au cours de cette période. Certains prennent cela comme un signal qu’il faut éviter de donner. Pourtant, les besoins des pauvres sont d’autant plus importants dans des moments comme celui-ci. Pouvons-nous, en tant que Famille, continuer à manifester notre générosité envers les plus démunis ?
- Prière. Le pape François et de nombreux autres responsables religieux nous pressent de prier pour les victimes et pour une fin de la pandémie. Tomaz Mavric nous a écrit récemment pour lancer un appel similaire d’une grande sincérité. De belles prières ont été composées et circulent en ligne, comme celle du P. Jean-Pierre Renouard. En plus de cela, puis-je offrir cette suggestion simple de Saint Vincent : « Dieu lui-même nous dit : « Une prière courte et fervente perce les nuages » (Si 35, 17). Ces fléchettes d’amour sont très agréables à Dieu et, par conséquent, sont fortement recommandées par les saints Pères, qui ont compris leur importance. C’est ce à quoi je vous exhorte, mes sœurs et frères ».
Merci, Mark, pour tout le travail que ton équipe et toi faites pour promouvoir l’Alliance Famvin avec les personnes sans-abri (FHA en anglais). Avec l’expansion du coronavirus, les besoins des personnes sans-abri sont plus que jamais aigus et un nombre croissant de personnes se retrouvent à la limite du sans-abrisme. Réfléchissant à un moment similaire dans la vie de Vincent, tel que décrit ci-dessus, l’un des principaux biographes du saint, le P. José-María Román, a écrit : « L’année 1657 a été une mauvaise année pour Vincent… Certains auraient pu être tentés de dire que le Seigneur accumulait les désastres sur Vincent pour tester son courage et sa vertu. Mais le vieil homme vigoureux a courageusement surmonté toutes ces adversités. Et il lui restait encore assez d’esprit pour lancer de nouvelles entreprises ».
Je suis convaincu qu’à l’exemple de Saint Vincent, notre Famille du monde entier relèvera le défi du coronavirus avec courage et créativité.