« Dieu vit que cela était bon » (Gn 1, 25). Le regard de Dieu, au début de la Bible, se pose doucement sur la création. De la terre à habiter jusqu’aux eaux qui entretiennent la vie, des arbres qui portent du fruit aux animaux qui peuplent la maison de Dieu, tout est cher aux yeux de Dieu qui offre à l’homme la création comme un don précieux à garder.

Tragiquement, la réponse humaine à ce don a été marquée par le péché, par la fermeture dans sa propre autonomie, par la cupidité de posséder et d’exploiter. Egoïsmes et intérêts ont fait de la création, lieu de rencontre et de partage, un théâtre de rivalités et de conflits. C’est ainsi qu’est mis en danger l’environnement même, chose bonne aux yeux de Dieu devenue chose à exploiter entre les mains des hommes. La dégradation s’est accentuée ces dernières décennies : la pollution permanente, l’usage incessant de combustibles fossiles, l’exploitation agricole intensive, la pratique de raser les forêts font que les températures globales augmentent jusqu’à des niveaux d’alerte. L’augmentation de l’intensité et de la fréquence de phénomènes météorologiques extrêmes ainsi que la désertification du sol mettent à dure épreuve les plus vulnérables d’entre nous. La fonte des glaces, le manque d’eau, le manque d’entretien des bassins hydriques et la présence considérable de plastique et de micro plastique dans les océans sont des faits également préoccupants qui confirment l’urgence d’interventions qui ne peuvent plus être reportées. Nous avons créé une urgence climatique qui menace gravement la nature et la vie, y compris la nôtre.

A la racine, nous avons oublié qui nous sommes : des créatures à l’image de Dieu (cf. Gn 1, 27), appelées à habiter comme des frères et des sœurs la même maison commune. Nous n’avons pas été créés comme des individus qui se comportent en maîtres ; nous avons été pensés et voulus au centre d’un réseau de la vie constitué de millions d’espèces amoureusement rassemblées pour nous par notre Créateur. L’heure est venue de redécouvrir notre vocation d’enfants de Dieu, de frères entre nous, de gardiens de la création. Il est temps de se repentir et de se convertir, de revenir aux racines : nous sommes les créatures de prédilection de Dieu qui, dans sa bonté, nous appelle à aimer la vie et à la vivre en communion, reliés à la création.

J’invite donc fortement les fidèles à se consacrer à la prière pendant ce temps, qui, à partir d’une opportune initiative née dans un cadre œcuménique a pris l’aspect d’un Temps de la Création : une période de prière plus intense et d’action au profit de la maison commune qui s’ouvre aujourd’hui, 1er septembre, Journée Mondiale de Prière pour la Sauvegarde de la Création, et qui se terminera le 4 octobre, dans le souvenir de saint François d’Assise. C’est l’occasion de se sentir encore plus unis aux frères et sœurs des différentes confessions chrétiennes. Je pense, en particulier aux frères orthodoxes qui depuis trente ans déjà célèbrent cette Journée. Sentons-nous aussi en profonde syntonie avec les hommes et les femmes de bonne volonté, appelés ensemble à promouvoir, dans le contexte de la crise écologique qui concerne chacun, la sauvegarde du réseau de la vie dont nous faisons partie.

Il est venu le temps de se réhabituer à prier, immergés dans la nature où naît spontanément la gratitude envers Dieu créateur. Saint Bonaventure, chantre de la sagesse franciscaine, disait que la création est le premier “livre” que Dieu a ouvert devant nos yeux, pour qu’en en admirant la variété, ordonnée et belle, nous soyons ramenés à aimer et à louer le Créateur (cf. Breviloquium, II, 5.11). Dans ce livre, toute créature nous a été donnée comme une “parole de Dieu” (cf. Commentarius in librum Ecclesiastes, I, 2). Puissions-nous, dans le silence et dans la prière, écouter la voix symphonique de la Création qui nous exhorte à sortir de nos fermetures autoréférentielles pour nous redécouvrir environnés de la tendresse du Père et heureux de partager les dons reçus. En ce sens, nous pouvons dire que la création, réseau de la vie, lieu de rencontre avec le Seigneur et entre nous, est « le réseau social de Dieu » (Audience aux guides et scouts d’Europe, 3 août 2019). Cela nous porte à élever un chant de louange cosmique au Créateur, comme l’enseigne l’Ecriture : «Ô vous, toutes choses germant sur la terre, bénissez le Seigneur : chantez-le, exaltez-le éternellement » (Dn 3, 76).

Il est venu le temps de réfléchir sur nos styles de vie et sur la façon dont nos choix quotidiens en matière d’alimentation, de consommation, de déplacements, d’utilisation de l’eau, de l’énergie et de nombreux biens matériels sont souvent inconsidérés et nuisibles. Nous sommes trop nombreux à nous comporter en maîtres de la création. Choisissons de changer, d’adopter des styles de vie plus simples et plus respectueux ! C’est l’heure d’abandonner la dépendance des carburants fossiles et d’entreprendre, de manière rapide et décisive, des transitions vers des formes d’énergie propre et d’économie durable et circulaire. Et n’oublions pas d’écouter les populations indigènes, dont la sagesse séculaire peut nous apprendre à mieux vivre la relation avec l’environnement.

Il est venu le temps d’entreprendre des actions prophétiques. Beaucoup de jeunes haussent la voix dans le monde entier, en appelant à des choix courageux. Ils sont déçus par trop de promesses non tenues, par des engagements pris et négligés pour des intérêts et des avantages partisans. Les jeunes nous rappellent que la Terre n’est pas un bien à gâcher, mais un héritage à transmettre ; qu’attendre demain n’est pas un beau sentiment, mais une tâche qui demande des actions concrètes aujourd’hui. Nous leur devons des réponses vraies, non pas des paroles vides ; des faits, et non des illusions.

Nos prières et nos appels visent surtout à sensibiliser les responsables politiques et civils. Je pense en particulier aux Gouvernements qui, dans les prochains mois, se réuniront en vue de renouveler des engagements décisifs pour orienter la planète vers la vie plutôt que vers la mort. Viennent à l’esprit les paroles adressées par Moïse au peuple comme une sorte de testament spirituel avant l’entrée dans la Terre promise : « Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance » (Dt 30, 19). Ce sont des paroles prophétiques que nous pourrions nous appliquer à nous-mêmes et à la situation de notre Terre. Choisissons donc la vie ! Disons non à l’avidité de la consommation et aux prétentions de la toute-puissance, qui sont des chemins de mort ; engageons-nous sur des parcours de clairvoyance, faits de renoncements responsables aujourd’hui pour garantir des perspectives de vie demain. Ne cédons pas aux logiques perverses des gains faciles. Pensons à l’avenir de tous !

Dans ce sens, revêt une importance spéciale le prochain Sommet des Nations Unies pour l’action sur le climat, durant lequel les Gouvernements auront la tâche de montrer la volonté politique d’accélérer drastiquement les mesures pour atteindre le plus tôt possible des émissions sans gaz à effet de serre équivalant à zéro et de contenir l’augmentation moyenne de la température globale à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris. Ensuite, en octobre prochain, l’Amazonie, dont l’intégrité est gravement menacée, sera au centre d’une Assemblée spéciale du Synode des Évêques. Saisissons cette occasion pour répondre au cri des pauvres et de la Terre !

Chaque fidèle chrétien, chaque membre de la famille humaine peut contribuer à tisser, comme un fil mince, mais unique et indispensable, le réseau de la vie qui embrasse tous. Sentons-nous impliqués et responsables en ayant à cœur, par la prière et par l’engagement, la sauvegarde de la création. Que Dieu, « qui aime la vie » (Sg 11, 26), nous donne le courage de faire du bien sans attendre que d’autres commencent, sans attendre qu’il soit trop tard.

Du Vatican, le 1er septembre 2019

François