Par : Père Rolando Gutiérrez Zúñiga, CM
Le frère Francisco a produit non seulement quelques-uns des principes essentiels d’une culture vocationnelle, que j’ai essayés d’analyser dans mon livre Où Dieu Nous Veut, mais il a aussi évoqué quelques défis qui se présentent dans la vie de chaque province, de chaque communauté et chaque missionnaire lorsqu’ils tentent de revitaliser l’essentiel de notre vocation telle qu’elle est comprise dans la perspective d’une culture vocationnelle.
Je regrette de ne pas avoir une recette magique qui peut résoudre immédiatement les difficultés que le frère Paco nous a présentées et auxquelles il faudra peut-être faire face dans notre vie spirituelle et dans nos ministères en faveur des pauvres, mais je suis sûr que même la méthode la plus évangélique est loin de ces solutions rapides qui sont généralement le résultat de décisions anxieuses qui cherchent à séparer prématurément le blé des mauvaises herbes.
En réalité, je crois que les deux difficultés ont une racine commune : une incohérence ou un manque d’harmonie entre les valeurs qui sont proclamées dans l’institution (par exemple : les mystiques de la mission ou les pauvres sont notre lot et notre héritage) et ce qui est vécu, expérimenté et appliqué. En d’autres termes, je me réfère à une attitude clairement vincentienne mais qui a du mal à ressentir et à créer une action charismatique.
La solution n’est pas facile ou simple, car nous avons affaire à un modèle inconscient d’être missionnaire, d’être une congrégation ou une province, un modèle fondé sur une tentative bien intentionnée d’incarner le charisme du point de vue des structures, ce qui n’est pas le même comme des processus authentiques. Il me semble que pour notre réflexion, nous devons distinguer processus et structure et comprendre que les structures s’ordonnent en fonction des processus. Voyons:
Les structures sont les jambes tandis que les processus sont l’action de marcher. Si les jambes d’une personne sont amputées, elle pourra à nouveau marcher, mais avec une prothèse. L’action de marcher se poursuivra, mais les anciennes structures ne correspondront plus au besoin. Dans le domaine de la vocation, la question est plus complexe. Il ne s’agit pas simplement d’abandonner certaines structures pour d’autres (comme certains l’ont fait à tort au cours des décennies précédentes) ni de défendre des structures à tout prix.
Parfois, lorsqu’une réflexion sérieuse et profonde est générée (attitudes), des tentatives sont faites pour y répondre en créant des structures (par exemple, une activité sur le calendrier, un discours sur un sujet, une campagne qui commence et se termine), ce qui peut être bénéfique pour un bon processus. Néanmoins, ces structures ne produiront pas et ne pourront pas produire de fruits automatiques. Ainsi, dans un court laps de temps, une autre personne se présentera, et avec la même franchise, il créera une nouvelle structure, et le cycle se répètera à mesure que les différentes forces diminuent et augmentent. Petit à petit, les gens commencenceront à sentir que quoi qu’on fasse, plus rien ne marche.
Avec les exemples que présente frère Paco, on pourrait dire que si nous avons été formés dans un système où prédominait l’élément rationnel de sorte que même la spiritualité était abordée dans une perspective d’exactitude scientifique, il est facile de voir que la richesse mystique du charisme vincentien a été reléguée à certaines structures. En d’autres termes, la richesse du charisme vincentien a été reléguée à une certaine structure et aussi bonnes que soient ces structures (rien ne pourrait être mieux que l’Eucharistie !), néanmoins, au fil des ans, si des attitudes ne se forment pas, alors nous aurons une spiritualité sans profondeur, une spiritualité qui ne s’incarne pas et qui ignore les pauvres. La même chose arrive avec nos apostolats, même si des évaluations de nos œuvres sont faites, même si le critère sous-jacent (pas toujours verbales) quels ministères pouvons-nous encore soutenir ? Quel chemin prendre pour rester le plus courageux et mourir avec nos bottes aux pieds? Au lieu de se poser la question comment pouvons-nous nous projeter dans le futur ? Et comment pouvons-nous répondre avec une fidélité créative aux nouveaux défis ? Il est très possible que nous investissions tous nos efforts dans la peinture des murs de nos structures et par conséquent, nous n’avons ni le temps ni l’énergie pour faire des options qui créent de véritables possibilités de culture vocationnelle. Que faire alors ?
J’avoue que nous sommes loin de résoudre une situation difficile et je ne prétends pas proposer une solution définitive. Je fais plutôt quelques suggestions qui pourraient mener à une solution.
[I.] S’évaluer sans craindre de devenir mal à l’aise : Chaque missionnaire doit prendre le temps de réfléchir à l’intuition prophétique du Pape François concernant la synodalité dans l’Église. À la lumière des préparatifs pour l’Assemblée générale de 2022 de la congrégation, c’est un moment propice pour faire une pause afin de nous écouter et de permettre à ceux qui nous entourent de nous mettre mal à l’aise. Il est temps de se demander : comment les autres nous voient-ils ? Quel est le sens de notre rôle dans le monde dans lequel nous nous rapportons aux autres ? Quels sont les signes de vie et quels sont les indicateurs d’incohérences que je découvre dans l’évaluation que les autres font de nous ? Il n’y aura pas de processus de culture vocationnelle s’il n’y a pas la capacité de poser des questions profondes et embarrassantes. Partir sur la tangente ou se contenter du superficiel est un triste signe de médiocrité.
[II.] Faire des options : Une option n’est pas la même chose qu’une ligne d’action écrite sur papier. Les symptômes d’une option sont généralement : un certain malaise avec la réalité, comme celui qu’éprouve Vincent de Paul à Folleville (1617), l’incapacité d’ignorer cette initiative même dans les moments personnels difficiles, une bonne dose d’incompréhension et de critique comme celles vécues par Pape François. De plus, on commence à remarquer que toutes les ressources reposent sur cette nouvelle option, personnel, biens meubles et immeubles, temps, énergie. Enfin, peu à peu, une vocation contagieuse se produit car, même dans les lieux de grande indifférence religieuse, lorsqu’une certaine « odeur » de vie évangélique authentique est perçue, d’autres sont motivés à s’unir.
On s’attendrait à ce que certaines options de la Congrégation soient initiées par nos supérieurs majeurs, mais il est vrai aussi que le rôle de la communauté locale et la vie de chaque missionnaire jouissent d’une grande autonomie et de possibilités quant à l’incarnation des options prophétiques. S’asseoir et attendre que les solutions viennent « d’en haut », c’est prendre une position dans laquelle les individus placent toute leur confiance dans les structures.
[III.] Formation permanente : Je crains que la formation permanente soit souvent comprise comme une structure de plus, comme un ensemble de rencontres ponctuelles ou d’expériences spécifiques. Si les provinces n’assument pas la formation permanente avec autant et même plus d’importance que la formation initiale, on ne peut guère espérer incarner des idées claires sur la manière de se revêtir d’attitudes comme celles du Christ ou d’avoir des ministères qui donnent aujourd’hui un témoignage prophétique du charisme de Saint Vincent. La formation permanente authentique ne s’adresse pas uniquement à l’esprit mais aussi au cœur et cherche, au quotidien, à revitaliser la vie et la vocation du missionnaire, et concentre toutes les structures personnelles et congrégationnelles sur ce besoin. Il ne faut pas craindre de se laisser accompagner régulièrement par des professionnels de la santé mentale, d’avoir recours à des mentors spirituels, de passer du temps à partager et pas seulement à travailler, à désactiver le mode de répétition de la vie de prière communautaire et personnelle ; et surtout, vaincre la tentation pharisienne de croire qu’on ne peut plus changer. En effet, la formation permanente nous maintient dans une attitude de disciple jusqu’à ce que nous quittions ce monde pour la mission céleste. La liste d’exemples dépasse l’espace de cet article, je vous invite donc à lire mon livre Where God Wants Us (pages 74-86).
Cher frère Paco, je ne sais pas si j’ai répondu à votre préoccupation. J’ai essayé de dire, en quelques mots, qu’une culture vocationnelle vincentienne n’est pas une structure, mais un processus, et dans cette perspective, toutes les structures provinciales doivent être ajustées. C’est-à-dire si les travaux, les bâtiments, les finances, le mode de vie des missionnaires, le temps, l’énergie, les plans/projets… si tout cela ne reflète pas la dimension prophétique et radicale d’une culture vocationnelle, si cet esprit n’est pas ressenti ou bien vu dans nos ministères, alors il est temps de s’évaluer sans crainte de malaise, il est temps de faire des options et de s’approprier la formation permanente…autrement, nous pourrions renoncer à notre avenir.