Deuxième communication avec le P. Rolando Gutiérrez Zuñiga, CM
Je veux commencer par un bref commentaire sur la suite donné par le Père Rolando à ma première communication. Il déclara : Cher frère Paco, je ne sais pas si j’ai répondu à votre préoccupation… Oui, vous y avez répondu. Votre insistance sur le fait qu’une culture vocationnelle vincentienne n’est pas une structure, mais un processus et donc, du point de vue dudit processus, une province devrait ajuster toutes ses structures est assez juste et offre beaucoup de réflexions. Espérons que tous les missionnaires, communautés et provinces des Congrégations s’impliqueront dans un processus de renouveau et répondront à la question : comment pouvons-nous créer ces processus là où nous nous trouvons ?
Cette déclaration m’a rappelé l’axiome du Pape François : Le temps est supérieur à l’espace (EG 222). Le temps nous parle de l’horizon, de l’utopie qui nous ouvre sur l’avenir, de la génération de processus plutôt que de la domination des espaces. En effet, le P. Rolando lui-même, dans le chapitre V intitulé : Coordonnées pour une culture vocationnelle vincentienne, nous propose ce principe (p. 68) comme l’une des coordonnées qui doivent guider nos vies pour que nous soyons là où Dieu veut que nous soyons.
Le Père nous a déjà dit dans sa réponse qu’il n’y a pas de recette magique. Les processus de transformation personnels et institutionnels nécessitent de la patience. L’auteur nous prévient cependant que cette coordonnée du temps qui est supérieur à l’espace n’est pas interprétée comme une raison pour négliger d’aborder notre tiédeur. Si cela devait arriver, alors un principe d’action devient une justification d’une vie médiocre (p. 71). Rappelons-nous toujours cela.
J’ose insister sur le fait que, dans ces tentatives de créer une culture vocationnelle vincentienne, il est nécessaire de prendre en compte et de valoriser les trois dimensions qui la composent : attitude, sensibilité et pédagogie. Je veux voir dans les trois directives que le P. Rolando a suggéré dans sa réponse, un accent sur chacune des dimensions : Il nous propose de nous évaluer sans craindre un certain malaise, ce qui signifie réfléchir et prendre le temps de découvrir si nos idées correspondent à la réalité, à ce que pensent les autres et ainsi, transformer nos attitudes. Il a suggéré que nous fassions des options, qui se concrétisent dans le faire, dans des actions significatives qui se font dans un vrai style vincentien. Il nous a encouragés à nous engager dans un processus de formation permanente qui, comme il nous l’a dit, est avant tout lié au cœur, à la revitalisation de notre vocation afin de pouvoir nous revêtir des mêmes sentiments du Christ, qui transformeront notre sensibilité. Que Dieu nous permette de trouver et d’initier les processus nécessaires pour que tout cela devienne une réalité.
Je souhaite maintenant poser une nouvelle question au P. Rolando. Elle est moins importante car elle renvoie à l’usage du langage, plus précisément à l’utilisation de l’expression vocations de consécration spéciale… une expression qu’il utilise pour désigner les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée.
Je pose cette question parce que la psychologie enseigne que si vous ne parlez pas comme vous pensez, vous finirez par penser comment vous parlez.
Avec un exemple on peut facilement comprendre cette affirmation : si vous affirmez que vous êtes une personne qui n’a aucune difficulté avec les immigrés dans votre pays, mais à chaque fois que vous parlez d’un étranger vous utilisez des expressions négatives, désobligeantes, discriminatoires et malveillantes … il devient clair que votre pensée envers les immigrants sera influencée par ce langage, et presque certainement, vos attitudes envers eux seront également influencées par ce langage.
Dès le début, je tiens à préciser que si le Père Rolando utilise cette expression quinze fois dans son livre, à aucun moment il ne l’utilise avec malveillance ou péjorativement ni en se référant à ceux qui sont au sein de ces groupes ni en se référant à ceux qui sont en dehors de ce groupe et vivre une autre vocation.
La difficulté est que ce langage crée une attitude qui considère certaines vocations comme spéciales en raison de leur consécration et d’autres vocations qui ne le sont pas. Ces vocations non spéciales renvoient naturellement aux laïcs. Je pense qu’il est évident qu’un tel langage peut être un subterfuge pour des attitudes qui soutiennent le cléricalisme.
Ici, je voudrais diriger ce dialogue et cette réflexion. Le Pape François nous a invités à combattre la tentation du cléricalisme et le Père Rolando le fait dans son œuvre : Aller au-delà de la perspective de l’égoïsme, du cancer primaire de l’Église et le père du cléricalisme, implique d’écouter la voix des autres, de se préoccuper de la façon dont les autres nous voient et de permettre aux autres de nous mettre au défi afin que nous puissions trouver les chemins les plus authentiques qui soient en accord avec l’esprit missionnaire et la vocation vincentienne auxquels nous avons été appelés (p. 29).
Nous parlons de vocations de consécration spéciale parce qu’on nous a appris que notre état est un état de plus grande perfection et que nous, en tant que membres du clergé et personnes consacrées, sommes impliqués dans une suite plus radicale de Jésus et ainsi, notre vie a une plus grande signification eschatologique. Mais notre vie n’est pas en soi et a priori un état de plus grande perfection qui garantit automatiquement une vie vécue avec amour et dévouement généreux, ni une forme plus radicale de suivre Jésus, ni une vie dotée d’une plus grande signification eschatologique. Nous ne recherchons pas directement la perfection, le radicalisme ou la signification eschatologique : nous recherchons, comme tout croyant, l’engagement personnel. L’option pour la vie sacerdotale ou consacrée se manifeste comme une illumination qui apparaît après un long processus de discernement et qui donne un sens à son existence. Dans cette lumière, on conclut que c’est le chemin le plus approprié : c’est ma réponse personnelle à mon Dieu et Seigneur qui a prononcé mon nom. C’est dans la remise de son cœur qu’une vocation se décide. S’il n’y a pas de remise du cœur alors, il y a vide et la vocation reste comme rôle. Quand il y a cette remise, le cœur retrouve sa forme originelle et est capable d’aller au-delà du raisonnable.
Pour chaque chrétien, pour chaque vincentien, pour chaque missionnaire, Dieu, comme réalité personnelle vivante et vécue, unifie et résume toute l’existence, que l’on soit prêtre, consacré, laïc ou marié. D’une part, Dieu est au centre de notre réponse aux grandes énigmes sur l’origine, le sens et le destin de l’existence. Mais, surtout, Dieu nous donne une raison de travailler, d’aimer, de nous engager et de nous donner aux autres avec qui et pour qui nous vivons, souffrons et nous réjouissons : les pauvres.
Père Rolando, l’expression vocations de consécration spéciale peut-elle cacher une attitude de cléricalisme ? Est-il nécessaire de faire ce genre de distinctions quand on parle de vocations ? Pouvons-nous trouver une autre expression qui exprime mieux le concept évangélique de vocation ?
J’attends avec impatience votre réponse.