“Je t’ai choisi et je t’ai établi pour que tu ailles et que tu portes du fruit” (Jn 15,16).
La vocation missionnaire de l’Église et du C.M.

 

Il y a soixante ans, le pape Jean XXIII a ouvert une nouvelle fenêtre dans l’Église, par laquelle est entré un air nouveau et frais. Il s’agissait principalement d’un air missionnaire, d’une redécouverte de l’identité et de l’essence de l’Église. Chaque année, en octobre, nous essayons de préserver la fraîcheur de cet air missionnaire en priant, en réfléchissant et surtout en témoignant de notre identité missionnaire. Les papes qui ont succédé à Jean XXII ont insisté sur le fait que sa véritable identité et son essence se trouvent dans sa nature missionnaire. A notre petite échelle, même nous, membres de la Congrégation de la Mission (C.M.), au mois d’octobre nous recevons l’appel missionnaire de nos Supérieurs Généraux, et ce fait, tout en n’adhérant pas aux missions qui nous sont proposées, nous avons la possibilité de nous rappeler notre identité dans l’Eglise et dans la société : celle d’être missionnaires comme et avec toute l’Eglise. De plus, la Famille Vincentienne a une autre vocation : celle d’être ” la conscience ou la sentinelle missionnaire ” au sein de l’Église depuis le XVIIe siècle.

Tous les papes ont insisté sur la vocation missionnaire de l’Église, mais certains d’une manière particulière. Immédiatement après le Concile Vatican II, Paul VI l’a fait solennellement dans son encyclique Evangelii Nuntiandi, dans laquelle il a annoncé ce qu’est la véritable identité et l’essence de l’Église en disant : “évangéliser, en effet, est la grâce et la vocation propres de l’Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser” (cf. EN #14). Évidemment, cette réflexion de Paul VI était en continuité avec le magistère de Vatican II, dans Lumen Gentium, mais encore plus explicitement dans Ad Gentes, qui disait : l’Église, peuple de Dieu en chemin, est une Église missionnaire par nature (AG n° 2). De par sa nature même, l’Église est “missionnaire”. Le pape François, quelques semaines après son élection, le 28 mars 2013, a dit ceci à propos de l’identité missionnaire de l’Église en tant que Peuple de Dieu : “… notre peuple aime quand l’Évangile que nous prêchons atteint sa vie quotidienne, quand il descend comme l’huile d’Aaron jusqu’aux bords de la réalité, quand il illumine les situations limites, les périphéries où le peuple fidèle est le plus exposé à l’invasion de ceux qui veulent piller sa foi. Les gens nous remercient parce qu’ils sentent que nous avons prié avec les réalités de leur vie quotidienne, leurs peines et leurs joies, leurs angoisses et leurs espoirs”. Le Pape François est convaincu que l’action missionnaire est le paradigme de toute œuvre de l’Église (cf. EG # 15).  C’est pourquoi, écrit le Pape, “nous ne pouvons plus rester tranquilles, dans l’attente, à l’intérieur de nos églises” mais passer “d’une pastorale de simple conservation à une pastorale résolument missionnaire” (EG n°18).

Comme on peut le constater, pour le pape François, la question de la vocation missionnaire du peuple de Dieu, l’Église, est devenue le cheval de bataille, et à juste titre. Tout le peuple de Dieu, sans exception, est appelé à être “missionnaire”. Un missionnaire qui n’a pas un visage triste et funèbre, mais un missionnaire joyeux et enjoué. Joie évangélique (EG #20-24). Pour François, l’Eglise est appelée à vivre dans un “état permanent de mission” EG #25. Il ne s’agit donc pas d’une tâche temporaire mais d’une “mission de vie permanente et constante” à l’exemple de Jésus, le missionnaire par excellence ! C’est pourquoi le Peuple de Dieu, l’Église, est plus beau quand il est sale et porte l’odeur de son troupeau ; il est sain quand il se range du côté des blessés de l’histoire et plante sa tente pour être un hôpital de campagne ; il est glorieux quand il est pauvre et humble et qu’il s’incline pour soulever de la poussière les humbles de l’histoire. C’est vraiment une redécouverte de l’identité missionnaire de l’Église ! Aujourd’hui, comme il y a deux mille ans, comme nous le dit le Pape François : ” son action missionnaire est devenue le paradigme de toutes ses œuvres ” (cf. EG n°15).

L’esprit missionnaire vincentien

Quatre siècles avant le pape Borgoglio, saint Vincent nous a rappelé, à nous ses fils et ses filles, que notre dignité et notre identité résident dans le fait que nous sommes des “missionnaires de Jésus-Christ”. Nos Constitutions (CM+FdC) ont été façonnées par cet esprit. Chaque article et chaque page de nos Constitutions font référence à cet esprit dont nous sommes issus. Depuis 1625 et 1633, nous sommes nés “missionnaires” et nous vivons, nous devons vivre, comme de véritables missionnaires si nous voulons honorer notre vocation et notre identité. SV, comme le dit aussi le Pape François, nous a dit que nous sommes ” missionnaires ” en vertu de notre baptême (cf. EG n°120 ; Mt 28,19). Le Pape François parle de l’Eglise “toujours en train de sortir” (EG #20-23) SV quand il revenait d’une mission il avait l’habitude de dire : J’avais l’impression que les murs de Paris s’écroulaient sur moi quand je revenais de la mission… [Saint Vincent se considérait comme un missionnaire des périphéries, où se trouvent les pauvres les plus abandonnés, et non des grandes villes comme Paris]. Hier comme aujourd’hui, si nous voulons préserver l’esprit missionnaire, il faudra savoir sortir de notre coquille, de notre “zone de confort”.

Notre Congrégation, depuis sa naissance en 1625 avec des nuances apportées par l’Assemblée Générale de 1992, est une Congrégation sortante. Elle se conçoit toujours en mouvement, précisément en sortie missionnaire, à la recherche des pauvres les plus abandonnés (C. #1) de l’histoire. C’est une Congrégation qui prétend parcourir les chemins du monde pour atteindre les pauvres dans les périphéries géographiques et existentielles de l’humanité blessée, opprimée, abandonnée, sans abri… et qui prétend planter sa tente parmi eux. Dans certaines parties du monde, le Tchad et bien d’autres, où l’ombre des Babau (arbres immenses et séculaires) sert de salle de classe, les membres de C.M. deviennent des enseignants dans ces salles de classe qui ne sont pas là dans la plus grande humilité et pauvreté. Sortir de sa zone de confort exige des sacrifices, de la mortification et la volonté de se priver. L’esprit missionnaire exige, entre autres, ce sacrifice et cette abnégation pour suivre le missionnaire par excellence, Jésus. Si l’Eglise est appelée à être “un hôpital et une clinique mobiles”, comme le dirait le Pape François, à plus forte raison la Congrégation de la Mission et l’ensemble de la FV. Une famille capable de parler au cœur des hommes et des femmes de notre temps en parcourant leurs chemins, en utilisant des méthodes nouvelles et créatives (Const. n°12) car, nous dit SV, l’amour véritable est toujours créatif.

LA MÉTHODE D’ÉVANGÉLISATION !

La question de la méthode est cruciale. Que prenons-nous avec nous lorsque nous partons en mission ? Quelle méthode utilisons-nous ? Quel est l’objectif à atteindre ? Nous savons très bien que dans certaines de nos missions, la présence des chrétiens est nulle ou presque nulle. Nos missions comme en Tunisie et en Turquie, Istanbul, me viennent à l’esprit. Quel est l’intérêt d'”être des missionnaires dans ces lieux” ? Que devons-nous faire et que devons-nous vendre puisque nous ne pouvons pas vendre les mots du catéchisme classique ? Le prosélytisme est également un crime au point de fermer immédiatement nos missions. Alors, que faut-il faire ? Cette question suppose déjà que la mission “est un acte”, c’est pourquoi elle est fausse. La véritable mission, avant même le “faire”, est “l’être”. Si nous regardons la méthode de Jésus et de l’Église primitive, ils ne cherchaient pas à obtenir une conversion massive. Ils n’ont pas fait de prosélytisme du judaïsme, nos frères aînés. La diffusion du christianisme au cours des premiers siècles, comme l’a déclaré le cardinal Ratzinger en 1989, s’est faite par le biais du témoignage de vie du croyant : “la conversion du monde antique au christianisme n’a pas été le résultat d’une activité planifiée par l’Église, mais le fruit d’une réalisation de la foi rendue visible dans la vie des chrétiens et dans la communauté de l’Église. C’est l’invitation réelle de l’expérience à l’expérience qui a constitué la force missionnaire de l’Église primitive”. Même Jean-Paul II, dans sa lettre apostolique Novo Millennio Ineunte du 6 janvier 2001, écrivait : “Nous ne sommes certainement pas séduits par la perspective naïve que, face aux grands défis de notre temps, il puisse exister une formule magique. Non, ce n’est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude qu’elle nous insuffle : Je suis avec toi ! La méthode de notre évangélisation dans les missions ne peut que passer par le témoignage d’une vie cohérente vécue avec constance. Le prosélytisme n’est pas une bonne méthode. Le témoignage rend noble le christianisme vécu dans la dignité et l’honneur et attire beaucoup plus, comme dirait Mahtema Gandhi.

Conversion missionnaire !

En paraphrasant le Pape François, nous pouvons dire que la Congrégation de la Mission est “une congrégation qui sort toujours”. La nôtre, comme toute l’Église, essaie de vivre sa vocation missionnaire, dans la fidélité et la trahison, dans les nombreux aléas de l’histoire universelle et particulière. C’est une Congrégation qui, depuis 1625, a voulu être pauvre et des pauvres, c’est-à-dire “le lieu de la miséricorde gratuite, où tous peuvent se sentir accueillis, aimés, pardonnés et encouragés à vivre selon la bonne vie de l’Évangile” (EG, n° 114). Les fils et les filles de SV savent que le véritable amour est dans les actes et non dans les mots. Pour révéler son amour infini, Dieu n’avait d’autre moyen que de choisir les pauvres et la pauvreté. Le choix de la pauvreté, en effet, manifeste la gratuité du salut de Dieu, qui, “bien que riche, s’est fait pauvre pour que nous devenions riches par sa pauvreté” (cf. 2 Co 8, 9). L’amour pour les pauvres rend visible le Dieu invisible. Et nous sommes les serviteurs de cet amour avec le plus grand respect pour les pauvres : “le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir” (Marc 10,45). Le pape François, évoquant l’humble service de l’Église, a déclaré : “L’image qui me vient est celle de l’infirmière dans un hôpital : elle soigne les blessures une à une, mais avec ses mains. Dieu s’implique, il se mêle de nos misères, il s’approche de nos blessures et les guérit de ses mains, et pour avoir des mains il s’est fait homme” (Pape François, in La mia porta è sempre aperta, Rizzoli 2013). Son langage simple et direct est très intéressant. La conversion dont nous parlons est précisément à cette simplicité de vie et de langage, en vivant notre véritable identité : être missionnaires du Père sur les traces du Fils. Il faut changer d’avis et de cœur.

Conclusion :

Nous sommes des “missionnaires” par vocation et par choix. Oui, nous sommes Vincentiens, filles et fils de St Vincent. Mais qu’est-ce que cela signifie ? L’esprit missionnaire nous distingue-t-il ? L’Église et le monde nous reconnaissent-ils comme “missionnaires” ? Sommes-nous les sentinelles et la conscience missionnaire de notre Église ? Ou bien nous sommes-nous refermés sur nous-mêmes et avons-nous commencé à dire : tout a changé ! La société a évolué, elle n’est plus ce qu’elle était quand nous sommes nés au 17ème siècle ! Subissons-nous passivement l’évolution sociale ? La société actuelle et son mode de vie ne laissent-ils pas de place à nos missions ? Alors, que faisons-nous ? Est-ce que nous nous refermons sur nous-mêmes ? Se renfermer sur soi-même et ériger des murs à la recherche d’une zone de confort, de ministères qui nous apportent sécurité et stabilité, est une réaction bien trop humaine. Le Pape François, et nos supérieurs généraux qui le font aussi depuis 1992, nous demandent d’aller en mission : “vous sortez dans les rues et vous allez aux carrefours, vous appelez tous ceux que vous trouvez, sans exclure personne” (Mt 22,9). C’était également le rêve de notre fondateur, St Vincent. Notre départ en mission, avoir l’esprit missionnaire, pour SV et le Pape François, n’est rien d’autre que d’être proche des pauvres et des nécessiteux de l’histoire !

P. Zeracristos Yosief, C.M.