Dans l’Écriture, le livre des Lamentations de Jérémie, attribué au prophète et écrit vers 587 av. J.-C., exprime la souffrance du peuple qui a été causée par la destruction du Temple. Ce livre ne révèle pas seulement les sentiments religieux de cette destruction, mais révèle aussi les conséquences de cette même destruction, à savoir la solitude, la faim, les souffrances des femmes, des enfants et des personnes âgées… Et il est fait référence à la chute de la capitale, Jérusalem : « La voilà donc assise, solitaire, la ville si populeuse, semblable à une veuve, la reine des nations, souveraine des peuples, devenue esclave ! » (Lamentations de Jérémie 1, 1).

En regardant des photos des effets de la pandémie mondiale sur nos grandes villes (rues vides, pas de circulation automobile ni les habituels “embouteillages”, pas de bruit des gens ou des marchés, pas de musique ou de spectacles de rue, pas de mouvement effréné et précipité), j’ai pensé à plusieurs reprises à ces lamentations de l’Ancien Testament, écrites il y a plus de vingt-cinq siècles… J’ai réfléchi à la pertinence de leur message, d’autant plus que ces mots sont destinés à nous parler et à susciter une réponse..

Le prophète voyait la désolation et la lamentation ainsi que la souffrance et la douleur du peuple, il voyait que tout cela provenait du péché collectif du peuple : « ses fautes sans nombre » (1, 5) ; « [Jérusalem] elle est descendue au plus bas » (1, 9) ; « regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur que j’endure, celle dont le Seigneur m’afflige » (1, 12) ; « Le Seigneur, lui, est juste car je suis rebelle à sa parole » (1, 18) ; « mon cœur en moi se retourne car j’ai persisté dans ma rébellion » (1, 20). Il est naturel pour un homme religieux comme Jérémie de s’engager dans une lecture théologique et spirituelle de l’expérience des gens qui sont exilés, puis d’exprimer cette expérience sous forme de lamentations pour la douleur et la souffrance endurées.

Il ne serait pas approprié de dire que tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui est le résultat du péché, mais la crise que nous traversons devrait nous faire réfléchir sur ce qui se passe sur notre planète, sur l’humanité, sur nos systèmes économiques et de santé. Le pape François a très bien exprimé ce sentiment lors de sa bénédiction extraordinaire Orbi et Urbi du vendredi 27 mars 2020 :
« La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté. La tempête révèle toutes les intentions d’“emballer” et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment “salvatrices”, incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité. »
(http://www.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2020/documents/papa-francesco_20200327_omelia-epidemia.html)

Le prophète fait référence à cinq lamentations. Lisons ces lamentations lentement afin que les mots puissent parler au cœur et y trouver une réponse… Chaque mot qui nous est adressé attend une réponse – et le silence est l’une de ces réponses. Dans les cinq réflexions qui suivent, je voudrais dire quelque chose sur les réalités qui y sont exprimées : 1) la désolation, 2) la faim, 3) l’espérance, 4) l’effondrement de la ville, 5) la souffrance des personnes âgées. J’espère que notre lecture et notre réflexion sur ces lamentations nous amèneront, comme le prophète, à prier – la lamentation, les larmes et les souffrances sont des formes authentiques de prière – et donc, à approfondir notre espérance et notre confiance. Peut-être que l’espérance et la confiance sont nos meilleures réponses à ces mots, à ces lamentations et pour affronter cette période difficile pour l’humanité. En effet, l’espérance et la confiance sont nécessaires pour nous maintenir actifs chez nous, actifs dans la prière, luttant et attendant…

Première Lamentation (chapitre 1) : la désolation

La première lamentation du prophète est la désolation :
« La voilà donc assise, solitaire, la ville si populeuse, semblable à une veuve, la reine des nations, souveraine des peuples, devenue esclave ! Elle pleure, elle pleure dans la nuit, les larmes couvrent ses joues : personne pour la consoler parmi ceux qui l’aimaient ; ils l’ont trompée, tous ses amis, devenus ses ennemis », (1, 1-2).
« Elle est déportée, Juda, misérable, durement asservie ; assise au milieu des nations, elle ne trouve pas de repos », (1, 3).
« Les routes de Sion sont en deuil, car personne ne vient à ses fêtes : toutes ses portes sont à l’abandon », (1, 4).
« Ses adversaires la dominent », (1, 5).
« De la fille de Sion toute splendeur s’est retirée », (1, 6).
« Tous ceux qui la glorifiaient la méprisent voyant sa nudité ; elle aussi gémit et se détourne », (1, 8).
« Le Seigneur me livre à l’abandon, malade à longueur de jour », (1, 13).
« Le Seigneur me livre à des mains qui m’empêchent de me relever », (1, 14).
« Il est loin de moi, le consolateur qui me rendrait la vie, (1, 16).

La pandémie a laissé nos cités, nos villes abandonnées… Même des animaux que nous n’avions pas vus depuis longtemps sont sortis de la forêt. En quelques jours, les plans de l’humanité ont été modifiés. Les frontières ont été fermées, les pays et les continents se retrouvèrent enfermés. J’admets que la première fois que j’ai entendu parler du nord de l’Italie s’isoler du sud afin d’empêcher la propagation de la pandémie, j’ai pensé que ce n’était pas seulement inutile, mais aussi que cela était exagéré et impossible. J’ai rapidement appris qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’empêcher la propagation de ce virus. Puis les États-Unis ont fermé leurs frontières à la plupart des vols transatlantiques et de nombreux pays ont fermé non seulement leurs frontières extérieures mais aussi leurs frontières intérieures, interdisant les voyages d’une ville à l’autre. Bon nombre de ces restrictions sont toujours en place et on ne sait pas quand elles seront levées.
En cette période de mondialisation, le monde n’est pas habitué aux limitations et aux restrictions drastiques qui ont été imposées aux voyages, aux affaires et au tourisme. Pourtant, en quelques heures, sans aucune préparation, nous avons été forcés de nous concentrer sur une réalité unique : comment contrôler la propagation d’un virus. Il y a quelques mois, je me préparais à prêcher une retraite, d’autres préparaient les célébrations de la Semaine Sainte et d’autres encore étudiaient les possibilités d’emploi après l’obtention de leur diplôme. Toute la famille, le maire, le gouverneur de Cuba et l’institution se sont engagés dans la planification pour les mois à venir… Et ensuite, tous ces plans ont été mis en attente.

Nous apprenons à nouveau des choses comme passer du temps ensemble et valoriser les petites choses (des choses qui étaient auparavant inaperçues). Nous en sommes venus à comprendre que les plans peuvent changer d’un jour à l’autre (les gens sont dans l’impossibilité de se réunir pour enterrer leurs proches et ne peuvent pas participer aux sacrements). Cela nous a obligés à être créatifs en proclamant la Parole. Comme cela s’est produit dans d’autres luttes passées, l’humanité réussira ce test. Manuel Castells (éminent sociologue et Ministre des Universités d’Espagne), dans un récent article de La Vanguardia du 21 mars, intitulé « Tiempo de virus » [Au temps du virus], écrit ceci en conclusion :
« Nous sortirons de cette période de pandémie, oui mais nous ne sortirons pas comme nous y sommes entrés. Il se peut que nous devions traverser une longue période de changement dans le modèle de consommation. Mais je pourrais aussi être régénéré en retrouvant le simple plaisir de vivre, ancré dans nos familles, nos amitiés et nos amours. Au-delà de l’irritation normale qui résulte d’une longue période d’enfermement, nous réalisons que ce sont ces sentiments et notre soutien mutuel qui nous auront soutenus. Peut-être réapprendrons-nous la valeur de la vie, et cela nous permettra d’éviter les autres catastrophes qui nous attendent si nous continuons dans notre course destructrice et prétentieuse vers l’avenir dont on ne sait quoi ni pourquoi. »

Deuxième lamentation (chapitre 2) : la faim

« Mes yeux sont usés par les larmes, mes entrailles frémissent ; je vomis par terre ma bile face au malheur de la fille de mon peuple, alors que défaillent petits enfants et nourrissons sur les places de la cité. À leur mère ils demandent : « Où sont le froment et le vin ? » alors qu’ils défaillent comme des blessés sur les places de la ville et qu’ils rendent l’âme sur le sein de leur mère. », (2, 11-12).

« Lève-toi ! Pousse un cri dans la nuit au début de chaque veille ; déverse ton cœur comme l’eau devant la face du Seigneur ; élève les mains vers lui pour la vie de tes petits enfants qui défaillent de faim à tous les coins de rue. », (2, 19).
La désolation de la ville cède la place à quelque chose de plus horrible et insupportable : la faim. Des enfants pleurent pour avoir de la nourriture et pour rester vivants. Maintenant, la préoccupation de beaucoup n’est pas la propagation du virus mais plutôt la survie. Les quarantaines qui ont été mises en place pour préserver la santé publique ont laissé beaucoup de gens au chômage et n’ont pas permis à beaucoup d’autres personnes de quitter leur foyer pour obtenir des biens de première nécessité. Le drame de la pandémie a révélé le sens et l’importance du travail informel de millions d’hommes et de femmes qui dépendent de ce labeur pour fournir à leur famille leur pain quotidien.

Les gouvernements du monde entier, où la pandémie a fait sentir sa présence, ont du mal à revenir le plus tôt possible à une situation “normale”. Ils veulent revenir à la productivité d’avant et restaurer un sentiment de bien-être social, de confiance et de stabilité politique qui permettent la production de biens destinés à la consommation intérieure, à l’exportation et au respect des accords commerciaux. Nous avons bien vu comment l’accumulation de pétrole qui n’a pas été consommé a fait chuter son prix à des niveaux historiques jamais atteints et a paralysé les économies qui en dépendent.

Alors que plusieurs pays ont annulé l’exportation de ventilateurs, de respirateurs et de matériels pour les tests de laboratoire, d’autres ont fait preuve de créativité dans le développement de solutions à un prix beaucoup plus bas leur permettant de satisfaire leurs besoins internes. Cela a permis à ces pays d’éviter l’effondrement de leurs systèmes de santé tout en poussant les essais de nouveaux équipements et l’accélération des processus qui, dans des circonstances normales, prendraient des années. La pandémie a non seulement donné naissance à la créativité mais aussi à la solidarité : les entreprises ont modifié leurs objectifs afin de trouver des solutions pratiques aux problèmes auxquels le monde est confronté.

Notre principale préoccupation est la vie en protégeant la santé des hommes et des femmes. La faim, cependant, peut commencer à semer le chaos parce qu’il est presque impossible pour une économie, même les économies les plus développées, de maintenir de longues périodes improductives. Nous sommes confrontés à un dilemme parce qu’à un moment donné il pourrait devenir nécessaire de retourner au travail pour vivre… Et ce faisant nous courons le risque de rechuter. Sinon, comme l’a dit le professeur et psychiatre León Cohen dans une interview, nous nous plaçons au bord du chaos social :

« Quelle est votre plus grande peur ? La pauvreté post-pandémique ? Il y aura beaucoup de gens qui n’auront pas d’argent pour se nourrir. Par conséquent, tous ceux qui survivent à cette pandémie doivent répondre de façon visible et concrète aux cris de la population. Sinon, nous sommes à un pas de ce qui se passe dans le sud de l’Italie, le chaos social… Sauf que cette fois le chaos sera pire parce qu’il sera motivé par la faim. »

Troisième lamentation (chapitre 3) : l’espérance

À proprement parler, l’espérance n’est pas une lamentation. Néanmoins, dans le chapitre central des Lamentations de Jérémie, nous trouvons une discussion sur la prière, la confiance et l’espérance. Les prophètes ne voient pas tout comme une lamentation et, par conséquent, ils considèrent toute réalité comme une raison de dénoncer. Les prophètes d’Israël ont joué un rôle de premier plan dans la vie des gens, en particulier pendant les périodes de procès. Ils ont instillé l’espérance dans le peuple, l’espérance qui a maintenu leur désir de rentrer chez eux vivants (aucun mal ne peut durer cent ans).
Le prophète déclare :

« Rappelle-toi ma misère et mon errance, l’absinthe et le poison. Elle se rappelle, mon âme, elle se rappelle ; en moi, elle défaille. », (3, 19-20).
Néanmoins, Jérémie se souvient d’une autre réalité qui lui donne l’espérance :

« Grâce à l’amour du Seigneur, nous ne sommes pas anéantis ; ses tendresses ne s’épuisent pas ; elles se renouvellent chaque matin, – oui, ta fidélité surabonde. Je me dis : “Le Seigneur est mon partage, c’est pourquoi j’espère en lui.” » (3, 22-24).

Bien que la peine a été profonde, l’espérance se lève de l’abîme comme un bouclier et une forteresse… Quelque chose de similaire à la résurrection à partir de la poussière.

Tout au long de cette pandémie, nous avons aussi entendu les voix de l’espérance… En commençant par les paroles que le Pape nous a communiquées au milieu de la tristesse. La chancelière allemande Angela Merkel, qui a joué un rôle de chef de file dans cette situation sans précédent, a déclaré le 18 mars, lors de son exceptionnelle allocution télévisée :

« Je crois fermement que nous réussirons dans cette tâche si tous les citoyens la considèrent vraiment comme leur tâche. Laissez-moi vous dire : c’est sérieux. Prenez-le au sérieux aussi… Même si nous n’avons jamais rien vécu de tel, nous devons démontrer que nous agissons avec affectivité et de façon raisonnable et ainsi, nous sauverons des vies. Cela dépend de chaque individu… Il n’y a aucune exception… Cela dépend de nous tous ! »
En ces temps difficiles, nous avons besoin de cette espérance – un espérance responsable. Cette espérance est placée dans l’humanité et par conséquent nous pourrions tous être meilleurs à la suite de ce que nous avons vécu. D’autres disent que nous oublierons bientôt la pandémie et retournerons à nos vieilles habitudes. Néanmoins, notre espérance d’une humanité meilleure est enracinée non seulement dans la capacité des hommes et des femmes mais aussi dans la confiance que nous plaçons en Dieu qui, dans sa providence, guide le monde :

« Car le Seigneur ne rejette pas pour toujours ; s’il afflige, il fera miséricorde selon l’abondance de sa grâce ; ce n’est pas de bon cœur qu’il humilie, qu’il afflige les enfants des hommes », (3, 31-33).

Ce n’est pas la première fois que le monde connaît une pandémie. Dieu ne nous a pas infligé ce virus, mais nous espérons que Dieu nous donnera la force de traverser cette période difficile.

Nous pouvons aussi profiter de cette situation pour nous convertir. Ce n’est pas une simple coïncidence si cette pandémie a explosé devant nous pendant le temps du Carême et nous a privés de célébrer la Semaine Sainte en tant que communauté. Cela ne doit cependant pas être considéré comme un obstacle à la prière ni comme un obstacle à la conversion et à un nouveau départ. En effet, au milieu de ses lamentations sur la désolation, la famine et d’autres maux, le prophète a le temps et la foi pour proclamer :

« Examinons nos chemins, scrutons-les et revenons au Seigneur ; élevons notre cœur et nos mains vers Dieu qui est au ciel », (3, 40-41).
C’est une période de crise mais c’est aussi une période d’espérance, de réflexion et de prière. Nous sortirons de cette situation comme des meilleures personnes si, avec notre lamentation, nous entrons dans les profondeurs de notre cœur, nous ouvrons aux autres et faisons monter nos prières à Dieu, en espérant fermement dans sa miséricorde et dans son grand amour… « Ses tendresses ne s’épuisent pas ; elles se renouvellent chaque matin », (3, 22-23).

Quatrième lamentation (chapitre 4) : l’effondrement de la ville

Les prophètes d’Israël ne sont pas des politiciens mais se livrent à des activités politiques parce qu’ils vivent dans une théocratie où les fonctions sacerdotales et prophétiques sont liées aux fonctions du roi. Les rois s’appuyaient sur les prophètes non seulement pour l’onction, mais ils consultaient aussi les prophètes en ce qui concerne les oracles et demandaient leur intercession auprès de Dieu. Les prophètes, à de multiples occasions, ont été victimes des mauvais actes des dirigeants (ils ont été persécutés, emprisonnés et même tués).

Les Lamentations de Jérémie ne font pas exception. L’exil babylonien (587 avant JC) a eu de grandes répercussions politiques parce que le Temple a été détruit et que l’identité religieuse et morale du peuple s’en est trouvée brouillée. Néanmoins, il y avait un petit groupe de personnes, le « petit reste », qui demeurait fidèle aux promesses divines, aux pratiques religieuses et aux principes moraux qui étaient résumés dans le Décalogue. L’identité nationale et politique du peuple est liée à son identité religieuse. Les répercussions de l’exil étaient nécessairement politiques et c’est pourquoi le rôle des prophètes est d’une grande importance et d’une grande portée.

« La faute de la fille de mon peuple a dépassé le péché de Sodome qui fut anéantie en un instant sans qu’on ait porté la main contre elle. », (4, 6).
« Ils ne croyaient pas, les rois de la terre, ni aucun habitant du monde, que l’adversaire, l’ennemi, franchirait les portes de Jérusalem. », (4, 12).
« On nous a chassés et pourchassés : nous ne pouvons plus aller sur nos places. Notre fin approche, nos jours sont comptés ; notre fin est arrivée. », (4, 18).
Le prophète Jérémie jugeait la situation de désolation comme une conséquence du péché et la punition, qui arriva par surprise, était la punition de Dieu et donc cela exigeait une plus grande vigilance et une mobilité restreinte.
C’est une période de crise et les prophètes disent clairement les choses. Francisco de Roux, jésuite, philosophe et économiste, écrit :

« Nous nous croyions invincibles. Nous allions quadrupler la production mondiale au cours des trois prochaines décennies. En 2021, nous aurions eu la croissance la plus élevée jusqu’à présent au cours de ce siècle. Nous avons tué 2000 espèces par an, affichant notre brutalité. Nous avions établi comme morale que le bien est tout ce qui augmente le capital et le mal est ce qui le diminue, et les gouvernements et les armées s’occupent de l’argent mais pas du bonheur.
Il est devenu normal pour nous d’avoir les dix pour cent les plus riches du monde, y compris en Colombie, qui maintiennent 90 % de la croissance des revenus chaque année. Nous avions exclu les peuples autochtones et les Noirs en les considérants comme inférieurs. Les jeunes hommes avaient quitté les champs parce qu’ils avaient honte d’être paysans. Nous avons financé la recherche pour déplacer l’échéance de la mort au-delà de 150 ans.

Il y avait des questions embarrassantes. Pour les oblitérer, nous nous sommes convaincus que nous pouvions nous passer de la réalité. Avec Baudrillard et d’autres philosophes, nous nous sommes aliénés dans un monde “non réalisé” et avons choisi des dirigeants puissants qui ont mis la vérité de côté. Et nous avons consommé de la malbouffe, des fantasmes et des émotions que nous avons trouvés sur Netflix, YouTube, Facebook, des informations sur les célébrités et même de la pornographie en ligne, dans lesquelles nous nous sommes coincés la tête comme des autruches.

Il y avait les peuples autochtones, les jeunes et les groupes de femmes et d’hommes qui nous disaient que nous avions perdu le chemin de la réalité et du mystère. Que les conditions étaient en place pour une fraternité planétaire. Nous les avons qualifiés d’arriérés et d’ennemis du progrès. Se proclamer athée, ce qui peut être une décision intellectuelle honnête, est devenu pour beaucoup une démonstration d’autosuffisance. Homo Deus, L’homme comme Dieu, était le titre du livre de Noah Harari que nous avons dévoré.

Mais tout à coup, la réalité est arrivée. Le coronavirus nous a éloignés de l’illusion d’être des dieux. Nous sommes déroutés et humiliés en regardant le nombre réel de personnes infectées et décédées. Et nous ne savons pas quoi faire. Face à cette réalité, Harari fait maintenant référence à un esprit de solidarité qu’il n’avait jamais vu auparavant. »
(Francisco de Roux, SJ, We Believed Ourselves Invincible ; https://www.amazonteam.org/we-believed-ourselves-invincible-francisco-de-roux/ – original en espagnol : “Nos creíamos invencibles” ; https://www.semana.com/contenidos-editoriales/colombia-como-nunca-unida/articulo/la-reflexion-del-padre-francisco-de-roux-ante-el-coronavirus/659949)
À la lumière de cette chute, pas nécessairement la chute d’une capitale ancienne comme Sodome, ni la chute d’une capitale moderne comme Wuhan, Madrid ou New-York, ni la chute d’un système comme le capitalisme, mais en termes généraux, qu’apprendrons-nous sur l’avenir immédiat de l’humanité alors que cette horrible nuit touche à sa fin ?

Cinquième et dernière lamentation (chapitre 5) : la souffrance des personnes âgées

La souffrance des nourrissons et des enfants, des femmes et des veuves, des jeunes et des vieilles personnes, des prêtres et des prophètes, et même des riches, a trouvé un écho dans la lamentation du prophète :
« Ils gisent par terre dans les rues, l’adolescent et le vieillard ; mes vierges et mes jeunes gens sont tombés par l’épée. », (2, 21).
« Les anciens de la fille de Sion, assis par terre, se taisent, ils ont couvert leur tête de poussière et revêtu des toiles à sac ; elles inclinent la tête vers la terre, les vierges de Jérusalem. », (2, 10).
« Les mangeurs de mets délicats dépérissent dans les rues ; ceux qui vivaient dans le luxe se retrouvent sur le fumier. », (4, 5).
« Les anciens ne tiennent plus conseil à la porte, et les jeunes ont cessé leurs chansons. », (5, 14).

Beaucoup ont dit que le virus n’a pas respecté les classes sociales… Riches et pauvres ont été affectés, des personnes de tous âges ont été infectées, mais les personnes âgées semblent être les plus vulnérables. Les maisons de retraite ont vu un grand nombre de leurs résidents être infectés et mourir. Nous ne savons pas encore quelle sera la forme de cette pandémie dans les pays du tiers monde. Dans de nombreuses régions du monde, les personnes âgées de plus de 70 ans doivent observer un confinement plus strict parce qu’elles sont plus vulnérables. Ce fut une véritable tragédie pour les personnes âgées.
Le théologien Consuelo Vélez, lorsqu’il parle de la souffrance de l’humanité, déclare :

« En ce moment, Dieu nous accompagne tous pour que nous puissions accepter cette réalité et aller de l’avant. Dieu meurt avec chaque victime de cette pandémie et guérit tous ceux qui ont pu se rétablir. Dieu a peur avec tous ceux qui craignent d’être infectés et souffrent des conséquences qui en résultent, en particulier des conséquences économiques qui touchent les hommes et les femmes pauvres. Mais Dieu n’a-t-il pas le pouvoir de nous délivrer de manière définitive de ce mal ? Une fois de plus, cependant, nous voyons que ce règne de Dieu proclamé par Jésus n’est pas le règne de Dieu de la puissance qui change les choses par magie. Au contraire, ce Dieu s’est incarné au milieu de l’humanité et dépend donc de chaque fils et fille pour créer une nouvelle histoire. Pour aller de l’avant avec cette pandémie, nous avons besoin des efforts humains au niveau scientifique pour produire un vaccin et nous avons aussi besoin de gens généreux pour accepter cette situation et la surmonter. Dieu a créé le monde et a confié le monde à l’humanité, en faisant confiance dans la façon dont elle saura gérer et maintenir le monde selon le dessein de Dieu. »
(Extrait de l’article original “Este situación nos confronta con la limitación humana, con nuestra vulnerabilidad” [Cette situation nous confronte à nos limites humaines et à notre vulnérabilité]).

Les lamentations des prophètes que nous avons évoquées dans ces pages et que nous avons tenté d’appliquer à la situation actuelle ouvrent la porte à la joie. Au moment où toutes ces lamentations étaient une réalité omniprésente, le prophète Jérémie, après avoir réfléchi à cette réalité, a écrit une lettre aux exilés et leur a communiqué un message d’espoir pour un avenir meilleur, un avenir qui commencerait après une période d’incertitude et de souffrance :
« Bâtissez des maisons et habitez-les, plantez des jardins et mangez de leurs fruits. Prenez des femmes et engendrez des fils et des filles, prenez des femmes pour vos fils ; donnez vos filles en mariage, et qu’elles enfantent des fils et des filles ; multipliez-vous là-bas, et ne diminuez pas ! Recherchez la paix en faveur de la ville où je vous ai déportés, et intercédez pour elle auprès du Seigneur, car de sa paix dépend votre paix », (Jér 29, 5-7).
« Oui, ainsi parle le Seigneur : Dès que les soixante-dix ans seront révolus pour Babylone, je vous visiterai, j’accomplirai pour vous ma parole de bonheur, en vous ramenant en ce lieu. Car moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet – oracle du Seigneur –, pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. Vous m’invoquerez, vous approcherez, vous me prierez, et je vous écouterai. Vous me chercherez et vous me trouverez ; oui, recherchez-moi de tout votre cœur », (Jér 29, 10-13).

N’est-il pas incroyable que ces lamentations qui ont été écrites il y a plus de deux mille ans puissent continuer à nous parler aujourd’hui ! Cette réalité révèle que les mots peuvent en effet nous enseigner, nous exhorter et nous encourager dans toutes les situations. Nous devons simplement maintenir notre foi. Dieu guide l’histoire et, dans sa providence, Il ne nous abandonne jamais. Le Seigneur, qui a libéré son peuple de la captivité, sait ce que nous vivons aujourd’hui et Il nous emmènera par la main et nous conduira vers des havres sûrs.

Par Orlando ESCOBAR, CM
Cuba
Traduit de l’anglais
Par P. Jérôme DELSINNE, CM