Avent 1995

Avent 1995

Aux membres de la Congrégation de la Mission

Mes biens chers Confrères,

La grâce de Notre Seigneur soit toujours avec vous!

Joseph reçoit peu d'attention de nos jours, même durant l'Avent. J'ai sûrement été moi-même assez lent à réfléchir à son sujet, m'étant dirigé, lorsque j'écrivis les précédentes lettres d'Avent, en premier lieu vers Marie, la Mère de Jésus, puis vers Jean-Baptiste, et l'année dernière vers Isaïe. Toutefois, si nous lisons avec attention les récits de l'enfance selon Matthieu (cette année dans le cycle A des lectures, nous les entendrons proclamer les dimanches de l'Avent et de Noël), nous verrons que Joseph se tient tout près de Marie, au centre de la scène. En fait, il tient le rôle principal dans le récit de Matthieu.

Nous savons très peu de choses sur le Joseph historique. Son origine et sa fin sont enveloppés d'obscurité. Les récits évangéliques à son sujet dessinent un portrait théologique, peint avec des ombres délicates, afin que nous, les lecteurs, nous puissions apprendre de Joseph comment marcher avec Dieu. Dans la lumière du Nouveau Testament, permettez-moi de partager avec vous, comme méditation sur l'Avent, quelques réflexions au sujet de ce grand homme que Marie a choisi pour l'accompagner au long de la vie.

Tout d'abord, il savait comment bien écouter la Parole de Dieu. Matthieu nous parle des quatre songes de Joseph (je voudrais parfois que mes rêves soient aussi clairs que les siens!). A travers ces songes, Dieu parle à Joseph en des moments cruciaux de l'histoire de Jésus. Chaque fois Joseph répond immédiatement et fait ce que Dieu demande. Quand l'ange dit à Joseph de ne pas avoir peur de prendre Marie comme épouse, aussitôt que Joseph se réveille, il fait comme l'ange du Seigneur lui a demandé et il la reçoit dans sa maison (1, 24). Lorsque l'ange avertit Joseph de prendre l'enfant et sa mère et de fuir en Egypte parce que Hérode cherche à faire mourir Jésus, Joseph se lève et part la nuit même ( 2, 14). Lorsque, après la mort d'Hérode, l'ange demande à Joseph de partir pour Israël, il se met immédiatement en route (2, 21). Lorsqu'il est averti en songe de ne pas aller en Judée, il change immédiatement sa route et s'établit en Galilée (2, 22). Dans sa réponse fidèle aux ordres de Dieu, le “Joseph” de Matthieu est parallèle à la “Marie” de Luc. Tous les deux savent comment “écouter la parole de Dieu et la mettre en pratique” (Lc 8, 31).

Deuxièmement, il est clair que, dans l'Evangile de Matthieu, Joseph se tient, avec un désir immense, sur le seuil de la transcendance. De l'obscurité de sa compréhension limitée, il scrute continuellement le mystère de Dieu. Bien sûr, il ne peut pas comprendre la conception virginale de Jésus que l'ange annonce, mais, comme un “homme juste” (1, 21), il modère la stricte observance de la loi par une compassion pleine d'amour et s'incline avec révérence devant les chemins incompréhensibles de Dieu. Certainement, il ne comprend pas comment cet enfant, qui ressemble à n'importe quel autre, pourrait être “Dieu avec nous” (1, 23), mais il s'abandonne, dans la foi, à la tâche d'aimer l'enfant et de l'éduquer. Il y a quelque chose de très beau dans le contact de Joseph avec le mystère transcendant de Dieu. Ce n'était pas un moine. Il n'a pas vécu une vie coupée des contacts ordinaires de chaque jour avec le monde. En fait, c'était un charpentier (Mt 14, 55), un artisan de quartier qui a travaillé le bois et a fait des meubles, et il a élevé son enfant dans la même métier (Mc 6, 3). Cependant, dans son travail manuel quotidien et sa vie de famille, Joseph était entouré du mystère de Dieu et il le pénétrait par la foi. Il fait confiance à la Providence de Dieu chaque jour. Il croit dans la parole révélée de Dieu. Quand il lit les signes de la volonté de Dieu, il s'empresse de les mettre en pratique.

Pour ceux qui vivent dans la tradition vincentienne, Joseph a beaucoup à dire durant ce temps d'Avent. Permettez-moi de vous offrir deux suggestions pour l'Avent qui découlent de la vie de cet homme profondément croyant.

1.Chacun d'entre nous ne pourrait-il pas essayer de renouveler son amour de la Parole de Dieu durant cet Avent? Pour Joseph, comme pour Marie son épouse, la Parole de Dieu est sublime. Cette Parole, comme saint Vincent le dit (Règles Communes II, 1), “ne peut jamais tromper”. Le point le plus évident au sujet de Joseph dans les Evangiles est qu'il écoute toujours ce que Dieu veut lui dire et dès qu'il le sait, il le met en pratique. Abelly dit une chose semblable au sujet de saint Vincent: “Il semblait téter le sens et la substance des Ecritures comme un bébé tète le lait de sa mère. Et il extrayait le coeur et la substance des Ecritures de manière à être fortifié et à en avoir l'âme nourrie... Et il faisait d'une manière telle qu'en toutes ses paroles et actions, il apparaissait rempli de Jésus-Christ”. (Abelly III, 72- 73). Est-ce que la Parole de Dieu est vraiment centrale pour nous, comme elle l'était pour Joseph et pour saint Vincent? Est-elle l'eau qui nous donne la vie, comme Isaïe le dit (55, 10-11), quand notre coeur et notre esprit sont secs? Est-elle un marteau pour nous, comme Jérémie le dit (23, 29), quand nous sommes satisfaits de nous-mêmes, trop installés? Est-elle une nourriture qui est plus douce que le miel, comme le dit le psalmiste (Ps 19, 11), lorsque nous sommes avides de savoir ce que Dieu nous demande? Est-elle une épée à deux tranchants comme l'auteur de Hébreux le dit (4, 12), de sorte que, lorsque nous prêchons aux autres, elle nous transperce aussi?

2.Avec le Joseph de Matthieu, je veux vous inviter fortement, durant cet Avent, à sonder le mystère de Dieu avec courage. Je dis “avec courage”, parce qu'il n'est pas plus facile pour nous de croire qu'il ne l'était pour Joseph. Bien des signes extérieurs qu'il voyait semblaient contredire les promesses que Dieu lui faisait. C'est souvent la même chose pour ceux qui servent les pauvres. Alors qu'il y a de nombreux moments joyeux dans notre ministère, il y en a aussi de sombres et effrayants. Les Béatitudes nous disent “heureux les pauvres”, mais nous les voyons souvent opprimés et abattus par l'injustice, comme au Mozambique, en Albanie, et en de nombreux autres endroits. La Parole de Dieu dit que “les doux posséderont la terre”, mais nous sommes souvent les témoins des luttes violentes, et même fanatiques, qui prennent la vie d'innombrables innocents sans armes, comme cela arrive en ex-Yougoslavie et au Rwanda. L'Evangile nous dit que “ceux qui sont persécutés pour la justice hériteront du Royaume de Dieu”, mais nous observons souvent, comme en Chine, que la persécution est longue, pénible et décourageante. Joseph fit des expériences semblables. Il connaissait la souffrance et le poids de la pauvreté quand il n'y avait pas de place dans l'auberge et qu'il dut mettre son petit enfant dans une mangeoire. Il fut le témoin de la violence lorsque Hérode déchaîna sa colère contre les enfants de Béthléem. Il expérimenta la persécution, lorsqu'il s'enfuit en Egypte, avec Marie et Jésus, et plus tard à Nazareth. Cependant, il croyait. Il croyait que Dieu marchait avec lui, que Dieu est fidèle à ses promesses, que Dieu est vivant, qu'il est possible de trouver Dieu, non seulement dans la lumière, mais aussi dans l'obscurité. Il a vécu au bord du mystère et il n'a pas eu peur de le scruter avec courage, de manière à trouver Dieu.

L'Avent est proche. Imaginez comment Joseph se sentit, alors qu'approchait la naissance de son mystérieux fils: perplexe, ému, et craintif. Cependant, dans sa perplexité, ce charpentier aux modestes moyens avait d'immenses ressources. La Parole de Dieu était sa force. Une foi profonde était sa lumière dans l'obscurité. Elle lui permettait de voir la présence de Dieu même là où la souffrance, les privations et la violence semblaient régner.

Si l'amour de la Parole de Dieu et une foi vivante et pénétrante étaient des instruments indispensables pour Joseph le charpentier, ils le sont tout autant pour nous tous missionnaires.

Je prie pour que ce temps de Noël vous apporte paix et joie en abondance dans le Seigneur.

Votre frère en Saint Vincent,

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général