Actualiser la Mission aujourd'hui

La Mission vincentienne

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général

“Congrégation de la Mission,” voilà notre nom. Il nous a été donné par la voix commune des peuples, la Divine Providence l'ayant ainsi ordonné, affirme saint Vincent(1). Ce nom met en lumière notre vocation: nous sommes des missionnaires.

il est important de noter dès le départ que notre nom n'est pas “Congrégation des Mission”. Autrement dit, “la mission” ne doit pas être identifiée aux “missions populaires”. En effet, saint Vincent, tout en insistant sur la place des missions populaires(2), affirme clairement que “la mission” peut être remplie de diverses manières(3).

Fondamentalement, Vincent est convaincu que la Compagnie est appelée, au plus profond de son être, à continuer la mission de Jésus. Pour lui, le Christ évangélisateur des pauvres est le fondement de ce que nous sommes, de notre action et de la façon dont nous l'accomplissons. Les paroles de Notre Seigneur, “il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres”(4), seront constamment sur les lèvres de Vincent.

Ainsi ne sommes-nous pas bien heureux d'être en la Mission pour la même fin qui a engagé Dieu à se faire homme? Et si l'on interrogeait un missionnaire, ne lui serait-ce pas un grand honneur de pouvoir dire avec Notre-Seigneur : Misit me evangelizare pauperibus? C'est pour catéchiser, instruire, confesser, assister les pauvres que je suis ici. (5)

À une autre occasion il s'exclamera devant la Compagnie : “Oh! que ceux-là seront heureux qui pourront dire, à l'heure de la mort, ces belles paroles de Notre-Seigneur : “Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres!”(6)

Il n'y a pas longtemps, j'écrivais longuement sur “Être missionnaire aujourd'hui”. Dans le présent article, je veux mettre l'accent sur la mission elle-même aujourd'hui. Je procéderai en trois étapes : 1) les caractéristiques de la mission 2) les moyens actuels de l'actualiser; 3) quelques conséquences sur la vie du missionnaire.

1. Caractéristiques de “la Mission”

Je donne ici quatre caractéristiques, tout en étant bien conscient qu'il y en a plusieurs autres. J'ai choisi celles-ci, non seulement parce qu'elles sont fondamentales historiquement parlant, mais aussi parce qu'elles me semblent particulièrement importantes dans le contexte actuel.

1.Elle est mobile.

Rien n'est plus clair dans le Nouveau Testament. Jésus vient du Père et retourne au Père(8), source de toute mission. Il s'engage dans un ministère itinérant, donnant à ses disciples un mandat: “Allez dans le monde entier, proclamez l'évangile à toute la création”(9). La mission de Jésus fait partie de son être et de l'être de l'Eglise.

Saint Vincent parle abondamment du besoin de mobilité missionnaire: “Imaginons-nous qu'il dit: Sortez, missionnaires, sortez; quoi! vous êtes encore ici, et voilà de pauvres âmes qui vous attendent, le salut desquelles peut-être dépend de vos prédications et catéchismes!”(10) Il cite en exemple, pour la Compagnie, les grands missionnaires d'autres communautés se rendant aux Indes, au Japon, au Canada, “pour achever l'oeuvre que Jésus-Christ a commencée sur la terre et qu'il n'a point quittée depuis l'instant de sa vocation”(1 1).

Il sait pertinemment que certaines choses peuvent retenir les missionnaires, en particulier le désir de posséder des biens, le plaisir, les honneurs(12). C'est pourquoi il considère les voeux comme une force libératrice dans la vie du missionnaire. Ceux qui consacrent toute leur vie au service des pauvres dans la chasteté, la pauvreté et l'obéissance sont vraiment libres! Ils sont mobiles.

... ceux qui se détachent de l'affection des biens de la terre, de la convoitise des plaisirs et de leur propre volonté deviennent les enfants de Dieu, qui jouissent d'une parfaite liberté; car c'est dans le seul amour de Dieu qu'elle se rencontre. Ce sont ces personnes-là, mes frères, qui sont libres, qui n'ont point de lois, qui volent, qui vont à droite et à gauche, qui volent encore un coup, sans pouvoir être arrêtées, et ne sont jamais esclaves du démon, ni de leurs passions. Oh! heureuse liberté des enfants de Dieu!(13)

2.Elle est globale.

Comme l'a souvent souligné Karl Rahner, c'est seulement au XXe siècle que le catholicisme est réellement apparu comme une “Eglise universelle,”(14). En vivant ici-même à Rome, j'en fais effectivement l'expérience, puisqu'il est possible de communiquer rapidement avec presque toutes les provinces à travers le monde. On peut observer des différences très marquées et des “visages” fort diversifiées au sein de la Congrégation internationale, par exemple, la diminution du nombre de vocations sacerdotales dans l'ouest de l'Europe et aux Etats-Unis, par rapport à l'augmentation du nombre de vocations dans l'Europe de l'Est, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine. Au même moment, avec l'ouverture de nouvelles missions dans des endroits comme la Tanzanie, les Îles Salomon, l'Albanie, l'Altiplano de la Bolivie, le Mozambique, la Chine, Charkib en Ukraine et la Sibérie, la Congrégation devient de plus en plus internationale.

Immédiatement après Vatican II, alors qu'on insistait beaucoup sur l'identité “provinciale” la gestion et les normes, on observe aujourd'hui, dans la Congrégation, une conscience renouvelée de notre nature missionnaire globale. C'est véritablement la façon dont saint Vincent envisageait la Congrégation. À une époque où les voyages s'effectuaient difficilement et que la plupart des gens mouraient à quelques lieues de leur village natal, n'envoyait-il pas des missionnaires en Pologne, en Italie, en Algérie, à Madagascar, en Irlande, en Ecosse, aux Hébrides et aux Orcades? À un âge assez avancé, lui-même désirait fortement aller aux Indes(1 5).

3.Elle est évangélisatrice.

L'évangélisation est au coeur de notre mission, et elle a toujours fait partie d'un vaste concept contenu dans la tradition catholique(16). Ainsi l'affirmait Paul VI : “L'évangélisation, avons- Nous dit, est une démarche complexe, aux éléments variés: renouveau de l'humanité, témoignage, annonce explicite, adhésion du coeur, entrée dans la communauté, accueil des signes, initiative d'apostolat. Ces éléments peuvent apparaître contrastants, voire exclusifs. Ils sont en réalité complémentaires et mutuellement enrichissants,” (1 7).

Saint Vincent nous apprend qu'il faut d'abord faire et ensuite enseigner. Pour lui, l'évangélisation suppose l'action, pas seulement la prédication. Il parle constamment de l'évangélisation “par paroles et par oeuvres”, exhortant les Lazaristes et les Filles de la Charité à servir les pauvres “spirituellement et corporellement”. Il prévient les membres de la Congrégation(1 8):

... s'il sen trouve parmi nous qui pensent qu'ils sont à la Mission pour évangéliser les pauvres et non pour les soulager, pour remédier à leurs besoins spirituels et non aux temporels, je réponds que nous les devons assister et faire assister en toutes les matières, par nous et par autrui... Faire cela, c'est évangéliser par paroles et par oeuvres.

Dans un même sens, mais intervertissant les termes, il ne cessera de redire aux Filles de la Charité que leurs oeuvres doivent être accompagnées par des paroles de foi(19).

D'abord faire. Ensuite enseigner. C'est la règle de saint Vincent pour une évangélisation “effective”. En d'autres termes, saint Vincent voit la promotion humaine et la prédication comme complémentaires et liés au processus d'évangélisation.

À la lumière de l'enseignement de saint Vincent, notre évangélisation se doit d'être très dynamique lorsque nous proclamons la bonne nouvelle:

a. par le langage de nos oeuvres(20), en accomplissant des oeuvres de justice et de miséricorde qui sont un signe que le royaume de Dieu est déjà présent parmi nous: nourrir l'affamé, désaltérer celui qui a soif, chercher les causes de leur faim et de leur soif et les moyens d'y remédier;

b. par le langage des mots: annoncer avec grande conviction la présence du Seigneur, son amour, son offre de pardon à tous;

c. par le langage des relations interpersonnelles: être avec les pauvres, travailler avec eux, former une communauté qui montre l'amour du Seigneur envers tous.

4.Elle implique l'organisation de la formation de personnes au service des pauvres.

Sur ce point, Saint Vincent est catégorique. Les missionnaires doivent établir les confréries

de charité où qu'ils aillent.(21) Peu de saints sont aussi concrets que Vincent de Paul. De fait, il réalisait que l'évangélisation effective des pauvres demande de l'organisation. Pour arriver à son but, Vincent fonde deux communautés et forme plusieurs groupes laïcs.

Saint Vincent manifeste la même habileté d'organisation pour la formation du clergé, qu'il décrit comme, “presque égale,”(22) et parfois “égale”(23) à la mission. Il sent que les pauvres seront bien servis à condition de trouver de bons prêtres pour en prendre soin; à cette fin, il organise des retraites pour les ordinands et les prêtres, de même que les conférences des mardis, sans compter la fondation de vingt séminaires.

Mais il ne s'arrête pas là. Il rassemble toutes les ressources disponibles au service des pauvres: clercs et laïcs, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, riches et pauvres. Les fruits de ses dons d'organisateur ont continué de se répandre même après sa mort.

Une étude récente(24) montre que 165 groupes partagent le charisme vincentien. Actuellement, on compte 250 000 membres de l'AIC (Dames de la Charité), 900 000 membres des Conférences de Saint-Vincent de Paul, 200 000 membres de divers groupes de Jeunesse Mariale Vincentienne, dont 46 000 en Espagne seulement et 7 000 au Mexique.

II. Moyens d'actualiser la mission aujourd'hui

A chaque époque, tout groupe doit, “actualiser”, sa mission(2 5); sinon, le groupe demeurera statique et finira par dépérir et s'éteindre(26).

La conjoncture changeante de la société oblige l'Eglise à ajuster continuellement sa vision missionnaire et ses pratiques. Les papes contemporains, surtout Paul VI dans `Evangelii Nuntiandi' et Jean-Paul Il dans `Redemptoris Missio', nous rappellent les nouveaux défis auxquels fait face toute personne engagée dans une mission évangélique. Entre autres :

_les “aréopages modernes”(27), c'est-à-dire les nouveaux secteurs où doit être proclamé l'évangile, tels le monde des communications, de la science, des relations internationales, puisque l'Eglise cherche à promouvoir la paix, le développement humain et la libération des peuples(28);

_les nouveaux moyens de communication mis à la disposition de l'évangélisateur pour la catéchisation, la prédication et l'enseignement, lesquels font également partie d'une nouvelle “culture de l'information”, qui a elle-même un urgent besoin d'évangélisation(29);

_les nouvelles formes de pauvreté, différentes de celles des siècles passés et auxquelles sont confrontés les missionnaires qui désirent donner corps à l'option préférentielle de l'Eglise pour les pauvres(30);

_une nouvelle évangélisation : nouvelle dans son ardeur, dans ses méthodes, dans son expression(3 1).

Saint Vincent lui-même nous donne la clé de l'actualisation de notre mission. En effet, il ne cesse de répéter : il m'a envoyé prêcher la bonne nouvelle aux pauvres(32). Nos Constitutions rappellent clairement ce même principe de base : La fin de la Congrégation de la Mission est de suivre le Christ Evangélisateur des Pauvres(33). Toutes nos actions doivent partir de ce principe. Toutes les actualisations seront donc, directement ou indirectement, l'expression de cette déclaration de base.

L'article 12 de nos Constitutions, les Lignes d'action de l'Assemblée générale de 1986 et le document “Les Visiteurs au service de la Mission” (no 16) nous proposent une méthodologie pastorale très exigeante pour prêcher la bonne nouvelle aux pauvres :

- travailler dans les milieux pauvres, non pas uniquement avec des personnes isolées (Lignes d'action, 4 et 1 I);

- travailler au niveau des structures, non pas seulement répondre à des situations particulières (Lignes d'action, 6 et 1 I);

- travailler contre l'injustice, pas simplement faire face aux besoins individuels des pauvres (Lignes d'action, 4 et 1 I);

- travailler avec les groupes (petites communautés) pour que les pauvres soient sujets et non objets d'évangélisation (Lignes d'action, 5 et 11) (34).

Permettez-moi une brève réflexion sur quelques-uns des principaux moyens contemporains d'actualiser la mission.

1.Donner des missions populaires

Bien qu'il soit important comme je l'ai déjà mentionné, d'éviter l'erreur de confondre “la mission” avec “les missions”, il n'en demeure pas moins que saint Vincent voyait le travail des missions comme “notre premier et principal ministère envers le prochain”(35). Aujourd'hui, pour un certain nombre de pays, les missions populaires représentent moins d'attrait et elles sont apparemment moins efficaces qu'autrefois. Cependant, dans plusieurs parties du monde, elles demeurent encore un puissant outil d'évangélisation. Il est donc primordial que ce travail soit renouvelé dans la Congrégation. A cet égard, il y a déjà eu de très grands efforts de créativité dans toute la Congrégation(36). Les missions renouvelées possèdent plusieurs caractéristiques distinctes

a)un temps de préparation signifiant (la pré-mission);

b)l'organisation et la formation d'une équipe missionnaire comprenant un bon nombre de

prêtres, diacres, soeurs, frères, hommes et femmes laïques;

c)une période assez longue sur les lieux de la mission (le temps peut varier);

d)des catéchèses et réflexions sur la parole de Dieu en petits groupes;

e)la participation du clergé local et des laïcs dans la mission elle-même;

f)l'organisation d'oeuvres de charité sur le territoire de la mission

g) le suivi.

2.Former le clergé

Concernant cet aspect de notre mission la vision de saint Vincent est tout à fait claire. Il confie à des confrères, le 6 décembre 1658: “Au commencement la Compagnie ne s'occupait que d'elle et des pauvres... mais dans la plénitude des temps, il nous a appelés pour contribuer à faire de bons prêtres...”(37)

Ces dernières années, à cause des circonstances changeantes et de la diminution du nombre de vocations dans l'ouest de l'Europe et aux Etats-Unis, ce travail a souffert considérablement. Cependant, il reste encore de nombreuses possibilités, comme par exemple :

a)exercer son ministère dans les séminaires diocésains de son propre pays;

b)former des équipes “nationales” pour les séminaires d'autres pays;

c)former des équipes “internationales” pour enrichir le personnel des séminaires d'autres

pays;

d)fournir des directeurs spirituels et des confesseurs aux séminaires ou diocèses;

e)donner des retraites aux séminaristes et aux prêtres;

f)offrir des programmes de formation continue aux prêtres;

g)offrir l'hospitalité.

3.S'engager dans les missions lointaines

Il y a peu de sujets sur lesquels saint Vincent ait été plus éloquent. Aux membres de la Congrégation de la Mission, il dira : "Demandons à Dieu qu'il donne à la Compagnie cet esprit, ce coeur, ce coeur qui nous fasse aller partout, ce coeur du Fils de Dieu, coeur de Notre-Seigneur, coeur de Notre-Seigneur, coeur de Notre-Seigneur..."(38)

Actuellement, dans la Congrégation, plusieurs provinces parrainent une mission lointaine ou partagent cette responsabilité avec d'autres provinces(39). L'intérêt pour les missions lointaines a également ressurgi, et un grand nombre de confrères désirent collaborer à ces nouvelles missions internationales.

L'un des défis majeurs des missions Ad Gentes de nos jours reste l'inculturation, thème que les Filles de la Charité ont choisi pour leur prochaine Assemblée générale. Les missionnaires doivent trouver des façons de réaliser une plus profonde inculturation de l'évangile, de sorte que se produise une interaction profonde entre le christianisme et les cultures locales, afin de s'enrichir et de se purifier mutuellement. Ceci exigera du missionnaire une capacité d'écoute et de dialogue pour discerner les valeurs présentes dans les diverses cultures, ainsi que les tendances culturelles qui nuisent à la promotion intégrale de la personne humaine.

L'inculturation soulèvera également des questions pertinentes à l'intérieur de nos programmes de formation. Dans nos missions lointaines, où on compte de nombreuses vocations, les responsables de la formation devront, dans un dialogue avec les chrétiens authentiques d'une culture locale donnée, concrétiser la manière d'exprimer la simplicité, l'humilité, la douceur, la mortification, le zèle dans cette culture. Les programmes de formation devront aussi s'accorder avec les façons de présenter et de vivre nos voeux dans les cultures locales.

4.Etre au service des Filles de la Charité

Saint Vincent est formel : cet aspect fait partie de notre mission :

Le Fils de Dieu n'est-il pas venu évangéliser les pauvres, faire des prêtres, etc. ? Oui. N'a-t-il pas agréé que des dames soient entrées en sa compagnie? Oui. Ne les a-t-il pas conduites à la perfection et à l'assistance des pauvres? Oui. Si donc Notre- Seigneur a fait cela, lui qui a tout fait pour notre instruction, ne penserons-nous pas bien faire de le suivre?(40)

La Congrégation exerce ce ministère surtout en donnant de bons directeurs provinciaux et directeurs spirituels(41) aux Filles de la Charité. Nous sommes souvent appelés à leur envoyer des prédicateurs pour leurs retraites. Puisque les Filles de la Charité constituent une immense force au service des plus démunis, notre ministère envers elles peut porter beaucoup de fruit dans la vie des pauvres. Aider à la formation des Filles de la Charité (et à d'autres groupes qui servent les plus démunis) correspond à un service indirect des pauvres et constitue une façon effective de multiplier et d'enrichir les énergies de ceux et celles qui servent directement les besoins spirituels et corporels des pauvres.

5.Organiser des groupes, spécialement de jeunes, au service des pauvres

Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, saint Vincent possédait de merveilleux dons d'organisateur. J'incite

fortement la Congrégation à l'imiter.

Le service des jeunes est des plus importantes aujourd'hui. Ils sont l'Eglise du futur. Des études récentes montrent que les jeunes cherchent(42)

_ des buts religieux précis;

_ une vie communautaire intense et solidaire;

_ un service des plus pauvres, universel et évident.

Je voudrais encourager les membres de la Congrégation de la Mission à travers le monde à rassembler des jeunes afin de partager notre mission vincentienne au service des pauvres. Ce pourrait être sous forme de groupes de Jeunesse Mariale Vincentienne, ou autres, suivant la culture locale et ses possibilités, mais je vous engage tous à faire de ceci l'une des actualisations contemporaines de la mission. Tout comme “les charités” se sont répandues à travers la France du temps de saint Vincent, je souhaite que les groupes de jeunesse vincentienne de toutes sortes fleurissent là où les membres de la Congrégation de la Mission et de la Compagnie des Filles de la Charité se dévouent.

En effet, nous devrions être les premiers à organiser des conférences locales de la Société de Saint-Vincent de Paul et des groupes d'Association Internationale des Charités (AIC) où que nous soyons et à leur offrir la formation et l'accompagnement spirituel qu'ils nous réclament bien souvent.

6.Organiser des communautés chrétiennes de base parmi les pauvres

Saint Vincent reconnaissait l'importance des communautés de foi, prenant soin de choisir une

règle pour chacun des divers groupes qu'il fondait, une façon de vivre qui guidaient leurs oeuvres.

Depuis Evangelii Nuntiandi(43), et même avant(44), jusqu'à nos jours, les Communautés Chrétiennes de Base tiennent une place particulière dans l'activité évangélisatrice de l'Eglise. Elles sont à la fois bénéficiaires de l'évangélisation et évangélisatrices. De telles communautés peuvent devenir un premier lieu d'écoute et de réflexion sur la parole de Dieu tout en organisant des oeuvres caritatives

efficaces qui pourront satisfaire les vrais besoins des pauvres.

7. S'interroger sur les paroisses missionnaires

J'espère que vous pardonnerez l'audace du Supérieur général de soulever quelques interrogations concernant un ministère où sont engagés tant de confrères.

Sans doute y a-t-il, dans la Congrégation, des paroisses authentiquement missionnaires, qui actualisent vraiment “la mission”. Cependant, le Statut 10 énumère certaines conditions visant à vérifier si les paroisses sont véritablement une expression de notre mission : a) que notre apostolat s'exerce en harmonie avec la fin et la nature de notre institut ; b) que le nombre réduit des prêtres desservants exige notre présence; c) que la paroisse compte, pour une bonne part, de vrais pauvres; ou d) qu'un séminaire y soit rattaché où les confrères assurent la formation pastorale.

Une étude récente aux Etats-Unis observe que :

Le nombre toujours croissant de membres de communautés religieuses oeuvrant dans les diocèses et les paroisses, au point que de tels engagements deviennent plus importants que ceux dans la vie de leurs congrégations, est un phénomène répandu aux Etats-Unis. Cette tendance dite de l'“assimilation paroissiale” produit un effet désastreux dans la plupart des communautés religieuses. Elle peut facilement arriver à compromettre le rôle prophétique des membres de la vie religieuse. (45)

Ce phénomène ne se limite pas aux Etats-Unis. Nos plus récentes statistiques montrent que 1 074 confrères sont engagés dans un ministère paroissial, un très fort pourcentage (31 %) par rapport à la totalité de nos membres. En comparaison, le nombre de Lazaristes engagés dans une oeuvre fondamentale de notre communauté, telle que les missions populaires et les séminaires, est minime.

Ceci m'amène à demander s'il est légitime que la Congrégation de la Mission soit si fortement engagée dans un ministère paroissial, et si un grand nombre de nos paroisses satisfont réellement aux critères spécifiés au Statut 10.

Permettez-moi de suggérer les caractéristiques suivantes comme base d'évaluation pour discerner si une paroisse est vraiment “vincentienne” et “missionnaire”

a)la paroisse se trouve parmi les plus pauvres;

b)le clergé diocésain manque de ressources pour la servir;

c)le temps de notre engagement y est limité (dans la mesure du possible, par un contrat clair);

d)nos buts missionnaires pourront être réalisés durant le temps de l'engagement;

e)le suivi pastoral est assuré pour l'avenir, spécialement par la formation de responsables dans divers services;

f)les organismes de charité au service des plus démunis fonctionnent dans la paroisse;

g)des groupes laïcs vincentiens sont formés (groupes de Jeunesse Mariale Vincentienne,

Société de Saint-Vincent de Paul, AIC, Association de la Médaille Miraculeuse, etc.);

h)une formation systématique sur l'enseignement social de l'Eglise est offert;

i)le “style” de ministère est simple et humble;

j)c'est une paroisse évangélisatrice, où la parole de Dieu est d'une importance primordiale.

III. Conséquences pour le missionnaire

Fondamentalement, saint Vincent voyait notre mission comme étant celle même de Jésus, qui se qualifie “l'évangélisateur des pauvres”(46). Cela suppose toute une spiritualité où l'évangélisateur lui-même est d'abord évangélisé(47). Dans l'introduction aux Règles communes, saint Vincent estime que “les personnes qui sont appelées à la continuation de la mission du même Sauveur, laquelle consiste principalement à évangéliser les pauvres, doivent entrer dans ses sentiments et maximes, être remplies de son même esprit, et marcher sur ses pas”(48). En d'autres termes, il désire que nous ayons le coeur et l'esprit du Christ.

Dans l'une de ses lettres, saint Vincent montre que le coeur et l'esprit de Jésus sont pris entre deux voies dans lesquelles il se consume entièrement: “la religion vers son Père et la charité vers les hommes”(49). J'ai été très frappé dernièrement de lire une étude christologique contemporaine où les auteurs s'exprimaient ainsi: “Nous voyons que la relation de Jésus avec son Père est le centre de son être. Cette fidélité n'a pas son égal. Ce qui pourrait être le plus près de rivaliser avec son amour de Dieu, c'est son souci des êtres humains, spécialement de ceux qui souffrent”.(50) C'est précisément l'intuition profonde de saint Vincent face à l'évangile. Il me semble que ce sont là les deux voies dans lesquelles peut se consumer totalement la vie du missionnaire.

I.Une relation filiale à Dieu

“Donnons-nous à Dieu”, ne cesse de répéter saint Vincent aux Lazaristes et aux Filles de la Charité.(5 1) Sa confiance est grande en un Dieu amour à qui il peut s'abandonner et remettre ses oeuvres. Le journal de Jean Gicquel raconte ce que Vincent avait dit à Messieurs Alméras, Berthe et Gicquel le 7 juin 1660, quelque quatre mois avant sa mort: “Se consommer pour Dieu, n'avoir de bien ni de forces que pour les consommer pour Dieu, c'est ce que Notre-Seigneur a fait lui-même, qui

s'est consommé pour l'amour de son Père”.(52)

L'amour de Dieu, pour saint Vincent, doit nous envahir totalement. A Pierre Escart, il écrit: “ ... je souhaite infiniment que nous nous mettions entièrement dans le dépouillement de l'affection de tout ce qui n'est pas Dieu, et que nous ne nous affectionnions aux choses que pour Dieu et selon Dieu, et que nous cherchions et établissions premièrement son royaume en nous, et puis en autrui; et c'est ce que je vous prie de lui demander pour moi...”(53)

La relation filiale des missionnaires à Dieu se vérifie de deux façons surtout:

a. par la confiance en la Providence

Selon saint Vincent, Dieu nous aime profondément comme un Père et une Mère.(54) Il exerce continuellement sa providence envers nous. Dans une lettre à Bernard Codoing, Vincent insiste sur la nécessité de nous abandonner entièrement à l'action de Dieu dans nos vies: “Le reste viendra en son temps. La grâce a ses moments. Abandonnons-nous à la providence de Dieu et gardons-nous bien de la devancer. S'il plaît à Notre-Seigneur me donner quelque consolation en notre vocation, c'est ceci: que je pense qu'il me semble que nous avons tâché de suivre en toutes choses la grande providence...”(55) De même, dans une lettre à sainte Louise de Marillac: “Mon Dieu, ma fille, qu'il y a de grands trésors cachés dans la sainte Providence et que ceux-là honorent souverainement Notre-Seigneur qui la suivent et qui n'enjambent pas sur elle!”(56)

Dans la vie du missionnaire, la confiance en la Providence se vérifie dans sa capacité de regarder au-delà des événements particuliers vers de plus larges horizons, dans l'attente patiente, dans la persévérance. Mais la Providence est également honorée, comme le souligne saint Vincent(57), quand on utilise les moyens que Dieu met à notre disposition dans l'accomplissement de ses buts. Lorsqu'un missionnaire est tenté d'interpréter trop passivement l'enseignement de saint Vincent sur la providence, il devrait se rappeler les paroles de notre fondateur à Edme Jolly(58): “Vous êtes l'un des hommes du monde qui honorent davantage la providence de Dieu par la préparation des remèdes contre les maux prévus. Je vous en remercie très humblement, et je prie Notre-Seigneur qu'il vous continue et augmente ses lumières pour les répandre sur la compagnie.” En 1652, il exprime à Marc Coglée qu'il aime suivre la maxime qui consiste à “se servir de tous les moyens licites et possibles pour la gloire de Dieu, comme si Dieu ne nous devait point aider, pourvu qu'on attende tout de sa divine Providence, comme si nous n'avions point de moyens humains.”(59)

b. par la prière confiante

Saint Vincent appelle ses disciples à se tenir constamment en prière devant Dieu. Pour lui, la prière est la source de tout le bien accompli par les missionnaires: “Donnez-moi un homme d'oraison, et il sera capable de tout...”(60) Vincent sait fort bien que Jésus, au milieu de son activité missionnaire, est en constante union avec son Père(61), lui l'auteur de tout le bien que Jésus accomplit.(62) Jésus recherche constamment à faire la volonté de son Père.

Devant cette vision, Vincent dira aux Filles de la Charité: “ ... Notre-Seigneur était homme de grandissime oraison ...” Dans les Règles communes, il affirme : “Ne pouvant pas imiter entièrement Notre-Seigneur Jésus-Christ, en ce qu'il passait les nuits en oraison, outre celles qu'il faisait le jour, nous le ferons néanmoins selon notre petite portée...”

Vincent demeure profondément convaincu de l'importance de l'union entre l'action et la contemplation qu'il constate chez le Christ. Il assure ses disciples que la stabilité vocationnelle et la vitalité continuelle de leurs oeuvres dépend de la prière.(65) L'esprit missionnaire implique donc, selon les termes des Constitutions et l'exemple de saint Vincent lui-même, que l'on soit “contemplatif dans l'action et apôtre dans la prière.”(66) Pour saint Vincent, c'est la seule façon d'arriver à un apostolat effectif: “ ... donnons-nous bien tous à cette pratique de l'oraison, puisque c'est par elle que nous viennent tous les biens. Si nous persévérons dans notre vocation, c'est grâce à l'oraison; si nous réussissons dans nos emplois, grâce à l'oraison; si nous ne tombons pas dans le péché, grâce à l'oraison; si nous demeurons dans la charité, si nous sommes sauvés, tout cela grâce à Dieu et à l'oraison.”(67)

2. Sa charité envers le prochain.

L'amour des missionnaires doit être à la fois “affectif” et “effectif”.(68) Ils doivent servir les pauvres “spirituellement et corporellement,”. (69) La vision de Vincent sur l'activité évangélisatrice de Jésus demeure très large.(70) Ceci semble clair d'après le mandat qu'il donne aux divers groupes qu'il a fondés: les Confréries de Charité, la Congrégation de la Mission et les Filles de la Charité. L'unité entre l'évangélisation et la promotion humaine, si étroitement liées dans l'esprit de saint Vincent, est aujourd'hui l'un des pivots de l'enseignement social de l'Eglise(71).

Cependant, la “manière vincentienne” d'aimer renferme des caractéristiques particulières. Selon l'enseignement de saint Vincent, les missionnaires entoureront l'évangélisation et la promotion des pauvres de cinq vertus(72) : la simplicité, l'humilité, la douceur, la mortification et le zèle.

Dans sa conférence du 22 août 1659, saint Vincent rappelle aux membres de la Congrégation de la Mission que ces cinq vertus sont les “facultés de l'âme de toute la Congrégation”(73). De même, dans ses conférences aux Filles de la Charité, il insiste particulièrement sur la simplicité et l'humilité, en plus de la charité elle-même. Ces vertus nússionnaires sont si importantes qu'on pourrait consacrer tout un article sur chacune d'elles(74). Je me contenterai ici de décrire brièvement comment saint Vincent les voit présentes dans le Christ comme en ceux qui donnent leur vie à Dieu au service des pauvres.

a. La simplicité

Jésus(75), le missionnaire du Père, est foncièrement simple. Sa parole est vérité(76). Il dit les choses comme elles sont(77), sans détour et sans rien cacher(78). Il se réfère à Dieu pour tout(79). Saint Vincent est tellement convaincu de l'importance de la simplicité telle qu'il la voit en Jésus, qu'il appelle cette vertu “mon évangile”(80), “la vertu que j'aime le plus”(81). “Savez-vous, mes Soeurs, où loge Notre-Seigneur? C'est chez les simples.”(82).

De nos jours, comme du temps de saint Vincent, la simplicité consiste à dire la vérité. C'est une qualité essentielle pour le missionnaire. C'est également une discipline difficile, surtout lorsque notre propre commodité est en jeu ou lorsque la vérité nous embarrasse. Pourtant, l'authenticité et la transparence demeurent très attrayantes aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui que nous sommes appelés à servir.

La simplicité renferme également plusieurs significations connexes. Elle inclut le témoignage de la vérité ou l'authenticité personnelle qui font que la vie du missionnaire s'accorde avec ses paroles. Elle suppose la recherche de la vérité à l'exemple du chercheur, plutôt que du “propriétaire” qui la possède. Comme à l'époque de saint Vincent, la simplicité implique aussi la pureté d'intention, la pratique de la vérité par des oeuvres de justice et de charité, un style de vie modeste, incluant la simplicité du langage, surtout pour la prédication.

b. L'humilité

Jésus(83), le missionnaire du Père, nous enseigne l'humilité “en paroles et en actes”(84). L'humilité nous amène à reconnaître que tout bien vient de Dieu(85). Elle entraîne une reconnaissance de notre faiblesse et de nos fautes(86), accompagnée d'une confiance sans borne en Dieu(87). Vincent presse le missionnaire de contempler “cet original de l'humilité, Notre-Seigneur Jésus-Christ”.(88). Il s'émerveille devant le Fils de Dieu qui s'est “dépouillé”. (Ph 2,7)(89).

Aujourd'hui, tout comme au temps de saint Vincent, l'humilité signifie que nous reconnaissons notre condition de créature et de sauvé comme étant des dons de l'amour de Dieu(86). Elle apparaît dans notre gratitude pour ces dons, regardant toute chose comme une grâce. L'humilité se vérifie par “l'attitude de serviteur” du missionnaire, par notre disponibilité à entreprendre même des travaux domestiques au service des pauvres. Elle se manifeste également par notre désir d'être évangélisé par les pauvres, qui sont “nos seigneurs et nos maîtres” pour saint Vincent.

c. La douceur

Jésus lui-même nous parle de sa douceur, nous assure saint Vincent(90). Pour lui, cette vertu missionnaire consiste en la capacité de contrôler sa colère(91), à la tempérer et à trouver des moyens de l'exprimer adéquatement(92), d'une manière dirigée par l'amour(93).

Comme du temps de saint Vincent, la douceur habilite le missionnaire à orienter sa colère positivement. Puisque la colère provient d'une énergie naturelle qui monte spontanément en nous lorsque nous percevons quelque chose de mauvais, elle peut être utilisée à bon ou à mauvais escient. Ceux qui se consacrent au service de l'évangile expérimentent le pouvoir ambigu de la colère, tout comme les autres hommes ou femmes. Mais saint Vincent nous assure que la colère peut être transformée et exprimée convenablement. Sa propre révolte devant la souffrance des pauvres n'a-t-elle pas été une force puissante qui l'a amené à établir les Confréries de Charité, les Lazaristes et les Filles de la Charité?

Les doux, saint Vincent en est convaincu, sont accueillants et affables(94). Ils savent combiner l'amour et la fermeté(95). Dans une lettre à sainte Louise de Marillac, le 1er novembre 1637, il écrit: “... si la douceur de votre esprit a besoin d'un filet de vinaigre, empruntez-en un peu de l'esprit de Notre-Seigneur. 0 Mademoiselle, qu'il savait bien trouver l'aigre-doux, quand il fallait!”(96)

L'exemple de Vincent démontre également que les missionnaires peuvent grandir en développant la douceur et l'accueil. Il avoue que son penchant personnel le portait à la mauvaise humeur: je m'adressai à Dieu et le priai de me changer cette humeur sèche et rebutante, et de me donner un esprit doux et bénin; et par la grâce de Notre-Seigneur, avec un peu d'attention que j'ai faite à réprimer les bouillions de la nature, j'ai un peu quitté mon humeur noire!"(97)

d. La mortification

Pour le missionnaire, Jésus est le modèle par excellence de la mortification. “... ne quittons jamais de vue la mortification de Notre-Seigneur, puisque nous sommes obligés, pour le suivre, de nous mortifier après lui.”(98) Vincent définit la mortification, ou le sacrifice de soi, comme la soumission de la passion à la raison(99). Cette vertu trouve une place de choix dans ses conférences, où il la décrit abondamment(100). Pour motiver ses missionnaires à s'y engager, il cite plusieurs exemples du Nouveau Testament qui la recommandent(101).

De nos jours, la mortification ne semble pas bien comprise et, par conséquent, n'est pas très populaire, peut-être à cause des distorsions que lui ont fait subir certains auteurs spirituels dans leur façon de la présenter. Mais c'est une vertu missionnaire très importante. “L'ascétisme fonctionnel”(102) contemporain met l'accent sur la mortification comme étant la renonciation à une chose bonne au profit d'une autre. Elle nous amène à définir nos buts missionnaires et à canaliser nos énergies limitées vers eux. Concrètement, cela peut vouloir dire: répondre promptement aux appels de la communauté, particulièrement en acceptant une mission; être fidèle aux demandes de la mission et leur donner la préférence lorsqu'elles entrent en conflit avec d'autres projets plus agréables; travailler dur au service des pauvres; se lever rapidement le matin pour la prière communautaire; ne pas être avide d'obtenir ou d'accepter des biens matériels; être modéré dans le boire et le manger; acquérir un sens critique par rapport à l'utilisation de la télévision, de la radio, du cinéma et autres médias; retenir les critiques et les paroles acerbes; être lent à demander des privilèges; rechercher la compagnie de ceux qui sont moins agréables autant que de ceux qui nous attirent davantage; donner généreusement de son temps afin de prendre part au processus actuel de prise de décision.

e. Le zèle

Le zèle est l'amour missionnaire brûlant qui remplit le coeur de Jésus. “... demandons à Dieu qu'il donne à la Compagnie cet esprit, ce coeur, ce coeur qui nous fasse aller partout, ce coeur du Fils de Dieu, coeur de Notre-Seigneur ... (103) Cet amour enflammé conduit le missionnaire à aller n'importe où et à faire n'importe quoi(104). “La charité de Jésus crucifié nous presse”(105), affirme la devise pour la mission des Filles de la Charité.

Le zèle est la vertu de l'activité missionnaire. “Si l'amour de Dieu est un feu, le zèle en est la flamme; si l'amour est un soleil, le zèle en est le rayon.”(106) Son but est d'“étendre l'empire de Dieu”(107). C'est l'amour en pratique. S'adressant aux missionnaires, Vincent s'écrie: “Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages. Car bien souvent tant d'actes d'amour de Dieu, de complaisance, de bienveillance, et autres semblables affections et pratiques intérieures d'un coeur tendre, quoique très bonnes et très désirables, sont néanmoins très suspectes, quand on n'en vient point à la pratique de l'amour effectif.”(108)

Actuellement, on reconnaît le zèle missionnaire dans la “disponibilité”, c'est-à-dire dans la volonté d'aller partout au service de l'évangile. C'est un amour “inventif à l'infini”(1 09), donc créatif, persévérant, fidèle. En conséquence, surtout en ces temps de changements rapides, le zèle du missionnaire se manifestera dans la formation continue afin de s'adapter aux nouveaux ministères, à de nouvelles circonstances ou aux “âges” nouveaux de la vie (une “seconde carrière” par exemple, ou encore la “retraite”). Comme il est contagieux et se propage, le zèle se manifestera aussi dans la recherche d'autres ouvriers pour la moisson.

Un dernier mot. La mission, pour demeurer vivante, devra être fermement enracinée dans la tradition vincentienne et, en même temps, elle sera continuellement renouvelée et inculturée à chaque époque. Les formes concrètes que prendra la mission pourront, et parfois devront, varier considérablement à travers les âges. Pour cela, la Congrégation devra méditer fidèlement l'évangile et se pencher avec créativité sur les besoins des pauvres et de ceux qui les servent, afin de demeurer dans un état continuel de renouveau.(110)

(Traduction: Mme Raymonde Dubois)

(1) Règles communes XI, 10 (ci-après, RC): “Le nom de Missionnaires ou de Prêtres de la Mission, que nous n'avons pas pris de nous-mêmes, mais qui nous a été donné par la voix commune des peuples ...”

(2) ibid.

(3) SV XI, 13 5; XII, 8 5 ss.

(4) Lc 4, 18.

(5) SV XI, 108.

(6) SV XI, 13 5.

(7) Robert P. Maloney, He Hears the Cry of the Poor, (Hyde Park, New York: New City Press,

1995) 118-125.

(8) Jn 16, 28; Cf. Jn 1, 1; Jn 14, 28.

(9) Mc 16, 15.

(10) SV XI, 134.

(11) Ibid.

(12) SV XII, 367.

(13) SV XII, 301.

(14) Karl Rahner, “The Abiding Significance of the Second Vatican Council”, dans Theological

investigations XX, 90-102; Cf. également “The Future of the Church and the Church of the Future” dans Theological investigations XX, 103-114.

(1 5) SV XI, 402.

(16) Cf. Avery Dulles, “Seven Essentials of Evangelization” dans Origins 25 (no 23; 23 novembre 1995); 397-400.

(17) Evangelii Nuntiandi, 24.

(18) SV XII, 87.

(19) SV IX, 59; IX, 593; XI, 364; XI, 592.

(20) Cf. SV 11, 4.

(2 1) RC 1, 2.

(22) RC XI, 12.

(23) SV V, 489; VII, 561.

(24) Betty Ann McNeil, Monograph 1: The Vincentian Family Tree, qui a été publié par Vincentian

Studies Institute, en 1996.

(25) Pour une réflexion intéressante sur le sujet, voir A. Sylvestre, “Prêtre de la Mission pour quoi faire?”, Vincentiana XXXIV, (No 6, novembre-décembre 1995), 363-373.

(26) Certaines entreprises l'ont appris à leur dépens. Même celles qui autrefois étaient florissantes

font maintenant l'expérience de sérieuses difficultés, n'ayant pas su s'ajuster aux changements rapides de la conjoncture économique.

(27) Tertio Millennio Adveniente, 57.

(28) Redemptoris Missio, 37.

(29) Evangelii Nuntiandi, 45; Redemptoris Missio, 47.

(30) Tertio Millennio Adveniente, 5 1; Sollicitudo Rei Socialis, 42.

(31) Discours de Jean-Paul II, lors de la 19e assemblée ordinaire du CELAM, Haïti, 9 mars 1983;

discours à Saint-Domingue, 12 octobre 1984; Cf Evangelii Nuntiandi, 63; Centesimus Annus, 5; Tertio Millennio Adveniente, 45.

(32) Lc 4, 18.

(33) Constitutions 1 (ci-après, C).

(34) Cf Vincentiana XXXIV, 4 I.

(35) RC XI, 10.

(36) Ces dernières années, des équipes missionnaires d'au moins 1000 membres ont été spécifiquement entraînées pour tout un diocèse ou même un pays, avec de bons résultats. Cf T. Sendlein, “La Mission nationale de Panama. Une mise en oeuvre de l'esprit vincentien”, Vincentiana XXXIX (1995), 311-324.

(37) SV XII, 84.

(38) SV XI, 291.

(39) Pour une liste complète des missions lointaines de la Congrégation de la Mission et des Filles

de la Charité, voir José Ignacio Fernández de Mendoza, “La extension misionera actual de ambas congregaciones: Congregación de la Mision y Compaña de las Hijas de la Caridad” dans San Vicente y la Mision Ad Gentes (Salamanca: CEME, 1995), 253-287.

(40) SV XII, 86.

(41) C 17.

(42) Cf Albert di Ianni, “Religious Vocations; New Signs of the Times”, Review for Religious 52 (no 5, septembre-octobre 1993), 745-763. Egalement D. Nygren and M. Ukeritis, The Future of Religious Orders in the United States (Connecticut: Praeger Press, 1993), 251.

(43) Evangelii Nuntiandi, 58.

(44) Medellin, “Conclusions”, 6.13, 14; 13.33.

(45) D. Nygren and M. Ukeritis, op. cit., 250.

(46) SV XI, 32. Bien que le lecteur puisse douter que ce texte (appelant le Christ “l'évangélisateur

des Pauvres”, attribué à saint Vincent par Abelly, son premier biographe (1664), traduise les ipsissima verba du saint, l'idée elle-même me semble toutefois irréfutable, étant donné le recours fréquent de saint Vincent à Luc 4, 18.

(47) Cf. Evangelii Nuntiandi, 15.

(48) RC, Introduction.

(49) SV VI, 393.

(50) Denise Lardner Carmody and John Tully Carmody, In the Path of the Masters (New York:

Paragon House, 1994) 119.

(51) Pour une formulation saisissante de l'attitude de saint Vincent devant Dieu, voir SV XII, 133-134, 146-147.

(52) SV, XIII, 179.

(53) SV Il, 106.

(54) SV V, 534; VI, 444; VIII, 55, 256; X, 503.

(55) SV II, 453.

(56) SV I, 68; cf III, 197.

(57) SV V, 396: “Attendons patiemment, mais agissons et, par manière de dire, hâtons-nous lentement ...”

(58) SV VII, 310.

(9) SV IV, 366.

(60) SV M, 83.

(61) Cf. Jn 7, 29; 7, 33; 17, 13; 17, 21. La relation particulière de Jésus avec son Père est un thème

cher à Luc; Cf 2, 49; 3, 22; 9, 35; 10, 21-22; 23, 46.

(62) SV XII, 109.

(63) SV IX, 415.

(64) RC X, 7.

(65) SV XI, 83: “Donnez-moi un homme d'oraison et il sera capable de tout; il pourra dire avec le saint apôtre: `Je puis toutes choses en Celui qui me soutient et qui me conforte.' La congrégation de la Mission subsistera autant de temps que l'exercice de l'oraison y sera fidèlement pratiqué, parce que l'oraison est comme un rempart inexpugnable, qui mettra les missionnaires à couvert contre soutes sortes d'attaques...” Voir également SV III, 535; IX, 416; X, 583.

(66) C 42.

(67) SV XI, 407-408.

(68) SV IX, 475, 592, 599; XI, 40.

(69)SV IX, 59, 593; XI, 364, 592.

(70) Cf. Evangelii Nuntiandi, 30-39; Congregazione per la Dottrina della Fede, Instruzione su “Liberta cristiana e liberazione” (22 mars 1986), 99. Bien que Vincent ait été très conscient de la nécessité de résoudre les problèmes sociaux de son temps par des moyens institutionnels et structurés (les groupes qu'il a fondés, par exemple), il n'était pas conscient, par ailleurs, comme la plupart de ses contemporains, de ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui “les structures sociales de péché”. Il acceptait en grande partie l'ordre social et politique tel qu'il était (tout comme saint Paul à l'égard de l'esclavage). Malgré cela, il voyait pourtant la nécessité de recourir à une action politique pour faire face aux besoins des pauvres et, dans ce but, il utilisait son influence à la cour et au Conseil de conscience. Cf Luigi Mezzadri, San Vincenzo de Paoli (Edizioni Paoline: Milan, 1986), 69-79, 83-86.

(71) Cf Synode des évéques, Documentation catholique, 1971, La justice dans le monde, No 27,

p. 1020: “Le combat pour la justice et la participation à la transforination du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l'lávangile ...” Voir également Centesimus Annus, 5.

(72) SV XII, 302. “Voilà la force et la puissance des maximes évangéliques, parmi lesquelles, parce qu'elles sont beaucoup en nornbre, je choisis principalement celles qui sont plus propres pour les missionnaires...” Au-delà du regard qu'il pose sur les événements de la vie de Jésus, saint Vincent voit dans le Nouveau Testament une série de maximes ou proverbes dont Jésus est “l'auteur”. Il demande à ses disciples de faire ce que faisait Jésus et de pratiquer ce qu'il enseignait, que ce soit par un commandement direct ou à travers ces maximes.

(73) RC 11, 14; SV XII, 309.

(74) Pour une documentation intéressante sur ce sujet, et pour ajouter à sa bibliographie, le lecteur pourra consulterà J.-P. Renouard, “L'Esprit de la Congrégation: Les Vertus Fondamentales” Vincentiana XXVIII (1984) 599-615; voir aussi T. Davitt “The Five Characteristic Virtues”, Colloque XIV (Automne 1986), 109-120. Voir également Christian Sens, “,Comme Prêtre Missionnaire”, dans Monsieur Vincent, témoin de L'Evangile, Toulouse, 1990, 133-151,spécialement 140s; R. P. Maloney, “les cinq vertus fondamentales, hier et aujourd'hui”, Un Chemin vers les Pauvres, Desclée de Brouwer, 1994, 41-81. Voir aussi B. Háring, Timely and Untimely Virtues (London: St. Paul's, 1993). (75) SV IV, 486.

(76) RC 11, 4; SV XII, 172.

(77) SV 1, 144.

(78) SV 1, 294; V, 464.

(79) RC 11, 4: SV, 172.

(80) SV IX, 606.

(81) SV 1, 284.

(82) SV X, 96.

(83) SV XI, 56-57.

(84) RC 11, 7.

(85) SV 1, 182; VII, 98-99.

(86) RC 11, 7

(87) SV III, 279; V, 165.

(88) SV XI, 394.

(89) SV XII, 109.

(90) RC 11, 6.

(91) SV XII, 186.

(92) SV XII, 187.

(93) SV XII, 188.

(94) SV XII, 189.

(95) SV VII, 226.

(96) SV 1, 393-394.

(97) Abelly III, Gaume et Cie, Paris 1891, p. 245.

(98) SV XII, 227.

(99) SV X, 56.

(100) SV IX, 23; X, 59, 151, 246, 248, 280, 399; XII, 215.

(101) Cf. SV IX, 170; X, 61, 398.

(102) K. Rahner, Theological Investigations III, 54.

(103) SV XI, 291.

(104) SV XI, 204: “Oui, la Mission peut tout, parce que nous avons en nous le germe de la

toute-puissance de Jésus-Christ...”

(105) 2 Co 5, 14.

(106) SV XII, 262, 307-308.

(107) SV XII, 307.

(108) SV XI, 40.

(1 09) SV XI, 146.

(110) C 2.