Apport spécifique de Saint Vincent et de Sainte Louise à l'identité et à la spiritualité des Filles de la Charité

Apport spécifique de saint Vincent et de sainte Louise

à l'identité et à la spiritualité des Filles de la Charité *

par Benito Martínez, C.M.

Province de Saragosse

5-VII-2001

Ces dernières années, on a accordé très peu d'importance au fait que les Filles de la Charité sont des séculières et non des religieuses. Et pourtant cette réalité est aussi importante maintenant sinon plus qu'elle ne l'était à l'origine de la fondation, car les Filles de la Charité sont nées pour travailler au bien des pauvres. Comme le monde moderne a nationalisé l'enseignement, la santé et le travail social, il semble que la société n'ait plus besoin du travail des Sœurs. Même, en abusant de son pouvoir, l'État considère, que lui seul, a le droit de subvenir aux nécessités et au bien-être des citoyens. Il paraît qu'actuellement, les religieux n'ont plus qu'à retourner aux sources: être le signe du Royaume de Dieu sur la terre! Néanmoins ce n'est pas le cas des Filles de la Charité qui ne sont pas nées pour porter seulement le témoignage des valeurs évangéliques à travers leur vie, mais pour servir les pauvres. Sans eux, il n'y a pas de Filles de la Charité. C'est pourquoi, en étudiant la fondation et la réalisation de la Compagnie, il faut tenir compte des pauvres ou mieux encore du développement naturel de leur service au cours des différentes époques successives.

1.La Compagnie des Filles de la Charité

On a dit que les Filles de la Charité sont ce que saint Vincent a voulu qu'elles soient et ce que sainte Louise en a fait. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cet énoncé. L'évolution naturelle des événements sociaux et religieux a eu une importance capitale. Les circonstances ont présenté aux deux saints des manières distinctes de trouver un remède aux besoins des pauvres et tous les deux ont eu une perspicacité suffisante pour en tirer parti, leur intelligence réaliste leur a fait mettre en place les Charités. Tout a jailli des Charités. Les Filles de la Charité en sont une évolution pratique, appropriée à diverses situations. En lisant les premiers documents de la vie de saint Vincent, il paraît avoir fermé son organigramme après la fondation de l'association de la Charité et de la Congrégation de la Mission. Ce furent les conversations avec sainte Louise durant des années et ses initiatives qui incitèrent notre fondateur à faire entrer les Filles de la Charité dans les Charités et à donner forme à cette association spéciale qui deviendra la Compagnie. Ce furent les événements qui en se présentant lui permirent de tirer parti de ce qui dans d'autres institutions était considéré comme précieux pour leurs fins, c'est ainsi que la nouvelle Compagnie a été pourvue d'un Conseil, d'un Directeur, de Visites canoniques et régulières, etc.

Il est évident, et cela n'admet aucune discussion: les Confréries de la Charité sont l'œuvre exclusive de saint Vincent de Paul; cependant, la fondation des Filles de la Charité appartient à égalité aux deux saints. J'ose affirmer, en faisant un peu de science fiction, que si l'un des deux avait manqué, la Compagnie des Filles de la Charité n'aurait pas existé. Bien que ce soit Marguerite Naseau qui ait eu la première l'idée d'intégrer dans les Charités des jeunes filles voulant se donner à Dieu pour servir les pauvres gratuitement, Mademoiselle Le Gras a joué un rôle indispensable, celui de lieu d'accueil, de rencontre, de référence et surtout de formatrice des jeunes filles. Vincent de Paul l'exprime ainsi un nombre infini de fois. En 1630, il écrit à Louise: Est-ce que «cette bonne fille de Suresnes qui vous a vue d'autrefois et qui s'emploie à enseigner des filles, vous est allée voir, comme elle me le promit dimanche dernier, étant ici» (I, p. 76). Vincent dit que Marguerite, avant de se consacrer aux pauvres malades, avait rendu visite à Louise à plusieurs reprises et s'était entretenue avec elle. Le fait d'insister, à cette occasion, afin que Marguerite visitât Mademoiselle, suppose qu'il considérait comme décisive l'influence de Louise sur Marguerite ou bien qu'il jugeait son avis déterminant pour cette affaire d'une importance extrême. Par la suite, on a continué à procéder de la même façon par rapport aux autres filles: Marguerite servit de référence et de modèle, Vincent les accueillait dans les Charités et Louise les recevait et les formait. Mais l'influence de Louise a été encore plus grande en ce qui concerne la fondation définitive de la Compagnie. Bien que beaucoup d'historiens l'attribuent à Vincent de Paul, et très peu à Louise de Marillac, je crois qu'il faut l'attribuer autant à saint Vincent qu'à sainte Louise; chacun y a joué son rôle particulier en vue d'un même charisme divin.

Dans la fondation d'une institution ecclésiale convergent un ensemble de médiations divines irremplaçables et une série de circonstances naturelles très diverses. Si nous examinons ces dernières, nous trouvons qu'un jour, saint Vincent de Paul écrit à Mademoiselle Le Gras: «Je me réjouis de l'établissement de ces bonnes filles et loue votre désir de leur donner quelque tableau, mais non pas que vous donniez lieu aux pensées qui vous occupent pour ce sujet. Vous êtes à Notre-Seigneur et à sa sainte Mère; tenez-vous à eux et à l'état auquel ils vous ont mise, en attendant qu'ils témoignent qu'ils désirent autre chose de vous». Sans altérer le contexte de la lettre, mais au contraire, en accord avec la pensée de Vincent de Paul, je suis porté à croire qu'il s'agit ici d'un changement d'état civil, dans ce cas précis, de devenir religieuse, je le déduis car Louise pensait à cet état afin d'apaiser Dieu pour le vœu fait durant sa jeunesse qu'elle n'avait pas accompli. Mais saint Vincent s'y opposa. Quelque temps après, Vincent de Paul s'oppose à nouveau fermement aux intentions de sa dirigée: «Quant au reste, je vous prie une fois pour toutes de ne point penser, jusqu'à ce que Notre Seigneur fasse paraître qu'il le veut, qui donne maintenant les sentiments contraires à cela... Vous cherchez à devenir la servante de ces pauvres filles, et Dieu veut que vous soyez la sienne, et peut-être de plus de personnes que vous ne le seriez en cette façon et quand vous ne seriez que la sienne, n'est-ce pas assez pour Dieu que votre cœur honore la tranquillité de celui de Notre-Seigneur» (I, 113).

Cette lettre nous éclaire beaucoup. Vincent s'oppose à ce que Louise change d'état, à ce qu'elle devienne religieuse, mais la lettre nous dit aussi que Louise veut changer d'état avec d'autres jeunes filles et que dans cette nouvelle situation, elles ne serviraient pas le prochain. Nous pouvons en déduire que Louise cherchait à créer une nouvelle fondation religieuse. Cela ne nous surprend pas aujourd'hui, mais Vincent de Paul lui annonce que Dieu a un autre dessein sur elle: la consacrer au service de nombreuses personnes, sans déterminer où elle va les servir, si c'était dans la future Compagnie, dans les Charités ou allant les visiter. Que signifie la phrase «et quand vous ne seriez que la sienne»? Cela veut-il dire entrer toute seule dans un couvent ou rester telle qu'elle est?

Cette attitude de Louise a donné lieu à de fréquentes conversations entre les deux saints sur ce même thème. Grâce à ces entretiens et à la prière, Vincent mûrit une conviction surnaturelle qui sera l'élément clé, pour lui, dans l'avenir: Louise avait une mission à accomplir mais unie aux jeunes et en servant les pauvres. On a l'impression que c'est alors que les deux saints ont parlé de rassembler les jeunes filles dans une Charité uniquement pour elles. Louise a dû l'assumer sans le moindre doute; elle s'appuyait nerveusement sur ce fait pour le réaliser tout de suite et, obstinée qu'elle était, elle ne cessait de revenir à la charge. En mai 1633, Vincent essaie de l'arrêter car il n'est pas sûr que ce soit la volonté de Dieu. En septembre, Vincent est convaincu que Dieu veut de Louise quelque chose d'exceptionnel, plus concrètement, qu'il veut réunir les jeunes dans une Charité pour elles toutes seules. Un mois plus tard, Louise, sous la direction de Vincent, commence cette expérience durant les fins de semaine. Enfin, le 19 novembre 1633, ils décident tous deux de commencer de façon durable la nouvelle Charité avec Marie Joly et deux ou trois autres compagnes. Il y avait neuf mois que Marguerite Naseau était morte.

Je pense que c'est le déroulement humain des différentes circonstances qui nous conduisent à cette conclusion que saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac sont autant l'un que l'autre les fondateurs de la Compagnie des Filles de la Charité. Nous pouvons arriver à cette même conclusion si nous examinons les événements d'une manière surnaturelle: le charisme vincentien est aussi un charisme «louisien».

Il n'y a pas de doute que, pour fonder la Compagnie des Filles de la Charité, aussi bien Vincent que Louise ont reçu un charisme divin de fondateur: une expérience de Dieu qui les a amenés à prendre conscience de leur vie. Pour Vincent de Paul, cette expérience naît en 1609, lorsque, étant accusé du vol, il rencontre Bérulle qui l'initie à l'oraison; pour Louise de Marillac, elle commence en 1607 quand, en pension, ayant éprouvé l'abandon, elle eut recours aux capucins et s'est livrée à la prière. L'expérience de Dieu a provoqué un changement de vie, une conversion; et l'expérience divine et la conversion ont entraîné une révélation qui leur a transmis une mission: se donner aux pauvres. Chez saint Vincent à partir d'un égoïsme matériel, chez sainte Louise à partir d'un égoïsme spirituel - chez les deux à partir d'une Nuit Mystique - respectivement en 1617 et en 1623. La matérialisation de la mission provient de la nuit spirituelle: pour en sortir, Vincent s'offre aux pauvres; quant à Louise, c'est Dieu qui la sort de la nuit pour l'offrir aux pauvres. Saint Vincent en commence la réalisation à Folleville et à Châtillon; sainte Louise en fait la découverte grâce à saint Vincent en 1629. Il y eut un seul charisme chez deux personnes, ce qui revient à dire que les deux saints ont reçu le même charisme.

Une étude sur le développement de la Compagnie nous conduit à une même fin. Les deux fondateurs ont influencé des aspects essentiels de la nature de la Compagnie, bien qu'étant partis d'optiques différentes. Vincent de Paul, fondateur des confréries de la Charité, est le Directeur et le Supérieur de la Charité naissante. Il lui a donné la spiritualité, les raisons théologiques, il a déterminé ses structures juridiques. À cette époque, il était hors de question qu'une femme puisse être Directrice d'une confrérie. Mais d'une part, Vincent de Paul n'a rien ordonné contre l'avis de sa collaboratrice, ni même sans qu'elle le sache. D'autre part, Louise était très attachée à la personne de son directeur; elle était sa meilleure et plus fidèle disciple, elle acceptait sa doctrine comme la plus appropriée pour ses filles. Vincent a estimé sa dirigée d'une manière très particulière, mais juste, et il a mis en elle toute sa confiance.

2.Les circonstances, saint Vincent et sainte Louise

Il semble que saint Vincent ait été le président de nombreux comités directeurs d'«entreprises» consacrées aux pauvres, mais, en ce qui concerne les Filles de la Charité, il assume et adapte au droit les idées et les initiatives de la Directrice car elle est en contact avec la réalité de la marche de la Compagnie plus que lui-même. Il suffit de lire quelques réponses de saint Vincent aux lettres de la sainte pour s'en convaincre. «Je trouve bon ce que vous me mandez. Vous aurez donc agréable de le faire au plus tôt, s'il vous plaît, Mademoiselle, et de m'excuser si je ne vous vais voir aujourd'hui, pour ce que je suis pressé d'aller à la ville». «Je viens de lire l'emploi de la journée que vous m'avez baillé et le trouve bien». Ou les réponses laconiques qu'il donne à ses questions: «Je pense que oui…, vous verrez…, vous ferez bien…, essayez, s'il vous plaît… quand vous le jugerez opportun…, parlez avec Madame la Duchesse…», etc.

La Charité des filles était une Charité dépendant de Monsieur Vincent dont il s'était nommé, lui-même, directeur - il n'a pas nommé le curé de la paroisse - , il les a installées dans la maison de Louise -non pas dans la paroisse - et il l'a nommée Supérieure. Le gouvernement et la direction immédiats revenaient à la supérieure, comme dans les autres Charités. Vincent était très occupé par les affaires ecclésiales et civiles, il connaissait très bien les qualités et les valeurs de Louise de Marillac et il a laissé, plutôt abandonné, la Compagnie entre ses mains au point de considérer que les Sœurs étaient à elle et non pas à lui. D'habitude il parle de «ses filles». Lors du premier conseil de la Compagnie, le Supérieur dit: «C'est après cela, à la sœur servante [sainte Louise] qui aura recueilli les voix, à suivre celle qu'elle trouvera le plus à propos. Et si elle ne veut suivre ni les unes ni les autres, c'est à elle à dire. Nous ne terminerons point cela aujourd'hui; il y faudra penser devant Dieu. Ou bien, si elle veut prendre avis, elle peut dire: J'en parlerai à Monsieur Vincent; nous verrons ce qui sera le meilleur». Louise a rédigé le premier règlement et l'emploi du temps en adaptant à ses filles le règlement général des Charités. Vincent y a fait très peu d'annotations, après avoir mis quelques mois à les lire. Il propose à Louise de les lire aux Sœurs, et s'il a dû le leur expliquer au cours du mois de juillet 1634, c'est seulement à cause de l'admiration que Louise avait pour le Directeur. Les règlements rédigés par saint Vincent en 1645, 1646 et 1655 prennent en considération, comme s'il s'agissait d'un embryon, aussi bien le règlement des Charités que celui rédigé par Louise et les observations qu'elle lui présentait avec insistance. Mais plus encore: sans bien savoir pourquoi - ce que l'on dit des hypothèses, comme la crainte d'être considérées comme des religieuses - saint Vincent n'a pas voulu publier les Règles des Filles de la Charité et il paraît même qu'il avait peur de les rédiger. En 1651, sainte Louise insiste encore sur la nécessité de les rédiger afin que les Sœurs puissent les lire tous les mois et que la Compagnie s'affermisse (L. 315). En 1655, les Règles et la Compagnie étant déjà approuvées, Louise continue à faire prendre des initiatives au Supérieur «pour l'affermissement de la Compagnie» (L. 605, 629).

3.Les Filles de la Charité et les Lazaristes

Les initiatives de sainte Louise ont eu une grande influence sur l'évolution de la Compagnie. Louise savait que ses filles, comme la plupart des femmes du XVIIe siècle, étaient des femmes de seconde classe, aussi bien dans la société que dans l'Église, subordonnées aux hommes, n'ayant aucune personnalité juridique, de telle sorte que les Charités devaient admettre un homme comme procureur «pour agir dans les procédures et actions en justice»; elle savait aussi qu'elles n'avaient d'autre culture que celle que la vie leur avait apprise et que leur religion était populaire, pleine de superstitions, mais qu'elles étaient des filles consacrées à Dieu, vivant les conseils évangéliques, à qui la responsabilité de diriger de nombreuses œuvres civiles et ecclésiales avait été confiée; et ce qui était très curieux, c'est que pour la première fois dans l'histoire, ces filles étaient obligées de se mêler à la foule des rues. Il fallait donc donner à ces jeunes un plan de formation simple, pour qu'elles soient en harmonie avec les consacrées et avec les servantes. Il fallait qu'elles soient Filles de la Charité et Louise s'en est chargée sous la direction de Vincent. La Compagnie ne pouvait copier les autres institutions car, à cette époque-là, elle était la seule de cette espèce, et c'est la raison pour laquelle elle s'est appuyée sur les missionnaires lazaristes, ceux-ci faisant partie de l'organigramme dont dépendait la Compagnie.

Sans tenir compte de l'attitude réservée de saint Vincent à éviter de distraire les Lazaristes des missions, Louise programma des relations de courtoisie et d'affaires avec eux, pour se donner mutuellement des nouvelles des travaux ou des personnes des deux Compagnies. Il est probable qu'aujourd'hui nous n'y voyions que des simples relations sociales, du style de l'époque. Nous pressentons, cependant, que dans l'esprit de Louise, tout cela faisait partie d'un vaste plan qu'elle ne cachait pas et qu'elle s'efforçait de mener à bien avec ténacité, au point de dire aux Filles de la Charité que le Supérieur d'une communauté de Lazaristes est aussi le Supérieur des Sœurs du lieu; et ce n'est pas un supérieur symbolique comme pourrait nous le suggérer cette phrase: «Je vous prie de faire mes très humbles et respectueux saluts à Monsieur votre Supérieur» [celui des Pères Lazaristes], mais ayant autorité sur les Filles de la Charité, comme elle l'écrit dans un règlement: «Elles porteront un grand respect à Messieurs les Administrateurs et obéissance au Supérieur de la Mission». De cette façon, en encourageant les Sœurs à faire confiance aux missionnaires, nous pouvons dire que c'est elle qui a jeté les fondements de l'union entre les deux institutions et entre leurs membres, union qui subsiste encore aujourd'hui. Certainement saint Vincent, dans son for intérieur, était sûrement d'accord avec cette idée, car à la fin de sa vie, il la défend ouvertement même contre l'opinion de ses missionnaires. Ainsi, il écrit au Père Dehorgny: «… estimant qu'il doit toujours [il s'agit du Père Cuissot], comme supérieur des missionnaires, avoir la même vue sur ces filles qu'il a sur les séminaristes, et que ceux qui les instruisent, confessent et dirigent le fassent par ses avis, et non pas indépendamment de lui» (VIII, 233). Dix jours encore avant sa mort, le saint donne une Obédience aux Sœurs envoyées en Pologne dans laquelle il leur dit: vous garderez «la manière de vivre que vous avez accoutumé en France, sous la direction de Monsieur Desdames ou autre qui sera supérieur des prêtres de notre dite congrégation qui sont maintenant en Pologne» (XIII, 589).

La psychologie a assuré à Louise de Marillac le sentiment de sécurité et de soutien que lui donnait le fait de se sentir unie à une congrégation masculine de prestige, comme c'était le cas de la Congrégation de la Mission au temps de saint Vincent. Louise se sentait tranquille et se désintéressait quelque peu des communautés proches d'une maison de missionnaires ou de celles dans lesquelles était passé un prêtre de la Congrégation de la Mission, de telle sorte que lorsque dans un conseil se pose la question d'ouvrir au sud de la France un Séminaire Interne et un genre de Maison Provinciale pour le sud, Louise dit clairement: «Je crois que cela serait bien utile, pourvu que ce fût en un lieu où il y eût des messieurs de la Mission» (XIII, 713). Convaincue de cette idée et contre l'avis de Vincent de Paul qui voulait éloigner la Maison Centrale des Filles de la Charité de Saint-Lazare, Louise, tenace, le met en face de cette réalité. Quand il n'y avait pas de prêtres lazaristes proches des maisons des Sœurs, elle insistait auprès de Vincent de Paul afin qu'il envoie un missionnaire visiter les maisons, se rendre compte de leur style de vie et les encourager, jusqu'au point de leur permettre de faire les vœux, les placer ou nommer une Sœur Servante intérimaire.

4. Visites canoniques, Directeurs Provinciaux, confesseurs et direction spirituelle

D'ici à entreprendre les Visites Canoniques réalisées par des missionnaires chargés par Monsieur Vincent d'une manière officielle, il n'y a qu'un pas. Nous pouvons affirmer que l'initiative vient de Louise et que le fait est confirmé par le dialogue qui eut lieu entre les deux fondateurs. Nous ne pouvons pas oublier que la première fois - à notre connaissance - que le Père Lambert fait la visite à la communauté d'Angers, saint Vincent lui écrit: «Mademoiselle Le Gras désirerait que vous allassiez faire un tour à Angers pour visiter ses filles sous forme de visite [canonique]», et nous sommes étonnés que quatre ans plus tard, le Père Lambert écrive à Louise en ces termes: «Il y a quelques huit jours que j'ai reçu l'une de vos lettres et non celle où vous me mandez d'aller à Angers et où vous marquez quelque chose de particulier pour quand je serai là». Il faut également rappeler que chaque missionnaire, après avoir fait la visite, envoie un rapport à Louise sur les points qu'elle-même lui avait signalés.

De même, c'est dans des circonstances historiques et sociales analogues et compte tenu des distances entre les maisons que nous devons chercher l'origine des directeurs provinciaux actuels. Sans aucun doute, le Directeur Général tire son origine d'une surcharge de travail de Vincent de Paul. Dans l'impossibilité de diriger les Filles de la Charité comme il le devait, il s'est déchargé sur un autre missionnaire de certains travaux auprès des Sœurs. Cet état de fait a été facilité par Louise de Marillac en conseillant au Supérieur qu'un autre missionnaire assiste avec lui aux conférences (L. 124). Ce missionnaire participait aussi aux Conseils de la Compagnie, c'était presque toujours les Pères Portail et Alméras. Le Directeur Provincial, cependant, est né de l'éloignement de quelques communautés, spécialement celles de la Pologne. Il a fallu accorder au Supérieur des missionnaires l'autorité suffisante pour diriger les Sœurs et même pour les renvoyer de la Compagnie (SV VII, 401).

En acceptant la doctrine archaïque et rigide du XVIIe siècle sur la juridiction confessionnelle, Louise savait que le Supérieur de la Congrégation était aussi Supérieur des Filles de la Charité. Et Vincent de Paul qui leur disait qu'elles «étaient des filles de paroisse, sous la direction des curés», leur interdisait de se confesser, sans sa permission, à des prêtres n'ayant pas été nommés par lui. La position de saint Vincent en ce qui concerne les confessions des Filles de la Charité n'est pas claire. Il y a une lutte constante en lui-même. À l'opportunité que ce soient les missionnaires qui en soient les confesseurs, étant donné leur nature particulière et leur charisme identique, s'opposaient le droit canonique et la répugnance de nombreux missionnaires pour ce ministère. Louise, quant à elle, a des idées très claires sur la question: les missionnaires doivent faire partie de la direction et s'occuper de la confession des Filles de la Charité selon un plan qu'elle avait établi dans son esprit jusque dans le moindre détail: s'ils n'étaient pas autorisés à être leurs confesseurs habituels, elle cherchait à ce qu'ils le soient dans des cas extraordinaires: quand une Sœur avait un problème, quand la communauté était nouvelle ou qu'il y avait une situation délicate ou un environnement particulier comme au temps de la Fronde. Lorsqu'une communauté de missionnaires se trouvait à proximité des Filles de la Charité, elle leur demandait d'être leurs confesseurs ordinaires.

Bien que Vincent de Paul n'aimât pas consacrer les missionnaires à confesser les Filles de la Charité - bien entendu, il refusait net qu'ils soient les confesseurs des religieuses - il a assumé contre l'avis de nombre de ses confrères que la direction spirituelle de la Compagnie soit une œuvre confiée à la Congrégation de la Mission, sans que cela signifie que tout missionnaire, par le seul fait de l'être, devienne directeur spirituel des Filles de la Charité. On le voit à l'Assemblée de 1651. Malgré les compliments lancés aux œuvres des Sœurs, il décide que les missionnaires les dirigeront seulement dans quelques cas extraordinaires. Cependant, les dernières années de sa vie, saint Vincent a assumé l'idée de sainte Louise et il a défendu contre les objections des missionnaires, que la direction spirituelle des Filles de la Charité devait être une œuvre confiée par Dieu à la Congrégation de la Mission, jusqu'au point de l'insérer dans les Règles de la Congrégation.

J'ose donner cette conclusion: Louise s'est obstinée et, d'une certaine manière, a réussi à ce que cet aspect de l'activité des missionnaires fasse partie de l'organisation de la Compagnie. Vincent de Paul s'est laissé convaincre à la fin de sa vie, de l'opportunité de cette mentalité (XII, 86-87).

5.Deux branches d'une même Compagnie

L'un des apports de Louise de Marillac à la Compagnie est d'être parvenue à mettre comme Supérieur Général le Supérieur Général de la Congrégation de la Mission. C'est un thème très connu. Personne n'ignore en effet que c'est grâce à la ténacité de Louise que les Filles de la Charité ont le Supérieur Général qu'elles ont voulu malgré le premier avis de Vincent de Paul. On a beaucoup écrit sur ce sujet et je ne vais pas m'y arrêter.

Cependant on ne connaît pas beaucoup la vision et le désir qu'elle avait de la structure de la Compagnie. Alors que Vincent de Paul, licencié en droit, recourait au Concile de Trente et à la Constitution Quaecumque de Clément VIII (7 décembre 1604) pour fixer la nature juridique des Filles de la Charité, Louise rêvait à une seule institution comportant deux corps, celui des missionnaires et celui des servantes. Cela a été un rêve, mais le succès ne l'a pas accompagné ni pendant sa vie ni après sa mort. Il paraît que personne n'acceptait ses désirs car ils étaient exagérément intrépides ou, peut-être, prophétiquement prématurés. Sa vision a pu devenir historique, mais à l'époque c'était déjà magnifique d'être arrivée à imposer son avis au sujet de la question du Supérieur Général. Trois fois, au moins, elle lui a écrit sur l'union naturelle entre la Compagnie et la Congrégation de la Mission, et les trois fois, on a l'impression qu'elle veut une union particulière, union qui aurait, peut-être, changé notre histoire.

La veille de la Pentecôte de 1642, alors que Louise devait travailler dans une salle où les Dames de l'aristocratie devaient également se réunir, le plancher s'est écroulé. Saint Vincent nous dit que c'est par la grâce de Dieu que la réunion avait été annulée et que Louise était sortie quelques minutes auparavant et avait pu être sauvée. Étonnée, Louise écrit à son directeur «que ce devait être un avertissement à sa charité (Vincent) pour établir l'union étroite de la manière de vie que Dieu voulait que cette communauté exerçât, conforme à celle de son institut (C.M.), étant donné les intérêts communs en cette grâce de Dieu, plutôt qu'accident» (A. 75). Louise a écrit cela sûrement vers 1645.

Le grand souci de Louise à cette époque, c'était la solidité de l'érection canonique et civile de la Compagnie; elle voit dans cette grâce-accident la manifestation de la volonté divine dont le désir était d'unir les deux institutions en une seule, car elle comprend que leurs intérêts sont communs: instituer la Compagnie d'une manière solidaire intéressait autant les Filles de la Charité que les Missionnaires.

En 1651, se consolidait dans l'esprit de Louise de Marillac la conviction que le Supérieur Général des Prêtres de la Mission devait aussi être celui des Filles de la Charité, et elle ajoute une condition explicative que bien des biographes ont passé sous silence. «… du consentement de leur Compagnie pour y étant agrégées (les Sœurs), être participantes du bien qui s'y fait, à ce que la divine bonté… leur fasse la grâce de vivre l'esprit dont sa bonté anime la dite honorable Compagnie» (L. 315).

Au XVIIe siècle le mot agrégé avait le sens de s'unir à un corps d'une manière physique ou morale pour former une unité, de la même façon qu'une faculté et un professeur sont agrégés à une université ou un tiers ordre à sa fondation. Nous pouvons confirmer cette interprétation si nous lisons une méditation de 1646. Se rappelant des faits passés, elle écrit comme étant quelque chose de normal: «Le jour de l'Octave du Très Saint Sacrement, l'adorant dans le chœur de l'Église de nos vénérables Pères, lui demandant par l'union amoureuse du Verbe avec l'homme, que eux et nous lui fussions éternellement unis, et toujours unis à la hiérarchie Apostolique et Romaine par une solide union de tous les corps de la Communauté aux pauvres, ainsi que Dieu le veut» (A. 21 bis). Ces deux corps ne peuvent être que les deux instituts pour lesquels sainte Louise demande impérativement qu'ils ne forment qu'une seule communauté ou congrégation. Et si nous devions encore en douter, en pensant qu'elle se réfère aux communautés locales, elle dissipe notre incertitude quand elle demande à l'Immaculée Conception la «conservation de la pureté en l'une et l'autre Compagnie».

Chaque texte étudié en particulier pourrait nous obliger à réfléchir sur ce doute mais dans l'ensemble, je suis enclin à admettre comme judicieuse l'affirmation que je viens d'exposer. Saint Vincent n'a pas dû douter, même si, au début, il s'est montré réticent aux relations entre les missionnaires et les Filles de la Charité. À la fin de sa vie, cependant, on a l'impression qu'il assume la position de Louise. Nous connaissons bien les arguments qu'il présente à ses confrères pour les convaincre de la relation existant entre l'aide spirituelle aux Filles de la Charité et la nature et les fins de la Congrégation de la Mission (6 décembre 1658). Il paraît, malgré tout, qu'il n'a pas osé présenter, devant tous les missionnaires, un argument suspect pour eux mais qu'il n'a pas hésité à l'écrire au Père de la Fosse en février 1660: «Les Filles de la Charité étant entrées dans l'ordre de la Providence comme un moyen que Dieu nous donne de faire par leurs mains ce que nous ne pouvons pas faire par les nôtres, en l'assistance corporelle des pauvres malades, et de leur dire par leurs bouches quelque mot d'instruction et d'encouragement pour le salut… ces filles sont appliquées comme nous au salut et soulagement du prochain; et si je dis avec nous, je ne dirai rien de contraire à l'Evangile» (VIII, 239).

6.Formation des Filles de la Charité

La formation des premières Sœurs incombe entièrement à Louise. Au début, cette formation a été courte - un à trois mois - portant presque exclusivement sur la maîtrise des passions, le détachement par la mortification et sur une préparation technique et humaine pour le service; mais bientôt Louise organise un plan de formation, simple, destiné aux femmes de milieu populaire: elle y ordonne le temps et les exercices de lecture, les travaux de couture et les techniques de service; elle cherche l'aide d'autres personnes, sans écarter les connaissances pédagogiques des Ursulines, ce qui ne plaisait pas trop à saint Vincent; elle fixe la formation religieuse et spirituelle autour du catéchisme, par des échanges, des conférences qu'elle-même donne chaque semaine. C'est Mademoiselle Le Gras qui apporta toute cette organisation, saint Vincent la supervise. Nous sommes un peu étonnés de l'aplomb et de l'autonomie, on dirait presque de l'indépendance, avec lesquels Louise donne les avis et les normes aux Sœurs envoyées en des lieux éloignés ou difficiles: Le Mans, Montreuil, Arras. Louise avait conçu un plan et elle a participé au développement des conférences que donnait le Supérieur: celui-ci en proposait une tous les mois ou tous les quinze jours, cependant Louise souhaitait qu'elles aient lieu toutes les semaines et elle en donnait même les thèmes, il s'agissait en général et dans la mesure du possible de sujets pratiques, portant sur les Règles ou le style de vie. Elle lui a conseillé de fixer à l'avance le thème pour pouvoir le préparer, proposant des points pour la méditation et une réflexion pour la mise en pratique en fin de chaque conférence. Très délicatement avec son habilité féminine, elle lui demandait qu'un autre missionnaire assista aussi aux conférences.

Certains experts ne sont pas d'accord avec quelques-unes de mes affirmations. Ils attribuent à saint Vincent beaucoup de réalisations particulières propres à sainte Louise de Marillac. Si ce n'est pas totalement le cas, elle a au moins participé à leur accomplissement avec notre fondateur. Je vais répéter ici ce que j'ai déjà écrit par ailleurs:

«Vincent de Paul a été la source des enseignements donnée aux Filles de la Charité, mais Louise en a été la voie par laquelle la doctrine coulait et la fontaine à laquelle les Sœurs allaient puiser. On sait bien que l'eau prend sa saveur des terrains qu'elle traverse».

Vincent de Paul a plutôt contribué à la formation des Sœurs des siècles postérieurs qu'à celles de son époque, et il les a influencées beaucoup plus après sa mort que pendant sa vie. Au cours de sa vie, mais surtout après sa mort, les Pères de la Congrégation de la Mission se sont sentis obligés d'aider les Filles de la Charité s'acquittant d'une volonté de leur fondateur. Mais les Missionnaires sont à présent comme ils l'étaient alors pénétrés de saint Vincent et très peu de sainte Louise. Ils avaient à leur portée les conférences du fondateur, ce furent d'abord des copies, ensuite elles furent imprimées. Plus tard on a aussi imprimé les lettres entre les deux saints et les lettres de saint Vincent à certaines Sœurs. Cependant on a mis 226 ans pour publier d'une façon incomplète et en français les lettres et les écrits de Louise de Marillac. Pour avoir son œuvre complète, il a fallu attendre 250 ans et elle existait alors exclusivement en lithographie pour les bibliothèques. Vincent de Paul, avec une politesse tout humaine et une sainte prudence, avait refusé de communiquer avec les Sœurs, sauf pour quelques-unes en confession, en direction ou par lettres. Il a eu des échanges particuliers avec des Sœurs et des communautés à travers Louise de Marillac. En raison de son travail épuisant, il ne pouvait s'occuper de la Compagnie. C'est Louise qui s'est alors consacrée, corps et âme, à cette tâche. Vincent le savait, il l'approuvait et il se sentait rassuré.

En lisant ses conférences aux Filles de la Charité, nous pouvons conclure -ce qui peut-être faux- que son influence sur les Sœurs n'a pas été seulement énorme, mais décisive. Analysons-en toutes les facettes. Le nombre de conférences que nous conservons - il ne semble pas que nous en ayons trop perdu étant donné, d'une part, la grande estime que Louise avait pour elles, l'enthousiasme avec lequel elle les a rédigées ou fait rédiger, et, d'autre part, sa fidélité à les conserver - correspond en moyenne à une par trimestre. À plusieurs reprises, sainte Louise s'est plainte délicatement du long temps qui s'écoule entre deux conférences. Il faut ajouter que seules les Sœurs de la Maison pouvaient y assister, et une de chaque paroisse de Paris, pour «empêcher que les pauvres en fussent incommodés» (L. 124). Les Sœurs envoyées dans les Provinces n'avaient pas la possibilité d'y assister. Il faut se rappeler que depuis 1647, il y avait autant de Sœurs en province qu'à Paris. Il ne faut pas oublier, non plus, que Louise n'a jamais permis que les Conférences du Supérieur sortent de la Maison pour éviter qu'elles ne se perdent ou soient copiées «par crainte qu'on ne changeât le sens de ce bienheureux Père» (D. 954).

C'est Louise qui a modelé la spiritualité et la vie des Filles de la Charité. Il faut se souvenir de plusieurs comportements de Louise de Marillac et des Sœurs: durant de longues années, Louise a été la formatrice de celles qui venaient à la Compagnie et des Sœurs du Séminaire, elle était aussi la directrice de la Maison. Toutes les Sœurs ont vécu avec elle, jour après jour, au moins pendant quelques mois. Quelques-unes, envoyées en dehors de Paris, lui ont écrit qu'elles regrettaient la doctrine apprise auprès d'elle. Lorsqu'elles partaient dans d'autres communautés, elle continuait de les diriger grâce à ses lettres qui constituaient, pour la plupart des Filles de la Charité, la nourriture indispensable pour être, vivre et servir. Louise de Marillac savait l'importance de ses lettres. Elle voulait, parfois trop optimiste, entretenir une correspondance avec ses filles toutes les semaines ou, au plus, tous les quinze jours. L'année de sa mort, en janvier, elle écrit à Mathurine Guérin, son ancienne secrétaire: «je vous prie, ma chère Sœur, d'agréer et vouloir avoir le soin de lire nos chères lettres pour recevoir par ce moyen l'esprit de Jésus-Christ, sans lequel tout ce que nous disons et faisons n'est que cymbales sonnantes» (L. 650).

En résumé, Louise a doté l'identité des Filles de la Charité de caractéristiques qui, malgré les influences reçues des lectures et des directeurs postérieurs, ont été transmises jusqu'à ce jour et ont été conservées comme un dépôt «louisien» que l'on n'a pas pu ni voulu déraciner.

7.Spiritualité

Néanmoins, il faut affirmer que Louise n'était pas la seule Supérieure d'où partaient les dernières décisions, ni celle sur laquelle se projetait l'idéologie qui a donné forme à la Compagnie. Elle réservait ce rôle à Vincent de Paul. Elle cherchait à ce que les Filles de la Charité vivent la spiritualité que le supérieur Vincent leur indiquait et avec laquelle elle s'identifiait d'année en année. Louise a assumé la fonction de montrer le chemin pratique pour pouvoir vivre de la doctrine vincentienne. Louise, qui a vécu une spiritualité rhénane-flamande durant sa jeunesse, a ensuite assimilé la spiritualité vincentienne, mais les dernières années de sa vie, elle a amalgamé ces deux tendances de telle sorte qu'elle a vécu sa spiritualité, la spiritualité «louisienne»; elle a dirigé les Sœurs comme Vincent de Paul voulait plutôt que comme elle pensait, plus à la façon d'un saint François de Sales que d'un Bérulle, mais de saint François, elle préférait pour ses filles l'Introduction à la Vie Dévote à son Traité de l'Amour de Dieu, bien qu'elle n'ait jamais pu se passer de sa spiritualité nordique qu'elle inculquait parfois à quelques-unes de ses Filles les considérant plus profondes. Elle parlait à d'autres de l'union intime avec Dieu, de l'abandon, du total détachement et de l'anéantissement. Elles les invitait à chercher le pur amour. Il ne faut pas oublier qu'elle a dédié à toutes les Filles de la Charité les quelques pages de l'écrit Le Pur Amour voué à Dieu (A. 27).

8.Esprit de la Compagnie

Sans aucun doute, les vœux constituent une marque significative des Filles de la Charité; et d'après ce que nous pouvons lire à la fin de la conférence du 19 juillet 1640, saint Vincent les avait préparés en connivence avec sainte Louise - œuvre des deux liée à la condition religieuse de l'époque - mais le trait le plus caractéristique du charisme de la Compagnie est l'esprit qui est en fonction de la fin: le «toutes données à Dieu pour servir les pauvres corporellement et spirituellement.» Un bon service exige des vertus appropriées et, avant tout, une vie d'union de la communauté. Si l'équipe de travail n'a pas de cohésion, elle n'est pas non plus efficace. Il s'ensuit que saint Vincent et, d'une manière spéciale, sainte Louise énumèrent les qualités et les vertus nécessaires aux Sœurs pour vivre unies et servir les pauvres avec dignité. Peu à peu ils arrivent à la conviction que ces vertus ne doivent pas être nombreuses afin qu'elles puissent être facilement assimilées par de pauvres filles de la campagne, trois les ont séduits: l'humilité, la simplicité et la charité. En 1617, saint Vincent parle déjà de la nécessité que les dames de la Charité de Châtillon aient ces vertus d'humilité, de simplicité et de charité (Coste XIII, p. 435). Mais au moment de proposer les vertus caractéristiques des Filles de la Charité, il hésite entre plusieurs jusqu'au mois de février 1653 quand il explique l'esprit de la Compagnie dans trois célèbres conférences. Louise de Marillac arrive au même résultat. Auquel des deux devons-nous alors cet esprit? Aux deux? À l'ambiance spirituelle de Paris? Les trois vertus s'ajustent parfaitement à la doctrine de Bérulle sur l'Incarnation dont saint Vincent n'a jamais pu se séparer totalement: «Jésus Christ dans son Incarnation est l'Adorateur du Père et le Serviteur de son dessein d'amour». Il arrive ainsi à l'explication théologique tirée de l'Incarnation du Verbe. Quant à Louise de Marillac, elle est pleinement «bérullienne», enchantée elle les accepte, mais elle les explique d'une manière plus pratique et précise: «La douceur, la cordialité et le support doivent être l'exercice des Filles de la Charité, comme l'humilité, la simplicité et l'amour de l'humanité sainte de Jésus-Christ qui est la parfaite charité, est leur esprit» (L. 377).

(Traduction: Centre de Traduction - Filles de la Charité, Paris)

* N.B. Les citations de saint Vincent correspondent à Coste, selon le volume et la page. Les citations de sainte Louise sont de l'édition de Sœur Charpy, et sont indiquées par le numéro de la Lettre, le sigle «D» se rapporte à l'édition de Sœur Charpy «La Compagnie des Filles de la Charité aux origines. Document suivi de la page.

Benito Martínez, C.M., Engagée à trouver un paradis pour les pauvres, Ceme, Salamanque 1995; p. 81-85.

Saint Vincent raconte ces événements cinq fois. À quatre reprises, il donne l'initiative à Marguerite et seulement dans un des récits il s'attribue lui-même la première décision: Coste IX, p. 78, 209, 245, 456, 601.

(I, 79) Au XVIIe siècle, le mot «état» signifiait classe sociale (par exemple, le tiers état), le milieu dans lequel vit une personne et sa situation civile: célibataire, veuve ou religieuse.

I, 172, 200, 212, 218, 219; Gobillon, liv. II, ch. I, p. 51; I, 186-187. Cf. Benito Martínez, o.c. p. 73-76.

N'oublions pas les difficultés rencontrées par Mademoiselle Le Gras pour signer comme Directrice le contrat de l'hôpital d'Angers qu'on ne lui a permis de signer que «sous le bon plaisir du Supérieur Général de la Congrégation des Prêtres de la Mission» (Coste II, 1, 7).

S.V. II, 63, 114, 259-262.

Au commencement de la Compagnie, la Supérieure et les deux officières étaient veuves ou célibataires d'autres Charités. Les premières ont été Louise de Marillac de la Charité de Saint-Nicolas du Chardonnet et Mesdames Gousault et Pollalion de la Charité de l'Hôtel Dieu. Qui a eu l'idée de l'élire parmi les Filles de la Charité? D'une part, saint Vincent écrit au Père Ozenne: «Il y a longtemps que je pense à cette affaire et je me suis demandé, à plusieurs reprises, quelle serait la meilleure façon de les diriger, ou bien en choisissant une de la même Compagnie, ou de la Compagnie des Dames de la Charité, ou une autre personne concrète parmi ces Dames? Mais les deux solutions possibles présentent des difficultés… C'est pourquoi, une fois que tout a été bien pensé et considéré, nous avons cru opportun de faire table rase et d'élire à la pluralité des voix celle que la Compagnie jugera la plus apte, parmi elles, à accomplir cette mission». Mais nous savons aussi que sainte Louise voulait la même chose. Mathurine Guérin écrit après la mort de sainte Louise: «Un jour une Sœur lui dit qu'elle n'aimerait pas avoir une supérieure qui ne fût pas du corps de la communauté [Compagnie]… Et comme la Sœur ne savait si sa disposition était bonne ou mauvaise, la même supérieure [Louise] lui dit qu'il fallait louer Dieu qui la lui avait donnée» (D. 953).

S.V. XIII, 592. Voir aussi X, 116, et ce qu'il dit au Conseil du 8-9-1655 (XIII, 693).

SL. A, 54, 55; SV. XIII, 125, 145, 146; A. 76, 80, 84, 88, 90, 91, 91 bis, 92, 93.

SL. D. 624; SV. XIII, 420.

C'étaient les missionnaires, plutôt que Saint Vincent, qui s'opposaient à diriger les Filles de la Charité, comme nous le verrons plus loin.

SL, L. 10, 179, 182, 202, 214 bis, 261...

SL, L. 88, 445, 607, 629…

SL, L. 646 et 134…

SL. L. 131, 134, 182, 204, 300, 310, 416, 646 ; SV. I, 316; II, 133, 156.

Parmi d'autres lettres, voir: SV. II, 66-67; III, 213-215; SL. L. 185, 186, 312, 554; D. 895-896, etc.

SV. II, 66-67; SL. D. 351; L. 47, 103. SL. D. 354-356, 361, 520-522, 592-594, 800-802, 894-896.

Voir Venceslaus CZAPLA, C.M. De iurisdictione ad excioiendas confessiones Puellarum Charitatis Sancti Vincentii a Paulo. Dissertatio al Lauream (Pro manuscripto) Romae, 1957.

S.V. VIII, 237-240; Conf. 9-6-1658, 16-3-1659, 11-8-1659. Il faudrait rappeler, pour tout ce qui suit, quelques aspects et quelques renseignements de la Compagnie au temps des fondateurs. Jusqu'à 1636 les fondateurs ne voyaient pas très clairement ce qu'allait devenir cette Confrérie de jeunes filles et de veuves. Ils savaient seulement que c'était une «Charité» particulière au sein de «l'association» des Charités, comme le deviendra la Charité de l'Hôtel Dieu quelques mois après. Depuis 1636 et plus exactement depuis 1639, lors de la fondation d'Angers, ils sont convaincus d'avoir fondé une nouvelle institution que nous appellerions aujourd'hui Institut de Vie Consacrée, composé de laïcs. Dans toutes les Charités féminines, le Directeur en était le curé de la paroisse, sauf dans deux: celle qui se trouvait dans la maison de sainte Louise et celle de l'Hôtel Dieu. Comme elles n'étaient situées sur aucune paroisse, Vincent s'est nommé lui-même directeur des deux, et dans la Charité de jeunes filles et de veuves, il a aussi nommé un délégué pour le remplacer lors de ses absences. Mais ce sont la supérieure et deux officières qui dirigeaient et gouvernaient les Charités féminines. Les premières années, dans la Charité de jeunes (filles?) et de veuves, saint Vincent nommait pour ces charges des veuves de la Charité de l'Hôtel Dieu. Les prêtres de la Mission ont été habilités pour ériger les Confréries de la Charité, soit par l'Archevêque de Paris, soit par le Pape (XIII, nº 66, 72, 79, 81), jusqu'au moment où elles ont été confirmées dans les Règles (I, 2). Ériger et non pas diriger. Une fois la Charité érigée, elle restait sous la direction spirituelle du curé, bien que Vincent de Paul -parce qu'il était le fondateur- avait l'habitude d'inviter un visiteur ou une visitatrice à réviser et à animer les Charités des Provinces, comme cela fut le cas pour Louise de Marillac (SL. A. 51, 53). Cependant, très tôt il apparut aux yeux des gens que la confrérie des Filles de la Charité -et non celle de l'Hôtel Dieu- était placée sous la direction de la Congrégation de la Mission. C'est ainsi que la reine Louise Marie de Pologne écrit à saint Vincent: «Bien que toujours… sous la direction des Prêtres de la Mission…» (Coste V, p. 163). Il convient de rappeler qu'au XVIIe siècle, les confesseurs des paroissiens étaient les curés et ceux qui avaient une juridiction propre, vicariat ou délégation. Cela était aussi bien appliqué aux membres des Confréries qu'aux Filles de la Charité.

Sans tenir compte des lieux où les missionnaires étaient les curés, comme à Richelieu, nous voyons que les missionnaires et le saint lui-même confessent les Filles de la Charité à Valpuiseaux, mais il interdit aux Sœurs de Châlons et Sainte-Menehould de «prendre comme confesseur » les «Messieurs de la Mission», car ce ne sont pas eux qui confessent les Sœurs parce qu'ils n'en ont pas la permission (SV, III, 405; SL. L. 385).

SL. L. 10, 67, 133, 277 bis, 261,375, 385, 585; SV. II, 18, 161, 179, 266; IX, 51. Bien que cela ne soit pas très clair, il paraît que les confesseurs de la Maison Centrale étaient aussi des prêtres de Saint-Laurent. Sainte Louise écrit à saint Vincent: «Plusieurs de nos Sœurs souhaiteraient bien se confesser aujourd'hui, et je crains que nous ne puissions avoir le prêtre de Saint-Laurent… je vous supplie nous faire la charité de nous en donner un» (L. 348).

VIII, p. 227; XII, p. 84.

RC, ch. XI, nº 11; VIII, 233-234; 237-240; XII, 86-87; XIII, 350.

Voir les raisons des deux positions chez Benito Martínez, C.M. « Engagée à…», p. 180. Aussi, R. Meyer - L. Huerga, Une institution singulière: Le Supérieur Général de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité (Ceme), Salamanque, 1974.

Abelly, liv. I, chap. XXIV, p. 114-115; SV I, 304-305; Gobillon, liv. IV, chap. I, p. 137.

SL, L. 134; A. 85; D. 758-760.

SL. L. 124, 128, 86, 173; A.55; SV. I, 282, 343-344, 447; IX, 15, 692-693; Gobillon, Liv. IV, chap. I, p. 137.

Les Sœurs de langue espagnole n'ont pu lire toutes les lettres de Sainte Louise qu'à partir de 1945 (Éd. Rosendo Castañares) et ses écrits, presque dans sa totalité qu'à partir de 1985 (Éd. Ceme, traduction de l'édition de Sœur Charpy).

SL. L. 75, 110, 124, 386, 650.

SL. L. 377, 405, 426, 448, 519, 531 bis, 546, 642.

C. 1.5 . Idée tirée de SV, Coste XI, p. 108-109.

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