Parmi les Savaras. L'évangélisation des populations tribales en Inde

Parmi les Savaras

L'évangélisation des populations tribales en Inde

Par Joseph Moolan. C.M.

Province d'Inde du sud

Dans les vastes étendues montagneuses au sud d'Orissa et au nord d'Andhra Pradesh vit une des tribus les plus primitives et les plus arriérées de l'Inde. Ils s'appellent les Savaras, Soras, Soboros ou Souras. Au nombre de 2,2 millions de personnes, on croit qu'ils ont émigré du sud-est de l'Asie avec d'autres groupes de tribus Munda et Ho. Ils sont les premiers habitants de ce territoire, d'où leur nom d'Adivasis, ou Aborigènes. Etant donné qu'ils appartiennent à un groupe particulier de peuples primitifs se réclamant d'un ancêtre commun, partageant une même culture et vivant traditionnellement sous l'autorité d'un chef, ils sont appelés tribus. La plupart d'entre eux étaient nomades, se déplaçant à la recherche de nourriture pour eux-mêmes et pour leurs troupeaux. A présent ils sont définitivement établis en quatre districts de l'Orissa et de l'Andhra Pradesh.

Bien que des missionnaires chrétiens, surtout des baptistes et des luthériens, aient entrepris l'évangélisation des Savaras dès le tout début du gouvernement britannique, l'évangélisation catholique débuta seulement récemment chez eux. Bien que des traces de foi catholique aient pu être trouvées dans cette partie de l'Inde à partir du 17ème siècle, le travail d'évangélisation comme tel commença avec les Missionnaires de Saint François de Sales (M.S.F.S.) de Visakhapatanam, en 1845, lorsque fut érigé le diocèse.

A la requête du Saint Siège, les confrères espagnols de la Province de Madrid prirent la relève des Père M.S.F.S. pour l'évangélisation de ce territoire. A cette époque, on l'appelait la Cuttack-Mission. En 1922 les quatre premiers missionnaires arrivèrent et commencèrent un travail d'évangélisation dans la région. Ils pénétrèrent à l'intérieur des terres et évangélisèrent le peuple avec beaucoup d'enthousiasme et de zèle, en dépit de grandes difficultés et de privations. Tout d'abord, ils portèrent leur attention sur les communautés Harijan et Khond. Ils en évangélisèrent un grand nombre, particulièrement parmi la communauté Harijan. L'Eglise était bien solidement établie. Les institutions d'éducation et de santé et les oeuvres sociales étaient aussi mises en place dans ces communautés. Les missionnaires firent quelques tentatives sporadiques pour évangéliser la communauté savara et quelques villages du Bodopoda et de la région de Gunupur. Mais du fait des différences de langue et de culture, des conditions de vie et d'accessibilité, ainsi que du manque de personnel, le travail d' évangélisation parmi eux ne put progresser jusqu'à récemment. Une approche différente et spécifique dut être mise en place pour arriver à une évangélisation authentique et à l'établissement de l'Eglise chez eux.

La formation et l'ordination de prêtres indiens autochtones aidèrent beaucoup à la progression de l'évangélisation parmi les tribus. En voici un exemple: après mon ordination à Salamanque, en Espagne, je suis revenu avec suffisamment de connaissances et beaucoup d'enthousiasme pour travailler dans la Mission d'Orissa. A mon arrivée, le centre de Philosophie de la Congrégation de la Mission à Gopelpur venait de débuter et on me demanda d'y enseigner pendant trois ans. A ma demande, je fus ensuite envoyé à Bodopoda qui fut mon premier champ d'apostolat missionnaire. C'était principalement une communauté “baptiste-convertie-catholique” qui avait ses problèmes spécifiques. Comme nouveau missionnaire, je me plaçai sous la conduite d'un vieux catéchiste du lieu, Bhokthinato. Grâce à sa conduite prudente, sage et pleine d'expérience, je fus capable de résoudre les problèmes pastoraux et de m'introduisis petit à petit dans les communautés chrétiennes aussi bien que non-chrétiennes.

Il y avait déjà quelques villages savaras catholiques dans la région de Bodopoda. C'était un peuple très spécial, comme je n'en avais jamais rencontré d'autres auparavant. J'acquis une bonne connaissance des Savaras en tant que peuple, à partir de cette petite mais vivante et vigoureuse communauté catholique. J'acceptais la communauté savara telle qu'elle était, avec toutes ses qualités et ses défauts. J'acceptais leur langue, leur culture, leurs belles coutumes, leur nourriture et leur logement, et je m'accommodais de modestes conditions de vie. Avec l'aide d'un catéchiste, j'appris leur langue, je traduisis les prières liturgiques et la sainte messe et composai des hymnes et des chants populaires dans des tons et des rythmes savaras. Les Savaras ont leurs propres musique et danses traditionnelles et c'est une partie importante de leur vie tribale. Je traduisis le petit livre de catéchisme et j'y ajoutai en même temps quelques questions et réponses nécessaires à leur communauté. Tous ces travaux littéraires furent imprimés en caractères (romains) savaras. La plupart des enfants et des adultes apprennent facilement ces caractères et savent les lire et les écrire de telle sorte que les missionnaires étaient capables de diriger toutes les prières liturgiques entièrement en cette langue, avec la pleine participation des fidèles. Ce fut un jour glorieux et mémorable, pour moi et pour la communauté tribale savara, lorsqu'ils participèrent pour la première fois à la sainte messe en savara, en grande solennité, avec la pleine participation de la communauté réunie au grand complet. “Naba, Kudduben jumba...”, sont des paroles du Christ, maintenant en langue savara, chez les Savaras, dans un village au fin fond du pays! Par la suite, elles devaient être répétées dans des centaines de villages.

Avec l'aide d'un catéchiste, je commençai à visiter de plus en plus de nouveaux villages savaras, leur enseignant le message du Christ sous une forme qui leur soit compréhensible et adaptée. Nous les trouvions comme un troupeau sans berger, plongés dans une grande pauvreté et dans une profonde détresse, sous l'empire de la crainte et de l'exploitation, errant ça et là dans la confusion et le désespoir. Nous ne faisions que leur donner le message du Christ, les saluer et parler avec eux, avec beaucoup d'amour et d'attention. A travers le dialogue, la musique ou les symboles, nous leur faisions comprendre la “Bonne Nouvelle” et les principes essentiels de la Foi Catholique. Nous leur avons communiqué le “message de la Bonne Nouvelle” dans son intégrité et sa pureté, selon notre capacité. Maintenant c'est l'affaire du Saint Esprit et leur affaire à eux pour donner leur réponse. Et les réactions ont été très variables. Certains refusèrent carrément le message ou nous chassèrent; d'autres le considérèrent avec suspicion et crainte; quelques-uns nous demandèrent d'attendre et de venir encore, et un petit nombre l'accepta de grand coeur. Nous avons dû retourner plusieurs fois vers ceux qui acceptèrent le message pour consolider leurs convictions et les amener à la Foi. Pour eux, l'introduction dans la communauté catholique ne signifiait pas la régénération par le baptême, mais le renoncement ou le rejet des esprits mauvais et de tout ce qui s'y rattachait. C'est pourquoi cela se faisait en grande solennité et en présence de quelques témoins. Le baptême serait donné seulement deux ou trois ans plus tard, après une solide préparation et une juste compréhension. Libérés de leurs péchés et de leurs superstitions de toutes sortes, ils trouvent la paix, la joie et le repos en Jésus-Christ. Cela les aide aussi à s'élever aux plans économique, social et culturel et à former une société tribale saine, digne et active.

Jusqu'en 1975, je travaillais principalement parmi les Savaras à partir des paroisses de Bodopoda et Gunupur. Bientôt le besoin se fit sentir d'aller au coeur des territoires savaras pour établir des petits centres et, ensuite, de les développer pour en faire des paroisses de plein droit. Pour cela, les autorisations nécessaires furent demandées et obtenues des Ordinaires des lieux (Orissa et A. P.). Je me souviens avec une immense affection et reconnaissance du R. Père W. James Richardson -que son âme repose en paix-, le Supérieur Général d'alors, qui envoya les permissions nécessaires, des lettres d'encouragement et une aide financière pour mettre en route le premier centre de mission savara de Christnagar, qui est maintenant une immense paroisse, mère de nombreuses autres paroisses et centres. Mon affection et ma reconnaissance, ma gratitude et ma prière pour le R. Père Richard McCullen, précédent Supérieur Général et pour le R. Père Robert Maloney, l'actuel Supérieur Général, pour leur soutien continuel, leurs prières et leur aide financière pour ce magnifique travail d'évangélisation. C'est la moindre des choses que de mentionner, avec ma particulière gratitude, l'aide financière que le R. Père Robert Maloney a récemment envoyée pour le poste de Mission de Katiki-Sulludi-Ramanaguda. Après avoir achevé les travaux préliminaires d'évangélisation et d'établissement d'une solide communauté catholique dans ce territoire et l'avoir confiée à l'un de nos confrères, je me rendis sur un nouveau secteur, Parlakhimundi-Narayanapur, pour évangéliser et y établir l'Eglise.

Les débuts du Centre de Mission de Christnagar furent très simples et modestes et il en fut ainsi des sept autres centres de mission qui sont maintenant de magnifiques paroisses avec des communautés catholiques tribales florissantes, munies des institutions nécessaires dans le domaine l'éducation, de la santé et du développement. Au moment de la visite du Père Florian Kapusciak, certains de ces centres n'étaient constitués que de pauvres cabanes, mais aux yeux de nos catholiques savaras aussi bien que pour les Hindou, c'était “leurs Centres de Mission”, où ils pouvaient venir librement prier et chanter dans leur langue, sans crainte ni honte, organiser des rencontres et des assemblées, des réunions et des fêtes, et exprimer les talents et les capacités de leur tribu. Ils se sentent fiers de leurs institutions et ils sont prêts à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour les maintenir et les améliorer. Ces communautés tribales se souviennent avec affection et gratitude de tous leurs chers bienfaiteurs et prient pour eux chaque jour dans ces centres. Puisse le Maître de la Moisson les bénir tous en abondance et les récompenser au centuple.

Nous avons un projet très ambitieux en préparation du grand Jubilé de l'an 2000 “Kristo Joyonti 2000", qui est le lancement d'un Centre de retraite spirituelle, principalement pour les tribus savaras, pour diffuser la parole de Dieu à chaque habitant de ce vaste territoire.

A l'heure actuelle, presque tous les Savaras ont accepté la foi, mais ils ne l'ont pas étudiée très profondément. Ils connaissent et pratiquent juste les points essentiels, les rites et les coutumes de la foi catholique. C'est la raison pour laquelle ils ont besoin de recevoir un enseignement plus en profondeur pour renforcer leur foi et leur vie de catholique. Les Savaras aiment beaucoup les réunions religieuses et se retrouver ensemble dans des assemblées. Chaque année nous avons quelques rencontres de ce genre dans un endroit ou dans un autre. Pour fortifier et pour approfondir la ferveur des populations tribales, nous avons besoin d'un petit centre permanent où ils pourraient passer quelques jours de retraite dans la prière et la méditation.

Le commandement du Christ, “Aller dans le monde entier et prêchez l'évangile à toute créature”, est bien d'actualité encore aujourd'hui, particulièrement pour les communautés tribales. Ils sont, encore de nos jours, des millions de personnes parmi les populations tribales à n'avoir jamais entendu parler du message de l'Evangile. C'est vrai pour de nombreux Savaras et Khonds qui ne connaissent pas le Christ et son message. Tout près de nous, ils sont des milliers qui, lorsqu'on les interroge, disent qu'ils n'ont jamais entendu parler ou eu connaissance de quoi que ce soit à propos du Sauveur ou à propos de l'Eglise. De là, ce projet de former un petit groupe d'évangélisateurs qui visiteraient les villages, particulièrement ceux des populations tribales et prêcheraient la parole de Dieu.

(Traduction: Mme Monique Amyot d'Inville, C.M.)