Pastorale de la route au Brésil

Pastorale de la route au Brésil

Marian Litewka, C.M.

Province de Curitiba

Un fait concret

C'était l'après-midi du dimanche 27 avril 1997. Je descendais, dans le sens Nord Sud, la Route transbrésilienne, la BR-153; il faisait plus de 30 degrés. Venant de Jaragua-GO, j'étais passé par la capitale de l'Etat de Goias, Goiânia-GO, et je me dirigeais vers Goiatuba-GO. C'était un trajet de 300 km qui faisait partie d'un voyage pastoral de 50 jours.

J'avais commencé ce voyage le 6 avril 1997, avec un retour prévu pour le 25 juin, en partant de Curitiba (PR). Entre le 6 et le 27 avril, j'avais déjà parcouru près de 3500 km, en traversant les Etats suivants: Parana, Sao Paulo, Minas Gerais, Distrito Federal; et à présent j'étais sur le point de terminer la tournée de prédication dans l'Etat de Goias. Il me restait encore un peu plus de 100 km à parcourir pour arriver à Posto Alborada, dans la ville de Goiatuba-GO, terme du voyage, pour le 27 avril 1997.

Soudain, après avoir fait environ 1340 km, dans la zone transbrésilienne de Goia, l'un des pneus avant éclate. Quelle frayeur! Un éclat, une embardée violente vers la droite. J'ai réussi à maîtriser le camion chapelle et à me garer sur le bas-côté, mais au beau milieu d'herbes hautes (plus haute qu'un homme), appelée « colonhao ». J'ai éteint le moteur, je suis sorti du véhicule et je suis allé constater les dégâts. Sur l'asphalte, j'ai remarqué les fragments du pneu éclaté et la rayure provoquée par la jante. J'ai fait le tour du camion par l'avant et je me suis assez démené à cause du «colonhao», afin d'ouvrir la portière de droite et de sortir le cric. Le cric à la main, je me suis glissé avec difficulté sous le camion. J'ai travaillé pendant 20 minutes, essayant de surélever le véhicule à la hauteur nécessaire, mais je n'y suis pas parvenu. Je suis sorti de dessous le camion, fatigué à cause de l'effort, de la chaleur et du sentiment de frustration. La sueur, mêlée à la poussière, m'a couvert le visage, les bras et les vêtements de boue.

Beaucoup de camions et d'automobiles passaient devant moi... Je me suis mis à faire des signes pour demander de l'aide. Personne ne s'arrêtait. (Cela n'avait rien d'étonnant: sale comme j'étais, j'avais tellement l'air d'un bandit que personne ne pouvait me reconnaître, même en m'ayant déjà rencontré quelque part). Cela ne me chagrina même pas, car je savais que sur les routes, les gens ne s'arrêtent pas de peur d'être agressés. Je demeurais quand même inquiet, ça oui, vu l'heure tardive et l'obscurité de la nuit, qui allait bientôt tomber sur cette région tropicale. J'ai enlevé la roue et je me suis glissé encore une fois sous le camion. Nouvel échec!

Au bord du désespoir, je suis sorti de dessous le camion et je me suis mis de nouveau à faire des signes, afin que quelqu'un s'arrête pour me donner un coup de main. Je suis resté comme ça près de 15 minutes à implorer, jusqu'à ce qu'enfin un camion, immatriculé à Sao José do Rio Preto-SP, s'arrête et que le camionneur descende de son véhicule pour m'aider. Je me suis présenté; il m'a dit qu'il me connaissait grâce aux revues des camionneurs. J'ai expliqué mon problème, je lui ai demandé un cric plus puissant. Par chance, il en avait un. Il s'est lui-même glissé sous mon camion et a réussi à le surélever, tandis que je desserrais les boulons de la roue éclatée.

Pendant que nous travaillions, mon compagnon m'a dit à plusieurs reprises: «Ma seule crainte est qu'un fou, dans cette circulation intense, vienne heurter votre camion et nous écrase tous les deux».

Grâce à Dieu, il ne nous est rien arrivé et, avant le coucher du soleil, nous avons réussi à changer la roue. J'ai voulu payer le coup de main, mais le camionneur refusa. Au moment de prendre congé, il m'a dit: «Ecoutez, mon Père, j'admire votre travail dont j'ai eu connaissance à travers les revues. Le plus étonnant, cependant, c'est que je ne suis même pas catholique. Je suis croyant, membre d'une église pentecôtiste». Depuis, quand je me rappelle ces paroles, il me vient toujours à l'esprit la parabole du Bon Samaritain.

Comparaisons

Le fait concret que je viens de présenter, illustre - du moins en partie - la réalité de la circulation et des transports au Brésil, tout comme celle de notre travail pastoral.

Le Brésil a une dimension continentale: plus de 8 millions de kilomètres carrés. Il dispose de beaucoup de routes goudronnées. Bien sûr, elles n'atteignent pas la perfection des routes du dénommé «Vieux monde»: ce sont de longues routes diversifiées, avec des milliers et des milliers de kilomètres, coupant le pays dans toutes les directions. Les transports sont routiers à 90%, ils se font par camion. Les camionneurs (on en enregistre un peu plus d'un million) voyagent nuit et jour sans relâche. Ils sont fatigués, à cause de la chaleur et d'un nombre inhumain d'heure de travail; ils sont nerveux: le fret est dérisoire, les routes précaires et la menace d'agressions est constante. Ils souffrent surtout de l'éloignement prolongé de leurs familles: cela dure des semaines, parfois des mois. Il n'est pas étonnant qu'apparaisse la mentalité du "tout est bon à prendre » et que l'usage des drogues médicinales, pour lutter contre le sommeil, soit assez courant. C'est aussi pour cette raison, entre autres facteurs, que nous déplorons la perte de 50.000 personnes par an sur les routes.

Dans ce tableau, décrit en quelques coups de pinceaux, s'insère notre Pastorale de la Route. Nous accompagnons les camionneurs sur la plupart des routes brésiliennes. C'est pour cela que nous utilisons nos camions chapelles. Nous apportons le réconfort de la Parole de Dieu, l'opportunité de la prière durant le travail, les voyages; nous apportons le service sacramentel, la présence de l'Eglise, et notre amitié personnelle. Le point culminant de notre travail est généralement à la fin de la journée: c'est la Messe Routière.

Presque toujours, la messe est célébrée dans les stations-service, et - quelquefois - dans les restaurants routiers, dans les dépôts des entreprises de transport, ou dans les aires de stationnement réservés aux camions, dans les ports d'exportation. C'est pourquoi, nous recevons aussi, avec les camionneurs, le personnel de ces établissements.

Un peu d'histoire

La Pastorale de la Route est un service religieux de l'Eglise Catholique. Elle vise à s'approcher du Peuple de la Route, composé aussi bien de chauffeurs (de poids lourds, de transports en commun, de taxi ou d'automobile) que du personnel des services routiers: des stations-service, des bureaux, des ateliers de roues de secours, des restaurants, des cafétérias, etc... Elle projette de rapprocher, je le répète, tout ce peuple de Dieu, des frères et des soeurs, par la force de Jésus-Christ.

La Pastorale de la Route fut fondée en 1976, dans l'Etat de Parana, sous la houlette de D. Geraldo M. Pellanda, évêque de Ponta Grossa PR, et de ses successeurs. Dès le début, c'est le P. Marian Litewka, C.M., âgé aujourd'hui de 60 ans, qui en a assumé la charge.

Jusqu'en 1981, la Pastorale de la Route s'est seulement développée dans l'Etat du Parana. A partir du mois d'Octobre 81, elle est apparue dans deux autres états du Sud: Santa Catarina et Rio Grande do Sul. En 1982, les Etats de Sao Paulo et de Mato Grosso do Sul ont aussi commencé à être pris en considération. En 1983, a eu lieu le premier rapprochement des Etats suivants: Mato Grosso, Goias, Rio de Janeiro , Minas Gerais, Espirito Santo et Bahia.

Depuis 1985, des Soeurs de la Congrégation des Religieuses Missionnaires de Notre-Dame des Douleurs (qui à l'heure actuelle nous accompagnent seulement de temps en temps) apportent leur aide à la Pastorale de la Route.

En 1988, le P. José Carlos Chacorowski, C.M., âgé de 41 ans, commença à travailler à la Pastorale de la Route. C'est lui-même qui l'a fondée et développée dans les Etats de Sao Paulo, Rio de Janeiro, Minas Gerais, Espirito Santo et Bahia. Le P. José Carlos a inauguré aussi le service religieux sur les routes des Etats du Nordeste et des Etats du Tocantins, du Maranao et du Para.

En 1993, le P. Miguel, C.M., âgé de 42 ans, s'est joint à nous pour renforcer tout le travail, principalement dans les Etats du Mato Grosso do Sul et du Mato Grosso. C'est lui-même qui a fondé et développé la Pastorale de la Route dans l'Etat de Rondônia.

En 1996, le P. Germano Nalepa, C.M., âgé de 41 ans, nous a rejoint et il a pris la suite du P. José Carlos, qui fut nommé à un autre poste au service de l'Eglise et de notre Congrégation.

A l'heure actuelle, nous parcourons les routes de la plupart des Etats du Brésil, à l'exception seulement de Amapa, Roraima, Amazonas et Acre.

Durant le trajet, nous visitons, au moins une fois par an, près de 7000 stations-service et autres établissements routiers. Chaque année nous exerçons notre activité pendant 220-250 jours. Sur la route, le nombre des stations-service qui acceptent la Messe Routière dans leur cour, dépasse actuellement les 1400.

Notre Dame de la Route

Nous avons choisi la Vierge Marie comme Patronne de notre travail pastoral, sous le titre de Notre Dame de la Route.

Le tableau original de Notre Dame de la Route se trouve dans l'église «del Gesù» à Rome, en Italie. Il a été réalisé par un artiste inconnu, il y a peut-être 800 ans.

Depuis 1976, nous distribuons, toujours à la fin de la Messe Routière, des images de Notre Dame de la Route, sous forme de décalcomanies, de posters et de timbres autocollants. Jusqu'à présent, nous en avons remis plus de 300.000 mille exemplaires aux gens.

La Pastorale de la Route serait-elle viable dans d'autres pays?

Il n'y a pas de doute là dessus! En ce qui nous concerne, nous aimerions que la Pastorale de la Route surgisse d'abord au Paraguay, en Uruguay, en Argentine et au Chili. C'est pour cette raison que, déjà au Brésil, nous accueillons beaucoup de camionneurs parlant l'espagnol; nous savons aussi que des milliers de camionneurs brésiliens parcourent les routes des pays voisins. L'important serait que tous les camionneurs d'Amérique latine, au moins ceux du Sud, ressentent la présence amicale et réconfortante de l'Eglise dans leur vie, leur profession et leurs voyages.

En d'autres continents et en d'autres pays, je pense que la Pastorale de la Route serait viable aussi, en s'adaptant naturellement aux caractéristiques propres à chacun d'eux. Pour moi, la «Pastoral de la Ruta» qui existe en Espagne a toujours été d'une bonne inspiration et parfaitement organisée, bien qu'elle soit dans son fonctionnement différente de notre système.

Qui sait si nos 22 ans d'expérience ne pourraient être utiles, même dans d'autres situations pastorales. Par exemple: chaque fois que je visite Paris et me déplace en métro, je pense, en voyant les foules pressées, étranges, presque déshumanisées, que le travail missionnaire par excellence pourrait se traduire par la présence d'un prêtre saluant amicalement, fraternellement les passants, distribuant des dépliants avec messages évangéliques, et disposé à écouter tous ceux qui le souhaiteraient. Cela, cependant, exigerait une forte dose d'humilité, de patience et d'espérance.

(Traduction: Jules Vilbas, C.M.)