Relations avec les Evêques

Relations avec les Evêques

Par Francisco Sampedro, C.M.

Visiteur du Chili

Introduction

Ce thème est certainement complexe. A partir du Concile Vatican Il on a considéré l'Eglise dans une perspective nouvelle. Il y a eu aussi des innovations culturelles. Tout cela a amené des situations et des problèmes différents dans nos relations avec les évêques.

Les réalités sont sans doute très diverses et il faut supposer qu'il y aura des situations variées. Pour notre part, nous avons vu de grandes différences dans les relations avec quelques évêques de Rome, du Conseil Épiscopal Latino-américain (CELAM), de quelques Conférences Episcopales avec lesquelles nous sommes en rapport et en collaboration, et avec ceux des diocèses. Les évêques sont toujours des évêques qui appartiennent à un groupe spécial. De toute façon, il peut y avoir des expériences différentes.

En beaucoup d'endroits, la place qu'occupent les religieux, les Instituts séculiers ou les Sociétés de Vie Apostolique, et leur apport quantitatif et qualitatif ont aussi une influence sur ces relations. Pensons que dans certains diocèses d'Afrique ou d'Amérique Latine, plus de la moitié du clergé n'est pas diocésain; leur façon d'être et d'agir sont aussi différentes. En d'autres endroits le clergé séculier est plus consistant et les évêques sont plus proches de leurs prêtres; ce qui bien des fois exige l'humilité.

Le Concile Vatican Il établit une série de principes normatifs au sujet des relations avec les évêques diocésains dans l'exercice de l'apostolat des autres activités. Ensuite lesdits principes furent développés par le Motu proprio "Ecclesiae Sanctae" et le guide "Mutuae relationes" de 1978.

Il y a eu en outre des réunions et des assemblées où l'on s'est demandé:

a)qu'attendent de nous les évêques?;

b)et nous, qu' attendons-nous d'eux?;

c)quels moyens peuvent être utilisés pour obtenir une collaboration féconde de part et d'autre, au niveau diocésain et au niveau national et international?

Tenant en considération la réponse à ces questions, on a élaboré le document "Mutuae Relationes"; il est important pour le thème dont nous allons traiter. On y tient compte des documents antérieurs et on les cite; on y reprend les principes rénovateurs émanant du Concile Vatican Il, et l'on fait de nouvelles réflexions.

Dernièrement il y a eu des réflexions importantes au Synode des Evêques sur "la vie consacrée et sa mission dans l'Eglise et dans le monde", qui s'est tenu à Rome du 2 au 29 Octobre 1994.

Tenant compte de tout ce qui s'y est dit, nous allons faire notre réflexion. Nous croyons à l'importance des fondements doctrinaux, des critères avec lesquels on agit et de la pratique missionnaire qui est propre à notre charisme.

I.Eléments doctrinaux

1. Fidélité au Plan de Dieu

Selon saint Vincent de Paul, la Congrégation de la Mission existe par volonté de Dieu. Si elle ne répondait pas au désir de Dieu, elle devrait disparaître.

C'est la divine Providence qui amena finalement saint Vincent, à travers les événements de sa vie, à s'adonner au salut des nécessiteux. C'est dans cette perspective que se situe l'origine de sa propre vocation et de la vocation de la C.M.

Notre naissance ressemble à celle du Peuple nouveau qui, vivifié par l'Esprit, se rassemble dans le Christ pour "avoir accès auprès du Père" (Cf. Eph. 2,18). Les individus qui composent ce Peuple sont appelés d'entre toutes les nations pour former entre eux une unité profonde (L.G. 9). C'est seulement dans cette perspective transcendante que les relations mutuelles entre les divers membres de l'Eglise peuvent arriver à une interprétation exacte... (Mutuae Relationes, 1).

La vision du Christ, envoyé par le Père pour évangéliser les pauvres, est passée au centre de la vie et du travail apostolique de notre fondateur. Mais c'est le Christ qui nous mène à l'unité et à la communion profonde comme Peuple. Son Esprit-Saint vivifie et crée une cohésion organique pour l'orner de meilleurs fruits (L.G. 4) et pour donner à la mission vigueur et force.

Notre relation et notre communion avec les évêques doit avoir comme première source et comme modèle la vie même de Dieu au sein de la Trinité. Dans la Trinité, nous avons l'égalité et la diversité des Personnes; il existe entre elles diverses relations; chacune a sa façon de coopérer à l'histoire du Salut: le Père en envoyant le Fils, celui-ci en s'incarnant, en mourant et en ressuscitant, et l'Esprit-Saint en nous sanctifiant et en nous vivifiant.

Nous sommes appelés à avoir des relations avec nos évêques, à partir des différentes circonstances, non d'uniformité mais d'unité dans la diversité. Chacun a sa place dans le Plan de Dieu.

Dieu a fait surgir la Congrégation à une époque où l'Eglise éprouvait des difficultés et se trouvait désorientée pour répondre à d'urgentes nécessités (1) en imitant le Christ (RC 1,1 ). Cette nouveauté (2) voulue par Dieu est quelque chose que nous devons conserver, c'est un apport de notre charisme à l'Eglise, qui est survenu selon le 'dessein de Dieu.

2. Dans la Communion de l'Eglise

Nous sommes tous membres de l'Eglise, Corps du Christ, Peuple de Dieu. Et "tous les membres de l'Eglise, pasteurs, laïcs et religieux, participent selon leur mode propre, à la nature sacramentelle de l'Eglise: de même, chacun d'eux, selon sa mission, doit être signe et instrument de l'union avec Dieu et du Salut du monde" (Mutuae Relationes, 4). Et tous nous devons nous acquitter du double aspect de notre vocation: a) à la sainteté (L.G. 39) et b) à l'apostolat (A.G.1,2,3,4,5).

En premier lieu, l'Eglise est communion à partir de la Trinité. Comme l'écrit St Paul, "elle est un peuple qui tire son unité de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit-Saint" (L.G. 4; P.L. 4, 553). Mais, comme nous dit la première Conférence Générale de l'Episcopat Latino-américain, il est nécessaire aussi de participer au bien de l'ensemble, dans le sens d'y contribuer selon nos possibilités (Puebla, 211-219). De ce point de vue, ainsi qu'entre les Personnes de la Trinité il ne peut y avoir de subordination, il en est de même dans l'Eglise. Dans nos relations avec les Evêques, il est important, croyons-le, que notre communion ecclésiale avec eux tienne compte de la communion ecclésiale qui émane de la Trinité, s'en inspire et y tende.

La communion hiérarchique est importante pour la continuité historique et visible avec les apôtres, et à travers eux avec le Jésus historique (succession apostolique). Mais importante aussi est la communion avec le Peuple de Dieu et, spécialement pour nous, avec les pauvres. Et toute communion ne peut perdre de vue le plus grand bien qu'est la communion avec Dieu. Dans la dynamique de l'Esprit, Jésus veut toujours nous montrer le chemin vers le Père.

Nos relations avec les Evêques ne peuvent faire abstraction de ce que le P. Chenu, théologien, appelle la véritable “architecture de l'Eglise". Dans cette structure, la place des pauvres doit être importante (3); c'est eux précisément qu'il faut servir en suivant Jésus. Dans cette architecture le prêtre acquiert une tâche spéciale, que saint Vincent -avec une certaine audace- a exprimée ainsi:

"Les prêtres de ce temps ont un grand sujet de craindre les jugements de Dieu ... et il leur imputera la cause des châtiments qu'il envoie, d'autant qu'ils ne s'opposent pas comme il faut aux fléaux qui affligent l'Eglise tels que sont la peste, la guerre, la famine et les hérésies" (4).

Comme disciples de saint Vincent, nous sommes appelés à être des missionnaires qui travaillent pour libérer spirituellement et matériellement les nécessiteux. C'est une chose qu'on ne peut délaisser. Les laïcs s'unissent à cette même tâche par l'exigence de leur baptême; saint Vincent les a orientés dans ce service de façon magistrale (5).

Nous devons toujours nous rappeler que "la communion organique de l'Eglise, sous son aspect spirituel comme sous son aspect hiérarchique, tire son origine et sa force à la fois du Christ et de son Esprit" (Mutuae Relationes, 5). Le Christ est la Tête, et l'Esprit promis par le Père est comme l'âme du Corps de l'Eglise (L.G. 5 et 7).

Les Evêques, en communion hiérarchique avec le Pontife Romain et entourés de leurs prêtres, reflètent la présence de Jésus et tiennent la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Prêtre: ils agissent en son nom" (L.G. 21 ; P.O. 1 ; C. D., 2 ) et en vertu de son pouvoir de Christ-Chef (P.O. 2).

Ils exercent à l'unisson, pour la communauté des fidèles, la triple charge d'enseigner, de sanctifier et de gouverner ( C. D. 12-22; P.O. 4-6).

Il existe une communion (6) en sens "descendant" et en sens “ascendant”. Nous pensons que cette optique doit être présente dans nos relations.

3. A partir de notre propre charisme

Nous avons déjà dit que l'âme du Corps de l'Eglise c'est l'Esprit Saint. Aucun membre du Peuple de Dieu, quel que soit son ministère, ne résume en sa personne, dans leur totalité, les dons, les offices et les tâches; il doit entrer en communion avec les autres. Dans le Peuple de Dieu, les différences de dons ou de fonctions convergent entre elles et se complètent réciproquement par l'unique communion et une unique mission (Mutuae Relationes, 9).

Nous autres aussi, nous sommes un don spécial fait à l'Eglise (L.G. 13), De ce point de vue, nous devons offrir notre collaboration, fournir la quote-part de notre vocation (P.C. I; 2). Notre charisme se révèle comme “une expérience de l'Esprit" (E.N. 11) qui doit être vécue, approfondie et développée à l'intérieur d'une Eglise qui est en train de changer et de croître. Notre caractère propre exige que nous agissions selon un style d'apostolat auquel nous ne devons pas renoncer si nous voulons garder notre identité et ne pas suivre des chemins d'ambiguïté. Ce qui nous revient, c'est de remettre aux Evêques notre authentique nouveauté, en partant de la fidélité au Seigneur et de la soumission à l'Esprit. Dans cette perspective, nous devons savoir interpréter les signes des temps et répondre aux besoins nouveaux.

Nos supérieurs doivent exercer leur fonction de serviteur et de guide dans le sens de notre caractère propre. Leur autorité provient aussi de l'Esprit du Seigneur en liaison avec la hiérarchie. C'est en union avec le magistère qu'ils doivent remplir leurs fonctions de maîtres qui enseignent, de prêtres qui sanctifient, de pasteurs qui gouvernent, du dedans, la Congrégation. Il ne s'agit pas d'une indépendance absolue, mais d'une autonomie authentique, à l'intérieur de notre propre identité (Cf. C. D. 35, 3 et 4). Et pour l'enrichissement de l'Eglise. Nous naissons dans l'Eglise et, à partir de notre propre charisme, nous sommes pour elle, selon les exigences de notre temps (Cf. P.C., 2 d; 14; 18).

"Le charisme de Vincent de Paul -il faut toujours en tenir compte- est le don personnel qui lui a été accordé par l'Esprit-Saint pour le bien de l'Eglise: ce don était une manière particulière de découvrir et de suivre le Christ tout en prolongeant sa mission d'Evangélisateur des pauvres" (7).

Aujourd'hui aussi c'est à nous de suivre le Christ Evangélisateur et serviteur des pauvres; comme saint Vincent, nous devons nous livrer à Dieu et servir les pauvres matériellement et spirituellement. Le secret pour bien le faire, c'est d'être revêtus des vertus apostoliques: "la simplicité, l'humilité, la douceur, la mortification et le zèle des âmes" (R.C. II, 14; Const.7).La vie fraternelle aide à vivre la même vocation en vue de la même mission. Les Conseils évangéliques de chasteté, pauvreté, obéissance et stabilité sont des moyens adéquats pour nous livrer à Dieu et être disponible à son service. Un vrai service d'Eglise et une relation avec les évêques doivent se réaliser à partir de ce qui est au coeur de notre charisme.

4. Pour la Mission

La mission revêt une importance spéciale pour la Congrégation de la Mission. Mais nous devons prendre en considération que "la mission du Peuple de Dieu est unique et constitue, en quelque sorte, le coeur de tout le mystère ecclésial ... Et, par sa nature même, la mission de l'Eglise n'est autre que la propre mission du Christ, continuée dans l'histoire du monde” (Mutuae Relationes, 15).

Cependant, la mission se développe dans des conditions culturelles différentes. Il est important aussi de considérer à qui elle s'adresse: par nous, c'est aux pauvres que nous sommes envoyés (A.G., 6). Cela influe certainement sur nos relations avec les évêques, qui doivent respecter notre mission spécifique.

L'équilibre entre les valeurs d'ensemble et les valeurs singulières sera important. Il demandera du discernement. Pour l'unité véritable et le service spécifique, il faut la variété. Elle ne s'oppose pas à l'unité. Selon le Concile Vatican Il, l'unité "précède et fonde toute distinction charismatique et ministérielle" (8).

Dans l'accomplissement de la mission, il faut aussi assurer la coordination avec le Saint-Siège, les Conférences Episcopales et les Diocèses (C. D.,11; 38). C'est ainsi que la mission sera plus effective. Dans cette coordination, le dialogue et le commun accord pour discerner la volonté de Dieu sont importantes.

La méconnaissance de notre charisme et de notre mission peut susciter des problèmes. La connaissance mutuelle et le dialogue sincère seront toujours profitables.

Pour notre part, nous devons regarder notre Fondateur qui fut un homme d'Eglise, soucieux des besoins urgents da son temps. Il s'est engagé avec Jésus-Christ et sa cause; il a agi comme un fils de l'Eglise. Il s'est mis comme il faut en rapport avec les évêques, pour pouvoir accomplir de son mieux sa mission à l'égard des pauvres. Il a senti et réagi en communion avec l'Eglise.

II. Quelques principes

Les principes qui doivent régler nos rapports avec les évêques se trouvent implicitement dans les fondements doctrinaux exposés plus haut ou surgissent d'eux. Nous en explicitons maintenant quelques-uns.

1. Principe de subordination.

Malgré ce qui vient d'être dit, il y a des activités concrètes qui sont soumises à la juridiction des évêques dans chaque diocèse. Dans le c. 768 on parle des activités relatives au soin des âmes, à l'exercice du culte public et aux oeuvres d'apostolat. D'autres activités comme la prédication, l'éducation religieuse, l'instruction catéchétique et la formation liturgique des fidèles, sont réglées par le Code de Droit Canonique, au Livre III principalement.

Nous pensons qu'il est important de bien saisir cet aspect. La soumission et le respect du pouvoir des évêques ne doit pas nous faire oublier que nous sommes soumis aussi à l'autorité de la Congrégation (cf. C. D. 35,2; 30,40

Pour saint Vincent cette subordination part de l'exemple de Notre Seigneur Jésus-Christ. C'est à partir de là qu'il nous dit: "... principalement à notre Saint-Père le Pape, nous obéirons avec tout le respect, la fidélité et la sincérité possibles. Nous rendrons aussi humblement et fidèlement obéissance, selon notre Institut, à Nosseigneurs les illustrissimes et Révérendissimes Evêques, dans les diocèses desquels nous sommes établis.” (R.C. V, l).

L'idéal est d'arriver à un commun accord entre évêques et supérieurs. Il est important que ces conventions soient écrites et bien définies. (c. 681, 2° et c. 682).

2. Principe de collaboration

Nous sommes appelés à coopérer avec les évêques, mais nous devons aussi collaborer avec d'autres Instituts et avec le clergé séculier (c. 660 cf. C. D., 35, 5" ) .

Il est important de toujours se rappeler que "la Congrégation de la Mission est une société cléricale de vie apostolique et de droit pontifical" (Const. 3,1'). Cela détermine nos relations. Nous jouissons d'une “autonomie propre concédée tant par la loi universelle que du fait du privilège de l'exemption". Malgré cela, nos Constitutions nous disent: "La Congrégation de la Mission, selon la tradition léguée per saint Vincent, exerce son apostolat en étroite collaboration avec les évêques et le clergé diocésain." (Const. 3, 2)

Il faut intégrer dans cette collaboration les autres aspects et ne pas oublier que nous y sommes en qualité de serviteurs et en fonction du bien commun (cf. Const. 96). Ce sont les Provinces qui doivent juger des formes d'apostolat qu'elles doivent assumer, en étant fidèles à l'esprit et à l'exemple de saint Vincent (cf. Const. 13).

Dans les relations mutuelles il ne faut pas opposer entre elles les deux réalités: l'une charismatique, l'autre institutionnelle; "les deux éléments, dons spirituels et structures ecclésiales, forment une réalité unique, bien que complexe." (Mutuae Relationes, 34; L.G., 8)

Evêques et supérieurs, en tant qu'autorités, doivent promouvoir la participation dans l'église particulière, conformément aux normes et dispositions ecclésiastiques en vigueur, que l'on doit connaître.

3. Principe de coordination

Dans la même ligne, la coordination, sous la direction de l'évêque diocésain, des oeuvres et des activités apostoliques doit se faire "restant saufs le caractère, le but de chaque institut et les lois de fondation" (c.680; cf. C. D. 35, 5°).

Suivant le dessein et l'esprit-de saint Vincent, notre relation avec les évêques doit être "selon le droit universel et le droit particulier de notre Institut" (Const.38,2'). L'Eglise elle-même souhaite que nous atteignions notre propre f in apostolique. C'est dans cette ligne que nous devons intégrer notre activité apostolique au sein de la pastorale de l'Eglise locale (cf. Const. 13).

Il faut confronter les multiples relations en se mettant d'accord sur leurs aspects particuliers. Au sujet de la formation, on nous demande: “En conséquence, que les évêques et les supérieurs, selon leur rôle propre, mais en harmonie entre eux et d'un commun accord, donnent une véritable priorité aux responsabilités de formation" (Mutuae Relationes", cf.,V, 23). D'un commun accord ils doivent promouvoir aussi des points de vue sur la prière et la vocation. Il serait intéressant de réaliser en commun des initiatives dans le domaine des documents, de la formation et des rencontres. Il faut se préparer, dès les étapes de formation, à des relations mutuelles; la connaissance mutuelle aidera ensuite à coordonner ces relations, qui doivent s'étendre aussi au champ des communications sociales, aux problèmes des questions sociale, économique et politique et aux autres domaines.

Comme on l'a dit en préparant le synode des évêques, l'exercice du ministère de l'évêque "se développe selon les principes de l'unité de la foi et du gouvernement, de la division des tâches apostoliques et des offices, de l'aide réciproque sincère et de la complémentarité" (Instrumentum Laboris, 75).

III. Orientation de la pratique

Nous sommes tous membres d'un même Corps et nous devons remplir la mission qui nous correspond dans l'Eglise. Celle-ci vit par l'Esprit et elle est établie sur le fondement de Pierre, des Apôtres et de leurs successeurs.

D'autre part l'Eglise est un mystère, le Peuple de Dieu en marche. Dans cette perspective globale nous avons des exigences qui se présentent à nous, des obligations et responsabilités sur le plan opérationnel et des coordinations adéquates.

En partant de ce qui a été dit, nous voulons maintenant faire allusion à quelques aspects de la pratique. Ce que nous allons dire tient compte, non seulement des aspects doctrinaux et des principes, mais aussi reprend l'expérience que nous avons eue dans nos relations avec les évêques à différents niveaux. Ces relations, nous le pensons, doivent spécialement prendre en considération les aspects suivants:

1.Nous ne pouvons pas donner une réponse, pour aujourd'hui seulement, aux nécessités immédiates, en oubliant la référence spécifique au charisme. Le charisme, l'esprit et le but sont des éléments permanents. Leur inculturation et leur rajeunissement peuvent être nouveaux. Avec les évêques, nous devons répondre aux conditions culturelles d'aujourd'hui qui sont en train d'évoluer avec force, mais sans oublier le caractère permanent de notre être.

2.Nous devons nous sentir vraiment membres de l'Eglise, de la famille diocésaine ( C. D., 34) à partir de notre charisme et de notre mission spécifique. C'est à partir de celle-ci qu'il nous faut travailler en collaboration avec les évêques.

3.En conséquence de ce qui a été dit, ce n'est pas à nous de subvenir à tous les besoins des évêques, de combler tous les vides; mais il nous revient de servir les évêques selon nos possibilités, dans le sens du but de la Congrégation de la Mission (Const. l).

4.De par notre charisme, nous avons une responsabilité spéciale à donner de l'importance à tout ce qui favorise la confiance réciproque, la solidarité apostolique et la concorde fraternelle entre le clergé diocésain, les communautés religieuses et les évêques (cf. Ecclesiae Sanctae, 1, 28). Nous pensons que cet élément est dans la ligne désirée par saint Vincent, qu'il porte à affermir le sens de l'Eglise particulière et qui c'est aujourd'hui un service et une coopération nécessaires.

5.Bien des fois les évêques nous demandent de nous charger de paroisses pour lesquelles ils n'ont pas de prêtres diocésains; nous savons déjà que ce ne fut pas un des apostolats les plus appréciés par saint Vincent Nous prenons aujourd'hui des paroisses ou des secteurs missionnaires ou ayant une perspective missionnaire. Notre opinion est que cela ne devrait pas être le travail et la collaboration prédominants. Le travail plus direct des missions doit primer sur la paroisse.

6.Bien que les situations et les besoins soient très différents selon les lieux, nous pensons que nous avons beaucoup à faire dans le domaine de la formation et du soin du clergé, dans sa forme classique et, plus encore, sous des modalités nouvelles. Il y a d'immenses besoins de formation et d'accompagnement spirituel. Cela peut même s'étendre aux laïcs. La relation avec les évêques et leur renouvellement, joint à la réforme du clergé, fut quelque chose d'important pour saint Vincent (9).En quelques endroits cette nécessité reste présente.

7.Dans les pays de mission spécialement, il existe des pauvretés face auxquelles il importe beaucoup de collaborer avec les évêques. Il n'y a pas de gens préparés pour ces travaux qui sont importants et qui peuvent être de nouvelles formes de mission directe ou indirecte. Dans chaque cas il faudra faire un discernement.

8.Il y a aussi de nouveaux apostolats de mission. Tel est le cas de la doctrine sociale de l'Eglise, des Moyens de Communication Sociale, du Dialogue interreligieux et oecuménique, de l'étude des sectes. Ces travaux, et d'autres encore, peuvent constituer de nouvelles formes de mission.

9.S'il est un champ privilégié de collaboration, c'est la pastorale des vocations (cf. P.0. 11; P.C. 24; O.T. 2). Cela est très lié à la mission. Par le fait même, nous devons favoriser les vocations locales et les nôtres en orientant dans la liberté la vocation des jeunes. C'est ainsi que l'on garantit la pluralité, l'enrichissement et l'édification de l'Eglise.

10.Les évêques et les supérieurs peuvent, en dialogue, discerner et chercher de nouveaux champs d'apostolat qui soient dans la ligne de leur charisme propre. Il sera important aussi de renouveler ceux qui existent. Comme le dit saint Paul, il faut "tout examiner et retenir ce qui est bon" (1 Thes. 5,12; 19,21; L.G. 30). A ce sujet, on estime très importante l'évaluation assidue et l'humilité nécessaire pour corriger, suspendre ou redresser ce qui a été entrepris (cf. E.N., 58). Pour bien réaliser ces tâches, il est très utile qu'une confiance réciproque existe entre les évêques et les supérieurs.

11 En tout type de relations, on sait l'importance d'avoir des attitudes de bienveillance, d'éviter les conflits et les rivalités, de surmonter les ambiguïtés, pour n'avoir pas à se justifier et rester fermes en ce qui touche notre identité et nos engagements.

12.Comme le propose le Synode des Evêques, toute pratique doit prendre en considération "la communion organique de l'Eglise, caractérisée par la présence commune, la diversité et la complémentarité des vocations et par les conditions de vie propres aux ministères, aux charismes et aux responsabilités"(Lineamenta, 34).

Nous devons être disponibles, mais la disponibilité doit être comprise "en conformité avec le charisme propre, avec la fin distinctive et la juste autonomie de vie et de gouvernement, pour s'insérer dans les nécessités pastorales de l'Eglise particulière, dans un esprit de sincère collaboration avec le clergé local et les laïcs" (Instrumentum Laboris, 74). C'est ainsi que nous pourrons vivre en conformité avec notre fin.

Pour conclure

En terminant, nous voulons affirmer que le thème traité est vaste et qu'il comporte différents niveaux de relations: le diocésain, le national et l'universel. Il inclut aussi bien des nuances particulières; ainsi les relations avec les évêques sont différentes selon que l'oeuvre est privée, qu'elle appartient aux évêques ou qu'elle est mixte. Nous n'avons pas voulu entrer dans les détails, mais faire ressortir l'orientation principale et l'esprit de nos relations avec les évêques.

Sans enlever à la dimension juridique son importance en de telles relations, nous pensons que les aspects moraux, spirituels et pastoraux ont plus de poids. Dieu veuille que notre apport soit dans cette ligne! Etre une force morale, spirituelle et pastorale parce que nous sommes, ce que nous faisons, et par la manière de le faire est plus important, croyons-nous, que de nous défendre avec des normes.

Dans le dernier Synode, on a aussi fait allusion au thème des relations avec les évêques. Dans le document préparatoire "Lineamenta" et dans 1'"Instrumentum Laboris", on voit déjà que les évêques se plaignent de la mobilité excessive des membres de la Vie consacrée et des Sociétés de Vie Apostolique, insérés dans leur diocèse. Ceux-ci, d'autre part, craignent l'excessive stabilité que leur imposent les institutions diocésaines et le danger de perdre leur propre identité.

Il est certain que le problème signalé existe, ainsi que d'autres difficultés. Quelques-uns pensent que ces difficultés résident principalement dans la manière dont nous nous insérons dans les projets pastoraux de l'Eglise, à partir de notre identité, et dans la façon dont les évêques respectent ce que nous pouvons apporter en partant de notre vocation et de notre mission.

Dans la réalité, nous rencontrons aussi des questions ou problèmes particuliers qui trouvent leur origine dans le manière d'être de l'évêque, du Visiteur et des confrères qui collaborent. A cela, il faut simplement donner des solutions pratiques et réalistes pour que se développent, de la meilleure façon possible, les relations juridiques, humaines et ministérielles.

Les occasions ne manquent pas non plus où les engagements et les contrats ne sont pas respectés fidèlement de la part de quelques évêques, et il faut déployer des efforts extraordinaires pour les relations mutuelles. Cependant il ne faut pas voir l'ensemble du panorama dans sa forme négative.

Il existe, certainement, à des degrés divers, un dialogue et des collaborations très positives. Il faut faire croître la relation pour que les fruits augmentent aussi. Le développement des bonnes relations et la conviction de leur importance, la mise en valeur de la coopération dans le sens qui vient d'être expliqué, la confiance réciproque, le respect des compétences, l'esprit de cohérence et de fraternité sont le chemin à suivre pour être ensemble Eglise-Sacrement de Salut dans le monde et la culture d'aujourd'hui.

Voilà ce qu'il nous revient d'apporter. Le dialogue reste ouvert, ainsi que la possibilité d'apporter des compléments et un enrichissement.

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NOTES

(1)Cf. ALVAREZ J., La vida religiosa como respuesta a las nececidades de la Iglesia y del mundo, dans "Vida Religiosa", 50 (1983), 152.

(2)Cf. METZ, J.B.,"Las ordenes Religiosas", Barcelone, 1988, p.12.

(3)Cf. VV.AA. Vida y reflexion, CEP, Lima, p.16.

(4) Coste V, 568.

(5)Cf. Corera J., El signo de los tiempos. Contribución a una teologia vincenciana de la liberación, Madrid, pp.90- 93.

(6)Cf. CODINA V., Ecclesialidad de la Vida religiosa, dans VV.AA., “Retos de la vida religiosa hacia le año 2000", Bogota, 1994, p.257.

(7)QUINTANO F., Le charisme à inculturer, dans l'Echos de la Compagnie'', n 12 (1995 ), p. 401

(8)FORTE B., Laicito e laicità, Torino 1987, p.20.

(9)Cf. GONZALEZ J.J., La Iglesia, dans "Diccionario de Espiritualidad Vicentina", Salamanca, 1995, P.301.