Réflexion initiale

Quel type de mission ?

Luis María Martínez San Juan, C.M.

Province de Saragosse

Présupposés

Le titre nous suggère le contenu de cet exposé. Effectivement, autant en raison des principes et de la théologie qui la soutiennent qu'en raison des dispositions concrètes de ceux qui en bénéficient, cette tâche d'évangélisation extraordinaire, que nous appelons du mot classique de “mission", peut revêtir diverses modalités. Le langage même que nous employons nous l'indique. On parle de prêcher des missions, de travailler aux missions, ou simplement de missionner.

Nous nous sommes réunis ces jours-ci parce que nous voulons chercher et trouver notre "place" dans nos églises et dans nos villages. Selon mon expérience, j'ai remarqué quelques présupposés qui, si on les accepte vraiment, vont donner ce fruit désiré. Quels sont-ils?

1.Le premier, qui est fondamental, consiste à évangéliser "à partir" de la communauté et "pour" elle. La communauté est et doit être celle qui évangélise (c'est elle la missionnaire). Nous autres, nous lui offrons quelques appuis. Nous ne sommes pas la fin, mais l'instrument, le moyen.

Saint Vincent en était convaincu et, pour que nous ne nous croyions pas trop importants, il en arrive à nous appeler "portefaix" au service des grands ouvriers ... Et, bien qu'aujourd'hui le cadre théologico-pastoral ait changé et ne puisse plus s'appliquer au pied de la lettre, il n'est pas abusif de rappeler une autre remarque de saint Vincent. Il nous conseille "de porter un grand honneur et respect à messieurs les curés et vicaires des lieux où nous irons; de n'entreprendre rien contre leur gré, ni même sans leur en avoir communiqué, principalement aux choses grandes". (XI, 103; XI, 30)

2. Le second présupposé est que nous devons estimer la réalité à sa juste valeur et partir d'elle. Un système, si bon soit-il, ne mérite pas d'être appliqué indistinctement aux différents lieux. Saint Vincent disait que le missionnaire doit s'accommoder "aux dispositions des personnages, aux lieux et aux temps" (I, 228).

3. Enfin, bien sûr, quelques lignes d'action et des buts clairs sont nécessaires. Pour vous aider à les fixer, je vais parler d'un nouveau “modèle” de mission.

Observations:

Le modèle que je vais exposer est rodé et s'adapte bien à des communautés en situation de "chrétienté". Cependant, il peut être positif et utile pour tous de le connaître pour pouvoir l'appliquer dans la mesure du possible.

Le temps dont je dispose ne me permet pas de développer toutes les étapes qui, par ailleurs, ont des raisons profondes, un sens, une logique... Néanmoins, il existe des documents où ce processus est expliqué et développé.

Et si je ne puis m'attarder trop sur quelques aspects qui pourraient être intéressants, il reste toujours la possibilité de dialoguer en quelqu'autre moment, pour ceux qui en sentent l'intérêt.

I. Temps de préparation

l.Dialogue préalable

Nous commençons normalement le processus d'une mission avec un premier dialogue entre les responsables pastoraux du lieu ou de la zone où l'on désire faire la mission (équipe de doyenné, curés...) et l'un des membres de l'équipe missionnaire.

Dans ce premier 'dialogue', il y a une série de points intéressants à traiter. Les principaux peuvent être:

a. Échanger des idées sur le thème de la mission. Mettre en commun nos préoccupations:

* Pourquoi et pour quoi demande-t-on la mission? Qu'en attendent-ils?

* Que pouvons-nous leur offrir et comment la comprenons-nous nous-mêmes?

b. Arriver à un accord sur des propositions ecclésiales de base. Il est important de discerner les concordances et les différences sur le terrain théologico-pastoral.

c. Voir les possibilités réelles d'un projet fait ensemble.

2.Présentation

C'est une première rencontre avec la paroisse où l'on va donner la mission. Nous y présentons un programme clair, bien qu'élémentaire, de ce que sera le processus de la mission.

Il convient qu'il soit clair à leurs yeux que ce processus de la mission que nous présentons (et logiquement aussi celle de la préparation), est à adapter aux circonstances concrètes du lieu où se fait la mission, aux conditions des personnes (curés et laïcs) qui vont se charger d'en mener le déroulement.

3.Évangéliser à partir de la réalité

Notre mission veut être une "évangélisation qui part de la réalité". Dieu, nous le savons, est le Dieu de la vie et il n'est pas étranger à la souffrance de l'homme: "J'ai vu l'oppression de mon peuple ... J'ai entendu ses plaintes ... je connais ses souffrances" (Ex. 3, 7). Avec ces paroles, Dieu commence l'Histoire du Salut.

La volonté de répondre à cet appel de Dieu et de l'homme nécessiteux est d'après saint Vincent, le signe distinctif de la mission: "Aussi chacun pense dans le monde que cette Compagnie est de Dieu, parce qu'on voit qu'elle accourt aux besoins plus pressants des plus délaissés" (SV XII, 90; XI, 396). C'est pourquoi, si nous voulons être fidèles à saint Vincent, il est indispensable de faire un projet de mission en partant de l'analyse de la réalité. L'important n'est pas "notre projet". L'important c'est le plan de Dieu que nous découvrons en scrutant l'action de l'Esprit à travers les signes des temps.

Si nous ne le faisons pas, notre mission sera "endoctrinement”, conquête ... Dieu nous demande l'inculturation de la foi, comme on le rappelle dans la théologie actuelle. Et pour cela, il nous faut être conscients de la réalité.

Par conséquent, cet effort pour évangéliser "à partir de la réalité" nous porte à reconnaître que la semence de l'évangile produit ses fruits dans l'histoire concrète des hommes: "Le Règne de Dieu est arrivé jusqu'à vous" (Luc 11, 20). Il faut découvrir les réalités positives. Il y a des faits ("signes du Royaume") qui le manifestent.

Elle est contraire à notre esprit vincentien l'autosuffisance de celui qui croit que "évangéliser c'est seulement donner, et non recevoir". Une telle façon de poser le problème peut rendre notre tâche inacceptable. Mais, surtout, elle n'est en rien évangélique. Comme le rappelle l'exhortation Evangelii Nuntiandi, nous allons à la mission pour "évangéliser” et pour "'être évangélisés". Et vraiment, ce ne sont pas là des “paroles creuses".

Permettez-moi de rappeler deux étapes nécessaires dans ce contact avec la réalité:

a) Être attentif à la réalité

"Évangéliser à partir de la réalité" exige de nous une attention soutenue pour pouvoir répondre aux besoins concrets de la Communauté en mission et des hommes avec qui nous allons entrer en contact.

b) Pour essayer de transformer la réalité

Pour cela, il faut un "projet " pour l'avenir, réaliste, possible, qui compte sur tous tels qu'ils sont, et qui soit progressif (sans prétendre à des bonds impossibles). Mais ce doit être un projet transformateur. Il ne s'agit pas de dire "amen" à tout.

Pour ne pas m'étendre, je ne parlerai pas maintenant des "actions concrètes": mieux vaut les situer dans l'étude de la réalité, lors des diverses réunions avec la paroisse.

C'est qu'il convient de laisser au clair que tout le déroulement de l'étude de la réalité s'achève par un temps de discernement.

En recueillant les informations, il convient de faire un jugement critique (diagnostique) de la réalité elle-même. Pour ce travail de discernement, il faut préparer un climat où il soit facile d'écouter Dieu et le peuple. Prenons garde à les bâillonner!

Après cet effort de discernement, nous sommes en état de formuler les problèmes-clés de la population et de la communauté paroissiale; problèmes que nous allons aborder dans la Mission.

C'est avec l'étude de la réalité que la mission commence. La communauté paroissiale s'est mise en "état de Mission”.

4.Précision des objectifs

Après ce temps de connaissance de la réalité et tenant compte, d'une part, des "principes de la mission vincentienne" et, d'autre part, des appels et des défis que nous lance la "réalité concrète", quelques objectifs concrets sont formulés par rapport aux besoins réels et au niveau humain et religieux de la communauté.

5.Programme de la mission

Nous sommes alors en condition pour établir un programme spécifique qui, comme je l'ai dit, doit s'efforcer de donner des réponses réalistes et concrètes. "L'être humain en général" n'existe pas; ce sont des personnes concrètes qui existent, avec leurs préoccupations concrètes, leurs besoins concrets, leurs problèmes concrets.

II. Le temps fort de la mission

Après cela, bien que sous une forme un peu libre, je vais suivre le schéma du temps fort de la mission qui sera ce “projet de mission vincentienne" auquel je viens de me référer. Je signale que je me rapporterai aux piliers, aux principes, qui soutiennent l'édifice de la mission, parce que la forme concrète adoptée par la mission peut varier selon la réalité que nous trouvons.

Comment allons-nous travailler en mission? Eh bien, à la manière de Jésus. Pour cela, nous allons avancer pas à pas, en nous rappelant l'évangile et en observant en quoi va consister cette action évangélisatrice extraordinaire que nous appelons du mot classique de “mission".

l. Journées de rencontre: les Visites.

Quand Jésus parcourt nos chemins, il le fait à sa façon à lui. Vous rappelez-vous son dialogue avec la Samaritaine? (Jn 4 ). Comme vous le savez, le dialogue de Jésus avec cette femme, qui n'était pas du groupe des “fidèles", fut un dialogue plein de respect.

Jésus ne s'impose pas. Il entre avec simplicité dans le monde de la femme. Il "propose" "de bon cœur”, en tenant compte de la personne. C'est d'une façon semblable qu'il agit avec Zachée. Sauf que, dans le cas de Zachée, Jésus prend l'initiative et s'invite: Aujourd'hui je veux manger chez toi.

La mission va commencer ainsi. Nous allons consacrer quelques jours (une ou deux semaines), à rencontrer toutes les personnes du lieu en mission. Nous allons les saluer au nom de la paroisse (de la communauté catholique). Nous allons leur porter le programme de la mission, pour qu'ils l'aient de première main. Nous allons ainsi leur faire une invitation directe.

Si les personnes visitées veulent amorcer le dialogue, nous nous arrêterons. Sinon, nous les saluerons, nous leur remettrons le programme et nous continuerons...

Le tout, fait avec grand respect et en suivant le conseil de Jésus: En toute maison où vous entrerez, dites d'abord: la paix soit avec vous". C'est ce que nous voulons, c'est "être des messagers de vie et de paix".

En résumé, tous les milieux de la vie ordinaire d'une ville sont des lieux théologiques de rencontre: la maison, la rue, les marchés, les bars, les écoles, la salle d'attente chez le médecin ... Dieu passe et s'approche de chaque personne, de tous.

Il faut signaler ici qu'en ce premier moment du temps fort de la mission, nous en profitons aussi pour former des animateurs du lieu. C'est une tâche indispensable en toute mission qui établit les bases d'un temps fructueux de continuité. Ces animateurs, comme nous le verrons plus loin, collaborent dans la dernière étape de la mission.

2. L'annonce de la Parole qui nous sauve

Jésus se présenta ainsi, en disant: "Le temps est accompli et le royaume de Dieu est tout proche: repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle" (Mc 1,15).

A cette tâche aussi, comme Jésus, nous consacrons quelques jours. Nous cherchons:

- à apporter la joie de la Bonne Nouvelle de Dieu, dans un monde saturé de mauvaises nouvelles;

- à faire voir avec plus de force, dans un monde dur, où le mal abonde, que Dieu a commencé à régner et que, unis à lui, nous pouvons faire disparaître l'injustice, le mensonge, la malhonnêteté, la douleur, le mal ...

Nous cherchons à le faire en essayant de communiquer à tous une atmosphère de Bonne Nouvelle. Et non seulement à travers la prédication, qui est capitale durant une semaine, mais aussi à travers l'"annonce de personne à personne", que nous encourageons parmi tous.

Mais, comme je viens de le dire, l'annonce, nous la faisons principalement à travers la prédication. Prédication qui prend diverses formes et divers contenus selon les âges. Une rencontre est très différente selon qu'il s'agit d'anciens ou d'adultes, d'une réunion de jeunes ou d'enfants, ou d'un partage avec de jeunes foyers. Nous voulons que cette prédication soit proche et vivante! Et nous disposons pour cela de programmes différents.

Pour qu'il en soit ainsi, nous répartissons la population en autant de groupes d'âges ou de "types de personnes" qu'il nous paraît nécessaire pour arriver à toucher le cœur de chaque personne.

Dans la prédication, et de façon distincte selon les groupes, autant les sœurs que les laïcs collaborent (et même assurent la coordination).

C'est un temps d'appel à la conversion. Il s'agit pour tous d'un appel personnel à changer les dispositions du coeur qui ne nous aident pas. Parce qu'aujourd'hui, dans un monde d'opportunistes, les personnes de valeur sont plus nécessaires que jamais: des personnes au cœur propre, qui luttent pour la paix, qui ont souci de la justice..., des fils de Dieu. Le Pape, en outre, répète qu'on a besoin de personnes expertes en humanité.

Dans le temps que nous consacrons expressément à la prédication (une semaine normalement), nous proposons une série de célébrations telles que: l'annonce de la mission, la célébration pénitentielle, les célébrations pour enfants, la célébration mariale, celle du sacrement des malades et autres célébrations avec les anciens, l'assemblée du peuple de Dieu, le jour de la communauté familiale...

Mais, je tiens à signaler que, comme la célébration n'est pas un élément constitutif de la tradition vincentienne et comme nous nous heurtons au problème de la sacramentalisation excessive au détriment de 1'évangélisation, nous ne faisons les célébrations que si nous les jugeons nécessaires et si nous croyons qu'elles vont être utiles au peuple de Dieu et susciteront un mouvement de conversion à l'évangile. Dans le cas contraire, nous les laissons de côté.

Toutes ces tâches correspondent, comme je l'ai dit, au second moment du temps fort de la mission. Et elles durent normalement une semaine.

3. Les “Groupes de Rencontre”

Le troisième et dernier moment du temps fort de la mission, nous le consacrons à réunir la communauté en petits groupes. Groupes que nous appelons de “Rencontre”, parce qu'il s'agit de faire rencontrer les personnes les unes avec les autres, ou avec elles-mêmes, avec les racines de leur foi, avec Dieu ... Ce sont des réunions qui se font dans les maisons, entre voisins.

Écoutons Saint Paul: "Saluez Prisca et Aquilas (des gens mariés), mes collaborateurs dans l'œuvre du Christ Jésus: pour me sauver la vie, ils ont risqué leur tête; je ne suis pas seul à leur être reconnaissant, toutes les églises du monde païen le sont aussi. Saluez également la communauté qui se réunit chez eux" (Rom. 16,3-5).

Comme vous le savez, cette église primitive qui a commencé à agir au milieu d'un monde incroyant, se réunissait pour s'encourager les uns les autres et vivre unis, en petits groupes, dans la foi et la charité. Et ils faisaient cela de façon simple, dans les lieux habituels de la vie commune, dans les maisons ...

C'est quelque chose de semblable que nous nous habituons à faire durant "5 jours" pendant la mission. Au début, cela paraît compliqué et difficile. Mais, finalement, c'est ce qui réussit le mieux et qui à la fin plaît davantage. Parce que, en petit groupe, il est plus facile de personnaliser sa foi et de l'approfondir. C'est l'aspect le plus catéchétique de la mission. Saint Vincent, ne l'oublions pas, voulut une mission de style "catéchétique". Ces catéchèses en groupes de familles, comme nous le verrons plus loin, continuent normalement après le temps fort de la mission.

Dès le temps de préparation, nous motivons les personnes de la communauté paroissiale pour qu'elles s'offrent dans l'un des services suivants:

a. Mettre leur maison à notre disposition.

b. Animer un groupe de rencontre.

Nous essayons de leur faire voir que la tâche n'est pas difficile. Nous les assurons que nous, l'équipe des missionnaires, qui venons du dehors, nous les aiderons à se préparer et nous les "accompagnerons”.

Malgré tout, il n' est pas facile de former le groupe des "animateurs du lieu" jusqu'à ce que, durant la première partie du temps fort de la mission, nous les poussions à s'engager.

III. Le temps de la continuité

Vous avez pu observer comment la terminologie traditionnelle qui est en usage dans la C.M. a été légèrement transformée depuis Bogotà. Au lieu de parler d'avant mission, de mission et d'après-mission, nous avons parlé ici de préparation, de temps fort et de continuité.

Ce langage n'est pas dû à un caprice intellectuel. Il surgit d'une réflexion et d'une observation pastorales. Nous voulons éviter qu'à la fin de la mission on puisse dire: “maintenant, la mission est finie". Et non! La dynamique missionnaire ou évangélisatrice ne doit jamais être absente d'une communauté chrétienne. C'est pourquoi, à notre point de vue, la mission est un processus qui: 1) se prépare, 2) connaît un moment plus intense, le temps fort et 3) continue ensuite ...

Il y a une question importante: Quand commence la continuité? Selon la dynamique dont je viens de parler, c'est durant le temps fort de la mission. Néanmoins, il y a dans notre plan de travail un moment spécial pour jeter les bases de la continuité. C'est ce que nous appelons l'assemblée du peuple de Dieu.

Un jour avant la fin du temps fort de la mission, nous réunissons toute la communauté paroissiale et l'on donne aux divers groupes qui la composent la possibilité de s'exprimer. Cette assemblée du peuple de Dieu est une célébration de la foi en l'Esprit saint qui souffle où il veut.

Comme le disait un évêque italien, "les prêtres parlent trop et nous n'avons pas écouté le peuple". Dans l'assemblée, il s'agit, au contraire, que le peuple se fasse entendre. Mais, en tant que croyants, nous savons qu'à travers le peuple l'Esprit peut se manifester. En terminant l'assemblée, il est bon de pouvoir affirmer: "L'Esprit de Jésus et nous, nous vous déclarons". C'est un bon début pour arriver à quelques conclusions concernant la mission et à quelques engagements. Et c'est le meilleur début pour organiser la continuité.

Ceci dit, permettez-moi de rappeler, maintenant que nous sommes en famille, que les grandes institutions vincentiennes surgissent pour la mission.

Notre petite Compagnie est de la Mission et pour la mission; l'institution laïque que constituent les Dames de la Charité apparaît durant la mission et pour développer la charité après la mission; ce groupe spécial de laïques que forment les Filles de la Charité prend son sens dans le dessein de saint Vincent et sainte Louise d'accroître dans la durée le fruit de la mission sous son double aspect catéchétique et de service. Et les séminaires deviennent une réponse nécessaire que saint Vincent pressent dans son souci de la "continuité”.

Il faisait remarquer que le fruit des missions ne pouvait subsister sans de bons prêtres: "De travailler au salut des pauvres gens des champs, c'est là le capital de notre vocation, et tout le reste n'est qu'accessoire; car nous n'eussions jamais travaillé aux ordinations, aux séminaires des ecclésiastiques si nous n'eussions jugé que cela était nécessaire pour maintenir le peuple et conserver le fruit que font les missions quand il y a de bons ecclésiastiques, imitant en cela les grands conquérants qui laissent des garnisons dans les places qu'ils prennent, de peur de perdre ce qu'ils ont acquis avec tant de peine." (XI, 133; XI, 55)

Que faisons-nous en ce temps de continuité?

Des activités diverses que j'essaierai de réduire à six catégories:

1.Donner des informations; pour cela nous devons être préparés, être des guides accessibles afin que la communauté elle-même continue à réaliser son propre projet de continuité. Pour ce travail, il faut que nous prenions au sérieux 1'"étude" pour la mission et un certain niveau de spécialisation. Ce travail a une certaine parenté avec celui que réalisait saint Vincent vis-à-vis des prêtres: aider, orienter, conseiller ...

2.Continuer la formation des animateurs, chaque fois qu'ils nous le demandent, en ayant avec eux des rencontres ponctuelles de 2 ou 3 jours. De toutes façons, il est normal que nous revenions dans les communautés paroissiales où nous avons donné une mission. Mais toujours en comptant avec l'accord du curé. S'il n'en est pas ainsi, nous évitons de revenir.

3.Il est normal que les groupes continuent. Et comme régulièrement du matériel simple, à l'usage du peuple, fait défaut, nous continuons à fournir des documents adaptés aux groupes, qui varient selon leur état et leur âge.

Un secteur spécialement intéressant et important est celui des "jeunes foyers" qui ont des enfants (parfois aussi des conjoints) que 1'on charge d'"évangéliser". (Que la dynamique d'évangélisation continue à se développer!).

Nous ne faisons pas non plus ce travail en marge du curé. Mais, bien sûr, si le curé le demande, nous organisons avec lui un programme pour la continuité.

4.Activités avec les jeunes et les enfants, visant à remplir les vides que laisse la catéchèse paroissiale ordinaire.

5.Des travaux de révision et de planification, à la fin et au début d'une année.

6.Très timidement et quand on nous le permet, nous aidons à mettre en route des services socio-caritatifs. Ici, me semble-t-il, la famille vincentienne a un terrain vierge qu'elle devrait cultiver avec soin, en respectant l'autonomie des diocèses et en facilitant la "coordination" .

* De temps en temps , selon des modalités différentes, les curés nous appellent pour ranimer les communautés. Dans quelques Provinces C.M. d'Espagne, on a organisé ce service, extraordinaire aussi, que l'on appelle le retour de mission. Pour ce travail, on réclame les laïcs ou les sœurs de façon spéciale.

IV. Autres alternatives

Peut-être avez-vous observé que nous pourrions inscrire cet exposé dans la catégorie qu'on appelle, en pastorale catéchétique, "inductive" ou “ascendante" ou "anthropologique". Mais la sagesse pastorale nous fait penser qu'en quelques lieux et dans certaines circonstances, il vaut mieux suivre un schéma différent, de type "plus charismatique", "descendant". Ce second schéma, il n'y a pas de doute, peut-être plus positif en quelques milieux. Bien que nous voulions affirmer aussi que, d'après notre modeste expérience, il n'est pas viable en d'autres milieux.

Si nous faisons une annonce de type charismatique, je juge néanmoins indispensable que l'on prenne en compte les trois moments-clés dont j'ai parlé. C'est-à-dire, qu'on ne doit laisser de côté ni un temps réservé à la rencontre interpersonnelle, ni un temps de groupes ni un temps pour 1'annonce/prédication.

Comment organiser ces trois moments? Quel temps réserver à chacun d'eux? Je le répète, cela dépendra du temps dont nous disposons, de l'ambiance générale du village et de la situation humano-chrétienne où se trouvent les personnes à qui nous ferons la mission.

Dans quelques Provinces, par des raisons de type théologico-pastoral, on a décidé d'organiser la mission en commençant avec une semaine de groupes. C'est, en effet, une dynamique qui, commençant par la petite communauté, débouche dans la grande communauté. On les appelle "communautés de charité", "gruppi de ascolto" (groupes d'écoute) ou "assemblées familiales"... Elles viennent en premier, et la prédication suit ...

Bien ! Comme disent les mathématiques, 1'ordre des termes d'une addition ne change pas leur somme. Si nous voyons qu'il faut un schéma plus "kérygmatique", on pourrait changer autant le message à proclamer que l'ordre de chacun des moments que je viens de décrire. L'important est de donner au peuple l'aliment qu'il pourra mieux digérer et de le présenter de telle façon qu'il le réclame et qu'il lui parvienne.

En d'autres termes, nous devons éviter de trancher l'affaire de façon absolue ou, pire encore, d'être la règle absolue. Dans les missions, les seuls à détenir le pouvoir absolu sont Dieu, le Christ et son Évangile. Et sur un plan plus humain, l'Église et la personne humaine.

Disons, en conclusion, que dans 1'organisation d'une mission :

1.Il faut maintenir le principe vincentien de 1'adaptation. Nous devons garder 1'esprit "souple" pour nous adapter aux circonstances de lieu et de temps, ainsi qu'aux personnes.

2.Nous devons organiser la mission en conformité avec le principe qui est au centre de l'Histoire du Salut: la con-descendance, et avoir les sentiments mêmes de Jésus, lui qui n'a pas fait montre de sa condition, s'est vidé de lui-même, est descendu du Ciel et a passé pour un homme parmi d'autres (cf. Phil 2, 5 ss). C'est une manière de faire qui nous portera:

- à la rencontre et au dialogue avec les personnes (visite, proximité);

- à une prédication (annonce) simple et adaptée;

- à susciter des "rencontres interpersonnelles" en groupe;

- à écouter l'Esprit présent dans le peuple de Dieu.

(Traduction: Jules Vilbas, C.M.)