Quelle Eglise construire?

Quelle Église construire ?

Raymond Facelina, C.M.

Il était une fois... C'est une histoire vraie que je vous raconte. Elle se passe en Algérie. Nous sommes en 1965. C'est-à-dire trois ans après l'accession du pays à l'in-dépendance et à la fin du Concile Vatican II. Les deux événements sont importants et la date également pour l'Église en Algérie.

1965, c'est l'année où le premier Président de la première République algérienne est renversé, par un coup d'état éclaté sans aucune violence dans le pays. BOUME-DIENNE succède à BEN BELLA. L'Algérie opte pour le socialisme comme doctrine et modèle politique.

1965, c'est la fin du Concile Vatican II. L'archevêque d'Alger, Mgr Etienne Duval vient d'être créé cardinal. Or, l'Église en Algérie qui compte quatre diocèses (Alger, Oran, Constantine, Laghouat) n'a pas 10.000 fidèles. Elle est minoritaire, internatio-nale, constituée d'une part d'éléments stables comme les anciens chrétiens restés après l'indépendance et surtout des prêtres, religieuses et religieuses, et d'autre part d'élé-ments mobiles et fluctuants au gré des accords de coopération internationale. Plus de 200 églises ou chapelles sans usage -faute de présence d'une communauté chrétienne- ont été restituées aux communes propriétaires ou affectées à des activités sociales quand elles étaient propriétés du diocèse. Voici donc une Église minoritaire, interna-tionale, disséminée à travers un pays majoritairement musulman et politiquement socialiste. Le flux migratoire de la coopération (technique) apporte à l'Algérie des techniciens français, russes, chinois, bulgares, hongrois, polonais, coréens du nord, cu-bains, anglais, et des coopérants arabes, égyptiens, syriens, libanais, français, ainsi que des industriels. Parmi eux quelques chrétiens arabes ou des pays de l'Est... L'Église for-tement structurée a donc peu de fidèles. Les Algériens chrétiens, principalement d'ori-gine berbère (Kabyles) sont très discrets.

En trois ans, l'Église a complètement changé d'aspect. En juillet 65 a lieu à Alger un mois sacerdotal pour les prêtres des quatre diocèses. Nous nous interrogeons sur notre présence en tant qu'Église dans ce nouvel environnement. Nous avons travaillé les documents de Vatican II : l'Église, la liberté religieuse, l'activité missionnaire de l'Église, les religions non chrétiennes etc... la Révélation, le ministère et la vie des prêtres...

Le cardinal intervient souvent. Il est riche à la fois de tout l'apport du Concile et comme nous tous, assez démuni devant le nouveau mode de présence de l'Église de-vant les mutations du Pays qui affectent aussi les chrétiens. Que va devenir l'Église ? Alors, plein d'espérance, il nous lance cette phrase : "Cessons de nous regarder. L'Église n'a pas à faire venir à elle. Elle est envoyée au monde. Elle est l'Église du Christ, elle a son centre à sa périphérie !" (sic). Copernic a dû se retourner dans sa tombe ! Mais cette parole du cardinal était une prophétie de l'Espérance et de la Foi. Il voulait clairement nous faire entendre que la mission précédait l'Église et que l'Église institutionnelle était eschatologique, décentré par rapport à elle-même. L'Église est par essence missionnaire, sinon elle n'existe pas. Ce qui importe donc de propager, ce n'est pas l´Église, mais l'Évangile en vue de la construction du Royaume : l'Église est en-voyée1 .

Quatorze années passées à Strasbourg, en Alsace, dans le dialogue œcuménique en tant que délégué de l'Évêque et donc représentant l'Église Catholique, m'ont sensi-bilisé aux divergences d'approche des Églises sur des points importants en ecclésiolo-gie, notamment ceux qui se rapportent à la fondation de l'Église, à l'autorité dans l'Église, aux ministère dans l'Église. L'approche des Églises protestantes2 issues de la Réformation (Luthérienne et Réformée) n'est pas la même que celle de l'Église Catho-lique et encore moins de celle des Église de l'Orthodoxie. La question "Quelle Église construire ?", dans le contexte du dialogue œcuménique nous amènerait -si nous étions en session théologique- à entendre et recevoir d'autres points de vue que le nôtre et nous conduirait également à tenir davantage compte des approches diffé-rentes des autres Églises chrétiennes. On peut légitimement se demander si une ré-flexion théologique à l'heure actuelle peut encore s'élaborer sans la perspective œcu-ménique.

Je reçois donc la question : "Quelle Église construire ?" à la fois comme l'ex-pression synthétisant d'autres interrogations relatives à des modèles d'Église jugés in-satisfaisants et comme l'aspiration à d'autres modèles qui seraient mieux adaptés au monde actuel. Nous voici alors sur le terrain institutionnel et donc sur celui de la vi-sibilité d'Église, ou de sa dissémination3 .

Je vous propose une démarche en trois points :

I. Les modèles d'Église dans l'Église catholique.

II. "Christianiser" notre catholicisme.

III. "Catholiciser" notre christianisme.

Je vais essayer de donner un contenu à ces titres, volontairement provocateurs dans leur formulation.

I. Les modèles d'Église dans l'Église catholique.


Il vous revient dans les échanges et le travail en groupe de prolonger la ré-flexion et surtout de partager vos propres approches personnelles, nationales et conti-nentales. Si l'on parle tant de l'incontournable nécessité de l'Inculturation du Christianisme ou de l'Église, voire des communautés, c'est que les Églises particulières pressentent, sentent et ressentent la nécessité pour elles d'incarner la Foi de l'Église universelle localement dans les cultures qui façonnent et expriment les peuples parmi lesquels elles sont envoyées.

Ce qui explique en partie la multiplicité des modèles d'Églises, dans l'hémi-sphère Nord et dans l'hémisphère Sud. Mais il y a également à prendre en compte les statuts de chaque Église selon la région où elle se trouve et la situation qui lui est faite:

. Dans certains pays, l'Église est présente par Mode de puissance. C'est l'Église majori-taire; l'Église autrefois appelée de chrétienté. Elle est reconnue et s'impose. Elle le peut. Elle a les effectifs et donc des droits qui lui sont reconnus publiquement. Elle a des biens, du patrimoine, de l'influence, du pouvoir. Mais la puissance pour l'Église n'est-elle pas redoutable ?

. Dans certains pays, l'Église est présente par Mode de liberté, c'est l'Église séparée de l'État. Elle a la liberté de penser, d'agir, de célébrer et même la liberté de parole dans le cadre de la législation civile qu'Elle respecte et qui la respecte dans une cohabitation parfois régulée par un concordat. La liberté pour l'Église n'est-elle pas enviable ?

. Dans certains pays, enfin, l'Église est présente par Mode de pauvreté, c'est l'Église minoritaire dans des milieux non favorables à ses activités ou dans des pays à hauts risques. L'Église présente par mode de pauvreté n'a ni la puissance, ni la liberté. Elle est parfois contrainte à la clandestinité et toujours à la discrétion tant pour son anima-tion interne que pour sa mission... C'est le cas dans les pays où d'autres courants reli-gieux sont majoritaires et prioritaires, reconnus comme "religion de l'État". L'Église présente par mode de pauvreté semble devoir devenir de plus en plus le mode de vie de l'Église. Mais la pauvreté pour l'Église n'est-elle pas viable ?

Redoutable, enviable, viable, le mode de présence de l'Église est aussi condi-tionné par le monde et la société où elle existe. Elle cohabite, pacifiquement ou non, avec d'autres propositions religieuses : le Bouddhisme, l'Islam, mais aussi d'autres groupes religieux, d'autres courants spirituels et encore les sectes, et elle coexiste dans un monde globalement incroyant et des sociétés, autrefois chrétiennes, qui ne renient pas encore leurs racines chrétiennes, mais qui sont devenues massivement indiffé-rentes. Si bien que l'Église a toujours -du fait même de son être et son envoi par le Christ- une visée universelle et une visée tendant à embrasser la totalité de l'existence humaine jusques et y compris la destinée éternelle, mais cela n'embraye pas ou peu ou mal sur la vie réelle des sociétés et donc sur la vie des hommes dans leur en-semble.

L'Église est décalée et souvent en porte-à-faux non seulement par rapport aux nouvelles questions d'éthique sociale ou de bioéthique mais par rapport aux pro-blèmes essentiels touchant la naissance, la mort et la maladie et leur régulation, les mentalités et les comportements y compris de ses propres fidèles. La morale chré-tienne, dite traditionnelle, le bon sens ne suffirait pas pour donner des repères. Ré-duire ces questions et leurs prolongements à des "cas de conscience" individuels risque de formaliser des réponses inhumaines ou privilégier telle approche culturelle ou tel comportement majoritaire dans les sondages.


De ces décalages suivent certains déséquilibres par rapport à la période 60-80 et surtout à la période antérieure où l'Église (et les Églises chrétiennes) avaient une plus grande présence, plus d'expansion, d'influence. L'un de ces déséquilibres est certaine-ment celui de la revendication d'individualisme qui s'étend dans les sociétés du Nord et qui n'est pas compensé par l'Église, car les affaires religieuses et morales sont deve-nues "privatisées".

L'Église se trouve donc située dans un monde pris en main par les hommes. Le monde est devenu monde autonome, avec sa consistance propre, avec ses énergies propres, ses visées propres; le monde a sa propre énergie qu'il gère dans le cosmos. Les hommes ont pris le monde en main, y compris le destin de l'humanité. Cette emprise des hommes sur le monde conduit à nier, ignorer, éliminer, la présence de Dieu et même la possibilité de Dieu d'intervenir dans le monde et les affaires des hommes. Les projets des hommes et le projet de Dieu sont sur des trajectoires différentes qui ne se rencontrent plus.

Alors poser la question : "Quelle Église construire ?", c'est ressentir très forte-ment que doit s'imposer d'urgence un rééquilibrage nouveau à l'intérieur de la foi et du mode de présence de l'Église. C'est souffrir de ces flottements par rapport l'image de Dieu, celle du Christ, à la foi, à la doctrine de l'Église, à l'Église elle-même. Cette impression de flou, de flottement, est renforcée par le fait, malgré les avancées du mouvement œcuménique, les chrétiens et les Églises sont divisés, alors qu'elles se ré-clament du Christ. C'est un christianisme divisé qui est donné en spectacle au monde par des Églises divisées. Et -mon expérience dans le travail œcuménique me permet de le dire- les divisions sont parfois plus grandes à l'intérieur d'une même Église qu'entre les Églises séparées.

Car ce flottement atteint la compréhension de l'Église que peuvent avoir les chrétiens, et les chrétiens catholiques ? L'identité chrétienne est en cause et il y a doute sur l'identité catholique dans notre Église. Il s'agit donc de redécouvrir en permanence la vigueur spirituelle et morale du christianisme capable de faire des hommes nou-veaux. Les Églises protestantes sont aussi confrontées aux mêmes questions 4 , et leur présence influence aussi les comportements des catholiques. Je ne citerai que quelques points de dialogue sinon de contestation dans l'Église catholique : la foi chrétienne avec ou sans Église ? qui a autorité dans l'Église ? la place des ministères ? la personne du ministre ? les sacrements; la place des femmes et accession au ministère... puisque des Églises le font comme la Communion Anglicane... etc...

II/ "Christianiser" notre catholicisme.


Je veux dire par là, en employant cette formule, que la base de la participation à l'Église est le baptême et que l'on est d'abord chrétien même si on ne peut l'être que dans une Église. Et j'ajoute que si nous avons du mal à croire à l'Église, cela ne vient pas tant des flottements, des doutes, voire des lourdeurs et même de certains contre-témoignagages de l'institution ou des services de l'organisation, cela de ce que notre foi au Christ n'est pas assez plénière. Car ou bien le Christ construit son Église ou il ne la construit pas. Si nous croyons que le Christ construit son Église, ce qui ne pas va pas en elle vient de nous, de ceux et celles qui nous précédés, mais aussi de nous; il y a donc possibilité de réformer, de renouveler, de purifier. Il est légitime d'aspirer alors à de nouveaux modes de présence de l'Église au monde et dans le monde en tenant fermement qu'elle est par le Christ et en son Esprit de Dieu et qu'elle est envoyée au monde pour conduire les hommes à Dieu.

L'Église ne se réforme que quand elle retrouve les traits fondamentaux de l'unique Église de Jésus Christ qui est structurante de la Foi authentique. 5

Si l'Église apparaît comme agent responsable de la mission chrétienne, elle n'en est pas l'origine. La mission authentique s'inscrit dans l'action de Dieu réalisée en communauté par Jésus Christ, l'envoyé du Père par excellence 6. C'est dans le même mouvement que les chrétiens sont envoyés à leur tour 7.

Toute lecture chrétienne de l'action missionnaire des Églises doit être référée à la Mission de Dieu qui la précède et qui la juge et que l'on appréhende que par consi-dération de l'ENVOI de Jésus de Nazareth dans le monde. C'est Jésus Christ qui donne sens et légitimité à l'Église qui a à Le suivre dans le monde où Dieu l'a envoyé.

Annoncer l'Évangile c'est désigner Jésus comme le Christ, comme l'être singu-lier en qui tout homme est appelé à reconnaître sa propre humanité et à marcher jus-qu'au bout de son humanité nouvelle... comme Nicodème (Jn 3). Il n'y a pas de mis-sion de l'Église dans le monde sinon par référence à l'existence de Jésus et à la voca-tion qu'Il a incarnée dans le monde.

"Christianiser notre catholicisme" signifie donc que l'Église n'a pas à assumer son propre Évangile en vue de sa propre expansion, mais d'annoncer l'Évangile du Christ, l'Évangile du Royaume. Cet Évangile ne s'éclaire que rapporté à cet homme particulier, Jésus de Nazareth, mis à mort sous Ponce Pilate "que Dieu a fait Seigneur et Christ" 8. Parler de Jésus Christ mort et ressuscité que Dieu a fait Seigneur et Christ, c'est annoncer l'Envoyé de Dieu et discerner qu'en Lui le Royaume de Dieu s'est ap-proché" 9. L'Église est la communauté participante de cette mission de Jésus Christ, l'Envoyé du Père. Pas d'ecclésiologie, pas de missiologie sans christologie et donc sans méditation et imprégnation du Mystère de la Trinité 10.

Pourquoi l'Évangile selon Luc à la fin du 1er siècle (80-90) nous rapporte-t-il cet épisode admirable des disciples d'Emmaüs ? sinon "christianiser" la foi chancelante de l'Église. Voici une lecture toute personnelle que je vous propose de cette page que nous n'aurons jamais fini de méditer.

Voici :

C'est le 1er jour de la semaine. Deux disciples s'en retournent chez eux, tout tristes. Ils discutent entre eux. Jésus fait route avec eux, mais ils ne le sa-vent pas.

Ils "récitent" les événements concernant Jésus. Ils font part à Jésus de leurs espoirs déçus. Ils demeurent bloqués sur Jésus de Nazareth 11. Jésus alors leur ouvre l'esprit à l'intelligence des Écritures et au projet de Dieu Le concer-nant. Parvenus à l'étape, ils invitent Jésus à rester avec eux. Il entre, Il de-meure, Il partage le repas avec eux. Il prend le pain, dit la bénédiction, partage le pain. Alors leurs yeux s'ouvrent; mais Lui a disparu à leurs regards. Tout joyeux, ils se lèvent. Ils retournent à Jérusalem à toute vitesse. Ils rejoignent le groupe rassemblé avec Pierre. Ils n'ont pas le temps de parler. Les disciples leur confirment la Bonne Nouvelle : "Il est ressuscité, il s'est laissé voir à Simon". Et eux de raconter comment leur cœur était tout brûlant sur la route tandis qu'Il leur expliquait les Écritures et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.

Les disciples -vous et moi- ne voient pas comment construire l'avenir. Ils sont abattus, désemparés. C'est le Christ ressuscité qui est Jésus de Nazareth. Le même et autre. En se rendant à Emmaüs ils tournent le dos à l'avenir, ils sont bloqués dans ce qu'ils savent déjà. Le Christ va les ouvrir à ce qu'ils doivent apprendre. Et l'Église de Luc nous donne les repères pour "christianiser" notre foi. 12

  1. La Parole de Dieu qu'il faut appréhender à partir du fait de la Résurrection : "Il fal-lait que le Christ souffrit pour entrer dans la Gloire". C'est la doxologia.

2. La Foi reçue et transmise : Esprits lents à croire tout... C'est l'homelia.

3. La fraction du pain : c'est l'eucharistia.

4. Le retour dans la communauté. C'est l'ecclesia.

5. Le partage en communauté de la même Foi : c'est la Koinonia, la communion.


6. La découverte qui provoque la joie : Jésus est le chemin, la vérité, la vie. Ils étaient "partisans de Jésus", ils deviennent disciples (c'est la Sequela Christi) et décou-vrent que seulement s'ils sont 2 ou 3 réunis en Son Nom, le Christ est au milieu d'eux.

Après Emmaüs, c'est chez Luc, l'Ascension et la Pentecôte. Avec l'envoi dans l'Es-prit Saint, il va falloir "catholiciser notre christianisme".

III "Catholiciser" notre christianisme.

Cf Actes 10-11. Il est midi. Il fait chaud. Pierre descendu chez Simon le tanneur à Joppé (Jaffa) a faim. Le repas n'est pas prêt. Pierre monte sur la terrasse et fait une pe-tite sieste. Pierre s'endort. Pierre a un rêve et dans son rêve la cuisine se mélange avec la théologie. Par trois fois, par un ascenseur céleste, descend et remonte une table gar-nie avec des aliments interdits par la Loi juive. Pierre refuse de consommer de l'im-pur. Son rêve, qui tourne au cauchemar, prend fin; on l'appelle. D'étranges visiteurs demandent un entretien. Pierre accueille chez Simon, le tanneur, des païens. Il leur offre l'hospitalité. Le lendemain, il les accompagne à Césarée Maritime où le Centu-rion Corneille, romain, ennemi, lui a donné rendez-vous à la suite, lui aussi, d'un rêve. C'est alors que Pierre comprend la signification de son propre rêve. "Dieu ne fait aucune ségrégation entre les hommes"... Tout en précisant bien sa position face aux traditions juives (à cause surtout des frères de l'Église de Jérusalem qui l'ont aussi accompagné!) il annonce le Mystère Pascal du Christ ressuscité. Puis, le Saint Esprit étant "passé devant", Pierre baptise Corneille et sa maisonnée.

C'est en rentrant à Jérusalem que Pierre a des ennuis. L'Église "officielle" lui fait un procès de tendance : explique-toi ! Pourquoi es-tu entré chez des incirconcis et as-tu mangé avec eux ? Pierre doit donc justifier sa conduite (Actes 11,1-17). Son argumenta-tion tient en trois points :

1. L'appel aux païens.

2. L'annonce de la Bonne Nouvelle (Kerygme).

3. La venue du Saint Esprit.

La conclusion s'imposait : le Baptême.

Et Pierre interpelle à son tour l'Église :

"Si donc Dieu leur a accordé le même don qu'à nous pour avoir cru au Seigneur Jésus Christ, qui étais-je moi, pour faire obstacle à Dieu ?" (Ac. 11,17).

Ces paroles apaisent et ils rendent gloire à Dieu qui, aux païens aussi, donne la repentance qui conduit à la vie. (Ac. 11,18).

Ce passage est prodigieux à plus d'un titre.

Il concrétise en acte le Mystère Pascal :

- le passage des païens à la foi au Christ ressuscité,

- le passage de l'Église encore enfermée dans le Judaïsme à sa dimension uni-verselle,

- le passage de l'Église elle-même à une compréhension plus grande du Mystère de Jésus,

- le passage de l'Église à une acceptation plus grande du rôle de l'Esprit.


L'universalité de la Foi chrétienne n'est pas celle de l'Église -ni des Églises- mais elle est celle du Christ par son Esprit. L'universel de l'Évangile n'est pas séparable de la personne de Jésus : comme le Père a envoyé Jésus, Jésus envoie l'Église (Jn 20,21). La mission de l'Église est semblable à celle de Jésus et s'inscrit dans la même économie d'envoi qui accomplit l'amour de Dieu pour le monde.

La mission porte l'Église en avant : elle la décentre d'elle-même; elle la recentre sur le Christ, elle la concentre "à sa périphérie" sur les païens.

L'itinérance la conduit à approfondir son enracinement dans le Christ, seul sauveur et médiateur universel. Le décentrement que l'Évangile du Christ provoque pour l'Église en mission n'est pas une fuite en avant pour anticiper la réa-lisation du Royaume de Dieu, mais la recherche d'une solidarité concrète nouvelle et d'une réciprocité avec les hommes et les femmes dans le quotidien, situation particu-lière.

Le Christ Évangélisateur des pauvres témoigne du Royaume dans la proximité avec des petits, des pauvres, des exclus. La mission trouve son authenticité dans une solida-rité semblable parce qu'elle est l'expression de la charité sans laquelle, dit Paul, le Foi et l'Espérance, aussi grandes soient-elles, ne sont que bruit et vent (1 Cor. 13).

Mais la Mission témoigne de sa dimension universelle en exprimant aussi que l'Évangile n'est pas "politiquement" neutre. Il doit y avoir corrélation entre la parole qui se dit, dans le partage de la vie et l'annonce de la Bonne Nouvelle créatrice d'un monde nouveau qui comprend la lutte contre les injustices et la libération des oppri-més comme des pécheurs.

La mission n'est pas centré sur l'Église. Elle est la "MISSIO DEI". Elle est trini-taire. Elle est médiatrice de l'amour de Dieu le Père de tous les hommes, de tous les peuples quels qu'ils soient et où qu'ils soient dans toutes les situations où ils puissent se trouver. La Mission est l'Épiphanie, l'actualisation de la présence dans le monde de Dieu 13. Elle est au service de la présence de Dieu, Esprit Saint, qui souffle où il veut, sans que nous sachions ni d'où il vient, ni où il va ((Jn 3,8). La mission est l'expres-sion de la vie du Saint Esprit auquel aucune limite n'est imposée. La mission concerne donc le monde, ici et maintenant, qui est le monde de tout le monde, bien au-delà des limites de l'Église. Le monde, tel qu'il est et avec les hommes tels qu'ils sont, que Dieu aime,


et où l'Église est envoyée à la suite du Christ pour être "sel sur la terre", "la lumière du monde" (Jn 3,16).

Quelle Église construire ?

L'Église-communion scindée de l'Église-institution ?

L'Église-institution ? ou l'Église prophétique ? Mais une institution sans pro-phétisme se fige en sclérose et un prophétisme sans institution dégénère en aven-ture...

L'Église des Pauvres ? ou l'Église disséminée ? l'Église hiérarchique à laquelle on risque d'opposer l'Église peuple de Dieu... l'Église toute entière charismatique ? Je ne sais. Ce que je sais, c'est que le Christ, envoyé du Père, envoie son Église dans le monde entier et que l'Église est Église de Dieu pour les hommes et Église des hommes pour Dieu. Sa mission exprime le caractère "extraverti" de l'amour de Dieu. Sa mission concerne tout homme, tout l'homme et signifie guérir, servir, "réconcilier", pardon-ner une humanité divisée et blessée.

"Ne crains pas, petit troupeau ! Moi j'ai vaincu le monde", dit Jésus. Et Il dit aussi : "Allez dans le monde entier. Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde".

N'ayons pas peur de dire Dieu aux hommes, au monde comme Jésus l'a fait dans les situations concrètes où nous sommes envoyés. En partant en mission nous marchons à la "rencontre d'une grâce". Dieu par son Esprit nous précède et construit lui-même son Église.

Quelle Eglise construire?

A votre question, je réponds par une question que je vous pose et que vous devez vous posez...

"Dites-moi comment vous annoncez l'Evangile dans la Mission Populaire et je vous aiderai à discerner l'Eglise que vous construisez!"

Mais pour alimenter votre travail et vous faire partager ce que je pressens, j'ajoute:

Nous sommes applés à construire l'Eglise en "Diaspora", en fonction de 4 défis majeurs (cf. SIEV - précédente session).

- La sécularisation : ou l'émancipation des composantes sociales et culturelles de la tutelle religieuse

- La nomadisation et le métissage

- Le pouvoir de l'image (icônes? ou odoles?)

- Les pauvretés "organisées"

Face aux mutations extraordinaires que nous vivons aujourd'hui,

l'Eglise n'est qu'une Voix parmi d'autres au niveau du discours;

l'Eglise n'est qu'une Voie parmi d'autres au niveau des engangements dans la multiplicité des messages de salut et les modalités de croire.

L'idéal, c'est

-que ses actes correspondent à ses paroles,

-que ses engangements soient parlants et correspondent à son discours.

Il n'y a en fait, ni déclin, ni réveil du religieux mais Destructuration des phénomènes religieux et donc appel tacite à des Restruturations.

Le spirituel peut-il-être désengagé du temporel?

L'expérience religieuse est-elle sans lien avec la fonction sociale?


Diaspora cf. AT et NT

Il nous faut une théologie du laïcat

Quand les respères ne jalonnent plus la route,

quand on ne cherche plus le cap en regardant une boussole,

il n *y plus de cheminement possible, plus d'orient (là où le soleil se leve!) et donc plus d'horizon.

Il n'y a plus que l'immobilité ou l'errance.

Les institutions sociales, les modèles culturels sont à considerer comme des médiations, des moyens nécessaires, mais passagers, transitoires, momentanés convenant à un moment donné, à une situation donnée.

Elles sont donc nécessaires et relatives, provisoires.

Elles ne sont donc pas un carcan d'une société immobile, ni des objets inconsistants, manipulables.

Elles sont les institutions. Elles sont les modèles, une sécurité celle de relais d'une itinérance acceptée parce que le monde change, parce que nous changerons, parce que le monde nous change et que pour changer le monde, il faut soi-même changer.

Il en est de même de l'Eglise (et des Eglises).

Elle indique un chemin quand elle ne cherche pas à fixer l'Evangile dans des institutions, des modèles, des structures.

Au 1er siècle, la communauté de ceux qui suivent la Voie.

Au 2ème siècle, la communauté des chrétiens (Ac. 2) est applée: Parokia...et les chrétiens Parokoi = étrangers, pour insister sur le caractère fragile, menacé, le chrétien comme le croyant depuis Abraham est un voyageur, un transhumant. (Cf. Lettre à Diognète Cf. N.T. 1 Pi 1-5; Hébreux; Paul (Lettres de la captivité).


Éléments de bibliographie

A. Documents d'Église :

. Constitution dogmatique sur l'Église, Lumen Gentium (L.G.)

."" sur la Révélation, Dei Verbum (D.V.)

." pastorale sur l'Église dans le monde, Gaudium et Spes (G.S.)

. Décret sur l'activité missionnaire de l'Église, Ad Gentes (A.G.)

B. Encycliques :

. Sur la Mission de l'Église. Paul VI, Evangelii Nuntiandi (E.N.)

. Sur la Mission du Rédemptor. Jean-Paul II, Redemptoris Missio (R.M.)

. Encycliques sociales de 1963 à 1993

C. Ouvrages :

. BOSCH David j.Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, KARIHALA, LABOR ET FINES, 1995, p 769 (importante bibliographie)

DELTEIL G. et KELLER P., L'Église disséminée, Itinérance et enracinement. Paris, Cerf et Labor et Fines, p. 329.

ROLLAND Philippe, Les ambassadeurs du Christ. Col. Lire la Bible, 92, Paris, Cerf 1991, p. 147.

PETITCLERC Jean-Marie, Dire Dieu aux jeunes Salvator, Mulhouse, 1996, p. 170.

MIGUEL P., L'expérience de Dieu. Paris, Beauchesne, 1977, p. 138.

D. Articles de Revue

ISTINA, 1977, 1 - Quel Dieu les Églises annoncent-elles aujourd'hui ?

ISTINA, 1996, 4 - La paix est le nom de Dieu. 10* anniversaire de la rencontre d'Assise.

CONGAR M.J, La conversion, une parole et mission. Revue de théologie missionnaire, 1960, pp. 493 - 523.

1 Cf. R. Facelina, Théologie en situation. Une communauté chrétienne dans le Tiers-Monde (Algérie 1962-1974). Etude pour le 5ème Colloque du CERDIC. Strasbourg, Cerdic -publication, 1974, p 327s.

2 M.A. Chevallier, "Jésus a-t-il voulu une Église ?", E.T.R., 1990, 4.

3 Cf. G. Delteil et P. Keller, L'Église disséminée. Itinéraire et enracinement, Lumen vitae, Cerf, Laba et Fides, 1995, p. 329.

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4 D. Bonhoeffer

Quel est le lieu spécifique de l'Église ? De prime abord, il est impossible à indiquer concrètement. Il est le lieu du Christ présent dans le monde... C'est pourquoi les hommes ne sauraient ni le désigner, ni l'occuper d'avance. Dieu le qualifie par la grâce de sa présence. L'homme ne peut que le reconnaître.

L'Église ne dispose pas du droit de proclamer lieu de Dieu tel ou tel lieu historique... Attendant le choix de Dieu, elle renonce à s'installer dans des lieux favorables, elle doit essayer de donner de l'espace à l'action de Dieu.

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5 Cf. J. Florkowsky, cm. L'Église en France, aujourd'hui, BLF spécial 1987. Semaine vincentienne 26-30 Octobre 1987.

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6 Cf. Jn 3,16; 5,24; 6,29...

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7 Cf. Mt 28,19; Jn 17,18 ...

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8 cf. Ac. 2,36

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9 Cf. Mt 3,2

1

10 Cf. St Augustin, "Les fidèles savent ce qu'est le Corps du Christ s'ils ne négligent pas d'être le Corps du Christ. Qu'ils deviennent le Corps du Christ s'ils veulent vivre de l'Esprit du Christ. De l'Esprit du Christ ne vivra que le Corps du Christ" (in Joan. Tractatus, 26,13).

1

11 Cf. St Augustin : "Avant Jésus Christ tout est perspectivement obscur; après Jésus Christ ressuscité tout devient rétrospectivement clair".

1

12 Noter la structure liturgique du passage : Parole de Dieu + homélie + sacrement = LITURGIA