Saint Vincent et les Evêques

Saint Vincent et les Évêques

par Bernard Koch, C.M.

Province de Paris

Monsieur Pierre Blet a traité ce sujet d'une façon exhaustive, utilisant aussi des sources non vincentiennes, comme la correspondance des Nonces; toutefois il n'avait pas connaissance des notes du chancelier Séguier.

Ici, j'aborderai le sujet sous un autre point de vue, plus proche du vécu de M. Vincent et de sa théologie de l'épiscopat, qu'il évoque sans la développer.

Au plan doctrinal, la théologie des degrés du Sacrement de l'Ordre et de la spécificité de l'Épiscopat était bien précisée: l'épiscopat seul confère la plénitude du sacrement de l'Ordre, en ajoutant au pouvoir de consacrer le Corps Eucharistique de Jésus-Christ celui de sanctifier et diriger son Corps Mystique, que les prêtres ne possèdent que par délégation, et celui d'ordonner aux Ordres sacrés. Le Concile de Trente a défini cela dans sa 23° Session en 1563, Chapitre 4, paragraphe 3, et Canon 7. Malgré cela, comme depuis la fin du IV° siècle, certains professaient l'égalité des prêtres et des évêques, l'épiscopat n'étant qu'une distinction honorifique, juridique.

Du temps de M. Vincent, en 1611, le théologien Edmond Richer (1559-1631), syndic de la Sorbonne, professa non seulement que l'Église de France devait dépendre davantage de ses Assemblées et du Roi que du Pape (gallicanisme), mais que les prêtres étaient les égaux des Évêques. Bien que condamné et révoqué, cela n'empêcha pas ses idées de se répandre, jusqu'au cours du XVIII° siècle. M. Vincent sera résolument attaché et aux Évêques et au Pape.

Sur le plan pratique, le pouvoir des Évêques était passablement limité, - d'une part par le grand nombre d'abbayes nullius, dotées chacune de paroisses échappant à l'Évêque du lieu; - d'un autre côté, par le droit de patronage, qui donnait à celui (ecclésiastique ou laïc) qui avait fourni des fonds à une église ou un chapitre un certain nombre de droits sur cette église ou ce chapitre; - et enfin, en France, par la commende, qui attribuait les revenus et le pouvoir temporel de diocèses et d'abbayes à des laïcs gratifiés de cette charge par le roi, en récompense de bons services; il suffisait qu'ils reçoivent la tonsure. Dans ces cas, l'Évêque ne pouvait guère que ratifier les candidats qu'on lui présentait. Vincent lui-même dut accepter, à partir de 1643, d'être Vicaire Général du petit-neveu de Richelieu, abbé commendataire de trois grandes abbayes, gérant plus de 150 paroisses en tout. J'ai pu recevoir photocopie de 6 présentations de curés aux évêques de Rouen et de Rennes, signées de la main de Vincent ! - De plus, depuis Charles VII et la Pragmatique Sanction de Bourges, le roi de France jouait un rôle dans les nominations d'Évêques.

Cependant on a exagéré la fréquence des nominations de candidats indignes, les Assemblées du Clergé de la fin du XVI° siècle montrent qu'il y avait une majorité de bons Évêques, et dès avant la participation de Saint Vincent, Louis XIII s'entourait de bons conseillers, tels les cardinaux de La Rochefoucauld et De Gondi. Et surtout, l'approbation et l'octroi des Bulles pour la consécration revenait toujours au Pape, qui les refusa plus d'une fois.

C'est dans ce contexte que vécut Vincent de Paul, nettement fidèle au Concile de Trente, à la fois relié au Pape et aux Évêques, donc ni gallican ni richériste.

Ses idées et son action sont liées à toute sa vie, que nous allons suivre.

Vincent s'est toujours dit fils de pauvres paysans, mais ses textes et documents d'archives révèlent une situation bien plus large, qui lui donna une rare facilité à nouer des relations aisées dans tous les ordres de la société.

Son père était cultivateur, mais propriétaire et l'un des notables du village, pauvre car la région avait été ravagée par les armées protestantes; de plus l'agriculture était exposée aux aléas des intempéries, et il y avait six enfants à nourrir. On retrouvera chez Vincent la maîtrise des questions agricoles.

Le chanoine Étienne Depaul, de Dax, prieur du petit hospice voisin, pourrait être un frère de son père; en ajoutant son curé, voilà Vincent en relations avec le monde ecclésiastique.

Sa mère était fille de “cavier”, sorte de chevalier propriétaire d'une terre noble, chargé de la sécurité (rien à voir avec une cave), à une vingtaine de kilomètres au sud de Dax, et sœur du cavier succédant à son père et d'un avocat à Dax. Cette situation de petit seigneur local mettait la famille directement en lien avec leur suzerain, la grande famille des De Gramont, comtes de Bidache, un peu plus au sud, dernière paroisse du diocèse de Dax.

Et voici la première rencontre de Vincent avec un Évêque: un des frères du comte de Bidache, avait été évêque commendataire de Tarbes, l'évêque sacré étant un sujet des De Gramont, Salvat Diharse, devenu titulaire à la mort de Théophile, en 1594. Nous comprenons pourquoi Vincent fut tonsuré non pas à Dax, dont l'évêque n'avait pas reçu ses Bulles de Rome, mais à Bidache, et non pas par l'évêque d'Aire, mais par Salvat, bien que Tarbes fût plus loin de Dax que Aire. Le voilà lancé dans le monde de la noblesse et de l'épiscopat.

S'il fut ordonné prêtre seulement le 23 septembre 1600, alors qu'il en avait les dimissoriales depuis un an, c'est que son nouvel Évêque, Jean-Jacques Dusault, arrivé à Dax en janvier 1600, avait dès mars-avril convoqué un synode et décidé une sévère réforme, ce qui mit le Chapitre en révolte pour “abus de pouvoir”, refusant toute participation à ses offices à la Cathédrale. L'Évêque ne pouvait pas officier pontificalement, et les procès durèrent trois ans. Quant à être ordonné à 19 ans au lieu de 24, ce n'était pas rare en ce temps.

Vincent attendit, puis chercha un autre évêque, voyant que l'affaire traînait. Son choix de François de Bourdeilles à Périgueux ne peut s'expliquer que par un jeu de relations. Mais pourquoi pas l'évêque de Toulouse ? Et de Tarbes ? Nous sommes privés de tout document…

En octobre 1604, il obtient le baccalauréat en théologie et la licence d'enseigner le 2° Livre de Sentences de Pierre Lombard et il commence l'enseignement à Toulouse, comme bachelier sententiaire.

La captivité en Barbarie, de juillet 1605 à juin 1607, a changé le cours des choses , le plongeant dans l'expérience de la détresse des esclaves, qui l'obsédera toute sa vie - sans diminuer ses autres œuvres.

Son évasion avec un renégat, gens qui avaient des facilités (les fuites de renégats sont nombreuses) l'amène en Avignon, en juillet 1607. Il s'est vite lié avec le nonce, qui l'emmena avec lui à Rome, dans l'espoir de relations utiles. Là, outre ses visites aux pauvres malades de l'Hôpital de la Charité, il évolue dans le monde des Cardinaux - attendant quelque bonne nomination. Il fut fort déçu, il l'écrira plusieurs fois par la suite: les romains n'aiment pas les gens trop pressés.

Cela constitue la première phase de sa vision: les Évêques pourvoyeurs de postes rentables !

Pourquoi en fin 1608 arrive-t-il à Paris, et non pas à Dax comme il l'avait promis dans sa deuxième lettre ? Nous sommes réduits à des hypothèses…

Vincent est très vite nommé parmi les distributeurs d'aumônes de la Reine Marguerite, épouse répudiée de Henri IV. C'est probablement par l'intervention de son évêque de Dax, Jean-Jacques Dusault, en bonnes relations avec Henri IV et premier aumônier de cette Reine.

En même temps son souci de vie spirituelle le pousse à fréquenter le cercle de spiritualité de Mme Acarie et de son neveu Pierre de Bérulle, où il s'ouvre aussi peu à peu aux dimensions pastorales.

Cela ne l'empêche pas de continuer sa recherche de ressources financières, pour revenir près de sa mère et soutenir sa famille. Nous ignorons comment il s'est mis en lien avec l'archevêque d'Aix en Provence, Paul Hurault de l'Hôpital, Conseiller du Roi en son Conseil d'État, qui depuis 1609 tenait la commende de l'abbaye de Saint-Léonard de Chaumes, près de La Rochelle. En mai 1610, Paul résilie en sa faveur Saint-Léonard de Chaumes, ce qui donne à Vincent l'espoir de pouvoir enfin retourner près de sa mère, comme il le lui avait écrit dès le 17 février 1610.

Le samedi 16 octobre 1610, en prenant possession de Saint-Léonard de Chaumes, il présente la Bulle de nomination par le Pape Paul V, du 27 août 1610, et les lettres officielles expédiées par son évêque, de Dax, Jean-Jacques Dusault, en date du 20 septembre 1610 .

Son réseau de relations avec des Évêques s'est donc amplifié, mais jusqu'à présent, surtout dans l'espoir d'en obtenir des faveurs, financières si possible. Quant à Saint-Léonard, il est dès 1611 affronté à de longs procès, et il doit parfois aller à La Rochelle.

À Paris il continue ses rencontres avec le cercle de Bérulle. Il devient tellement apte au ministère paroissial que, lorsque Bérulle fonde l'Oratoire, les 10-11 novembre 1611, avec quelques prêtres, dont Bourgoing, curé de Clichy, c'est Vincent qu'il juge capable de succéder à Bourgoing à Clichy.

Il n'en prendra possession qu'en mai 1612, ayant séjourné au moins par périodes à l'Oratoire, qu'il fréquentera encore par la suite. Là, il va découvrir un élément capital de sa spiritualité pastorale, et sa vision des rapports avec les Évêques va changer du tout au tout: deuxième phase:

Bérulle, préparant la fondation de l'Oratoire, tient à marquer sa différence par rapport aux Religieux, spécialement aux Jésuites, en montrant qu'il ne veut pas fonder un Institut religieux exempt des Évêques, mais rester en lien d'obéissance pastorale, missionnaire, avec eux. Il l'a écrit dans son Projet pour la Congrégation de l'Oratoire de Jésus, en fin 1610 :

Et d'autant que tout doit être en l'Église avec ordre et que Dieu a joint au Saint-Siège en notre temps une Société qui est celle des Pères Jésuites, celle-ci <l'Oratoire> serait jointe aux prélats par le vœu d'obéissance, quant à l'exercice et emploi de fonctions ecclésiastiques (hormis celles qui auraient de l'honneur ou de la juridiction adjointe); et par ce moyen on renouvellerait l'usage du vœu qui se fait en la consécration des prêtres et qui semble être essentiel à l'état de prêtrise.

Vincent aura les mêmes dispositions vis-à-vis des Évêques dans le Contrat de fondation puis les Règles Communes de sa Congrégation, allant jusqu'à dire que nous sommes «de la Religion <c'est-à-dire Congrégation> de Saint Pierre, ou plutôt de Jésus-Christ. […] Oh! grand sujet de consolation d'être dans l'Ordre de Saint Pierre ! » .

Voilà donc un énorme tournant: les Évêques vus comme animateurs, pasteurs, du Corps du Christ. C'est un progrès spirituel, pastoral et ecclésial !

Il est même entré en amitié, en un an, avec un des grands Évêques de ce temps, François de Sales, à qui il a rendu un long témoignage, en vue de sa béatification .

Cela n'enlève pas ses besoins financiers, et Bérulle va lui trouver des subsides supplémentaires en le faisant entrer comme précepteur dans la famille du Général des Galères, Philippe-Emmanuel de Gondi, titulaire d'un nombre important de seigneuries, de baronnies, et du Comté de Joigny, reçu en cadeau de mariage de son oncle Pierre, Évêque de Paris de 1568 à 1616. Outre son service dans la famille et le soin de Clichy, Vincent fait du ministère dans les villages des Gondi lorsque la famille y réside.

À Pierre succéda à l'évêché de Paris un frère de Philippe-Emmanuel, Henri, mort en 1622, puis un autre frère, Jean-François, de 1622 à 1654, avec qui Vincent aura beaucoup à faire.

Son zèle pastoral continuait à Clichy, tantôt par lui-même, tantôt par son vicaire, et dans les villages des Gondi. Il y appliqua une pratique des Jésuites, les confessions générales de toute la vie passée, ce qui le mit en relation avec les évêchés respectifs, pour obtenir de pouvoir absoudre les cas réservés aux Évêques. On a encore une telle démarche avec le Vicaire Général de Sens, du 20 juin 1616 .

Nous savons la suite: le cas s'est présenté aussi sur les terres de Madame de Gondi, près de Folleville, à Gannes, où un paysan raconta sa libération spirituelle à cette dame, qui, découvrant ces misères, poussa Vincent à prêcher sur ce sujet, ce qui amena affluence de pénitents et engagea Vincent à faire appel à une équipe de prêtres, ce qu'il ne cessera plus de faire: la mission se fait en équipe.

Dans l'intervalle, l'archevêque de Lyon, Mgr De Marquemont, avait demandé à Bérulle de fonder l'Oratoire à Châtillon-les-Dombes, en Bresse, au nord-est de Lyon, ville épargnée au cœur d'une région ravagée par la conquête française sous Henri IV, entre 1594 et 1600, pour en faire un centre de missions . Bérulle, qui fondait l'Oratoire en quelques autres villes, proposa à Vincent d'y aller. Nous avons encore les pièces des démarches aux Archives de Lyon, mais c'est au Vicaire Général que Vincent eut à faire, car Mgr De Marquemont fut absent de Lyon à partir du 18 ou 19 juin .

Rappelé à Paris chez les Gondi, il se mit à missionner plus intensivement dans leurs terres, toujours en équipes de prêtres et en instaurant partout des Confréries de Charité, de femmes et parfois d'hommes. La nécessité de leur approbation le mit en relation avec bien d'autres Évêques, Sens, Soissons, dès 1618, Amiens en 1620, etc. . Les fondations des maisons de Missionnaires et de Filles de la Charité le verront aussi en relation avec bien des évêques.

Il reste encore curé de Clichy jusqu'en 1626, et c'est sans doute là qu'il a donné son sermon pour préparer la visite de l'Évêque: Jean-François de Gondi y a fait la visite le 9 octobre 1624. Nous avons peu de textes doctrinaux de Vincent: en voici un, négligé, parce que simple canevas, mais en cinq points très courts, il exprime sa vision de l'Église et du rôle pastoral capital des Évêques, pas seulement juridique, mais spirituel .

Voici Vincent lancé dans des relations de ministère avec les Évêques, et cela va s'intensifier à partir des débuts de la Congrégation des Prêtres de la Mission. Le contrat de fondation fut passé devant notaire le 17 avril 1625, et dès le 24 avril 1626, Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, signa son approbation .

Ce contrat de fondation nous montre à nouveau cette nouvelle étape, qui est aussi une fidélité à Bérulle: il stipule, tout comme le “projet” de Bérulle puis son Règlement, d'une part que les missionnaires renonceront «à tous bénéfices, charges et dignités de l'Église», pour, d'autre part, «sous le bon plaisir des prélats, chacun dans l'étendue de son diocèse, s'appliquer entièrement et purement au salut du pauvre peuple».

Voilà le point central de sa position vis-à-vis de l'épiscopat, pour toute sa vie, - et celle des Missionnaires jusqu'à nos jours. Dans les Règles Communes distribuées en 1658, nous ne trouvons plus l'interdiction des charges et dignités dans l'Église, mais nous y trouvons toujours, aux chapitres V, § 1 et XI, § 5, le lien et l'obéissance aux Évêques en tout ce qui touche le ministère, - et nous y sommes restés fidèles:

Anticipons, pour rester dans cette ligne. Lorsque viendra le moment d'établir des vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité au service pauvres, en cherchant des dispositions qui n'en fassent pas des vœux religieux, Vincent pensera, en outre, à un cinquième vœu, comme il l'écrit à Jeanne de Chantal le 14 juillet 1639: «l'obéissance à nos seigneurs les évêques dans le diocèse desquels nous sommes établis, à l'égard des fonctions susdites» .

Mais il tenait à ce que la gestion du temporel de sa Congrégation et la nomination des supérieurs restent aux mains du Supérieur Général. Il distinguait bien le ministère, le rôle de missionnaires dans l'Église, et la vie interne d'une Congrégation, qui est une autre cellule d'Église, indépendante des Évêques, et approuvée par le Pape le 12 janvier 1633.

Bien des œuvres auront pris corps dans l'intervalle, outre les missions dans les campagnes, but premier. Ce fut, dès 1628, la préparation des futurs prêtres.

L'évêque de Beauvais, Augustin Potier, déjà en relations avec Bourdoise, qui n'avait pas de formateurs à lui fournir, connaissait Vincent par Jérôme Duchesne, un de ses grands vicaires, qui avait donné une mission avec Vincent à Montmirail en 1621 .

Le 16 juillet 1628, lors d'un voyage avec Vincent , Potier lui exposa son idée de retraites ou sessions de 10 à 15 jours avant chaque ordination, donnant une formation doctrinale élémentaire et surtout pastorale. Vincent l'adopta, chercha des collaborateurs, et dès septembre commencèrent les Exercices des Ordinands, à Beauvais puis bientôt aussi à Paris, puis ailleurs, nous connaissons la suite.

Voici donc une troisième étape: Vincent va plus loin que l'obéissance aux Évêques, il entre en collaboration avec eux, et parfois en amitié, la liste serait abondante.

Certains bénéficiaires de ces retraites, trouvant cette formation un peu insuffisante, même si à côté ils avaient suivi les facultés de théologie, proposèrent de la poursuivre après l'ordination. Ce fut l'origine des Conférences des Mardis, en 1633. Les participants contribuaient aux missions de Vincent dans les villages, et assuraient des missions dans les grandes villes, où la Congrégation de la Mission s'interdisait d'aller.

Les amitiés avec des Évêques s'amplifieront avec la fondation des Grands Séminaires, à partir de 1641, à Annecy. L'Évêque de Cahors, Alain de Solminihac réformateur de son diocèse et de son abbaye de Chancelade en fut un des premiers.

Vincent sera mis sur d'autres voies, probablement à partir de sa charge d'aumônier général des galères, qui le fera connaître de la royauté. D'autre part, en 1638, les Prêtres des Mardis donnèrent la grande Mission de Saint-Germain-en-Laye, où séjournaient Louis XIII et Anne d'Autriche, qui, avec Richelieu, avaient le souci de trouver de bons Évêques pour les nominations. Justement, Nicolas Pavillon, prêtre des Mardis, en fut le grand animateur . Étonnons-nous que par la suite il ait été nommé Évêque d'Alet !

Dès ce moment; Vincent fit partie des personnes que Richelieu consultait pour obtenir des listes d'Évêques . Bien plus, Louis XIII lui avait dit ceci, le 21 octobre 1643, peu avant sa mort : Le feu roi, un peu avant son décès, me fit l'honneur de me dire que, s'il revenait en santé, il ne permettrait pas qu'aucun évêque se fît qu'il n'eût passé trois ans à la Mission.

Évidemment cela ne se réalisa pas, mais plus d'un Évêque fut choisi à partir des avis de Vincent, des retraites des Ordinands et des Conférences des Mardis.

Nous savons qu'après la mort de Richelieu en fin 1642, puis de Louis XIII en 1643, la régente Anne d'Autriche, forma un Conseil de Conscience, simple organe de consultation, qu'elle aimait écouter, même si Mazarin ne suivait pas toujours ces conseils. Outre le chancelier Séguier, l'official de Paris Jacques Charton, et Augustin Potier, elle y appela Monsieur Vincent. Voici la quatrième phase de ses liens avec les Évêques: une responsabilité officielle dans le choix des candidats aux évêchés.

Il fallait procéder aux nominations d'Évêques et de coadjuteurs, à quoi se mêlaient les questions des revenus. Plusieurs Prêtres des Mardis, amis de Vincent, furent ainsi nommés: Antoine Godeau, à Vence, François Perrochel, à Boulogne, etc. On devait aussi régler des litiges et des procès..

Vincent s'était opposé à la nomination au Mans de Beaumanoir de Lavardin dont la foi était douteuse. Et celui-ci le savait  ! Or en fin janvier 1649, aux débuts de la Fronde, Vincent avait dû fuir à cheval avec Frère Ducournau, à Saint-Germain-en-Laye demander à la Régente et à Mazarin que ce dernier s'éloigne au moins un temps du pouvoir. Il fut éconduit et il ne pouvait rentrer à Paris en révolte, risquant d'être accusé de tractations avec la royauté. Ils s'enfuirent vers la ville de Richelieu, en faisant étape chez leurs confrères du Séminaire du Mans. Vincent ne pouvait manquer de rendre ses hommages à l'évêque, à qui il envoya le supérieur de la maison. Beaumanoir en fut très honoré et le fit dire aimablement à Vincent, qui ne put aller le remercier, l'évêque étant alors parti ailleurs.

Indépendamment du Conseil de Conscience, à partir de 1643, il sera en relation avec un nouvel évêque, son ancien pupille, Jean-François-Paul de Gondi, qui devint coadjuteur de son oncle sur le siège de Paris, puis lui succéda à sa mort, en 1654, devenu Cardinal de Retz. C'est lui qui le 20 novembre 1646 signa le document qui érige en confrérie autonome les Filles de la Charité, puis leur approbation, le 18 janvier 1655 . C'était encore son oncle qui avait approuvé les Règles Communes de la Mission, mais Vincent, qui voulait les retoucher, attendit après sa mort ! Ce sera Retz qui le fera, en 1657 .

Plusieurs Évêques aimaient s'appuyer sur Vincent, ou celui-ci n'hésitait pas à les conseiller. Le 14 janvier 1640, il conseille au Vicaire Général de Bayonne, Louis Abelly, et du coup à l'évêque, François Fouquet, d'être patient et doux, et non autoritaire, dans la réforme du diocèse et des religieux. Le 29 août 1659, il invitera le second, passé au siège de Narbonne, à se ménager .

Alain de Solminihac, Évêque de Cahors, diocèse divisé par certains curés jansénistes ardents, pria Vincent de participer aux pétitions adressées à Rome en vue de faire condamner les Cinq Propositions extraites par Nicolas Cornet d'une thèse d'étudiant en théologie, et Vincent écrivit en 1651 à un bon nombre d'évêques en leur demandant de signer . Quelques-uns refusèrent, dont Pavillon, d'Alet, qui prit un peu ses distances avec Vincent, sans que pour autant celui-ci se brouille avec lui.

Cette même année 1651 éclata à Cahors la révolte d'une partie du clergé contre Alain de Solminihac, et Vincent fut son confident et son soutien, jusqu'en 1653, où l'affaire se calma .

Il est vrai qu'Alain de Solminihac n'avait pas un caractère très facile. Lorsqu'il avait appelé les Lazaristes à son Séminaire, en 1643, il usa trois supérieurs les trois premières années, avant d'en trouver un à sa convenance, Gilbert Cuissot, qu'il garda 29 ans .

Du coup, le 4 novembre 1658, Saint Vincent n'hésite pas à prévenir deux Sœurs qu'il envoie à Cahors :

Vous aurez encore besoin de mortification, si Monseigneur de Cahors ne trouvait pas que vous vous acquittiez bien de votre devoir en l'administration de l'hôpital, pour recevoir humblement ses avis et ses corrections; car cette grande austérité qu'il a pour lui-même peut-être le rend un peu sévère.

À partir de 1652, après la fin de la Fronde et le retour à Paris d'Anne d'Autriche, du jeune Louis XIV et de Mazarin, et bien qu'il ait participé aux tractations pour le permettre, Vincent fut, ainsi qu'Augustin Potier, pratiquement exclu du Conseil de Conscience, que d'ailleurs Mazarin ne convoquait presque plus. Écarté des interventions officielles, Vincent n'eut plus qu'une action privée, encore consulté plus d'une fois par divers Évêques, et faisant “son petit possible”.

Que conclure ? Dans ce registre comme dans les autres, Vincent se révèle posséder une grande foi, une vivante charité et une espérance durable au milieu de tous les obstacles et résistances, un grand sens du réel et du possible, avec, outre l'humilité et la simplicité, deux qualités qui précisent sa charité, en une seule formule: «le respect cordial». Respect sans cordialité devient distance, cordialité sans respect risque d'humilier l'autre. Retenons aussi: être « ferme sur les buts, suave quant aux moyens». Le tout dans un grand amour de Jésus-Christ et de son Église, et un grand désir d'imiter la Trinité: l'union dans la différence des personnes.

Bibliographie

- St Vincent de Paul.Correspondance, Entretiens, Documents, Paris 1920-1925, 14 vol,. plus tome XV.

- Louis Abelly. La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, Paris 1664, trois Livres.- En particulier: III, Chapitre XI, Section IV, envers les Prélats de l'Église.

- Pierre Blet. Vincent de Paul et l'épiscopat de France, Actes du Colloque International, (Paris 1981. Edizioni Vincenziane, Roma 1983, pp. 81-114. )

- Pierre Coste. Le Grand Saint du Grand Siècle, Monsieur Vincent, 3 volumes, Paris 1931. En particulier: II, Chap. 33, L'épiscopat, pp. 421-432, III, pp. 105-133.

- Michel Le Tellier, ministre. Lettre à M. le Comte D'Harcourt, 1645, “Saint Vincent de Paul au Conseil de Conscience”, Annales de la C. M. et F. de la Ché, tome 118, 1953-2, pp. 507-509.

- Pierre Séguier, chancelier. Notes au Conseil de Conscience, manuscrit inédit, 3 recueils, (Bibl.. Nat., fonds français, 15720 - 15721 - 15722. Extraits, par M. Joseph Guichard, C. M., dactylographiés: Notes et Documents, III, n° XV, pp. 225-269).

Et les biographies de plusieurs des Évêques en relation avec Saint Vincent.

Depuis La vraie vie de Saint Vincent de Paul, par Antoine Rédier, Grasset, Paris, 1927, il est devenu de mode de nier la captivité de Vincent. Le seul argument de Rédier est que c'est invraisemblable; plus tard, il a écrit comment un lazariste a chargé Grandchamp, attaché à l'ambassade de France à Tunis, de chercher des arguments pour fonder un peu plus la négation, arguments tous démontés par le spécialiste Turbet-Deloff, directeur des Études Maghrébines à l'Université de Bordeaux, et par plusieurs publications récentes d'archives, confirmant que le récit de Vincent est fort plausible. De plus, personne n'a jamais analysé le début ni la fin des deux fameuses lettres, et pas sur les manuscrits autographes; on s'est fixé sur le récit central, et d'après le texte imprimé. Or les deux lettres, d'Avignon et de Rome, sont écrites non pas rapidement, comme les autres lettres de Vincent, mais très soigneusement, et, ce que ne met pas Pierre Coste, les deux sont paraphées, c'est-à-dire que la signature est suivie des arabesques propres à chaque participant d'un acte notarié ou judiciaire. Or Vincent n'emploie jamais son paraphe dans les lettres aux amis, mais toujours dans ses actes notariés ou judiciaires. De plus, les deux sont adressées à M. De Comet, un avocat, et envoyées en double, la première à M. D'Arnaudin, notaire et à l'évêché, et la deuxième, à M. De Lalande, lieutenant de police de Dax ! Enfin, leur objet n'est pas le récit, mais un acte très officiel: une reconnaissance de dette, avec explication de la raison du retard à rembourser (la captivité) et promesse de le faire dès que possible, conformément aux actes prévus par la législation des notaires. On trouvera les références à ces législations dans mon article Saint Vincent expert en procédure, publié dans le Bulletin des Lazaristes de France, n° 168, Avril 1999. Bref, même si le style est animé et quasi romanesque, ces lettre sont des actes officiels, adressés à des gens qui pouvaient facilement les faire vérifier par le Consulat de France à Tunis. Quant au style romanesque, il est fréquent chez Vincent, expert en récits animés et en scènes vivantes. D'autre part, nous savons son obsession de secourir les esclaves des musulmans, ses démarches à Rome pour obtenir des missions à Salé, au Maroc, à Babylone, au Proche-Orient, seules Tunis et Alger aboutissant: aucun autre spirituel français n'avait alors cette préoccupation.

Arch. Départ. de Charente Maritime, Série 3 E 1203, f° 229. Minutes de Maître Combauld, notaire à La Rochelle, Registre 1608-1610, liasse de 1610. Arch. de la Mission, photocopie.

Jean Dagens, Correspondance du Cardinal de Bérulle, pp. 118.

. Aux Missionnaires, sur les Vœux, 7 novembre 1659, S. V. XII, 376.

S. V. XIII, 66-84.

S. V. I, 20-21.

Copie dans dossier de 1686 aux Archives Départementales du Rhône, Section Ancienne, 2 Chemin de Montauban, 69005 Lyon, cote 19 H 1.

Indications résultant des registres des Provisions (Arch. Dép. du Rhône, Arch. Anciennes, 1 G 87 = registre 8), et des Insinuations, 1 G 120 = registre 79): à ces dates, les actes sont signés par le Vicaire Général.

S. V. XIII, 442 et 456, 463, 482, et 419 en bas, notice du Document 125.

S. V. XIII, 57-60, et Pierre Coste, Le Grand Saint., I, p. 77.

S. V. XIII, 202 et 203.

S. V. I, 563.

S. V. I, 66, note 6.

Delettre, Histoire du diocèse de Beauvais, cité par Fernand Potier de la Morandière, Augustin Potier, Évêque et comte de Beauvais, Pair de France, Paris, s.d., p. 33.

Pierre Collet, Vie de Saint Vincent de Paul, I, 28à, 281. Coste, Le Grand Saint du Grand Siècle, II, 317. S. V. I, 421, 450; XI, 282.

S. V. II, 387-388.

S. V. XI, 132 en bas.

S. V. III, 491, note 1; 351. Abelly, III, 257-258.

S. V. XIII, 557-565 et 569-572.

S. V. V, 319, 323; et VI, 440.

S. V. II, 4, cf. VIII, 95.

S. V. IV, 148; 149; 172; 175; 204; autres références dans S. V. XIV, à “Jansénisme”, p. 279-280.

S. V. IV, plusieurs lettres, tout au long du volume.

Christian Dumoulin, Alain de Solminihac, Au service de Dieu et de sa gloire, Téqui, 1981, pp. 157-158. Pierre Coste, Le Grand Saint… Monsieur Vincent, II, p.109.

S. V. X, 579, 580; Livre Bleu 848.

S. V. 11