Saint Jean-Gabriel Perboyre. Mis en scène

Saint Jean Gabriel Perboyre

Mise en scène

par Joseph Loftus, C.M.

Province d'Irlande

Introduction

… Perboyre était d'une autre espèce. La menace de persécution et les autres difficultés de la vie missionnaire dans les profondeurs de la Chine apparemment le purifiaient et l'ennoblissaient.

Saint Jean Gabriel Perboyre, a souvent été, au moins en ce qui concerne le lecteur que je suis, un « saint de plâtre » ; quelqu'un dont le regard, du haut de sa croix, au moment de la mort, vous réduisait à la taille d'un lilliputien, et dont l'héroïsme ne vous invitait pas tant à l'imiter personnellement, qu'à l'admirer de façon conventionnelle, comme tout le monde. Mais ses lettres nous révèlent une personnalité bien plus complexe que cela. Ce qui semble le plus intéressant dans son cas, ce ne fut pas son martyre, que l'on pourrait considérer comme un accident dû à la malchance, bien que supporté avec une foi extraordinaire, mais l'aisance avec laquelle cet homme sut réagir aux difficultés d'une vie missionnaire bien spéciale. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi, dans mon étude, de m'arrêter à la situation de la mission en Chine au moment de l'arrivée de notre saint afin d'explorer quelques-uns des problèmes de l'époque.

Au tout début, j'avais caressé l'espoir de pouvoir entreprendre des recherches sur les méthodes catéchétiques adoptées par Jean Gabriel Perboyre dans son travail en Chine. Toutefois, je disposais de trop peu de documentation en la matière et ses lettres elles-mêmes représentaient une source trop limitée pour en faire la base d'une étude sérieuse. C'est un domaine assez important pour justifier des recherches et j'espère, si le temps me le permet, y jeter un coup d'œil plus tard. À la place, j'ai choisi d'examiner l'état de la mission en 1835 lorsque Perboyre arriva en Chine et je me suis rendu compte qu'il y a là beaucoup à apprendre. Les lettres révèlent quelqu'un qui n'hésita pas à prendre à bras le corps les défis d'une mission, sur beaucoup de points, fort différente de ce à quoi il s'attendait. Pour le moment j'ai choisi de tenter de démêler l'embrouillamini de la situation missionnaire à laquelle Perboyre avait à faire face. J'ai choisi cette méthode de travail lorsque je me suis rendu compte, à la lecture des lettres et autres sources de moindre importance, que la situation en 1835 était très différente de tout ce que j'aurais pu imaginer. En plus, la consultation des lettres aboutit à une vision très confuse des choses, si on les lit à travers le prisme des formes ecclésiales qui, bien que faisant partie de notre image mentale de la mission de la Congrégation en Chine, sont en réalité postérieures à la mort du saint.

Un des risques de ce bref article sera d'induire en erreur le lecteur non familiarisé avec la phonétique chinoise. Les études sur le saint adoptent habituellement une convention archaïque en ce qui concerne la transcription des noms chinois de personnes et de lieux. On utilise alors ou bien la transcription choisie par Perboyre lui-même ou bien des modèles français datant du 19ème siècle. Or, il se trouve que le Gouvernement chinois a adopté, dans les années 50, sa propre transcription standard (usuellement appelée Pinyin), qui est maintenant largement acceptée pour écrire les termes chinois. C'est ainsi que le Pékin (Français) - bien connu - ou le Pe'king (Wade Jiles) devient Beijing. Pour ce document, j'ai fait choix, les citations mises à part, du Pinyin d'un bout à l'autre. Cette convention peut au début embrouiller un lecteur vincentien, mais je la crois plus utile à la longue, parce qu'elle permettra à nos recherches de s'accorder plus aisément avec la masse de remarques et de réflexions portant sur l'histoire de l'Église en Chine.

Une dernière remarque consistera à signaler que mon article s'appuie sur une base trop étroite du fait qu'il m'a été impossible d'avoir accès aux matériaux qui auraient le plus enrichi cette étude, à savoir la correspondance des contemporains du saint. Sans compter avec le fait que mes sources secondaires sont extrêmement limitées. J'espère toutefois que mon petit effort pour insérer la mission du saint en Chine dans son contexte social et historique nous aidera à apprécier sa sainteté à sa juste valeur.

J'aurais beaucoup aimé pouvoir donner plus de détails précis sur les lieux où Perboyre a travaillé, mais il a été impossible d'arriver, à partir des lettres, à reconstituer mentalement ces lieux tels qu'ils étaient à l'époque et j'ai l'impression que cette information serait disponible pour qui aurait accès à des sources secondaires qui ne sont pas à notre portée.

La Chine, Rêve et Réalité

Cette Chine est si différente des autres pays que pour qui n'est pas sur place il est totalement impossible de se rendre compte clairement de tout ce qui lui est particulier.

Jusqu'au moment où il débarqua du « Royal George » à Macao, pour Jean Gabriel Perboyre, l'Empire Chinois n'existait que comme le pays des héros et des démons, des vêtements souillés de sang et des cordes qui avaient servi à étrangler son confrère François Régis Clet, C.M., 15 ans plus tôt. La Chine, c'était aussi la région du monde que son frère avait essayé d'atteindre au prix de sa vie et, de plus en plus, le continent vers lequel une Église de France rajeunie tournait ses regards comme vers un objectif possible de son zèle missionnaire. Ce qui avait alimenté sa vocation missionnaire, c'était une notion romantique du martyre, plutôt qu'une compréhension réelle de la région qui allait être désormais sa patrie. Au cours des cinq années à venir, il allait faire connaissance avec les vrais problèmes de la Chine tout en gardant sans cesse le sentiment d'avoir « été envoyé par la France ». Paradoxalement, ce fut l'abandon de sa vision plutôt romantique du martyre qui le prépara au genre de mort par lequel il devait passer. On peut dire que son héroïsme ne consista pas dans sa manière d'accueillir sa condamnation à mort le 11 septembre 1840 mais plutôt dans l'acceptation complète du lent remodelage de sa vision missionnaire au cours des cinq années qui précédèrent son ultime sacrifice. Il avait appris que la Chine était un pays différent de ce qu'il avait imaginé et néanmoins, une fois ces différences acceptées, il était fin prêt lorsque les messagers de l'Empereur DaoGuang apportèrent la nouvelle confirmant son sort. Des générations de missionnaires envoyés en Chine, inspirés à leur tour par son héroïsme, ont dû faire la même transition, même si tous ne réussirent pas à le faire avec la même paix intérieure.

Lorsque Perboyre mit le pied sur le sol chinois il arrivait dans un pays qui se trouvait à la dernière phase d'une isolation ― loin d`être heureuse ― face aux courants en train de modifier l'ordre du monde commun au 19ème siècle. La révolution industrielle et la paix en Europe stimulaient l'économie du globe. La Chine, si elle avait accepté de s'y ouvrir, eût fait un partenaire naturel du développement du commerce. Mais l'auto-suffisance économique de l'Empire Chinois et sa conviction de se trouver à sa place naturelle de centre du paysage politique global avaient peu de rapports avec les modèles cachés du commerce mondial ou avec l'importance croissante de la puissance de l'Europe d'abord et plus tard, de l'Amérique.

En 1835, la Chine était gouvernée par un empereur « indolent et étroit d'esprit » : Dao Guang. Il était le sixième empereur de la dynastie étrangère et impopulaire des Qingy. Il n'avait pas affaire uniquement aux incursions encore insignifiantes des étrangers, mais aux révoltes paysannes, un signe historique de soulèvements dynastiques. En dépit de toutes ces pressions, sa vision impériale lui permettait encore de se croire le seul acteur sérieux sur la scène mondiale : il restait convaincu qu'il n'avait rien à craindre de l'extérieur. En conséquence, il n'acceptait de tribut que venant d'émissaires étrangers, plutôt comme un papa accepterait avec grâce un don fait de la main à la main par un gamin de retour de sa classe de jardin d'enfants. Peu importait que ce tribut vint d'une petite principauté en Indonésie ou du puissant Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande. Du fait que sa position non comparable à celle des gouvernants de n'importe quel état barbare, il ne pouvait même pas imaginer un « partenariat » commercial quelconque et c'est le motif pour lequel il s'opposa à toutes les tentatives de dialogue entre égaux. Les pressions discrètes en vue d'aboutir à un commerce international, avec une demande de biens chinois à l'Ouest non équilibrée par une demande chinoise équivalente de produits manufacturés en Occident, déboucha finalement sur le commerce illégal d'un produit que les Chinois recherchaient avidement, l'opium. Cette situation désordonnée devait avoir pour conséquence la fin de l'isolation de la Chine, ce qui la forcerait, après 1840, à ouvrir ses portes aux commerçants et aux missionnaires qui se présentaient à ses frontières. Toutefois, en 1835, l'Empire Chinois conservait encore un reste de son antique grandeur et les commerçants et missionnaires occidentaux, dépourvus du soutien militaire de leurs gouvernements, devaient accepter de faire des courbettes devant le trône céleste ou, au cas contraire, risquer le châtiment. Les arrangements que les étrangers pouvaient inventer à leur avantage étaient souvent illégaux et soumis à l'application plus ou moins capricieuse de la loi par les officiels de l'administration centrale ou locale. C'est ainsi qu'il arrivait que le commerce - illégal - de l'opium pouvait se prolonger ouvertement pendant un certain temps puis se voir soudain bloqué au prix de grosses pertes pour les marchands, tandis que les missionnaires se livraient publiquement et en toute liberté à leur ministère un jour alors que le lendemain ils risquaient l'exécution sommaire. C'est dans cette Chine que Perboyre débarqua, et que sa mort coïncida avec son éviction.

La France et le Portugal, deux situations en contraste

…alors que la famille de saint Vincent est si sérieusement éprouvée au Portugal, en France elle se relève de plus en plus et se fortifie dans l'Esprit du Seigneur.

La vocation missionnaire de Perboyre s'était développée dans une période très spéciale pour le Catholicisme Français. Après les guerres Napoléoniennes, l'Église en France commença à récupérer un peu de son pouvoir. Ce qui en sortit, ce fut une Église confiante bien que plutôt mal à l'aise et consciente d'avoir surmonté d'énormes difficultés. Une expression significative de la résurrection de l'Église fut son élan missionnaire. De nouvelles structures missionnaires émergèrent, adaptées parfois à partir d'institutions pré-révolutionnaires, parfois créées ex nihilo en réponse au changement de circonstances. Par exemple, en 1816, les Missions Etrangères de Paris nouvellement reconstituées envoyèrent en Chine leurs premiers nouveaux missionnaires depuis 1807 et, à la même période, une nouvelle association, la Société pour la Propagation de la Foi fut fondée en 1822. La Congrégation de la Mission, rétablie en France en 1820, partageait cette nouvelle attitude sûre de soi. C'est très délibérément qu'elle s'efforça de souligner sa continuité avec la communauté pré-révolutionnaire, ce qui ne l'empêchait pas de « s'adapter » en vue de s'insérer dans le nouvel esprit missionnaire de l'époque. C'est ainsi que la Congrégation de la Mission, parmi toutes les possibilités apostoliques qui lui étaient ouvertes, jeta les yeux sur la Mission Française de Chine, qui n'avait, pourtant, été acceptée qu'à contre-cœur par les vincentiens français en 1784. En 1835 il y avait déjà six confrères Français à pied d'œuvre dans la mission, deux de plus arrivèrent avec Perboyre et avant sa mort sept autres avaient rejoint l'équipe.

Il y avait, en 1835, une autre Mission Vincentienne en Chine. Les confrères portugais étaient arrivés à la même époque que les Français dans le but de reprendre les Missions Jésuites Portugaises à Macao et plus tard à Beijing. Leur position, spécialement à Macao, était plus sûre que celle de leurs confrères français, du fait qu'ils étaient membres de la Mission Portugaise soutenue par le Gouvernement parce que fondée par la Reine du Portugal. Cette faveur ne leur conférait plus autant de dignité que dans les siècles précédents, mais localement parlant c'était encore un atout important. En 1835, l'Empire Portugais était une force presque éteinte, car elle ne retenait comme vestiges du passé que quelques rares colonies en Asie, ce qui donnait à Macao une importance cruciale à la fois pour les commerçants et les missionnaires. Bien qu'il ne restât au Portugal que peu d'influence internationalement parlant, il pouvait encore se mêler avec succès des affaires de l'Église et n'hésitait pas à le faire régulièrement, réclamant le respect d'un ensemble de droits, appelé le Padroado qui lui avait été accordé lors d'une période d'expansion dans l'histoire du pays. En 1783, deux vincentiens portugais venus de Goa arrivèrent à Macao pour y installer un séminaire et plus tard, en 1801, deux autres allèrent jusqu'à Beijing pour prendre en charge la Mission Portugaise qui s'y trouvait. La Congrégation elle-même avait été supprimée au Portugal dans les années précédant 1833. Et bien que deux autres missionnaires Vincentiens Portugais entrèrent en Chine après l'arrivée de Perboyre, la Mission Portugaise, sous la forme sponsorisée par le gouvernement à la façon d'autrefois, était sérieusement en déclin en 1835. À cette époque, il restait onze vincentiens portugais dans la Mission Chinoise, dont sept travaillaient à Macao.

Dans cette situation, un missionnaire français qui débarquait à Macao en 1835 était soutenu par l'enthousiasme missionnaire qui bourgeonnait dans sa patrie mais il ne pouvait pas encore compter sur la protection de son gouvernement. À ce moment-là, la ruée à la recherche d'influence en Chine, sous sa forme soutenue par les gouvernements n'avait pas encore commencé. L'Europe en général était en plein expansionnisme, mais ses acteurs traditionnels en Asie, le Portugal et l'Espagne, n'étaient plus au centre de la compétition ; leurs rôles allaient être bientôt repris par l'Angleterre et la France. Au moment de l'arrivée de Perboyre en Chine, ses confrères français étaient « des nouveaux venus » si on les comparait aux Portugais déjà bien installés. Et en dépit des relations amicales entre les deux groupes et de l'aide qu'ils se prêtaient les uns aux autres sur le terrain, les cinq années à venir allaient donner l'impression d'une constante lutte d'influence entre les deux missions ce qui concernait la reconnaissance officielle. Ajoutons que le premier danger avec lequel Perboyre aurait à compter n'était pas l'hostilité des Mandarins « païens » mais l'antagonisme éventuel des autorités Catholiques de Macao, soucieuses de maintenir des privilèges surannés.

L'Église chinoise en 1835

En 1835 la situation de l'Église en Chine n'était pas brillante, bien que l'augmentation du nombre des missionnaires en Chine commençait à produire des résultats et à stopper le déclin du nombre des Catholiques. Les estimations pour cette période sont à prendre seulement pour des indications plutôt que dans l'absolu, mais il était clair que l'âge d'or avait pris fin. La mission fondée par Ricci à Beijing, avec ses antennes en direction des classes cultivées, avait été stoppée à cause de la controverse sur les Rites et alors qu'il existait encore techniquement parlant une présence à la Cour en 1835, cette mission était morte en réalité. Dans les provinces la situation était compliquée et inégale. L'Église qui autrefois avait atteint jusqu'à 300 000 membres répandus à travers tout l'empire n'en comptait plus que 200 000. Le clergé local, en général, provenait des mêmes milieux, très simples, comme leurs fidèles, et ne recevait qu'une formation sommaire. Ses membres avaient été capables d'exercer leur ministère avec le soutien d'un leadership efficace de la part de l'Église lorsque soudainement l'arrivée des missionnaires s'arrêta. Vers la même époque des missionnaires Protestants avaient commencé à se présenter sur la scène et, bien que leurs efforts ne représentaient pas un vrai danger pour les missions Catholiques établies depuis longtemps, ils fournirent à la Chine l'alternative d'une autre stratégie missionnaire qui devait par la suite se montrer très fructueuse. Des persécutions sporadiques, quoique souvent localisées, affaiblirent encore plus les communautés. Perboyre fut surpris de trouver à Fujian une Église publique florissante et bien vivante, qui ne cadrait pas du tout avec sa vision romantique d'une Église persécutée, mais dans d'autres endroits les communautés mûres avaient complètement disparu. En plus de ces causes externes, des divisions internes à l'intérieur de l'Église la rendirent moins apte à faire face à la situation telle qu'elle était à l'époque.

Il y avait sous le système du Padroado, de 1690 jusqu'à leur suppression en 1842, trois diocèses en Chine : Beijing, Nanjing et Macao. En théorie, ils couvraient neuf provinces (selon le calcul actuel). En pratique, leur juridiction était limitée par la situation politique en Chine, par des rivalités entre missions nationales, par l'incapacité du Portugal de fournir convenablement les diocèses en personnel et en ressources et par le désir de l'Administration Romaine de se tourner vers un genre de gouvernement local plus en conformité avec les besoins du temps La politique européenne de l'époque rendait impossible une simple annulation du Padroado et la solution choisie par Rome fut de remettre l'administration de provinces entières à des Vicaires Apostoliques. Ces Vicaires Apostoliques étaient soumis à la juridiction directe du Pape, et ainsi cessaient d'être sujets du Padroado. Ce moyen permit à Rome d'enlever le contrôle de certaines des Missions Chinoises à l'influence inefficace du Portugal sans s'opposer directement aux autorités Portugaises.

À l'époque de l'arrivée de Perboyre en Chine, le Siège Episcopal de Macao était vacant depuis 1828 et devait, en fait, demeurer ainsi jusqu'à la nomination, en 1845, de Jerôme de Matta, C.M., un membre de l'équipe enseignante du Séminaire Saint Joseph. Le Siège de Beijing avait été vacant pendant 17 ans et un administrateur, Cajetan Pires Pereira, C.M., qui était lui-même évêque de Nanjing, dirigeait le diocèse. Pires s'était vu incapable d'obtenir la permission de quitter son poste au Bureau Impérial d'Astronomie. C'est ainsi que le Diocèse de Nanjing était lui aussi sans évêque résident, son administration étant entre les mains d'un Vicaire Général, Domingos-Jose de Santo Estevam Henriques, C.M., qui était souvent malade et finalement retourna au Portugal.

Comme pour les diocèses, il existait des Vicariats dispersés à travers la Chine Centrale et Orientale à la charge de diverses congrégations religieuses (sans inclure la CM). Ces structures administratives plus contemporaines possédaient le potentiel nécessaire pour faciliter un développement ordonné de la mission mais, en fait, elles n'existaient souvent que sur le papier par manque de personnel pour les diriger. Par-dessus le marché, le nouveau système de vicariats était coiffé d'un réseau confus de districts administrés par la société missionnaire qui les avait fondés. Ces districts n'étaient pas totalement soumis à la juridiction du Vicaire Apostolique de la province où ils étaient situés, d'après le principe selon lequel les « droits » établis de l'organisation qui les avait fondés n'avaient pas été abrogés par le nouvel arrangement. Le résultat était un système administratif horriblement compliqué et l'arrivée d'une nouvelle génération de missionnaires venus d'Europe, après les guerres Napoléoniennes, mettaient en relief l'urgence d'une réforme administrative.

Les Lazaristes, successeurs de la Mission Jésuite

Les vincentiens français qui arrivèrent à Beijing en 1784 ne prirent possession que d'une partie du grand apostolat Jésuite en Chine, à savoir la Mission Française. La Mission Jésuite Française s'était séparée de l'ensemble de la Mission Jésuite (principalement Portugaise) en 1685 et elle était soutenue par le Gouvernement Royal de France. Son centre d'opérations était l'église de Saint Sauveur, le BeiTang à Beijing et elle comportaitr un grand nombre de districts de mission éparpillés sur une immense surface de la Chine Centrale et Orientale. Les vincentiens français n'avaient jamais disposé d'un personnel suffisant pour pouvoir administrer cette collection dispersée de districts missionnaires. En 1820 le responsable de la mission, Louis François Marie Lamiot, C.M. fut expulsé de Beijing et se réfugia à Macao. Au cours des 15 ans qui suivirent, le supérieur de la mission de Beijing fut un confrère chinois, Mathew Xue, C.M. qui, craignant la persécution, déplaça en 1826 le Quartier Général de la mission de Beijing à Xiwangze en Mongolie. À son tour il remit la responsabilité de la mission à Joseph Martial Mouly, C.M. en 1835. En 1829, Jean Baptiste Torrette, C.M. arriva à Macao. Il était le premier Vincentien envoyé de France depuis le rétablissement de la Congrégation en France et à la mort de Lamiot, il devint le directeur effectif de la Procure et le responsable de la mission.

Les vincentiens portugais avaient, en 1784, fondé le Séminaire Saint Joseph à Macao dans les locaux de l'ancien collège Jésuite du même nom. Il était donc naturel, en conséquence, que leur compatriote, Mgr Gouvea, évêque de Beijing, ait pensé à les inviter à prendre en charge la Mission Portugaise (Jésuite) de son diocèse. Leur centre d'opérations à Beijing était l'église Saint Joseph, le DongTang de Beijing. Les deux missions nationales étaient complètement distinctes, elles maintenaient leur indépendance financière et leurs programmes de formation et cette dernière mission était, en 1835, seulement de façon nominale sous l'autorité du Supérieur Général récemment rétabli dans ses fonctions. Toutefois, Clet s'était aussi occupé de la question dans ce qui était, à strictement parler, territoire de la Mission Portugaise et plus tard Perboyre agit de même. Le contraste entre les deux missions était que la Française entrait dans une période de croissance vigoureuse tandis que le secteur portugais était sérieusement en déclin.

Perboyre était le centième Vincentien à venir travailler en Chine, la majorité de ses prédécesseurs furent Chinois, 25 étaient Portugais, et 17 Français. Toutefois, les missions vincentiennes de cette période sont désignées soit comme Françaises soit comme Portugaises. Perboyre lui-même ne tenait pas à être considéré comme faisant partie d'une mission « Chinoise ». Cette réticence tenait plus à une volonté de se présenter sous l'identité d'un envoyé de la France pour la Mission de Chine par contraste avec les Portugais, qu'à un fort sentiment anti-Chinois. La localisation de l'Église Chinoise serait le problème d'une période plus lointaine; mais en 1835 la question était différente. Le nouvel enthousiasme missionnaire en Europe rendait la réorganisation des territoires de la Mission Chinoise urgente et possible. La question pour Perboyre et ses compagnons, bien qu'il ne la présente jamais aussi sèchement, était de savoir lequel des deux groupes des Vincentiens européens définirait le nouveau style de la mission en Chine, celui des Portugais de l'établissement ou celui des Français ragaillardis ?

À quelle Mission Perboyre était-il rattaché?

La Mission Française desservait 40 000 fidèles appartenant à des communautés dispersées dans plus de sept provinces : Mongolie, Zhili, Shandong, Hénan, Hubei, Jiangxi et Zhejiang. Bien que ces districts aient été éparpillés à travers de nombreuses provinces et vicariats, du fait qu'ils faisaient partie de la Mission Française, ils étaient sous la juridiction du Diocèse de Beijing. De façon très correcte et avec une grande délicatesse, Perboyre envoya une lettre cordiale d'introduction à son confrère portugais João de Franca Castro e Moura C.M., qui, bien que vivant dans la province de Shandong, était alors Vicaire Général du diocèse vacant de Beijing. Le chef de mission vivait à Macao, auprès du Séminaire Saint Joseph mais de façon indépendante. À partir de cette base, il échangeait une correspondance vivante avec ses confrères à travers toute la Chine et semble avoir été capable de mener une véritable surveillance administrative et financière de la mission, à en juger par les lettres de Perboyre. En plus il dirigeait un séminaire, la suite du séminaire de la Mission Française à Beijing que Lamiot avait transférée à Macao en 1820. Il avait avec lui trois confrères Vincentiens, deux Chinois et un Français pour l'assister. Perboyre travailla avec un groupe de confrères responsables de plusieurs districts dans quatre provinces : Hénan, Hubei, Jiangxi et Zhejiang. Dans une lettre visiblement destinée à éveiller des sentiments missionnaires au pays, Perboyre décrit la transformation opérée par la présence de ses confrères français, et donne, par défaut, l'impression que peu de choses avaient été réalisées avant leur arrivée. En fait, ce n'était pas le cas. Les confrères chinois avaient été au travail dans ces districts pendant toute la période où les missionnaires français furent absents. Toutefois ils étaient peu nombreux, le territoire était vaste et les persécutions étaient sévères. En conséquence, d'immenses bandes de territoire étaient, effectivement, abandonnées. L'arrivée de plusieurs prêtres étrangers et la nomination d'un nouveau supérieur permit une grande restructuration de la mission (qui équivalait à une nouvelle fondation), mais il aurait été impossible aux autres étrangers de faire quoi que ce soit de substantiel sans les confrères chinois et les catéchistes qui firent plus gros du travail.

Le Personnel

Les Vincentiens en Chine en 1835 comprenaient des Chinois, des Portugais, et des Français. Les neuf Français étaient relativement jeunes (âge moyen 30 ans) et étaient arrivés récemment, le plus ancien, Torrette, (né en 1801) ayant débarqué à Macao seulement en 1829. Les 11 Portugais étaient, dans l'ensemble, plus âgés (âge moyen 50 ans) et avaient une grande expérience. Un des professeurs chinois de Perboyre, Joachim Gonsalves, C.M., était un lettré d'importance et son dictionnaire Latin-Chinois eut plusieurs éditions. On aurait pu s'attendre à ce que le groupe le plus nombreux, les 18 Chinois (âge moyen 40 ans) fournissent des leaders à la mission, mais le niveau d'enseignement qu'ils avaient reçu et les exigences des missionnaires étrangers (et de leurs Supérieurs européens) ne permettaient pas facilement cette possibilité. L'exemple classique de ce manque de vision fut le transfert de la direction de la Mission Française en Mongolie de l'administrateur, expérimenté, le vieux Xue âgé de 54 ans au jeune missionnaire récemment arrivé, Mouly âgé seulement de 28 ans.

La Mission de Perboyre

À l'époque de l'Empereur Kanghi (sic) les Chrétiens possédaient des églises dans beaucoup de villes; lesquelles sont aujourd'hui entre les mains de païens, et les Chrétiens sont dispersés dans les régions rurales, spécialement dans le Honan (Hénan), où l'on trouve parmi les citadins à peine 20 personnes venues de Peking engagées dans le commerce et la surveillance dans la capitale de la province. Ce qui signifie qu'ici, comme en France, nous avons la joie d'être des missionnaires au service des pauvres gens de la campagne.

Les districts de la Mission Française au Hénan, et plus tard au Hubei étaient le terrain missionnaire de Perboyre. Le supérieur de la mission était François Alexis Rameaux, C.M. et, avec l'arrivée de Perboyre, il avait à sa disposition cinq coopérateurs pour s'occuper des communautés catholiques dispersées sur un territoire ayant à peu près les dimensions de la France. Ces communautés incluaient non seulement celles directement sous l'autorité de la Mission Française mais aussi, en réponse aux appels de Pires, les communautés du Hénan administrées par Nanjing. L'évêque de Nanjing administrait le Hénan mais selon Perboyre lui-même, cette province ne faisait pas partie du Diocèse de Nanjing, son voisin oriental. Hubei faisait partie du Vicariat de HuGuang, (aujourd'hui Hubei et Hunan) mais en 1835 le Vicariat, alors vacant, était administré par le Vicaire Apostolique de Shanxi/Shaanxi. Bien que les lettres de Perboyre soient habituellement d'une tonalité positive, le besoin d'une réorganisation était évident. Il existait un désir de changement et, en janvier 1838, Perboyre imaginait déjà l'aspect que prendraient en fait les missions de la Congrégation dans la Chine du sud.

La mission de Perboyre eut été difficile, même s'il n'y avait pas eu d'autres questions impliquées. L'Église au Hénan et plus tard au Hubei avait été négligée depuis l'époque de la suppression des Jésuites et dans les années qui suivirent. Les distances entre les districts étaient immenses et les voyages missionnaires à faire pesaient très lourd physiquement parlant. Il est impossible que les missions individuelles elles-mêmes, même si elles sont décrites en termes encourageants dans ses lettres, aient été faciles, étant donné les négligences du passé. Son état de santé n'était pas très bon. À peine arrivé à sa base de départ au Hénan, il fut malade pendant trois mois, au point qu'on peut se demander si le changement de décision du docteur de Paris aboutissant à l'autorisation donnée à Perboyre de partir pour la Chine avait été raisonnable. Perboyre souffrit plus tard d'une hernie, ce qui n'était pas sans gravité étant donné la quantité de travail qui lui était demandé. Ses capacités en matière de connaissance de la langue sont discutables; toutefois, si l'on tient compte de la préparation sommaire qu'il reçut à Macao et de son âge, sa propre appréciation, dans son humilité, dut être raisonnablement correcte. La description que fait Perboyre de son collaborateur chinois (il le compare au coolie chargé de son principal bagage de prédicateur) s'explique probablement par la nécessité et non simplement par sa modestie. Selon une note de la partie publiée de sa Correspondance, la défense de ses capacités linguistiques provient apparemment du besoin qu'il éprouvait de montrer que ses silences au cours de l'interrogatoire étaient le résultat non pas d'une simple incompréhension mais de sa volonté d'imiter la patience du Christ. Une défense de ce genre n'est d'ailleurs pas nécessaire, vu que la qualité héroïque de la vie et de la mort de Perboyre n'oblige pas à chercher une comparaison - qui serait forcée - avec la Passion du Christ.

Ce qui manque dans les lettres de Perboyre c'est une réelle évaluation des méthodes utilisées, de leurs faiblesses et de leurs forces. On n'y trouve non plus aucune mention des doutes qu'il aurait pu avoir sur sa propre valeur personnelle. C'est peut-être là, il est vrai, une perspective trop contemporaine pour qu'on puisse l'appliquer au genre de lettres qui ont survécu ou même tout simplement pour que la question soit imaginable à cette époque. C'est un fait, aussi, que notre époque contemporaine est ravie, et même parfois se console, de découvrir que ses héros ont, après tout, eux aussi, des pieds d'argile. On ne trouve pas dans les lettres de Perboyre de pensées négatives sur son action et sur lui-même. Une mention de ces points faibles nous aurait aidés à comprendre plus aisément quelle fut sa lutte. L'absence de mention de réflexions plus intimes sur son expérience missionnaire veut dire qu'il nous faudra moins compter sur des affirmations directes de sa part que sur une reconstruction de ses dispositions intérieures à partir des opinions qu'il rapporte sur des sujets secondaires.

Les Compagnons Personnels de Perboyre

Rameaux, François-Alexis (né en 1802) Supérieur de la Mission,

Baldus, Jean-Henri (né en 1811)

Bai, John, C.M. (né en 1774)

Wang, Andrew (né en 1798)

Song, Paul, C.M. (né en 1774)

À partir de 1838

Ceng, Paul, C.M. (né en 1813)

Yang, Andrew, C.M. (né en 1803)

Liste des compagnons de Perboyre au Hénan et au Hubei, reconstruite à partir de ses lettres

Les compagnons de Perboyre en communauté furent, après qu'il eut quitté Macao, exclusivement Chinois ou Français. Lors de son séjour à Macao il étudia le chinois avec l'aide éclairée de Gonsalves, il enseigna même le français au Séminaire Portugais. Il semble toutefois que, arrivé dans sa mission, ses relations avec ses confrères portugais, à en juger par ses lettres, furent plus professionnelles que personnelles. La seule lettre adreséee à un confrère portugais, Costa, qui nous reste, manifeste du respect et un grand tact, mais pas la chaleur que l'on rencontre dans ses autres lettres. Nous n'avons, de lui, aucune lettre écrite à des confrères chinois, si, en fait, il en écrivit. Cela rend difficile de se faire, à partir de la correspondance, une idée de ce qu'étaient ses relations avec eux. Les lettres de Perboyre sont pleines de références à ces hommes et ce qui est agréable à constater c'est le naturel de ses descriptions. Nous ne trouvons pas dans ses références à ses confrères une vision politique correcte de type moderne, mais d'autre part, on n'y découvre aucun manque de respect pour ses compagnons chinois. Ses remarques démontrent une appréciation honnête de leurs vertus et de leurs défauts individuels. Un exemple : son avis adressé à Torrette et concernant un confrère impliqué dans des scandales non précisés est à la fois sage et respectueux, tout en évitant des affirmations sans nuances au sujet des confrères chinois en général. Dans un autre cas il lui arrive de faire des remarques sur des prêtres chinois peu soucieux de partir à la recherche de la brebis perdue, mais ses remarques évitent le ton dédaigneux qui pourrait rendre la remarque embarrassante. Au début de sa mission dans le Hénan, il eut, comme compagnon, John Bai, C.M., qui plus tard fut transféré avec lui au Hubei. Bai (ordonné en 1832) travaillait au Hubei lorsqu'un scandale public rendit son transfert nécessaire. On laissa à Perboyre une certaine responsabilité dans la réhabilitation de ce prêtre repentant. Les références à Bai (qui n'avait que deux ans de moins que lui) sembleront à des lecteurs modernes un peu paternalistes, mais Perboyre avait été directeur du Séminaire Interne de Paris et, peut-être, il se considéra, dans ce cas, dans une sorte de relation du type directeur/séminariste à l'égard de ce confrère. Les lettres de Perboyre laissent entendre qu'il demandait l'avis des autres confrères (y compris celui de son confrère chinois Song) sur la meilleure manière d'apporter de l'aide à son confrère dans ses ennuis, convaincu qu'il était que tous les deux étaient capables de bien travailler ensemble, et que Bai tirait profit de leurs relations. Il semble d'autre part que Perboyre vivait avec ses compagnons chinois dans une relation très ouverte. Il est plutôt surprenant, étant donné l'attachement de Perboyre à la mémoire de Clet, qu'il n'ait jamais mentionné que Paul Song, C.M. (né en 1774) avait été le collaborateur de Clet pendant de longues années. Plus tard, au cours de son emprisonnement il fut très soutenu par un autre confrère chinois, Andrew Yang C.M., qui avait été formé à Macao et ne rejoignit la mission que peu de temps avant l'arrestation de Perboyre.

Ses relations avec ses confrères français étaient plus complexes, comme il fallait s'y attendre. De tout le groupe il était le plus ancien en vocation et il avait été directeur du Séminaire Interne, un poste traditionnellement important. Peu de temps après son arrivée à Macao, il se permet, dans une lettre à sa sœur Antoinette, une remarque exceptionnellement sévère à propos d'un de ses compagnons français de voyage. Le langage brutal n'est pas commun et n'est peut-être que le résultat de plusieurs mois d'intimité forcée sur le bateau. Toutefois la vigueur des remarques nous suggère de réfléchir sur l'identité du prêtre dont le nom n'est pas prononcé. Deux confrères Vincentiens voyagèrent avec lui à partir de la France. Joseph Gabet (né en 1808) et Joseph Perry, (né en 1808), les deux quittèrent finalement la Congrégation. Malheureusement, comme il n'est jamais dit explicitement que le compagnon déplaisant en question était Vincentien et qu'il y avait d'autres prêtres à bord, il est impossible d'enquêter plus en profondeur. Ses autres remarques à propos de ses compagnons sont chaleureuses et démontrent un véritable souci de ses jeunes (pour la plupart) compatriotes, avec en plus une humilité remarquable à leur égard. Rameaux, qui avait le même âge que lui, mais était plus jeune en vocation et en expérience sacerdotale désirait qu'on le considère comme le supérieur, mais Perboyre refusa fermement cette possibilité et semble réellement heureux d'avoir échappé à cette responsabilité. Les lettres laissent peu de choses à propos de son compagnon Baldus et c'est dans celles adressées à Torrette que l'on trouve des signes d'une relation plus franche. Ils avaient tous les deux à peu près le même âge et avaient été ordonnés vers la même époque, bien que Perboyre ait été plus vieux en vocation. Mis à part les communications touchant les dépenses, il y a une série de lettres dans lesquelles Perboyre note ses réflexions sur les modifications et les combinaisons possibles des nouveaux territoires qui pourraient être confiés à la communauté. Il est clair que Torrette avait une vision différente des choses et on perçoit quelques signes de tension entre eux. Il y a même un cas où Perboyre fut fâché quand Torrette transmit quelques-unes de lettres les plus générales de Perboyre pour qu'elles soient publiées à Paris dans les Annales de la Propagation de la foi sans permission. Une autre fois, il écrivit, plutôt sans aucun tact, il faut dire, au sujet d'un ancien procureur qui était considéré par ses contemporains comme inutile parce qu'il n'était jamais allé en Chine. Le procureur de cette époque, Torrette, n'avait jamais dépassé Canton, ce qui rendait la remarque susceptible d'être mal prise. Ce n'était pourtant pas le genre de Perboyre d'écrire de cette façon, ce qui explique que, dans une lettre postérieure, c'est un Perboyre mortifié qui remercie Torrette d'avoir corrigé son manque de tact. La dernière lettre de Perboyre à son Visiteur était d'une veine plus cordiale ; et ce fut une chance car, peu après et comme par hasard, Torrette mourut le lendemain de l'exécution de Perboyre, bien que ce soit, dans son cas, de causes naturelles.

Conclusion

La vie des missionnaires en Chine est toujours apostolique; elle se passe au milieu des fatigues et des dangers; pendant les trois quarts de l'année ils traversent de vastes territoires pour diriger les commuautés, prêchant, administrant les sacrements etc., vivant frugalement dans un pays où les riches, comme à l'habitude, vivent bien mais où les pauvres n'ont pas toujours un seul grain de riz pour se nourrir.

Les cinq années de Perboyre en Chine appartiennent à une période de transition dans la mission de l'Église là-bas. Cette transition prit finalement, et très rapidement, une toute différente direction après sa mort. Il arrivait d'une Église de martyrs avec au cœur un désir plutôt romantique d'être lui aussi martyr. Il souhaitait imiter Clet en donnant sa vie pour la mission exotique sur la route de laquelle son frère était mort. La réalité qu'il trouva en arrivant en Chine était bien plus complexe qu'il n'avait imaginé. Des autorités portugaises hostiles à Macao, des districts au Fujian qui paraissaient plus profondément “Catholiques” que l'Europe qu'il avait quittée, et des communautés au Hénan qui, loin d'avoir été fortifiées par le sang des martyrs, s'étaient écroulées tout simplement parce qu'elles avaient été négligées. Il trouva des rivalités nationales parmi ses compagnons européens et une structure administrative incapable de tirer profit des possibilités évangéliques que présentait le nouvel influx des Missionaires français qui débarquait. Il trouva aussi des faiblesses humaines parmi ses collaborateurs, tant français que chinois. Il trouva la Chine aussi sophistiquée que la France qu`il venait de quitter avec, toutefois, des disparités extraordinaires entre les riches et les pauvres. Il souffrit de ses infirmités physiques personnelles et d'une lourde tâche qui impliquait l'obligation de parcourir de longues distances pour administrer des communautés miniature. Une autre personne que lui aurait cédé sous le poids des désillusions : c'était un véritable abîme qui séparait sa vision, imaginée à Paris, d'une mission au coeur de la Chine mystérieuse, et la réalité si peu romantique que fut son apostolat au Hénan et au Hubei des années 1835-1836. Qu'il ait été « ennobli » au lieu d'être aigri par ses expériences, tout cela laisse à penser qu'il était vraiment « d'un type spécial » qui mérite toute notre attention et, on ose dire, notre imitation.

La personne qui ressort de ses lettres n'a rien d'un saint de plâtre ou de quelqu'un dont l'expérience ne serait valable que pour la Chine. Son histoire possède une portée bien plus universelle. Perboyre est l'image, en un certain sens, de chacun des Vincentiens que nous sommes tous potentiellement, et quiconque s'en est rendu compte en vient à espérer que tout un chacun, parmi nous, peut oser aspirer à ce type de sainteté rabotée, décapée - poncée à l'émeri, pourrait-on dire même - par ce mystère qu'est notre vie quotidienne. Ce n'est peut-être pas une idée bien nouvelle, mais elle est originale et elle peut devenir inspiratrice à la lumière de chaque exemple particulier, si elle est appliquée avec succès. Le Perboyre que nous découvrons dans ses lettres est un homme occupé à mettre en œuvre ce simple principe dans les circonstances impossibles de la Chine de 1835. Un homme qui, en agissant ainsi s'est transformé pour nous tous en modèle. A travers ses expériences il est devenu l'homme que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de saint Jean Gabriel Perboyre, C.M.

Bibliographie

Ferraux, Octave. “Histoire de la Congrégation de la Mission en Chine (1699-1950)” dans Annales de la Congrégation de la Mission, Tome 127, Année 1963, Paris, 1963.

Cordier, Henri. “The Catholic Church in China” in The Catholic Encyclopaedia, Volume III, Edition Enligne1999 (à partir de l'original de 1908).

Hubrecht, Alphonse. La Mission de Pékin et les Lazaristes, Imprimerie des Lazaristes, Pékin 1939.

LaTourette, Kenneth Scott, A History of the Christian Mission in China, 1929.

Maloney, Robert P., C.M. Des saisons dans la vie spirituelle, Tipografia Ugo Detti, Roma, 1998.

Van DenBrant Joseph (ed). Correspondance; saint Jean Gabriel Perboyre Congrégation de la Mission, Rome, 1996.

Van DenBrant, Joseph. Les Lazaristes en Chine, Imprimerie des Lazaristes, Pékin, 1936.

Ward Fay, Peter. The Opium War, The University of Carolina Press, Chapel Hill, North Carolina, USA, 1975, 1997.

(Traduction: FRANÇOIS BRILLET, C.M.)

Peter Ward Fay, The Opium War (La Guerre de l'opium), p. 102.

Je ferai exception pour quelques noms de lieux, tels que Macao et Canton, qui, du fait qu'ils nous sont devenus familiers, ne suivront pas cette convention.

Correspondance, 87, à Jean Baptiste Torrette, C.M., à Macao, p. 241.

Peter Ward Fay, op. cit. Peter Fay signale que d'autres missionnaires furent, eux aussi, désarçonnés par les difficultés qui firent la noblesse de Perboyre. On aimerait comparer les lettres de Perboyre avec celles de ses compagnons Rameaux ou Baldus.

Kenneth Scott LaTourette, A History of the Christian Mission in China (Histoire de la Mission Chrétienne en Chine), 1929, p. 286.

Ces révoltes culminèrent, vers 1850, avec la désastreuse Rébellion de Taiping au cours de laquelle 20 000 000 de personnes perdirent la vie.

.Perboyre ne fait référence qu'une seule fois, et en passant, au genre de commerce qui devait avoir une influence sur sa mort; il ne semble pas s'être rendu compte des contre-coups de son importation sur la Chine.

Ce fut la destruction de 20 000 caisses d'opium (dont le commerce était illégal en Chine) en juin 1839 qui déclencha la première Guerre de l'Opium et qui peut avoir influencé la décision de procéder à l'exécution de Perboyre.

Perboyre est complètement surpris de constater le succès et la vie en plein jour de l'Eglise dans la Province de Fujian Province, tels qu'il les décrit dans sa lettre 73. Toutefois, le missionnaire, dont le ministère si public l'impressionne le plus, Roch-Joseph Carpena-Díaz O.P., Vicaire Apostolique de Fujian, fut obligé de fuir en 1837 et sa mission florissante fut détruite.

Correspondance, 72, à Jean Castro, C.M. dans le Diocèse de Pékin, p. 154.

Kenneth Scott LaTourette, op. cit, p. 203.

Correspondance, 67, à Pierre Martin, C.M. à Paris, p. 137.

Bien que, techniquement parlant, la “Mission Française” équipée en personnel par la Congrégation de la Mission ait disparu au moment de la Révolution, j'utiliserai ces termes pour décrire la mission de la Congrégation fondée à partir de la France bien que les Missions de la Congrégation aient inclus une autre mission complètement séparée fondée à partir du Portugal. Cette dernière sera mentionnée sous le nom de Mission Portugaise.

Le Padroado était un ensemble de privilèges et de responsabilités en ce qui concerne l'administration de l'Église au sein de l'Empire Portugais accordés au Roi de Portugal au cours du 15ème siècle par le Saint-Siège. Il existait un arrangement similaire dans l'Empire Espagnol, connu sous le nom de Patronato. Les responsabilités incluaient la fondation et la protection des Missions Catholiques dans les Territoires portugais ainsi que le droit de nommer les évêques. A l'époque de la puissance de l'Empire Portugais, le système avait quelque utilité, mais au début du 19ème siècle le Portugal n'était plus capable de remplir efficacement les devoirs associés au Padroado, bien qu'il insistât toutefois sur le maintien des privilèges acquis. La Chine était considérée comme faisant partie de la zone d'influence du Portugal et les missionnaires en route vers la Chine étaient supposés voyager tous via Lisbonne. Macao fut, dès le début, le port de transit pour entrer en Chine. Ainsi, même avec son pouvoir en déclin en tant que force mondiale, le Portugal avait encore la possibilité d'exercer un certain contrôle sur la mission chinoise, contrôle disproportionné par rapport à sa puissance politique réelle.

Perboyre dit qu'il y avait cinq confrères dans l'équipe des formateurs au séminaire de Macao. Je ne saurais expliquer le pourquoi du désaccord en matière de chiffres.

En fait, si l'on en juge à partir de ses lettres, Perboyre n'eut aucun problème à Macao, mais Torrette avait été expulsé en 1832 pour un an et la question du Padroado n'était pas du tout réglée. Il parle dans certaines de ses lettres de la possibilité de voyager via Manille. Cela eut été, sur le chemin vers la Chine, un point de transit alternatif, au cas où Macao se serait fermé aux missionnaires de Chine qui ne s'étaient pas embarqués à Lisbonne, contrairement à ce qu'exigeait - avec insistance - le Portugal.

Au cours du 17ème siècle une dispute s'éleva parmi les missionnaires au sujet de l'utilisation de certains rites en l'honneur de Confucius et des ancêtres. Les rites eux-mêmes comportaient des amalgames religieux ambigus et l'issue de la querelle dépendait de leur réception et compréhension par le peuple. Les gens éduqués étaient d'accord pour y voir des gestes séculiers, mais les masses populaires moins bien informées les interprétaient comme des gestes religieux. Rome, après de longs débats, qui souvent tournèrent à l'aigre, interdirent aux Catholiques ce genre de cérémonies. Or les rites en question faisant partie de la vie publique, l'interdiction signifiait que les élites, qui étaient toutes généralement des fonctionnaires, ne pouvaient plus entrer à l'église. Le Christianisme se vit ainsi confiné à ceux qui vivaient sur les marges de la société. L'interdiction ne devait être levée qu'en 1939.

Perboyre n'en fait aucune mention, et pourtant on en trouvait aussi à Macao.

Van DenBrant, Joseph Les Lazaristes en Chine, p. 35.

The Catholic Encyclopaedia, Volume III, Online Edition, “The Church in China.” (L'Église en Chine)

Il est difficile de reconstituer la « chaîne de commandement » dans la mission à partir des lettres de Perboyre, mais il semble bien que Torrette ait, au début, été Procureur et responsable de la Mission Française ; il fut nommé Visiteur de la Mission Française en 1835. Il n'est pas clair comment cela se passa avec la Mission Portugaise.

Perboyre tout récemment arrivé avait clairement le souci de restaurer l'autorité internationale du Supérieur Général; voir Correspondance, 79, avec Jean Baptiste Torrette, C.M., à Macao, p. 212.

Il y eut un confrère irlandais Robert Hanna (1762-1797), qui rejoignit la communauté en France et arriva à Beijing avec Lamiot en 1794.

Correspondance, 96, à Jean Baptiste Torrette, C.M., Macao, p. 283.

Les lettres de Perboyre sont une source plutôt pauvre d'information sur la mission. Il n'était pas le supérieur, et ses lettres à Torrette ou au Supérieur Général ne sont pas des rapports officiels. Ainsi, dans sa correspondance, il se contente soit d`observations d'ordre général qui sont d'un vague désolant, ou au contraire, soit de textes fournissant des références spécifiques qui ne donnent pas l'impression de concerner l'ensemble de la mission.

Alphonse Hubrecht C.M., La Mission de Peking et les Lazaristes, p. 258.

C'est le Hebei moderne avec Beijing et Tianjin.

En route vers Hénan, Perboyre écrivit à Castro une très cordiale lettre de présentation. Correspondance, 72, to Jean Castro, C.M., au Diocèse de Pékin, p. 152.

Joseph Li, C.M. (né en 1803), appelé parfois Chen, et Matthieu Zhao, C.M. (né en 1810), à cette époque encore clerc. Les deux avaient vécu en France pendant au moins un an.

François-Xavier Timothée Danicourt, C.M. (né en 1806), qui plus tard introduisit les premières Filles de la Charité en Chine en 1848.

Correspondance, 77, à A. M. Candeze, Vicaire Général de Saint Flour, p. 200-205.

Ses capacités d'enseignant sont d'autant plus remarquables aux yeux de quiconque se souvient qu'il était strictement interdit d'enseigner le Chinois aux étrangers. Cette restriction était, en cette même période, un obstacle au développement du commerce international dans la ville voisine de Canton.

Correspondance, 89, à Pierre Martin, C.M., à Paris, p. 250. Perboyre fait plutôt ici de nécessité vertu, voir la note 16.

Il serait intéressant de publier une carte de ces districts de mission. L'auteur de cet article n'a pas été capable de reconstituer les emplacements à partir des lettres seules.

Correspondance, 77, à A. M. Candeze, Vicaire Général de Saint Flour, p. 200-205.

Ce détail peut sembler inutile au lecteur occidental, mais à partir de 1837 plusieurs des lettres de Perboyre, spécialement celles adressées au chef de la Mission, Torrette, sont des réflexions sur la meilleure division possible des territoires dans les intérêts de la Congrégation.

Correspondance, 90, à Jean Baptiste Torrette, C.M., à Macao, p. 253.

Pour une vision sommaire de la mission typique, voir Robert Maloney, C.M., Des saisons dans la vie spirituelle, p. 182.

Correspondance, 89, à Pierre Martin, C.M., à Paris, p. 244.

Voir la note de bas de page 2, ibid., 86, à l'Abbé Lacarière du clergé de Saint-Eustache de Paris, p. 234.

Il serait intéressant d'établir une liste du genre “Catalogus” des confrères de Chine en 1835. La plupart des listes partagent les gens selon les nationalités, ce qui risque de nous empêcher d'obtenir une image correcte de la composition des communautés locales à l'époque.

Correspondance, 78, à Jean Baptiste Torrette, C.M., à Macao, p. 207-208.

Ibid., 90, à Jean Baptiste Torrette, C.M., à Macao, p. 259.

Ibid., 80, à Jean Baptiste Nozo, Supérieur Général, à Paris, p. 218.

Les lettres de Perboyre sont, pour parler en général, une source limitée d'information en ce qui concerne les attitudes des personnes. Il écrivait souvent à des gens qui ne connaissaient pas personnellement les confrères chinois et, en conséquence, il se gardait de donner des nouvelles intimes sur leur comportement.

J'ai dans ce pays un ennemi particulier dont il me faudra me méfier ; c'est le pire individu que je connaisse ; il n'est pas Chinois, mais Européen. Il a été baptisé enfant puis ordonné prêtre. Il a fait avec nous, sur le même bateau, le voyage de France jusqu'en Chine. Je suis certain qu'il me suit partout, et si je tombe entre ses mains, il me détruira. Correspondance, 69, à sa soeur Antoinette, à Paris, p. 144.

Ibid., 80, à Jean Baptiste Nozo, Supérieur Général,à Paris, p. 218

Ibid., 96, à Jean Baptiste Torrette, C.M., à Macao, p. 282.

Ibid., 87, à Jean Baptiste Torrette, C.M., à Macao, p. 242.

Ibid., 86 à A. M. l'Abbé Lacarière du clergé de Saint-Eustache de Paris, p. 235.

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