Un signe à l'envers. L'eglise des paradoxes

Un signe à l'envers

L'Eglise des paradoxes

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général

Lorsque Cornwallis se rendait à Washington, les fifres britanniques à Yorktown pressentaient l'aube d'un ère nouvelle. Ils entonnèrent un chant populaire en hommage à l'esprit révolutionnaire qui régnait sur cette terre étrangère:

Si les boutons d'or bourdonnaient sur les abeilles,

Si les bateaux étaient sur la terre et les églises sur la mer,

Si les poneys montaient sur les hommes et si l'herbe mangeaient les vaches

Si les chats étaient chassés dans les trous par les souris,

Si l'été était le printemps et le contraire,

Alors le monde entier serait à l'envers.

Le nouveau monde annoncé par les évangiles abonde de ces paradoxes. Jésus, ses apôtres et les premiers chrétiens aimaient les utiliser dans leurs enneigements: dans le Royaume de Dieu, les derniers sont les premiers et les premiers sont derniers. Ceux qui sauvent leur vie, la perdent; ceux qui perdent leur vie la sauvent. Les humbles seront exaltés, ceux qui s'exaltent seront humiliés. Ceux qui pleurent se réjouiront, ceux qui rient pleureront.

Les évangélistes, et particulièrement Luc, voient le monde, pour ainsi dire sens dessus dessous. La venue de Jésus est le commencement d'une ère nouvelle: le royaume de Dieu est proche. Là, les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux dansent, les doux deviennent des conquérants, les pécheurs se transforment en saints, les morts ressuscitent... autant de paradoxes.

Evidemment, l'usage de paradoxes, de la part de Jésus, a décontenancé ses auditeurs, a bousculé leurs préjugés et les a conduits à examiner leurs vies à la lumière de ces affirmations énigmatiques. Par le fait de contester leur manière de considérer Dieu, le monde, les choses matérielles et la vie, les paradoxes étalent l'un des instruments favoris dont il se servait pour lancer un appel au repentir (1)

Le défi pour l'Eglise, signe et servante du Royaume, est de vivre ces paradoxes. L'Eglise est un signe vivant et une servante efficace, dans la mesure où les énergies du Royaume travaillent en elle. Puisqu'elle pèche la parole de Dieu, elle doit y être soumise. Par conséquent, les paradoxes du Nouveau Testament doivent trouver une place importante dans sa vie.

Bien entendu, l'Eglise n'est pas seulement la hiérarchie, mais tous ses membres. Nous sommes l'Eglise, le peuple de Dieu. Je voudrais vous suggérer quelques-unes des formes sous lesquelles ces paradoxes s'expriment dans la vie de l'Eglise - dans notre vie.

1. Lorsque l'Eglise sauve sa vie, elle la perd; lorsqu'elle la perd, elle la sauve.

L'Eglise ne doit pas trop se préoccuper de l'Eglise. Elle est pour le Royaume. Son souci fondamental doit être celui-là. Elle est la servante du Seigneur et la servante de la Parole en vue du Royaume. Le Seigneur lui a promis, avec une clarté suffisante, la participation complète qu'elle devait avoir à ses souffrances et à sa mort. Ses paroles paradoxales doivent résonner continuellement à ses oreilles: “Qui perd sa vie, la sauvera” (2)

Dans ce contexte plein de risques, l'Eglise peut être pleinement confiante que le Seigneur veille sur les siens. L'Evangile de Luc, le plus paradoxal de tous, est riche en passages sur la providence de Dieu. Dieu aime les siens, ceux qu'il a choisis dans les moments les plus dramatiques de l'existence humaine: dans la lumière et l'obscurité, la grâce et le péché, l'organisation et le désordre, la paix et le trouble, la santé et la maladie, la vie et la mort. Le Seigneur ressuscité marche auprès d'eux, les écoute, leur parle. Il les accompagna dans leurs souffrances et leur mort et il les ressuscite avec le pouvoir de l'Esprit. En temps de crise, son Esprit apprend aux membres de la communauté Chrétienne ce qu'ils doivent dire et comment ils doivent agir.

Par conséquent, l'Eglise ne doit pas être trop soucieuse d'elle même et de son avenir. Autrement, cela la rendrait par trop timide dans les moments de crise, par trop silencieuse lorsqu'elle doit affronter des maux évidents.

Tout au long de l'histoire de l'Eglise, il y en a eu certains qui ont été étonnement vaillants , ne craignant pas de perdre leur vie, car ils possédaient la pleine confiance de la sauver. Il y a eu des martyrs innombrables, les uns connus, d'autres inconnus. En certaines occasions, ils étalent nombreux et fortifiaient mutuellement leur foi, tels les martyrs de Nagasaki, de l'Ouganda, de Chine ou ceux des révolutions Française et Espagnole. D'autres fois, ils étaient presque seuls. Franz Jagerstatter, un paysan autrichien qui refusa de combattre dans l'armée d'Hitler, tandis que d'autres nombreux,-membres de l'Eglise, ayant une culture supérieure à la sienne, ont collaboré ou ont gardé le silence, tandis que le Nazisme foulait aux pieds les droits humains et commettait des crimes horribles. En Angleterre, au temps de la Réforme, Thomas More et Jean Fisher sont allés vers la mort complètement abandonnés de leurs collègues politiques ou des évêques, dont la plupart d'entre eux ont trouvé des raisons pour se soumettre aux désirs du roi.

2.Les pauvres sont riches. Les faibles sont forts.

Louise de Marillac et Vincent de Paul, fondateurs des Filles de la Charité disaient aux jeunes filles qui venaient à leur communauté:

Tout le monde aime voir le roi ou la reine. Les gens passent des heures dans les rues pour pouvoir les apercevoir, et rentrent à la maison émus rapportant à leur famille: `J'ai vu le roi et la reine! Ils sont passés dans leur voiture juste devant moi.' Mais dans le royaume de Dieu les pauvres sont rois, et vous avez le grand privilège de les voir tous les jours, d'écouter leurs besoins, de les servir. Quel don merveilleux nous a fait le Seigneur, si nous sommes capables de regarder à travers les yeux de la foi!

Nous pouvons être tentés de penser que ce sont seulement les saints qui parlent ainsi. Mais, en fait, les saints ne font que souligner ce que le Nouveau Testament nous dit en toute clarté à nous tous: L'authentique royauté dans le Royaume de Dieu ce sont les pauvres. Ceux qui sont vraiment puissants sont dépossédés de tout pouvoir. Le Christ pauvre annonce le Royaume de Dieu. Le Seigneur crucifié, dans sa faiblesse, constitue le centre de l'histoire.

Ce paradoxe comporte deux étonnantes implications. Premièrement, l'Eglise, si elle veut être véritablement l'Eglise, doit être “l'Eglise des pauvres”, comme l'a dit Jean XXIII à l'ouverture du Concile Vatican II. Aujourd'hui l'Eglise affirme avec une grande insistance son option préférentielle pour les pauvres. Elle nous rappelle sans se lasser que la proclamation de sa doctrine sociale est un élément essentiel dans la nouvelle évangélisation (3). Nous devons cependant nous demander si cet enseignement a creusé des racines profondes dans la vie de l'Eglise universelle ou si, au moins en de nombreuses parties du monde, elle demeure une déclaration éloquente, mais encore théorique.

Une seconde implication de ce paradoxe est que l'Eglise elle-même doit se réjouir d'être "impuissante". Saint Paul affirme que beaucoup considéreront cela comme une “folie”. (4.) . Mais le Seigneur crucifié, "la folie de Dieu", est présent aujourd'hui, comme toujours, dans "les peuples crucifiés" L'Eglise parviendra à sa plus grande vitalité, lorsqu'elle se trouvera à l'aise à la base, là où les gens souffrent. La mesure de la force de l'Eglise ne se trouve pas dans son influence politique, ni dans son prestige à n'importe quelle époque, mais bien dans sa capacité à vivre en solidarité avec les faibles. Ses armes primordiales ne seront pas son influence dans les corridors du pouvoir; sa force sera la parole de Dieu, lorsqu'elle proclame la vérité, et le témoignage d'un amour dans le sacrifice, lorsqu'elle proclame la présence perdurable du Seigneur crucifié.

Il existe une tentation permanente à laquelle l'Eglise peut facilement succomber: c'est celle de se trouver plus à l'aise auprès des riches et des puissants que des pauvres et des faibles. Et c'est en quelque sorte compréhensible. Est-ce que nous ne serions pas tous flattés de recevoir une invitation à dîner à la Maison Blanche? Cependant, les vrais héros de l'Eglise sont ceux qui dînent avec les nécessiteux, ceux qui servent de la soupe dans un foyer pour sans-abris ou ceux qui recherchent les causes de la pauvreté et les moyens de la faire disparaître.

Il y a quelques années, durant le Synode sur la Vie Consacrée, je remerciais le Cardinal Bernardin pour une homélie émouvante qu'il avait donnée sur la prière un soir dans une petite église de Rome. Il me dit que'il avait vraiment appris à prier et à sentir la force de Dieu durant les mois terriblement éprouvants durant lesquels il avait fait face à de fausses accusations. Il me semble que c'était alors, ainsi que durant les mois de son agonie, qu'il a donné le témoignage de foi chrétienne le plus puissant.

3.Ceux qui exercent une responsabilité sont des serviteurs

Peu d'affirmations, dans le Nouveau Testament, sont aussi claires que celle-ci. Jésus répète, sans se lasser, cette affirmation à ses apôtres: "Les chefs des nations dominent sur elles en maîtres... Il n'en doit pas être ainsi parmi vous: au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier, sera votre esclave. Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert" (5). En lavant les pieds de ses disciples, Jésus a manifesté sa conviction avec une parabole en action (6) .

En tant que personne exerçant une autorité dans l'Eglise, je sais combien il est facile d'oublier cette leçon. On prend facilement l'habitude de commander. Bien sûr, il est nécessaire de prendre des décisions. Il y a même des occasions ou il faut savoir décider, pour le meilleur ou pour le pire. Mais dans l'Eglise, les responsabless , même quand -ils ont à prendre des décisions, ne cessent pas d'être des serviteurs.

Ils sont, en premier lieu, les serviteurs de la parole de Dieu, sous ses diverses formes. Or, comme serviteurs de la Parole, ils doivent en être de bons auditeurs. Les Ecritures doivent être le fondement sur lequel reposent toutes leurs décisions. Les paroles de la communauté occupent aussi une place importante dans la liste des critères de discernement. Dans l'Eglise, le responsables ne se trouve jamais séparé de la communauté, pas plus que la communauté du responsables. "Ensemble, ils forment un seul corps, "auditeurs de la parole" selon l'expression employée fréquemment par Karl Rahner. Le responsables-serviteur ne dicte pas d'ordres à la communauté; au contraire, comme quelqu'un qui émerge de cette communauté, il exprime les convictions les plus profondes de celle-ci et en concrétise les jugements pratiques.

Pour le responsables, l'écoute suppose toujours un risque. Cette écoute peut me forcer à changer ma manière de penser, qui sait! même ma vie! Parfois, par crainte, ou même par conviction d'être en "possession" de la vérité, les responsabless de l'Eglise (d'autres aussi) n'écoutent pas. "Ils ont des oreilles et n'entendent pas"(7), parfois aussi, les structures d'autorité -les bureaucraties, les curies- deviennent dures d'oreille, imperméables à l'influence extérieure, au lieu de se mettre au service des autres, ils "dominent sur elles", comme dit Jésus. Mais les meilleurs responsabless, sont ceux qui savent écouter. Ils méditent les paroles de l'Evangile, les cris des pauvres, les appels de l'Eglise - toutes les voix par lesquelles Dieu parle. Ce sont eux les serviteurs authentiques.

Deux des meilleurs serviteurs que j'aie jamais connus ont été d'anciens supérieurs provinciaux. L'un avec qu j'ai vécu, aurait fait n'importe quoi dans la maison: laver les sols, faire les lits, nettoyer les toilettes. L'autre avait la vraie “simplicité d'un petit enfant”, sachant écouter sans fin, discerner et souvent proposer de sages conseils. Je suis convaincu que tous les deux ont grandi en esprit de service durant leurs années de responsabilité.

4.Même le péché peut ouvrir un chemin vers le bien (ou pour paraphraser la lettre de Paul aux Romains: là où le péché abonde, la grâce surabonde)

Felix culpa! (Oh! heureuse faute!) c'est l'un des chants les plus touchants de l'Eglise. C'est une hymne à la miséricorde de Dieu. Nous la chantons avec ]oie tous les ans lors de la Vigile Pascale. Qui ne se sent pris par l'émotion en se rappelant, dans l'évangile de Luc, l'histoire de la femme pécheresse qui a lavé de ses larmes les pieds de Jésus et les a séchés de ses cheveux? Qui n'est pas, également, ému par les récits, chez Jean, des conversations de Jésus avec la Samaritaine et la femme surprise en adultère?

Il est vrai que l'évangile fait remarquer que quelques-uns ne se sont pas laissé émouvoir. Dans touts ces récits, il y a toujours des observateurs aux alentours, qui hochent la tête. Malheureusement, les dangers du pharisaïsme, du "perfectionnisme", ont toujours été une plaie pour l'Eglise. Toutes les époques de l'histoire ont eu leurs propres “inquisiteurs", leurs "pélagiens". Il y en a toujours quelques-uns tout disposés à expulser les pécheurs de l'Eglise, quelques-uns qui n'ont pas assez de patience pour laisser pousser ensemble, jusqu'à la récolte, l'ivraie et le bon grain. Mais la "Sainte Eglise" est aussi "l'Eglise des pécheurs". Paradoxalement, les deux groupes s'entr'aident. En fait, il ne s'agit pas vraiment de deux groupes. Chacun de nous vit réellement comme membre de l'un et de l'autre. Comme le dit saint Jean dans sa première lettre, (9) "Si nous disons: `nous n'avons pas de péché', ... la vérité n'est pas en nous". Quand nous cessons de reconnaître notre péché, nous devenons très durs envers les autres; au contraire, quand nous reconnaissons que nous retombons fréquemment, nous devenons d'une plus grande douceur.

La surprenante conviction de l'Eglise ext celle-ci: nous ne sommes vraiment des saints que lorsque nous reconnaissons que nous sommes des pécheurs. Nous pouvons louer Dieu même pour les effets que le péché cause en nous, s'il nous conduit à nous retourner vers lui avec humilité et dans une inébranlable confiance. Ceux qui ont été beaucoup pardonnés, aiment beaucoup. Le Royaume est un foyer paternel débordant de la miséricorde de Dieu. "Ce fils était perdu et il a été retrouvé. Il était mort et il a été rendu à la vie"(10'). L'auteur de l'épître aux Hébreux proclame: avançons-nous avec assurance vers le trône de la grâce, afin d'obtenir miséricorde..." (11)

Quelques-uns des membres les plus illustres de l'Eglise ont eu un passé assez sombre: Pierre, Paul Augustin... pour n'en nommer que quelques-uns. Nous nous trouvons en bonne compagnie si, de notre part, la reconnaissance que nous sommes pécheurs devient l'une de nos forces.

5.Mieux vaut donner que recevoir

Comme il arrive pour tous les paradoxes, celui-ci n'est pas un principe universel qui peut être appliqué en chaque cas. Parfois, il est meilleur pour nous de recevoir que de donner, surtout s'il nous arrive d'être du nombre de ceux qui n'aiment pas recevoir!

Mais la phrase de Paul, que l'on considère parfois comme une parole de Jésus, a été un défi constant pour l'Eglise. "Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir". La richesse est toujours une grand piège. D'un côté, il faut reconnaître que les choses matérielles sont bonnes. (C'est Dieu qui les a créées!) ; d',autre part, et paradoxalement, elles peuvent nous séparer du plus grand bien, tout particulièrement de l'amour concret et du souci pour ceux qui sont moins fortunes.

L'une des paradoxes que les apôtres ont eu plus de mal à comprendre est: "il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu". La richesse tend à nous isoler. Elle nous entoure d'un monde où nos plaisirs, voire nos caprices, sont facilement satisfaits, où nous nous coupons de la souffrance et des besoins des pauvres, où des divertissements extravagants sont à notre portée, où la louange abonde et où, souvent, la critique sincère fait défaut. Je me rappelle avoir visité la maison d'un homme riche qui m'a questionné en toute sincérité: "Les choses vont-elles aussi mal que l'on dit, dans ce pays (le sien)? Y a-t-il tant de gens sans travail? J'ai senti qu'il était, au fond, un homme sincère, mais j'ai senti également avec tristesse que la richesse avait élevé autour de lui des murs et qu'il sortait rarement de enclos.

D'autre part, je connais un bon nombre de personnes riches qui, elles, sont passées par le trou de l'aiguille. En fait, je n'oublierai jamais ce jour où, au cours de la réunion d'un Conseil d'Administration, quelqu'un a dit: "Nous avons besoin d'une camionnette pour le transport du personnel et des aliments a une cantine". Le Président a demandé: Combien cela fait-il? La réponse a été 20 000$. L'un des membres du Conseil a dit tout simplement: "Je m'en occupe. Passons au point suivant". Après la réunion, je l'ai remercié, soulignant la générosité de son geste. Il a répondu: "je venais justement de lire le passage du trou de l'aiguille, et je me suis dit: il faudra bien que tu fasses quelque chose de bon avec tout ton argent!"

C'est vers l'extérieur que doit être versé l'argent dans l'Eglise à tous les niveaux, les laïcs, la hiérarchie, le clergé, les communautés religieuses. Il devrait être un moyen d'exprimer notre amour et non de nous isoler des autres. Les paroles de saint Paul abondent en ce domaine: "Qui sème largement, moissonne largement" (12) "Dieu aime celui qui donne avec joie" (13).

Un mot pour conclure sur ce signe à l'envers qu'est l'Eglise. La conscience de Paul de la présence du Royaume donne un sens d'urgence remarquable: “Je vous le dit, le temps se fait court. Que désormais que ceux qui ont femme vivent comme s'ils n'en avaient pas; ceux qui pleurent comme s'ils ne pleuraient pas; ceux qui sont dans la joie comme s'ils n'étaient pas dans la joie; ceux qui achètent comme s'ils ne possédaient pas; ceux qui usent de ce monde comme s'ils n'en usaient pas vraiment. Car elle passe, la figure de ce monde.” (14)

Des théologiens ont essayé de décrire la nature paradoxale du Royaume en disant qu'il est “déjà là”, mais “pas encore” pleinement. Ses énergies sont à l'oeuvre parmi nous maintenant par la puissance du Christ ressuscité, mais nous attendons sa plénitude quand toute chose sera restaurée dans le Christ.

Cette tension du “déjà là” et du “pas encore” place l'Eglise dans une position paradoxale même vis-à-vis du temps. Elle adhère au passé , avec sa riche tradition, mais elle n'y est pas rivée; au contraire, elle le développe, faisant une médiation constante entre la parole de Dieu et les événements contemporains. Elle vit dans le présent, mis elle n'est pas prisonnière de ses exigences; plus exactement, elle discerne continuellement ce qui vient de Dieu et ce qui promeut vraiment la personne humaine, en opposition à ce qui vient du péché et finit par corrompre l'humanité. Elle regarde vers le futur, mais sans anxiété; au contraire, elle attend avec confiance la venue du Seigneur, cvonnaissant ce que “ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.” (15)

Une lettre écrite vers la fin du premier siècle résumait l'attitude des Chrétiens de la manière suivante: "Il y a quelque chose d'extraordinaire dans leurs vies. Ils vivent dans leurs pays comme des gens de passage. Ils exercent pleinement leurs fonctions en tant que citoyens, mais travaillent avec tous les désavantages des étrangers. N'importe quel pays peut être le leur, car ils se considèrent étrangers là où ils travaillent ... Ils vivent dans la chair, mais ne se laissent pas emporter par les désirs de la chair. Ils passent leurs jours sur la terre, mais ils sont des citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois, mais ils vivent à un niveau qui transcende la loi. Les Chrétiens aiment tout le monde, mais ils sont persécutés par tous. Condamnés parce qu'ils ne sont pas compris, ils sont menés à la mort, mais il ressuscitent de nouveau à la vie. Ils vivent dans la pauvreté, mais en enrichissent beaucoup d'autres. Ils sont totalement dépouillés, mais ils possèdent en abondance toutes choses. Ils souffrent le déshonneur, mais ils en tirent gloire. Ils sont diffamés, mais justifiés. Leur réponse aux insultes c'est la bénédiction. Pour le bien qu'ils font, ils reçoivent le châtiment des malfaiteurs, mais même à ce moment, ils se réjouissent comme s'ils recevaient le don de la vie"(16).Tout à fait paradoxal!

(l) Cf. John Meier:"A Marginal Jew", New York, Doubleday 1944, vol.2, p.146.

(2) Mc 8, 35; Mt 10,39: Lc 9, 24; Jn 12, 25.

(3) Centesimus Annus, 5

(4) 1 Cor 1, 22

(5) Cf. Mt 20,25-28; Mc 10, 42-45; Lc 22, 25-27

(6) Jn 13, 1-20.

(7) Mc 4,12; Mt 13, 14; Lc 9, 10

(8) Rom 5, 20

(9) 1 Jn 1, 8

(10) Lc 15, 24

(11) Heb 4, 16

(12) 2 Cor 9, 6

(13) 2 Cor 9, 7

(14) 1 Cor 7, 29-31

(15) 1 Cor 2, 9

(16) Lettre à Diognète 5-6