Être Vincentien. Être Formateur

Etre Vincentien, Etre Formateur

Nos Constitutions définissent le but de la Congrégation de la Mission non pas comme un travail concret particulier, tel que seraient les missions paroissiales, ou l'enseignement dans les séminaires, ou le service des missions ad Gentes, mais comme un chemin, un pélerinage, un voyage: le fait de suivre le Christ Evangélisateur des Pauvres. Nos vies, en tant qu'individus et en tant que corps constitué, devraient avoir cette intention comme but. Ce but, ajoute le premier article des Constitutions, se réalise de trois façons; je veux dire que la Congrégation est pleinement vivante lorsque ses membres:

1°font tout leur possible pour revêtir l'esprit du Christ Lui-Même (CR I, 3) de façon à acquérir une sainteté adaptée à leur vocation (CR XII, 13);

2°travaillent à l'évangélisation des pauvres, spécialement les plus abandonnés;

3°aident à la formation du clergé et des laïcs et les amènent à participer plus complètement à l'évangélisation des pauvres.

Dans le passé j'ai déjà écrit sur chacun de ces types de réalisation du but de la Congrégation. Dans cet article je vous offre quelques réflexions supplémentaires sur le troisième point. Selon une méthodologie que j'ai souvent employée, je vais procéder comme suit. J'étudierai:

  1. La formation dans la vie et les écrits de Saint Vincent

  2. Le contexte changeant et quelques défis contemporains

  3. Le Vincentien d'aujourd'hui en tant que formateur

  1. La Formation dans la Vie et les Ecrits de Saint Vincent

Les historiens ont souvent souligné les capacités d'organisation de Saint Vincent. Toutefois, il ne s'est pas contenté d'organiser; il a formé les groupes et les personnes qu'il avait réunis. En fait, les lettres, les documents et les conférences contenus dans les quatorze volumes de ses travaux qui nous restent sont pour la plupart, destinés à la formation de ceux que Vincent avait rassemblés autour de lui dans le but de servir les pauvres.

Un peu plus loin, j'énumère, avec quelques brefs commentaires, certaines de ses principales activités en matière de formation.

  • Les fils de Monsieur de Comet

En 1595, Vincent est allé à Dax étudier au Collège des Cordeliers. Alors qu'il apprenait à lire, à écrire, qu'il étudiait la grammaire et le Latin en vue de se préparer à l'étude de la théologie, il attira l'attention de Monsieur de Comet, un avocat près de la Cour Présidiale de Dax, lequel invita Vincent à venir chez lui comme tuteur et formateur de ses enfants. Ainsi, à l'âge remarquablement précoce de 14 ou 15 ans, Vincent commença, d'une certaine manière une carrière de professeur et de formateur.

  • L'Académie de Buzet

Deux ans plus tard il partit pour Toulouse où il commença ses études de théologie, y restant sept ans. Lorsqu'il fut à court d'argent, il entreprit d'enseigner dans une petite académie destinée à la formation des jeunes garçons, à Buzet, village situé à une trentaine de kilomètres de Toulouse. Il y acquit la réputation d'un excellent professeur et, vu sa popularité, fut capable de transférer l'école à Toulouse même où il poursuivit l'instruction des jeunes garçons jusqu'au moment où lui-même acheva ses études.

  • Clichy

Durant les 16 mois qu'il passa à Clichy en tant que curé, en 1612-1613, Vincent prit fortement conscience de la nécessité de proposer aux candidats au sacerdoce une formation plus adéquate. Il ouvrit alors une école où il entreprit de former une douzaine de jeunes gens désireux de devenir prêtres. Parmi eux se trouvait son futur compagnon fidèle, Antoine Portail. Déjà, dès cette date, l'intérêt de Vincent pour la formation du clergé est évidente.

  • La famille De Gondi

Vers 1613, les De Gondi engagèrent Vincent comme précepteur de leur fils Pierre. Vincent avait la complète responsabilité de la formation intellectuelle, morale et religieuse de l'adolescent. Il avait également la charge du personnel domestique et leur donnait l'instruction religieuse. En plus, il enseignait le catéchisme et évangélisait les paysans travaillant sur les terres des Gondi. C'est l'époque où, simultanément, il devint le directeur spirituel de Madame de Gondi. Dans un sermon, donné probablement à cette époque, il parlait de “l'utilité infinie” du catéchisme dans la formation des autres.

  • Folleville

Nous connaissons tous l'histoire de de ce paysan, dont la conversion, en 1617, sur son lit de mort, eut une telle influence sur le futur de Vincent de Paul. Vincent a toujours regardé le sermon qu'il donna le lendemain - c'était le 25 janvier 1617 - comme le premier sermon de la mission. Ce qu'il est important de souligner dans ce contexte c'est que les missions populaires prêchées par Vincent et sa communauté récemment fondée étaient une expérience de formation. La Catéchèse, ou instruction chrétienne de base, a joué un rôle très significatif au cours de toutes les missions populaires. En fait, dans ses dernières années, Vincent écrivait à un Prêtre de la Mission : “J'ai été très attristé par le fait que, au lieu de donner l'instruction catéchétique régulière le soir, vous avez choisi de donner des sermons durant votre mission. Il ne faudrait pas agir ainsi: 1) parce que la personne qui prêche le matin pourrait éprouver des difficultés avec ce second sermon: 2) parce que le peuple a beaucoup plus besoin d'instruction catéchétique et y trouve plus de profit; 3) parce que, lorsque vous donnez cette instruction catéchétique, il semble qu'il y ait là, en un certain sens, un plus grand honneur rendu à Notre Seigneur Jésus Christ qui avait coutume d'enseigner et de convertir le monde; 4) parce que c'est notre habitude, et que Notre Seigneur a jugé bon de bénir immensément ce genre d'exercice, qui fournit un meilleur moyen de pratiquer l'humilité.”

Vincent insistait pour qu'il y ait deux séances de catéchisme chaque jour pendant les missions, une aux environs de midi (“le petit catéchisme”) et une autre dans la soirée (“le grand catéchisme”).

  • Châtillon-les-Dombes

Plus tard en 1617, Bérulle demanda à Vincent d'accepter la paroisse de Châtillon parce que la négligence et la vie scandaleuse du clergé local frayaient la voie aux conversions au Protestantisme. A la vue de la pauvreté des gens du lieu, Vincent forma le premier groupe de Dames de la Charité. Beaucoup d'autres groupes suivirent. Tout au long de sa vie Vincent accompagna ces groupes en tant que formateur principal, rédigeant des règles à leur intention et leur parlant individuellement ou communautairement en de nombreuses occasions.

  • Les Soeurs de la Visitation

Peu de temps avant sa mort, François de Sales demanda à Vincent de prendre en mains la direction de s Soeurs de la Visitation. A partir de 1622, il donna des conférences régulières dans leur monastère et fut un des principaux conseillers de Jeanne Françoise de Chantal. Malheureusement, nous n'avons pas de copies des entretiens de Vincent aux Soeurs de la Visitation.

  • La Congrégation de la Mission

Vincent donna aussi des conférences régulières aux membres de la Congrégation de la Mission. Ce fut un des principaux moyens de fournir une formation permanente à la communauté depuis sa fondation en 1625 jusqu'à la mort de Vincent en 1660. Ces conférences sont devenues, avec les Règles Communes qu'il composa, une des sources principales de l'héritage de la Congrégation à travers les siècles.

  • Les Filles de la Charité

A partir de 1633, Vincent donna également de nombreuses conférences aux Filles de la Charité, c'était un aspect de leur formation. Beaucoup de ces conférences ont été transcrites d'une manière ou d`une autre. Ces conférences forment une des sources principales permettant de comprendre la vie, la mission, et la spiritualité de la communauté. Les éléments principaux des Règles Communes des Filles de la Charité proviennent également de la plume de Vincent, bien qu'elles ne furent éditées, approuvées et publiées que par son successeur, René Alméras, en 1672. Vincent a souvent parlé aux Filles de la Charité de la nécessité d'enseigner le catéchisme. Il les encouragea à ouvrir des écoles pour les filles pauvres. De nombreuses “petites écoles” de ce genre furent ouvertes en France pendant sa vie et celle de Ste Louise.

  • La formation du Clergé Diocésain

J'ai écrit ailleurs abondamment sur ce sujet. Le travail de Vincent en vue de la réforme du clergé incluait des retraites pour les ordinands, les Conférences du Mardi, des retraites aux prêtres, et des séminaires. Son influence sur les prêtres diocésains et sur les futurs évêques de France fut énorme. Il fonda 20 séminaires. Il prit part au Conseil de Conscience pendant une décennie, conseillant le roi en matière de choix des évêques. Beaucoup parmi les grands leaders spirituels de l'époque prirent part aux Conférences du Mardi qu'il organisa. Abelly affirme que plus de 12.000 ordinands firent leur retraite à Saint Lazare pendant le vie de Vincent. Beaucoup d'autres firent des retraites après ordination à Saint Lazare et dans les autres maisons de la Congrégation.

  • La Direction Spirituelle

J'ai mentionné, plus haut, Madame de Gondi et Jeanne Françoise de Chantal. Il faut leur ajouter, évidemment, Louise de Marillac. Il y en eut beaucoup d'autres. Un grand nombre des lettres de Vincent sont, à la base, des lettres de direction spirituelle adressées à ses prêtres, aux frères, aux Soeurs, et à des amis.

  1. Le contexte changeant et quelques défis contemporains

Beaucoup de choses ont changé depuis l'époque de S. Vincent, mais les appels au secours en matière de formation sont aussi fréquents aujourd'hui qu'ils l'étaient en son temps. Ils ont même augmenté, pourrait-on dire. Ici à Rome, ces dernières années, je n'ai pas entendu d'appel plus fréquent. Ces appels ont leur propre goût contemporain.

1.L'Eglise en développement en Asie, en Afrique et en Amérique Latine.

Pendant le pontificat de Paul VI, la face de l'Eglise a changé de manière significative. Pour la première fois, la majorité des membres de l'Eglise vit dans l'hémisphère sud. A l'aube du troisième millénaire, les régions où la croissance est la plus rapide sont en Asie, en Afrique et en Amérique Latine. C'est ce que Walbert Bühlmann appelle “l'avènement de la Troisème Eglise”. C'est seulement au XX° siècle, comme Karl Rahner l'a souligné, que l'Eglise Catholique est devenue vraiment une “Eglise Mondiale”. La plupart des communautés religieuses font dramatiquement l'expérience de ce changement. Les vocations sont rares aux Etats-Unis et en Europe Occidentale, où autrefois elles étaient surabondantes. Elles sont nombreuses en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, où autrefois elles étaient peu communes.

Les nombreuses lettres qui atterrissent sur mon bureau incluent de nombreux appels venus de l'hémisphère sud où l'on réclame de l'aide à la formation. Evêques et Supérieurs Provinciaux écrivent que ce qui manque, c'est moins les ressources financières qu'un personnel bien formé, mûr, capable d'éduquer leurs nombreux candidats. Parfois ils plaident éloquemment: “Si vous pouviez nous aider pendant une période de cinq à dix ans, tandis que nous formons nos propres formateurs, le futur sera bien préparé!”

2.Crises dans le clergé des “vieilles” Eglises

Beaucoup de Congrégations et de diocèses de l'hémisphère nord ont expérimenté une croissance robuste en matière de vocations vers la moitié du 20ème siècle. Le nombre des candidats a commencé à décliner entre 1960 et 1970 et, selon certains, serait stationnaire aujourd'hui. Dans beaucoup de nos provinces les prêtres et les frères ne sont pas seulement moins nombreux aujourd'hui par rapport aux années 60, mais encore significativement plus âgés. Vu sous un angle positif, le phénomène des vocations au sacerdoce et au service des frères actuellement en diminution a été accompagné d'un rôle croissant, dans l'Eglise, du laïcat. Sous l'angle négatif, l'impact sur les confrères, au niveau personnel, a été lourd et parfois décourageant. Ils ont le droit de penser: “Nous sommes moins nombreux, notre âge moyen est plus élevé, le travail seul a augmenté!”

Avec la raréfaction des candidats au sacerdoce, beaucoup de séminaires ont fermé. Des facultés entières ont été dispersées, parfois sans qu'on ait pris le temps de planifier suffisamment l'utilisation des talents. Certains se sont sentis mis de côté, sont restés déçus.

Par-dessus le marché, il y a eu des scandales. Les gros titres des journaux ont raconté, parfois dans le détail, la trtiste histoire de prêtres compromis dans des cas de pédophilie et d'évêques dissimulant une femme ou un enfant. Dans certains pays, des magazines ont exprimé leur crainte de voir aujourd'hui des homosexuels entrer dans les diocèses et les communautés.

Il est évident que le découragement et l'inquiétude en matière de sexualité et de célibat - comme aussi en matière de simplicité de vie au sein d'une société de consommation - présentent d'immenses défis, non seulement pour la formation initiale d'aujourd'hui, mais également pour la formation permanente.

En tant que membres d'une Congrégation ayant un long et riche héritage en matière de formation du clergé, la situation contemporaine est pour nous un défi formidable.

3.Un intérêt renouvelé en ce qui ce qui touche à la “Famille Vincentienne”

Au cours des cinq dernières années, les nombreux groupes qui ont en partage le charisme de Vincent de Paul sont devenus de plus en plus conscients de leur appartenance à une même “famille”. Du niveau international au niveau local, nous avons commencé à nous rencontrer plus fréquemment, à collaborer à des projets communs en faveur des pauvres, à prier ensemble, et à discuter sur des manières nouvelles de tirer avantage de notre unité, tout en préservant les caractéristiques distinctives de chaque groupe. Dans un tel contexte, l'appel à une aide mutuelle en matière de formation a retenti puissamment et clairement. L'Assemblée Générale Vincentienne de 1998 a spécifiquement étudié ce sujet, demandant à chaque province ou chaque groupe de provinces de répondre aux nombreux appels venus des diverses branches de la Famille Vincentienne en vue d'obtenir une assistance pour la formation. L'Assemblée a parlé de collaboration dans la formation initiale et permanente des membres de la famille étendue, d'une assistance spirituelle à offrir, de l'établissement d'une équipe de formation qui étudierait les éléments communs dans la formation des membres de nos divers groupes et favoriserait des réunions en vue d'approfondir à la fois la spiritualité Vincentienne et notre sens de la famille. Elle nous a aussi encouragés à ouvrir, là où c'est possible, aux autres membres de la famille, nos programmes de formation permanente existants.

Lors de la réunion de janvier 1999 les chefs de quelques unes des branches principales de la Famille Vincentienne ont parlé de plusieurs projets de formation:

  1. Un livre qui décrirait les pierres de fondation de la spiritualité Vincentienne telle qu'elle est vécue par les laïcs et les concrétiserait à partir des expériences du laïcat;

  2. l'utilisation d'Internet comme outil de formation;

  3. un document préparé par l'AIC et destiné aux conseillers spirituels de leurs groupes, dont un des principaux rôles est la formation;

  4. un projet pilote entrepris par la Société de St Vincent de Paul en Italie en vue de la formation Vincentienne de leaders.

Peu d'appels sont aussi forts que l'appel en vue de la formation venant des diverses branches de notre famille: AIC, Filles de la Charité, Société de Saint Vincent de Paul, groupes de jeunesse, Association de la Médaille Miraculeuse, et beaucoup d'autres.

4.La croissance rapide des groupes Vincentiens de Jeunesse Mariale

Ces groupes représentent environ 200.000 membres dans 40 pays. L'expansion récente de ces groupes a été frappante. Le 2 février 1999, le Saint Siège a approuvé la première série de Statuts Internationaux pour les JMV. En août de l'an 2000, à Rome, ils tiendront leur Assemblée Générale, avec des délégués venant de tous les continents.

Dans certains pays, comme l'Espagne, ces groupes jouissent d'un programme de formation très bien développé. D'autres pays luttent en vue d'en créer un. Mais de tous côtés, l'appel en vue de la formation est éloquent.

Un des rejetons du JMV a été le MISEVI, dont les Statuts Internationaux furent approuvés par le Saint Siège le 7 avril 1999. MISEVI prépare au travail dans les missions ad gentes, des missionnaires laïcs Vincentiens. Il leur offfre une formation, un placement apostolique, une ambiance communautaire, un soutien spirituel et matériel, et une assistance à la réinsertion dans leur patrie au retour de la mission. Il est clair que la formation initiale et permanente des membres est un défi nouveau et considérable.

5.Changement de méthodologie

Aujourd'hui nous insistons sur une nouvelle méthodologie adaptée à la personne des opprimés, au cours de laquelle et éducateur et éduqués s'enseignent mutuellement, les éducateurs non seulement évangélisent mais encore sont évangélisés par les pauvres. Les documents contemporains notent que les personnes ne doivent pas être seulement des objets de formation, ils doivent être sujets dans le processus de formation.

Aujourd'hui, également, nous parlons du besoin d'assister les pauvres au moyen d'une “auto-promotion”. Le Document Final de la récente Assemblée Générale des Délégués de l'AIC, tenue à Querétaro, Mexico, en novembre 1998, du 17 au 23, parle d'assister les autres “à devenir des agents de multiplication” d'actions ayant pour but de transformer les structures sociales.

Finalement, les documents pontificaux des années récentes ont continuellement souligné le besoin d'inculturation. Une compréhension approfondie de l'anthropologie et des valeurs et “disvaleurs” existant dans les diverses cultures et qui jouent le rôle d'interface avec les évangiles permet au Christianisme non seulement de purifier les cultures en jouant son rôle prophétique de dénonciation du mal qui y enfonce ses racines, mais aussi d'être enrichi par les cultures, en trouvant de nouvelles manières d'expression des authentiques valeurs humaines et chrétiennes.

  1. Le Vincentien comme Formateur - Dix Caractéristiques

Quand nous regardons la vie et les oeuvres de St. Vincent et simultanément les documents récents de la Congrégation, il nous devient évident que, la chose étant considérée sous l'angle de notre vocation, ce n'est pas rien d'être un formateur; ou plutôt, disons que cela touche au coeur même de notre vocation. C'est pourquoi la Congré-gation place le travail de formation dans le tout premier paragraphe, qui décrit le but de la Congrégation de la Mission. “Ce but est réalisé quand les membres, individuellement et communautairement, ... 3° aident le clergé et le laïcat dans leur formation et les conduit à une participation plus complète à l'évangélisation des pauvres”. En rédigeant ce paragraphe les membres de l'Assemblée Générale de 1980 avaient bien conscience de développer la déclaration écrite par St. Vincent lui-même dans les Règles Communes de 1658: elle était rédigée comme suit: “...3° aider les séminaristes et les prêtres à grandir en savoir et en vertu, pour qu'ils puissent être efficaces dans leur ministère.” A la lumière de Vatican II, l'Assemblée, consciente comme jamais de la mission du laïcat et de la nécessité de développer un éventail de ministères laïcs, a vu, dans cette nouvelle déclaration de notre but, un développement organique de l'intuition originaire de St. Vincent lors de la fondation de la Congrégation. Son but personnel avait été de rassembler des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres, des clercs et des laïcs, des hommes et des femmes “en vue de les amener à une plus grande participation à l'évangélisation des pauvres.”

Quand on réfléchit sur St. Vincent formateur, on pourrait être tenté de mettre l'accent uniquement sur deux thèmes: notre rôle dans la formation du clergé diocésain et notre rôle dans la formation de nos propres candidats. Bien sûr, ces deux oeuvres sont extrêmement importantes. St. Vincent a considéré la formation du clergé diocésain comme cruciale pour la réforme de l'Eglise et pour l'évangélisation permanente des pquvres, spécialement dans les régions rurales. Le second type de travail, la formation des nôtres, il l'a vu comme quelque chose d'indispensable, si la Compagnie entend être bien vivante. Mais ne sont pas formateurs uniquement ceux qui sont officiellement impliqués dans l'un ou l'autre de ces deux types de travail; nos Constitutions appellent TOUS les Vincentiens à être formateurs s'ils entendent réaliser le but de la Congrégation.

Remarquez que la motivation de nos Constitutions est très claire: “les amener à une plus entière participation à l'évangélisation des pauvres.” Un de nos buts en tant que formateurs, c'est donc de mobiliser les immenses énergies de cette énorme famille, avec ses millions de membres. Le Seigneur nous appelle à être une armée, si l'on veut, mise au service des pauvres. Une armée en bataille se consacrant à abattre les structures qui les oppriment, à leur offrir un soulagement dans leur détresse présente et à rechercher, avec eux, une éradication des causes de leur pauvreté.

Si nous sommes décidés à préparer tous les Vincentiens à être des formateurs, cela va nous imposer de nouvelles exigences par rapport à notre propre programme de formation qu'elle soit initiale ou permanente et également à nos autres oeuvres. En tournant le regard vers le futur, on espère que nos propres séminaristes Vincentiens apprendront à bien catéchiser et à bien prêcher, talents nécessaires non seulement pour le travail de la mission, mais également pour le ministère de formation. On espère que les séminaires dont nous avons la charge en vue de l'instruction et de la formation du clergé diocésain les aideront à acquérir les talents indispensables à la ré-évangélisation si nécessaire dans tant de diocèses. On espère former des prêtres qui, en tant qu'élèves Vincentiens, seront capables d'animer des paroisses vraiment missionnaires où le processus d'évangélisation et de catéchèse est permanent et où l'on considère comme une partie intégrante de la prédication de l'évangile l'attention aux plus pauvres parmi les pauvres. On espère que nous travaillerons à soutenir les instituts ou centres pastoraux destinés à la formation des laïcs, lesquels entraînent laïcs hommes et femmes à devenir des “agents multiplicateurs” de leur foi, de leur espérance et de leur charité. On espère que les écoles et universités de notre Famille Vincentienne qui entraînent plus d'un demi million d'étudiants, seront des endroits où les pauvres trouvent toujours une place, où il existe des programmes visant les plus abandonnés de la communauté locale, et où l'enseignement social de l'Eglise représente une part importante du curriculum. On espère également que notre famille continuera à soutenir des institutions sociales et sanitaires comme les hôpitaux, les cliniques, les centres de réhabilitation, et les centres destinés à la formation de base des femmes et des enfants (offrant une formation en matière de nutrition, de lecture, de soins à domicile).

Permettez-moi de suggérer les caractéristiques du Vincentien en tant que formateur. Aujourd'hui , “en vue d'aider le clergé et le laïcat dans leur formation et les amener à une plus entière participation à l'évangélisation des pauvres” , le Vincentien, en tant que formateur, doit être:

  1. Profondément enraciné dans la personne de Jésus

Cela semble évident, mais il n'y a rien de plus important. Dans notre contexte, toute formation conduit à “l'effort pour revêtir le Seigneur Jésus-Christ”. Le formateur ne doit pas simplement savoir au sujet du Christ; il doit avoir une expérience personnelle du Seigneur lui-même. C'est uniquement la personne authentiquement remplie de l'Esprit du Seigneur qui sera capable de communiquer cet Esprit aux autres.

2.Totalement immergé dans le charisme Vincentien

St. Vincent nous a laissé un don merveilleux. Il est frappant que notre charisme reste actuel aujourd'hui, à un moment où les formes de pauvreté se multiplient et où la cassure entre les riches et les pauvres s'élargit chaque jour un peu plus. Le formateur doit connaître Vincent lui-même, l'histoire de la Congrégation, notre spiritualité, notre mission, nos oeuvres fondamentales, notre amour concret et efficace pour les pauvres. C'est tout spécialement ces éléments que le processus de formation vise à transmettre aux futurs serviteurs des pauvres.

3.En contact avec le monde des pauvres

Si nous devons former les autres et les amener à une plus complète participation à l'évangélisation des pauvres, nous devons connaître nous-mêmes les pauvres et leur monde. Le bon formateur a récolté avant de semer, il a été évangélisé par les pauvres. Il a une connaissance concrète des plus abandonnés. Il a entendu leurs récits et s'est laissé modeler par eux. Son expérience personnelle du Seigneur n'est pas du domaine de l'abstrait; disons plutôt qu'il connaît le Christ de manière spéciale comme il se revèle dans la personne des pauvres.

Ces trois premières caractéristiques pourraient, à première vue, paraître évidentes, mais elles sont trop importantes pour être postulées. Le formateur doit connaître le Christ. Il doit connaître Vincent. Il doit connaître les pauvres.

4.Capable d'être un guide dans le cheminement spirituel

Quiconque a entrepris le cheminement spirituel n'est pas nécessairement un bon guide. Un guide a besoin d'expérience et d'entraînement qui aiguisent ses dons naturels. Il connaît les sentiers que foulent les voyageurs au cours du voyage: les autoroutes, les pistes, les pièges, les trappes. Les bons guides sont tombés et se sont relevés plus d'une fois. Ils savent comment relancer ceux qui sont découragés et calmer par un conseil expérimenté l'impatience des impulsifs. Les meilleurs guides sont ceux qui marchent avec les candidats à la formation, qui parfois pressent le mouvement, parfois le ralentissent, parfois s'arrêtent pour la pause.

5.Attentif à écouter

St Vincent ne tarderait pas à dire que tout formateur doit être humble. Existe-t-il une vertu dont il ait plus parlé”? Le formateur sage récolte avant de semer. Il prête l'oreille aux besoins de ses étudiants. Il accepte d'être évangélisé lui-même et changé par eux. Plus d'un bon formateur s'est surpris à dire: “Je pense avoir plus reçu que mes étudiants en enseignant ce cours”. On espère que étudiants et formateurs se seront transformés les uns les autres dans le processus.

6.Un bon communicateur en état d'utiliser les moyens contemporains en vue d'engager les autres à se laisser former

Après l'écoute, il s'agit, pour le formateur, de parler. Son langage, toutefois, n'a pas besoin d'être exclusivement verbal, spécialement de nos jours. Dans un âge où domine le visuel, il est très important que le formateur fasse usage des moyens modernes de communication. De tels moyens impliquent les divers sens des étudiants et les enfonce plus pleinement dans le processus d'étude. Aujourd'hui, les films, la musique, des présentations sur ordinateur, et une variété d'autres instruments audio-visuels sont à la portée du formateur.

La pédagogie est à la fois une science et un art. Il est crucial que nous engagions les étudiants à intervenir dans le processus éducatif pour qu'ils deviennent les agents actifs de leur propre formation. C'est eux-mêmes, après tout, qui ont la première responsabilité de leur propre formation. On espère qu'ils deviendront des “agents de multiplication”, capables de transmettre aux autres les talents qu'iils ont reçus. Afin de réaliser ces buts, le bon formateur doit savoir comment travailler, pas uniquement avec les individus, mais aussi avec les groupes. Il doit être capable de stimuler les étudiants à s'aider l'un l'autre dans le processus de formation.

7.Au courant de la doctrine sociale de l'Eglise

Récemment j'ai écrit en long et en large sur ce sujet. Bien que l'Eglise ait proclamé son enseignement social pendant plus de 100 ans, il reste largement inconnu à beaucoup, sinon à la plupart, des croyants. Cet enseignement social est d'une importance particulière pour notre Famille Vincentienne, puisqu'il vise spécialement les plus nécessiteux. En fait c'est, pour l'Eglise, le fondement de son “option préférentielle des pauvres”. Je suggère que tous les programmes de formation Vincentienne fournissent une dose saine de cet enseignement. Ce devrait être bien présenté, pour que les étudiants l'apprennent puis le transmettent aux autres.

8.En dialogue avec la vie de ses étudiants et la vie des laïcs

Tout enseignant devrait connaître son auditoire. Le formateur Vincentien est en relation avec de nombreux groupes différents: prêtres, frères, soeurs, laïcs hommes et femmes. Etant donné qu'il ya des millions de membres dans no:s groupes laÎcs, il est impératif que nous ayons une idée concrète de leurs vies quotidiennes. Cela suppose beaucoup de dialogue. Du fait que la plus grande partie de notre héritage a été formulé dans les cercles communautaires de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité, nous sommes aujourd'hui affrontés au défi que représente l'obligation de traduire ce que St Vincent a dit dans un langage contemporain et de l'appliquer à des laïcs hommes et femmes, mariés ou célibataires, vivant chez eux, souvent avec leur propre famille, et travaillant sur “la place du marché”.

9.En lien avec les divers groupes de notre Famille Vincentienne

Ces groupes ont un héritage commun mais en même temps des charismes distincts. Il est important que nous apprenions à apprécier à la fois les éléments communs et les éléments distinctifs à l'intérieur de notre famille. Nous avons une longue et saine histoire en cette matière avec beaucoup de coopération entre les membres de la Congrégation de la Mission, les Filles de la Charité, l'AIC (autrefois les Dames de Charité), la Société de Saint Vincent de Paul, l'Association de la Médaille Miraculeuse, les groupes Vincentiens de Jeunesse Mariale et, plus récemment, le MISEVI. En plus de ceux-là, beaucoup d'autres groupes ont part à notre tradition. Au cours des années récentes, nous avons eu des contacts de plus en plus fréquents avec les Religieux de Saint Vincent de Paul, la Fédération des Soeurs de Charité en France, Allemagne, Autriche, Italie, et en Inde, la Fédération de Charité aux Etats-Unis, et de nombreux autres.

10.Vraiment missionnaires

Le vrai missionnaire a un point de vue global. Il sait qu'au-delà des montagnes environnantes il y a d'autre villes et villages où l'évangile doit être prêché. Il sait, lorsqu'il contemple l'océan, que ses vagues se brisent sur d'autres continents, sur d'autres rivages, où des pauvres également vivent et peinent. St Vincent lui-même, à une époque où les voyages étaient difficiles et la communication limitée, regardait au-delà de la France, tant vers l'Est que vers l'Ouest, tant vers le Nord que vers le Sud. Au moment de sa mort, sa famille était déjà passablement internationale. Aujourd'hui, avec les transports rapides et une communication presque instantanée, il est encore plus impératif de faire en sorte que notre processus de formation nous amène à une vision globale. Au moment même où j'écris, il est encourageant de voir la rapidité avec laquelle les membres de notre famille dans les pays lointains répondent à la crise du Kosovo.

St. Vincent a été un formateur merveilleux. Les gens s'attroupaient volontiers autour de lui et étaient captivés par la vision qu'il communiquait. Mon espoir est que nous, ses disciples, nous puissions revitaliser le ministère de formation qu'il nous a transmis. On pourrait donner différentes descriptions du Vincentien. Être un Vincentien signifie suivre le Christ Evangélisateur des pauvres. Cela signifie être missionnaire. Cela signifie vivre dans la simplicité, l'humilité, la douceur, la mortification et le zèle.

La thèse de cet article est que être un Vincentien signifie également être un formateur. En plus de notre ministère consistant à prêcher l'évangile aux laissés-pour-compte, nous sommes appelés à “aider le clergé et le laïcat dans leur formation et à les conduire à une participation plus complète à l'évangélisation des pauvres”.

Robert P. Maloney, C.M.

2 juin 1999

Cf. Louise Sullivan, The Core Values of Vincentian Education (Niagara University, New York: Niagara University, 1994).

SV XIII, 28.

SV VI, 379.

La Bibliothèque Nationale conserve des copies de deux “Petit Catéchisme” de Saint Vincent, fond français, Ms 19228, f° 219-230, et Ms 24851, f° 315-322, publiés par M. Joseph Guichard, lazariste, en une plaquette de 45 pages, en 1939, aux Archives de la Maison-Mère de la Mission, 95, rue de Sèvres, 75006 Paris. Certains pensent également que Saint Vincent est à la source du Catéchisme Malgache de 1657, le premier livre publié dans la langue originelle de Madagascar. Cf. Ludwig Munthe, Elie Rajaonarison, et Désiré Ravaivosoa, Le Catéchisme Malgache de 1657 (Antananrivo: Egede Institute, Imrprimerie Lithérienne, 1987).

Cf. SV XIII, 417ss.

SV I, 313; X, 476, 623-628; XIII, 631, 745.

En 1641, le Recteur de Notre-Dame de Paris nomma Louise de Marillac “Maîtresse d'école” d'une “petite école” dans le district Saint-Denis de Paris.

Cf. "Our Ministry to help form the Diocesan Clergy. Uesterday and Today" in Vincentiana XLI, N° 1 (January-February 1997) 9-30.

Walbert Bühlmann, “The Future of the Church” (“Le Futur de l'Eglise”), (Maryknoll, New York: Orbis, 1986) 4-5; cf., W. Bühlmann, “The Coming of the Third Church” (“L'avènement de la Troisième Eglise”, Slough, Angleterre: Publications St Paul, 1976).

Karl Rahner, “The Abiding Significance of the Second Vatican Council” (“La Signification Durable du Deuxième Concile du Vatican”), dans “Theological Investigations” (“Recherches Théologiques”) XX, 90-102; cf. également “The Future of the Church and the Church of the Future” (“Le Futur de l'Eglise et l'Eglise du Futur”) dans “Theological Investigations” (“Recherches Théologiques”) XX, 103-14; voir aussi “Aspects of European Theology” (“Aspects de la Théologie Européenne”), dans “Theological Investigations” (“Recherches Théologiques”) XXI, 83.

Vincentiana Vol 42, n°4-5 (Juillet-octobre 1998) 395.

Cf. Paulo Freire, “Pedagogy of the Oppressed” (“Pédagogie des Opprimés”), New York: Herder and Herder, 1970.

Lettre aux Romains 13: 14.

Cf. “Ten Foundational Principles in the Social Teaching of the Church” (“Diix Principes de base dans l'Enseignement Social de l'Eglise”) dans “Echos de la Compagnie”, n° 4 (avril 1999) 129-137.

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