Une autre regard sur la douceur

Un autre regard sur la «douceur»

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général

La «douceur» est la troisième des cinq vertus fondamentales de la Congrégation de la Mission. C'est aussi l'une des vertus de prédilection de saint Vincent dans ses conférences aux Filles de la Charité. «...car qu'est-ce que la charité, disait-il, sinon l'amour et la douceur

Saint Vincent utilise ce mot près de 400 fois dans ses lettres et conférences, avec diverses nuances. Pour sa part, le texte latin des Règles communes emploie le mot mansuetudo.

«Douceur» se traduit difficilement en anglais. La traduction littérale donnerait sweetness. Pourtant, ce terme ne convient pas en anglais contemporain, car à l'heure actuelle, sweetness est devenu ambigu, spécialement pour décrire des personnes. On l'emploie encore à certains moments, mais son usage devient de plus en plus limité. La langue italienne n'hésiterait pas à dire qu'un homme est dolcissimo, mais la langue anglaise serait réticente à dire qu'un homme est very sweet.

La traduction de mansuetudo par meekness n'exprime pas tous les riches accents du terme français «douceur» employé par saint Vincent. De plus, il porte en lui la connotation de timidité ou de manque de force. La traduction anglaise la plus récente des Règles et des lettres utilise la plupart du temps gentleness, qui m'apparaît plus juste car il marque davantage les nuances.

Le problème, cependant, ne réside pas seulement dans la traduction de «douceur» par sweetness ou meekness. En fait, c'est la thèse de cet article que le mot «douceur» employé par saint Vincent dans les Règles, les lettres et les conférences offre une grande variété de sens. Par conséquent, le terme qu'on utilisera pour le traduire (gentleness a été employé dans cet article pour des raisons de consistance et de lisibilité) devra être complété par une diversité de mots et de phrases. Je propose l'exploration suivante des différents sens de «douceur» dans le but d'aider ceux qui veulent «s'habiller» de cette vertu si importante pour saint Vincent.

I. La douceur selon saint Vincent

1. C'est une vertu missionnaire.

On aurait tort de croire que pour saint Vincent les cinq vertus fondamentales n'étaient qu'une forme d'ascétisme chrétien personnel ou de perfection individuelle. Il les a choisies comme caractéristiques des missionnaires. Cela est vrai pour le terme mansuetudo introduit par saint Vincent dans les Règles communes, où il affirme que le missionnaire qui exerce cette vertu réconciliera le coeur des hommes et des femmes et les convertira au Seigneur. La réconciliation des adversaires est l'un des buts précis que saint Vincent proposait à la mission : aussi recommande-t-il au conciliateur de garder la tête froide quand le débat est chaud! Pour lui, le missionnaire, plus que tout autre prêtre, doit être empreint de douceur car sa vocation l'appelle à servir les plus misérables et les plus abandonnés de la société.

En plusieurs occasions, saint Vincent décrit la douceur comme une vertu missionnaire. Il raconte à François du Coudray comment il avait réussi, quelque temps auparavant, à convertir trois personnes, et que cela aurait été impossible sans la douceur, l'humilité et la patience. A un autre prêtre de la Mission, il affirme qu'on ne peut gagner les pauvres gens, en pays de mission, que par la douceur et la bonté. Aussi a-t-il résolu de recommander la pratique de cette vertu dans la Compagnie. S'adressant à Philippe Le Vacher à propos de son travail auprès des prisonniers et des esclaves à Alger, il l'encourage à les attirer par les voies douces. Il exprime sa crainte que le mal qu'enduraient déjà les captifs joint à la rigueur que pourrait exercer Le Vacher ne les entraîne au désespoir.

En 1852, Étienne Blatiron, supérieur à Gênes, demande à maintes reprises à saint Vincent d'envoyer Monsieur Ennery en Corse pour y donner une mission. Saint Vincent refuse, objectant qu'Ennery «n'a pas assez d'onction pour ce pays-là, où le peuple, étant grossier et accoutumé à la rudesse, se doit gagner par la douceur et la cordialité; car les maux se guérissent par leurs contraires», mettant ainsi l'accent sur la valeur missionnaire de la douceur.

Saint Vincent ne cesse de rappeler aux Filles de la Charité que «rien ne peut davantage changer les coeurs les plus envenimés que la douceur».

Enfin, dans sa principale conférence sur la douceur, le 28 mars 1659, saint Vincent souligne vigoureusement que cette vertu est celle du «vrai missionnaire». Cinq mois plus tard, dans une autre conférence sur les cinq vertus fondamentales, il redira combien la douceur est essentielle dans l'approche des pauvres gens du pays, souvent ignorants.

2. Elle rend le missionnaire capable de contrôler son agressivité et de la canaliser de façon appropriée.

C'est le thème principal de la conférence donnée par saint Vincent le 28 mars 1659. Il souligne ici que la douceur comporte plusieurs phases. La première phase comprend deux étapes, dont la première est de réprimer le mouvement spontané de la colère, en essayant de demeurer calme et raisonnable. C'est assez difficile, affirme saint Vincent à son auditoire, mais possible; et même si les mouvements de la nature précèdent ceux de la grâce, la grâce peut les surmonter. La seconde étape consiste à diriger ses emportements de façon appropriée. Il est important à certains moments de corriger, de reprendre, de réprouver, comme l'a fait Jésus avec ses disciples. Dans de tels cas, le missionnaire agira non pas parce qu'il est sous l'impulsion de la colère, mais parce qu'il l'aura maîtrisée.

Saint Vincent affirme que les doux sont constants et fermes. Ils sont capables de penser juste. Au contraire, ceux qui se laissent emporter par la colère et la passion sont habituellement inconstants. Il ajoute : «Il n'est donné, je pense, qu'aux âmes qui ont de la douceur, de discerner les choses».

3. Elle est reliée au respect de la personne humaine.

Saint Vincent relie souvent douceur et respect. Il rappelle aux Filles de la Charité qu'il n'y a pas de charité sans douceur et respect mutuel. Il supplie Robert de Sergis de traiter les domestiques avec douceur, cordialité et profond respect.

Dans sa conférence du 19 août 1646 aux Filles de la Charité sur «La pratique du respect mutuel et de la douceur», saint Vincent les encourage à se donner à Dieu en se respectant les unes les autres. Il affirme que ce ne sera pas facile, et à cette intention il leur demande de prier avec lui :

Mon Dieu, c'est de tout mon coeur que, pour vous plaire, je désire être respectueuse et douce envers mes soeurs; et je me donne à vous tout de nouveau pour y travailler et m'y exercer d'une tout autre manière que je n'ai jamais fait. Mais, comme je suis faible et ne puis rien effectuer de ce que je me propose, sans votre spéciale assistance, je vous supplie, mon Dieu, par votre cher Fils Jésus, qui n'est que douceur et amour, de me les vouloir accorder, avec la grâce de ne jamais rien faire qui y contrevienne.

4. Elle doit être accompagnée de fermeté, surtout chez les supérieurs.

Saint Vincent traite fréquemment de ce thème dans ses lettres à Louise de Marillac et à des supérieurs. Il recommande souvent à Louise d'honorer Notre-Seigneur dans sa douceur et sa fermeté, comme le démontre sa lettre du 1er novembre 1637, où il écrit : «Si la douceur de votre esprit a besoin d'un filet de vinaigre, empruntez-en un peu de l'esprit de Notre-Seigneur. Ô Mademoiselle, qu'il savait bien trouver l'aigre-doux, quand il fallait.» En chargeant Monsieur Portail d'une équipe missionnaire en 1632, il l'encourage à honorer la douceur et l'exactitude de Notre- Seigneur. Dans une lettre au supérieur de Nancy, François Dufestel, Vincent lui recommande d'être ferme et sans compromis quant à la fin, mais doux et humble quant aux moyens. Il tiendra le même discours, presque mot pour mot, dans une lettre écrite à quatre jours d'intervalle à Jean Guérin; quatre mois plus tard, dans une autre lettre à Guérin, il répétera la même chose. Ce thème revient encore dans sa lettre du 9 septembre 1650 au supérieur de Gênes, Étienne Blatiron, ainsi que dans celle du 16 février 1656 à Louis Dupont, supérieur à Tréguier.

Employant un axiome classique dans une lettre à Denis Laudin, le 7 août 1658, il l'encourage à imiter l'esprit de Notre-Seigneur qui est à la fois suave et ferme.

Saint Vincent résume assez soigneusement tout ceci dans son conseil au directeur d'un séminaire :

Il faut être ferme, et non pas rude, dans la conduite et éviter une douceur fade qui ne sert à rien. Nous apprendrons de Notre-Seigneur comme la nôtre doit être toujours accompagnée d'humilité et de grâce, pour lui attirer les coeurs et n'en dégoûter aucun.

Voici comment Joseph Leonard, il y a quelques années, traduisait ce texte en anglais : «Namby-pamby mildness, that is useless, should be avoided»!

5. Elle signifie également affabilité, cordialité, chaleur, accessibilité.

C'est ainsi que saint Vincent décrivait la douceur en parlant des relations avec les pauvres et entre les membres de la communauté.

La cordialité est l'un des mots-clés qu'il utilise pour décrire les bonnes relations. Il la place parmi les moyens de persévérer dans sa vocation, affirmant que le missionnaire persévérera s'il vit en profonde charité et cordialité avec ses frères.

Il relie cordialité et affabilité, précisant qu'elles sont particulièrement nécessaires lorsqu'on travaille avec les pauvres gens de la campagne. Pour lui, l'affabilité est l'âme de la bonne conversation et elle est non seulement utile mais agréable. Dans sa principale conférence sur la douceur, il répète que la deuxième étape de la douceur (après avoir contrôlé et canalisé sa colère) consiste en l'affabilité et la cordialité.

Saint Vincent est convaincu que la chaleur et l'accessibilité sont absolument essentielles, surtout à ceux qui détiennent des ministères importants dans l'Église :

Vous voyez par expérience que cette insinuation d'abord gagne les coeurs et les attire; et, au contraire, on a fait cette remarque de personnes de condition qui sont en emploi, que, quand elles sont trop graves et froides, un chacun les craint et les fuit. Et comme nous devons être employés à l'entour des pauvres gens des champs, de messieurs les ordinands, des exercitants et de toutes sortes de personnes, il n'est pas possible que nous produisions de bons fruits, si nous sommes comme des terres sèches qui ne portent que des chardons.

6. Elle comporte la joie et la paix.

Saint Vincent explique aux Filles de la Charité que lorsqu'une personne a la joie dans le coeur, elle ne peut la cacher. Les gens la voient sur son visage, et ils en remercient le Seigneur.

Dans ses écrits, saint Vincent emploie le mot gai. Sainte Louise, étant d'une nature assez sérieuse, saint Vincent l'encourageait à être gaie. Avant son départ en voyage, il lui dit : «Honorez la tranquillité de son âme et celle de sa sainte Mère et soyez bien gaie en votre voyage, puisque vous en avez un grand sujet dans l'occasion en laquelle Notre-Seigneur vous emploie». Un jour où elle s'apprêtait à voyager avec la très vive Madame Goussault, il écrit : «Je vous prie d'être bien gaie, dussiez-vous diminuer un peu de la petite sériosité que la nature vous a donnée et que la grâce adoucit, par la miséricorde de Dieu». Il lui recommande souvent de rechercher la paix de l'esprit et du coeur qui caractérisait la Sainte Mère et Notre-Seigneur.

Au cours de la retraite annuelle de 1632, il exhorte les missionnaires à se respecter les uns les autres au moment de la récréation et à être gais. Il conseille à un supérieur de se conformer à la conduite de Notre-Seigneur, «qui était toute humble, toute douce, toujours soigneuse et très accommodante aux humeurs et aux infirmités d'autrui».

Il incite toujours les Filles de la Charité à être joyeuses et souriantes durant leur service aux pauvres. Il dit un jour à sainte Louise : «Le royaume de Dieu est la paix du Saint-Esprit; il régnera en vous si votre coeur est en paix. Soyez-le donc, Mademoiselle, et vous honorerez souverainement le Dieu de paix et de dilection».

7. Elle comprend le support et le pardon.

Le mot-clé, ici, est support. Saint Vincent encourage Étienne Blatiron à traiter avec douceur et support un confrère difficile, puisque cela est conforme à l'esprit de Notre-Seigneur. Il conseille à Bernard Codoing, à propos des confrères avec qui il éprouve de la difficulté, de leur manifester douceur et support, comme le recommande Notre-Seigneur. Il donnera ce même conseil à Marc Coglée, supérieur à Sedan, à Louis Dupont, supérieur à Tréguier, ainsi qu'à Pierre Cabel et Firmin Get.

Dans sa conférence sur «Les cinq vertus fondamentales de la Compagnie», le 22 août 1659, il affirme que la douceur et le support sont autant nécessaires dans la vie communautaire que dans le service du prochain. Cela veut dire endurer les affronts avec courage et pardonner. En fait, on devrait traiter avec douceur ceux qui nous blessent. Il exhorte ainsi les missionnaires :

La douceur ne nous fait pas seulement excuser les affronts et les injustices que nous recevons, mais elle veut même qu'on traite doucement ceux qui nous les font, par des paroles amiables, et, s'ils venaient à l'outrage jusqu'à donner un soufflet, qu'on le souffre pour Dieu; et c'est cette vertu qui fait cet effet-là. Oui, un serviteur de Dieu qui la possède bien, quand on use de mainmise sur lui, offre à sa divine bonté ce rude traitement et demeure en paix.

8. Elle s'accorde parfaitement avec l'humilité.

Saint Vincent revient toujours à ce thème. L'esprit de Notre-Seigneur, dit-il à Robert de Sergisest un esprit de douceur et d'humilité. Dans les Règles communes, il cite le texte de l'évangile de Matthieu : «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur» (11, 29b).

Dans une lettre à Monsieur Portail sur la façon de répondre à l'un des premiers membres de la Compagnie, François du Coudray, il lui demande de le traiter toujours avec douceur et humilité. Il assure Soeur Françoise Ménage, dans une lettre écrite le 12 février 1659, qu'elle parviendra vraiment au bonheur en pratiquant l'humilité, la douceur et la charité envers les pauvres et envers les soeurs.

Les Règles des Filles de la Charité joignent également ces deux vertus et appellent les membres de la Compagnie à honorer Notre-Seigneur particulièrement dans sa pauvreté, son humilité, sa douceur, sa simplicité, et sa sobriété. De fait, pour saint Vincent, douceur et humilité sont tellement liées qu'elles sont comme des «soeurs germaines», tout comme prudence et simplicité.

9. Elle entraîne la compassion pour autrui.

Selon saint Vincent, le missionnaire doit être rempli de compassion, surtout parce qu'il est appelé à servir «les plus misérables, les plus abandonnés et les plus accablés de misères corporelles et spirituelles». Il relie constamment compassion et douceur.

Dans la douzième règle aux Filles de la Charité, il dit : «Leur principal soin sera de servir les pauvres malades, les traitant avec compassion, douceur, cordialité, respect et dévotion, etc.» Il confie aux Filles de la Charité que leur sainteté consiste à observer leurs règles «avec esprit» et à servir les pauvres «avec amour, douceur et compassion».

Au cours de la conférence «Sur les vertus de Louise de Marillac» donnée le 24 juillet 1660, c'est précisément ce mélange de douceur et de compassion que l'une des soeurs avait remarqué chez Louise.

II. La pratique de la douceur chez saint Vincent

En plus de considérer la théorie, il est toujours utile d'examiner la praxis. Cela est particulièrement important en ce qui concerne saint Vincent car, comme je le soulignais dans un article antérieur sur les voeux, il montre une souplesse remarquable en appliquant les principes à des situations concrètes. De plus, la praxis de saint Vincent offre un contexte auquel peuvent aisément se référer les membres de la Congrégation de la Mission et les Filles de la Charité. Lorsqu'il parlait ou écrivait sur la douceur, ses contemporains pouvaient se baser non seulement sur ses paroles comme instrument d'interprétation, mais sur sa vie.

1. Sa propre compréhension.

Dans sa jeunesse, Saint Vincent se souvient qu'il avait une volonté de fer et une grande facilité à se mettre en colère. Sa tendance à la morosité durant de longues et sombres périodes, affirme-t-il, causait parfois du souci à Madame de Gondi. Par ailleurs, il était conscient de ces tendances au-dedans de lui-même : «Je m'adressai, dit-il, à Dieu, et le priai instamment de me changer cette humeur sèche et rebutante, et de me donner un esprit doux et bénin : et par la grâce de Notre-Seigneur, avec un peu d'attention que j'ai faite à réprimer les bouillons de la nature, j'ai un peu quitté mon humeur noire».

Saint Vincent parle ici avec beaucoup de modestie. Abelly, son premier biographe, affirme que Vincent admirait grandement François de Sales; il le considérait comme la personne la plus douce qu'il ait jamais rencontrée. Il ajoute que saint Vincent profita si bien de l'exemple de l'évêque de Genève qu'il acquit une affabilité et une douceur remarquables, et une façon merveilleuse de s'exprimer et de se comporter avec tous et chacun.

De fait, il maîtrisait à ce point les leçons de douceur qu'on le comparait souvent à saint François de Sales. Collet remarque que sa douceur et son affabilité sont devenues proverbiales et que les gens disaient de lui ce que lui-même disait de saint François.

2. Son respect et son support pour les personnes en difficulté.

Les notes du Frère Louis Robineau publiées récemment, dont Abelly s'est servi pour préparer la biographie de saint Vincent, témoignent du grand respect dont saint Vincent entourait les personnes de toutes conditions, du plus puissant au plus faible de la société. Robineau note en particulier la douceur avec laquelle il reprenait ses semblables et le profond respect qu'il portait aux pauvres. Il raconte aussi plusieurs anecdotes à propos du support prodigué par saint Vincent, soulignant sa capacité remarquable d'accepter les situations difficiles : calomnies, procès subis comme membre du Conseil de Conscience, propos suggérant qu'il avait été témoin du mariage secret d'Anne d'Autriche et de Mazarin, problèmes créés par quelques-uns de ses confrères, et ses propres limites.

3. Sa chaleur et sa compassion.

Ses lettres mêmes portent un éclatant témoignage de sa chaleur et de sa compassion. A sainte Louise de Marillac, il écrit : «Que j'ai peine de votre peine!» De même, il écrira souvent avec grande compassion aux confrères et aux Filles de la Charité à l'occasion de la mort des membres de leur famille ou des membres de la communauté. Juste après la mort de Monsieur Portail et immédiatement avant celle de Louise de Marillac, dans une lettre à Mathurine Guérin il s'exprime ainsi :

Certes, c'est le grand secret de la vie spirituelle de lui abandonner tout ce que nous aimons, en nous abandonnant nous-mêmes à tout ce qu'il veut, dans une parfaite confiance que tout en ira mieux; c'est pour cela qu'il est dit que tout tournera à bien à ceux qui servent Dieu. Servons-le donc, ma Soeur, mais servons-le selon son gré, et laissons-le faire. Il vous tiendra lieu de père et de mère; il sera votre consolation et votre vertu et enfin la récompense de votre amour.

Dans une période de tension entre lui et François du Coudray, il lui écrit: «Je ne puis, non, je ne puis, mon cher petit Père, vous exprimer la douleur que j'ai de vous contrister. Je vous supplie de croire que, si ce n'était l'importance des choses, j'aimerais mille fois mieux en porter la peine que vous la donner.» Lorsque Guillaume Delville et sa famille se trouvèrent dans l'épreuve en 1646, saint Vincent leur écrira : «Je ne saurais vous exprimer la douleur que mon coeur en a reçue et comme je souhaiterais d'avoir souffert moi-même et tout seul, au lieu de vous, ce que vous et les vôtres avez enduré. Monsieur Codoing, porteur de la présente, vous pourra témoigner combien cela m'a touché. Je l'envoie principalement pour vous assurer que vos peines sont les miennes...»

4. Son désir de paix.

A tout ceci on doit ajouter une chose très frappante dans la vie de saint Vincent : son désir de paix, qu'on retrouve plus particulièrement à deux niveaux.

1) Il encourageait les membres de la Congrégation de la Mission à travailler au rétablissement des relations brisées. L'un des buts de «la mission» étant la réconciliation, les missionnaires devaient donc s'employer à mettre fin aux querelles et disputes durant leurs missions. A cet effet, ils racontaient fréquemment en ce domaine leurs succès à saint Vincent.

2) Lui-même travaillait activement à mettre fin à la guerre. Il s'inquiétait vivement des ravages causés par la guerre et de la misère qui en résultait pour ses compatriotes, particulièrement pour les plus pauvres. Il intervint personnellement en deux occasions pour apporter la paix à son pays.

Entre 1639 et 1642, pendant les guerres en Lorraine, il alla trouver le Cardinal Richelieu; se jetant à ses pieds, il décrivit les horreurs de la guerre et plaida en faveur de la paix : «Monseigneur, donnez-nous la paix, ayez pitié de nous, donnez la paix à la France.» Richelieu refusa répondant que la paix ne dépendait pas de lui seul.

Collet relate un épisode encore plus frappant qu'il a trouvé dans un compte rendu par le Frère Ducournau. En 1649, durant la guerre civile, saint Vincent quitta Paris en douce, franchit les barricades et traversa une rivière en crue (à l'âge de presque 70 ans) dans le but de voir la reine et la prier de renvoyer Mazarin, qu'il considérait responsable de la guerre. Il s'adressa également à Mazarin. Mais, une fois de plus, on ne prêta pas attention à sa demande.

III. Changements de perspectives survenus

le XVIIe et le XXe siècle

Les changements de perspectives influencent de façon significative notre regard sur les choses. La vue de Rome depuis le pinacle du dôme de Saint-Pierre est très différente de celle des monts Albains. Des deux endroits on peut apercevoir le Tibre, plusieurs des mêmes édifices, les parcs et quelques autres sites, mais de chacune des perspectives la vue paraît très différente. Selon la distance, elle paraîtra plus petite ou plus grande, et selon le moment du jour ou de la saison, plus sombre ou plus claire. De Saint-Pierre, on peut apercevoir des parties d'édifices qu'on ne peut voir des monts Albains, puisqu'on les regarde à partir de directions différentes.

Tout ceci est évident d'après une perspective «physique». Cela semble tout aussi évident dans une perspective «théologique», que l'Église observée depuis mon bureau à Rome sera très différente de celle d'une communidad de base en Amérique latine! La perspective, quelle qu'elle soit, influence inévitablement notre regard et donne lieu à des intuitions diverses et des nuances différentes.

Un certain nombre de changements de perspective ont pris place depuis le XVIIe siècle et ils modifient notre façon de voir la douceur. Permettez-moi d'en décrire quelques-uns brièvement.

1. La psychologie contemporaine a soigneusement analysé l'agressivité et a relevé les dangers de la réprimer.

Dans son étude sur L'expression des émotions chez l'homme et les animaux, il y a plus d'un siècle, Charles Darwin observait systématiquement les réponses de colère chez l'être humain comparées à celles des animaux; il a étudié la colère dans le contexte du rapprochement et du rejet qui caractérise toute l'affectivité humaine. En 1890, William James observa que toutes les réponses émotionnelles ont un aspect physiologique, élevant l'énergie de la personne en vue d'une réponse future. Depuis ce temps, la recherche sur les émotions a pris une expansion considérable.

On reconnaît aujourd'hui que la colère accumulée résulte souvent en des dommages psychosomatiques et réapparaît fréquement en une explosion inattendue qui peut blesser autrui. La littérature contemporaine analyse et suggère des moyens positifs de gérer la colère et de la diriger de façon créative.

Des études scientifiques récentes ont trouvé écho dans de nombreux livres de spiritualité ayant trait à l'expression positive des émotions comme faisant partie de l'être humain. Les supérieurs et les responsables de programmes de formation ont pris conscience du grand nombre de «personnes agressives» dans les communautés (comme dans toute autre vocation), avec un potentiel de situations explosives. A travers la discussion des émotions, et particulièrement de l'agressivité durant la période de formation, beaucoup de communautés préviennent ainsi les problèmes et évitent une éventuelle catastrophe.

Certaines études démontrent que les émotions, et même certaines expressions faciales de base, provoquent une réponse affective semblable de l'entourage. Une expession joyeuse appelle une réponse joyeuse; une expression triste, une réponse triste. En parcourant ces données, on se rappelle spontanément les exhortations de saint Vincent aux Filles de la Charité d'être joyeuses et de sourire durant leur service.

2. Les temps modernes ont fortement ravivé le pacifisme.

A cet égard, la révolution pacifique de Gandhi en Inde a eu une énorme influence. De même, Martin Luther King, avec sa résistance non-violente, a fait avancer considérablement les droits civiques aux États-Unis. Le livre de James Douglass, The Non-Violent Cross, qui a connu un immense succès, condensait admirablement les racines bibliques et philosophiques des mouvements pacifistes.

Dans la tradition catholique, Gaudium et Spes a adopté une position prudemment nuancée, mais très positive, face au pacifisme : «Poussés par le même esprit, nous ne pouvons pas ne pas louer ceux qui, renonçant à l'action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres et de la communauté.» En même temps, Paul VI lançait un vibrant appel pour la paix dans le monde, le 4 octobre 1965, au siège social des Nations-Unies à New York : «Jamais plus la guerre, jamais plus la guerre!» Dans son livre, Faith and Violence, Thomas Merton exposait clairement la théorie et la pratique chrétienne visant à faire la paix. En 1983, les évêques des États- Unis, dans un document soigneusement préparé, ont grandement contribué à la promotion d'une théorie et d'une pratique de la paix.

3. On assiste, ces dernières années, à une prise de conscience assez sensible de la nécessité de bâtir la paix, non seulement au plan individuel, mais aussi au niveau des structures. Encore une fois, Paul VI lançait un éloquent appel : «Si vous voulez la paix, travaillez pour la justice». Jean- Paul II ajouta : «Le développement est le nouveau nom de la paix».

Le fondement de cette nécessité d'un changement des structures se trouvait déjà de façon évidente dans Pacem in Terris et Gaudium et Spes. Paul VI reprend avec force ce thème dans Populorum Progressio, puis, dans un message aux membres de Cor Unum, le 13 janvier 1972, il appelle les chrétiens à s'engager ensemble «dans une action apostolique vécue au coeur même de l'action sociale et politique, atteignant ainsi les racines du mal, transformant les coeurs en même temps que les structures de la société moderne».

Nous avons pris conscience, de nos jours, que le péché affecte profondément les structures sociales : il est enchâssé dans des lois injustes, des relations économiques basées sur le pouvoir, des traités inéquitables, des limites artificielles, des gouvernements oppresseurs et autres nombreux obstacles structurels subtils, contraires aux relations harmonieuses dans la société. Celle-ci ne pourra établir des relations durables de paix que dans la mesure où de tels obstacles structurels auront été analysés, compris et supprimés.

Il y a aujourd'hui un sens plus aigu de la communauté globale et des effets néfastes de l'armement. La vente d'armes reste l'un des facteurs majeurs de l'économie mondiale. Les conflits locaux (en Algérie, en Tchétchénie, en ex-Yougoslavie, et dans de nombreux autres endroits) font que la scène internationale est souvent bouillonnante, avec le danger toujours présent que ces conflits ne dégénèrent en «guerre ouverte». La large diffusion des armes et la fréquence de leur utilisation rendent les jeunes inquiets de leur futur, devant la possibilité d'une destruction nucléaire.

Dans l'intervalle, les documents des papes ont fortement condamné la course aux armements. En même temps, le United States Bishops' Peace Pastoral lançait à travers les conférences épiscopales du monde entier une vaste série de discussions sur la question de la guerre, de la paix et des armements.

IV. La douceur aujourd'hui

L'enseignement de saint Vincent sur cette troisième «pierre douce», comme il aimait le dire, se traduit facilement pour notre monde moderne. Sa conférence du 28 mars 1659 ainsi que plusieurs de ses lettres à Louise de Marillac contiennent une sagesse pratique encore très pertinente de nos jours. Bien qu'il y ait beaucoup à dire sur cette vertu, je me limiterai ici à quatre points.

1. La douceur suppose la capacité d'orienter positivement l'agressivité.

L'agressivité est naturelle. C'est une énergie qui monte en nous spontanément lorsque nous percevons quelque chose de mauvais. Elle nous aide à lutter contre le mal. Elle nous prépare à «combattre», aurait dit Darwin. Mais comme toutes les émotions spontanées, elle peut être utilisée positivement ou négativement. Concrètement, beaucoup de gens ont de la difficulté à la gérer correctement. Comme on l'a déjà mentionné, il y a un grand nombre de «gens agressifs» dans le monde.

Sous ses formes les plus violentes, l'agressivité non contrôlée peut dégénérer en guerres, attaques, viols, meurtres ou tout crime qui fait la manchette des journaux. Sous des formes moins violentes, elle se manifestera par des sautes d'humeur, des critiques amères, le refus de parler aux autres, ou bien elle consistera à lancer des objets, fermer les portes avec fracas, bouder, garder rancune, tenir tête.

Comme le mentionnait saint Vincent, contrôler sa colère veut souvent dire l'exprimer de façon appropriée. Lui-même s'est révolté devant la maladie et la faim, ce qui l'a amené à établir les Conférences de Charité, la Congrégation de la Mission et les Filles de la Charité. Sa révolte l'a poussé à réagir avec vigueur et créativité face aux besoins des pauvres de son temps. Il a aussi exprimé sa colère directement devant ce qu'il jugeait néfaste dans ses communautés, en combinant colère et douceur. Il savait mélanger l'aigre et le doux, selon sa recommandation à Louise de Marillac, cherchant à imiter Jésus qui était à la fois «doux et ferme».

Laisser éclater la colère de manière appropriée peut parfois être bénéfique. Cela peut adoucir les tensions cachées et conduire à la solution des conflits. Ce peut être un instrument adéquat de correction. Mais si l'agressivité n'est pas contrôlée de manière appropriée, elle peut devenir terriblement destructrice. Laissée à elle-même, elle peut résulter en violence et en injustice. Réprimée, elle peut dégénérer en ressentiment, sarcasme, cynisme, amertume, dépression.

Le défi réside dans l'apprentissage des moyens appropriés pour contrôler l'agressivité, la modérer (en la supprimant même pour un certain temps), la sublimer et l'exprimer. Saint Vincent rappelle souvent l'exemple de Jésus qui savait dominer sa frustration face aux apôtres, tout en l'exprimant, et qui pouvait aussi être très direct à l'égard des pharisiens qui imposaient des obligations injustes à leurs semblables.

2. La douceur comprend l'accessibilité, l'affabilité, la chaleur.

Ces qualités sont particulièrement importantes chez les prêtres. A cet égard, saint Vincent, selon sa propre expérience, nous encourage à croire que nous pouvons vraiment changer. Tout jeune, il était de nature colérique et d'humeur morose pendant de longues et sombres périodes; il changea tellement au cours de sa vie que tous ceux qui l'ont connu plus tard disaient qu'il était l'homme le plus accessible qu'ils aient rencontré.

Il assurait la communauté qu'on gagne bien plus les gens par la douceur que par la dispute. Ce conseil vaut particulièrement lorsqu'on doit reprendre quelqu'un, que la correction soit faite par des pairs ou par les supérieurs. Ceux que l'on reprend sont bien plus aptes à recevoir les paroles prononcées avec douceur que celles proférant des accusations blessantes.

De plus, la douceur et la chaleur du donneur attirent une semblable attitude de la part du receveur. Ceux qui auront trouvé le prêtre chaleureux et aimant commenceront à répondre de la même façon. C'est sans doute pour cette raison que saint Vincent a proclamé la douceur vertu «missionnaire».

3. La douceur implique la capacité de supporter les offenses avec miséricorde et courage.

Saint Vincent basait son enseignement sur le respect de la personne humaine. Même ceux qui commettent l'injustice, disait-il aux membres de la double famille, méritent d'être respectés. Ce thème est réaffirmé de nos jours dans les appels de Jean-Paul II au respect intégral de chaque être humain.

Naturellement, le respect pour la personne du malfaiteur ne nous empêchera pas de canaliser avec courage notre agressivité contre le mal qu'il commet. Mais elle nous empêchera de pratiquer l'injustice au nom de la justice. Saint Vincent reconnaissait nettement (et, à cet égard, il a rappelé à Philippe Le Vacher l'enseignement de saint Augustin) que certains maux doivent être tolérés quand il n'y a aucune possibilité pratique de les corriger. Le sage apprend à vivre avec cela, et le doux traite avec respect les personnes dont la vie est tellement imbriquée dans le mal qu'il ne peut être déraciné.

L'équilibre, à cet égard, est très délicat. Il faut parfois souffrir avec courage. Certains maux ne peuvent être évités et il faut les supporter. Par contre, on doit éviter une fausse douceur, comme le rappelait un jour Adrian Van Kaam (ou, pour emprunter la traduction anglaise d'une phrase de saint Vincent par Joseph Leonard, «namby-pamby mildness»). A certains moments, il faut crier à l'injustice et canaliser toutes ses énergies à la combattre. La prudence et le discernerment s'imposent dans ces cas-là.

En ces temps de changements rapides dans l'histoire de l'Église, une combinaison de douceur et de fermeté s'avère absolument nécessaire, surtout en ce qui concerne la prise de décisions. Et puisque les communautés basent leur apostolat sur les perspectives d'avenir, elles devront donc avoir le courage de choisir et d'agir. En même temps, il leur faut démontrer beaucoup de douceur envers ceux qui ont de la difficulté à s'adapter. Les individus eux-mêmes devront faire preuve de courage en se fixant des objectifs de croissance, mais en étant doux avec eux-mêmes, reconnaissant que le changement personnel ne se fait pas du jour au lendemain, mais graduellement.

Les prêtres, eux aussi, doivent prendre conscience que même si leur travail est bien fait, ils auront à faire face, avec courage et douceur, à leurs propres limites et aux attentes souvent conflictuelles d'autrui. Les supérieurs religieux expérimenteront que certains membres de la communauté ne voient les choses qu'en noir et blanc, tandis que d'autres voient tout en gris. Quant aux prises de décision, certains puisent leurs normes dans le passé, tandis que d'autres ne s'appuient que sur un avenir incertain. Les supérieurs n'arriveront jamais à satisfaire toutes ces différentes personnalités. Ils devront prendre leurs décisions avec courage et traiter avec douceur les réfractaires, apprenant à conformer leur vie sur ces deux paroles du Nouveau Testament : «Mais souffre avec moi pour l'Évangile, comptant sur la puissance de Dieu», et «...mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes».

4. La douceur suppose l'action pour la justice et la paix.

De nos jours en particulier, le témoignage de douceur de Jésus et sa promesse d'un royaume de paix jouent un rôle marquant dans la proclamation de la Bonne Nouvelle au sein de l'Église. Ceci est intimement lié à l'éducation et à la promotion et de la justice et de la paix. Centesimus Annus commente éloquemment ce thème : «...moi-même, à l'occasion de la récente et dramatique guerre du Golfe persique, j'ai repris le cri : «Jamais plus la guerre!» Non, jamais plus la guerre, qui détruit la vie des innocents, qui apprend à tuer et qui bouleverse également la vie de ceux qui tuent, qui laisse derrière elle une traînée de rancoeurs et de haines, rendant plus difficile la juste solution des problèmes mêmes qui l'ont provoquée! ...C'est pourquoi, l'autre nom de la paix est le développement. Il y a une responsabilité collective pour éviter la guerre, il y a de même une responsabilité collective pour promouvoir le développement».

La passion la plus immédiatement associée à la justice est la colère, affirme Thomas d'Aquin. Elle recule en face de l'injustice de manière à rebondir et à la faire disparaître. Elle nous pousse à avoir faim et soif de la justice. La colère jaillit de l'amour et du respect de la personne humaine dont les droits ont été violés. Elle nous engage à redresser les torts, à réétablir l'ordre pour que la personne puisse grandir et s'épanouir. Elle est par conséquent toujours en éveil, dès qu'on perçoit que des structures injustes privent les pauvres de la liberté politique, sociale, économique ou personnelle que requiert la dignité humaine.

La douceur trouvera des façons d'exprimer la colère «en éduquant les consciences humaines à agir face à la justice sociale» et à participer à la transformation du monde. Les prêtres auront comme tâche première l'éducation à la justice et à la paix.

Un autre but fondamental du ministère sera la réconciliation. Je me rappelle du rôle de médiateur de la communauté de Sant Egidio dans le rétablissement de la paix au Mozambique. Après 15 ans de guerre civile, «la sagesse humaine» aurait sûrement douté qu'une petite communauté italienne «sans pouvoir» puisse accomplir ce que des plus «puissants» n'avaient pas réussi. Les négociations ont abouti en 1992, et la paix continue à régner dans ce pays. D'autres groupes ne pourraient-ils pas avoir le même courage et offrir leurs services comme agents de réconciliation?

Les doux n'auront parfois comme seul moyen de régler les conflits que la discussion et le dialogue, accompagnés d'un amour souffrant. Ce sont les instruments que Jésus lui-même a utilisés; il est «notre paix, et il a détruit le mur de séparation». Si la communauté de ses disciples est authentiquement passionnée de dialogue, de justice et de paix, alors, c'est un signe évident que le Royaume de Dieu est proche.

Une douceur «passionnée» saura diriger la colère de manière à déraciner l'injustice; elle la canalisera pour que jaillisse «la justice comme un torrent intarissable». W.E. B. Dubois résume cette douce passion dans une belle prière :

Accorde-nous la grâce, ô mon Dieu, de travailler à l'oeuvre qui, nous le savons bien, réclame notre intervention. Fais que nous ne reculions pas en raison de notre confort, ou des paroles de notre entourage, ou de notre propre vie. De grandes causes nous attendent - la libération des femmes, l'éducation des enfants, la disparition de la haine, du meurtre et de la pauvreté - tout cela et plus encore. Mais ces voix nous appellent au travail, au sacrifice et à la mort. Donne-nous, ô mon Dieu, l'esprit d'Esther, afin que nous puissions dire : j'irai vers le Roi et si je péris, je périrai. Amen.

(Traduction: Mme Raymonde Dubois)

Ayant déjà traité de ce sujet, j'ai intitulé cet article «un autre» regard sur la «douceur». Cf. R. Maloney, «Les cinq vertus fondamentales, hier et aujourd'hui», dans Un chemin vers les pauvres, Desclée de Brouwer, Paris, 1994, 41-78.

SV IX, 267.

RC II, 14.

Dans la langue anglaise, l'histoire du mot sweetness est très noble. Shakespeare n'hésite pas à l'employer comme salutation affectueuse : «Goodnight, sweet prince» (Hamlet, Act V, Scène 2, ligne 373). On le retrouve abondamment dans les prières chrétiennes classiques : «O clement, o loving, o sweet Virgin Mary». Les chansons populaires adorent ce mot : «Ain't She Sweet», «Sweet Georgia Brown». Il est encore employé et accepté de nos jours, dans certaines expressions comme «sweet sixteen», «my sweetheart». Mon beau-frère, au fait, appelle toujours ma soeur «Sweetie»!

RC II, 6.

RC XI, 8.

SV I, 66.

SV IV, 52.

SV IV, 120.

SV IV, 449.

SV IX, 261.

SV XII, 189.

SV XII, 305.

SV XII, 182ss.

SV XI, 65.

SV XII, 190.

Cf. SV I, 88, VII, 590-591, VIII, 227, IX, 260ss.

SV IX, 260.

SV I, 354.

SV IX, 269.

SV I, 393.

SV I, 176.

SV II, 298.

SV II, 300.

SV II, 355.

SV IV, 75.

SV V, 552.

SV VII, 226.

SV IV, 597.

Joseph Leonard, St. Vincent and Mental Prayer (New York: Benziger Brothers, 1925) 177.

SV I, 112; IV 51, 113, 341, 449; VI, 29; IX, 261.

SV XI, 109.

SV XI, 68.

SV XII, 189.

SV XII, 189.

SV X, 487.

Le lecteur reconnaîtra que ce mot a subi une transformation remarquable au cours des récentes décades : aujourd'hui il signifie très souvent homosexuel.

SV I, 102.

SV I, 502.

SV I, 111, 114, 571.

SV IV, 581.

SV I, 114.

SV III, 383.

SV III, 469.

SV IV, 51.

SV V, 605.

SV VII, 201.

SV VII, 594.

SV XII, 306.

SV XII, 192.

SV I, 536; cf. I, 528.

RC II, 6.

SV III, 7.

SV VII, 455.

SV XIII, 555.

SV XII, 184.

SV XI, 77.

SV X, 331.

SV X, 353.

SV X, 727.

R. Maloney, «The Four Vincentian Vows: Yesterday and Today,» Vincentiana 3, (Roma: Curia Generalitia, 1990) 230-370.

Abelly, vol. 3, chapitre 12, 177-178.

Abelly, vol. 3, chapitre 12, 180.

Pierre Collet, La vie de St. Vincent de Paul (Nancy : A. Leseure, 1748), tome 1, vol. 2, 99.

André Dodin, Monsieur Vincent, raconté par son secrétaire, Paris, O.E.I.L., 1991, 53-56.

Ibid., 143-145.

Pour plus d'information sur cette question, cf. Dodin, Op. Cit., 173.

SV I, 142.

SV VI, 444; VIII, 55, 256.

SV VIII, 255-256.

SV III, 74.

SV II, 619.

RC XI, 8.

P. Coste, Monsieur Vincent, Ed. Desclée de Brouwer, Paris 1934, vol. II, p. 585. Cf. également Abelly, I, XXXV, 169.

P. Collet, La Vie de St. Vincent de Paul, Nancy, 1748, I, 468. Cf. SV III, 402. Voir également Coste, II, 447.

Robert Plutchik, Emotion: A Psychoevolutionary Synthesis (New York: Harper & Row, 1980) 128-151.

Fran Ferder, «Never Let the Sun Set on Your Anger: Anger and Its Expressions» in Words Made Flesh: Scripture, Psychology, and Human Communication (Notre Dame, Indiana: Ave Maria Press, 1986, 67-84.

G. Simon Harak, Virtuous Passions (New York: Paulist, 1993) 18. Cet auteur a constaté (p. 25) que nous commençons à «capter» les émotions d'une personne environ un dixième de seconde après l'avoir rencontrée.

Douglass, James W., The Non-Violent Cross (New York: Macmillan, 1968).

Gaudium et Spes, 78.

Acta Apostolicae Sedis, 57 (1965) 881.

Merton, Thomas, Faith and Violence (Notre-Dame, Indiana: University of Notre Dame Press, 1968).

«The Challenge of Peace», Origins 13 (no. 1; May 19, 1983) 1-32.

Acta Apostolicae Sedis, 57 (1965), 896.

Sollicitudo Rei Socialis, 10; cf. Populorum Progressio, 77.

Pacem in Terris, 89, 91.

Gaudium et Spes, 85.

Populorum Progressio, 78.

La documentation catholique, 1972, 106.

Cf. Gaudium et Spes, 81.

RC II, 6.

SV I, 292-294.

SV VII, 226.

Cf. Abelly III, 177-178.

Cf. Mt 18, 15-18.

SV IV, 121.

Van Kaam, Adrian L., Spirituality and the Gentle Life (Denville, New Jersey: Dimension Books, 1974).

2 Tm 1, 8.

Mt 11, 29.

Centesimus Annus, 52; voir aussi 14, 54.

Cf. Summa Theologica I-II, 46.2,4,6.

Synode épiscopal, 1971, «La justice sociale dans le monde», La documentation catholique, 1971, 1004.

Cf. Jean-Paul II, «Women: Teachers of Peace,» Origins 24 (#28; December 22, 1994) 465-469; Jorge Mejia, «Dimensions of the Bishop's Essential Ministry of Peace,» Origins 24 (# 39; March 16, 1995) 641-648; Dolores Leckey, «Peacemaking and Creativity: Three Dynamics,» Origins 24 (# 45; April 27, 1995) 777-780. Leckey fait ressortir trois composantes porteuses de paix : l'écoute, la beauté, et le rire.

Ep 2, 14.

Cf. Walter Burghardt, «A Faith That Does Justice,» Warren Series Lectures, in Catholic Studies (# 18; November 17, 1991) 9.

Am 5, 24.