Une relecture du message de la Rue du Bac pour notre temps

Une relecture du message de la Rue du Bac pour notre temps*

Par Fernando Quintano, C.M.

Directeur Général des Filles de la Charité

Introduction

Ce n'est pas la première fois que l'on demande à quelqu'un de traiter ce thème. Comment actualiser le message de la Rue du Bac ? Cette préoccupation a spécialement surgi à l'occasion des célébrations du 150ème anniversaire des apparitions de la Vierge à Sainte Catherine et depuis ce sujet a été traité par plusieurs fois par divers auteurs.

À lire quelques-uns de ces écrits, j'ai pu constater, une fois de plus, non seulement le risque que nous courons mais aussi la tentation dans laquelle nous pouvons tomber en célébrant les anniversaires de certains événements et personnages du passé. Il semble que l'on essaie de démontrer qu'en eux se trouve la plus grande part des problèmes de notre temps, ceux de l'avenir, et parfois on y trouve la solution.

Je ne voudrai pas tomber dans la même tentation en traitant le thème de la relecture du message de la Rue du Bac pour notre temps. Parce que je ne suis pas d'accord que nous en déduisions les conséquences et exigences sociales, politiques, religieuses etc. pour lesquelles abondent les auteurs qui essaient de relire le message pour notre aujourd'hui. Les exigences et conséquences qui devront être déduites, sont celles qui impliquent tout chrétien à la suite de Jésus-Christ et le développement ainsi que la mise en œuvre de la foi de cette dimension, et les autres dimensions de l'histoire, dimensions qui ne sont pas nécessairement demandées ou explicitement contenues dans le message de la Vierge à Sainte Catherine, et dans les symboles que contient la médaille.

Certainement la vie chrétienne est une nouvelle forme (globale) de concevoir et réaliser l'expérience à la ressemblance du Christ, et non à une série de comportements juxtaposés sans connexion entre eux. Mais il est aussi certain que l'on peut avoir des célébrations déterminées, des commémorations, des rencontres formellement orientées à développer et à mettre l'accent sur une dimension concrète de la foi. Sans en exclure d'autres, mais aussi sans la prétention que toute rencontre, commémoration ou célébration ait des répercussions dans tous les aspects de la vie chrétienne. Nous pouvons et devons faire une relecture du message de la Rue du Bac pour notre temps, sans que cela signifie qu'il y ait une incidence, par exemple, sur les problèmes que posent la mondialisation, le projet de clonage des êtres humains, la détérioration alarmante du milieu ambiant ou les réseaux du terrorisme international. Les dévots de la Médaille Miraculeuse ne sont pas étrangers à ceci ainsi qu'à d'autres problèmes sociaux, économiques et religieux, etc. Mais nous n'allons prétendre que cette dévotion, même authentique, soit le remède contre l'athéisme et l'indifférence religieuse régnante, ni la solution à toutes les souffrances physiques et morales qui affleurent l'humanité, ni des problèmes doctrinaux, pastoraux et moraux qui se posent à l'intérieur de l'Église.

Cette étrange et longue introduction me conduit à délimiter le champ dans lequel je vais me situer et exposer les points à traiter.

Dans une première partie j'essaierai de justifier pourquoi il est nécessaire de faire une relecture pour notre temps du message dont Sainte Catherine fut le témoin exceptionnel. Une relecture qui intègre la compréhension de l'Église au sujet des « révélations privées » et les apports des sciences humaines.

Dans la deuxième partie je parlerai du message de la Rue du Bac et je me centrerai sur la Médaille comme l'expression privilégiée de ce message.

Dans la troisième partie je ferai une relecture de ce message à la lumière de la lettre que le Pape a adressée à toute l'Église lors de la clôture de l'année jubilaire (le 6 janvier 2001). Lettre dans laquelle Jean-Paul II signale les lignes fondamentales qui doivent inspirer tous les projets pastoraux au début du troisième millénaire.

Dans cette relecture je devrai aussi avoir présent l'identité de Sainte Catherine et la nôtre dans l'Église : serviteurs du Christ sur les traces de Vincent de Paul et Louise de Marillac, c'est-à-dire, en cohérence avec notre charisme spécifique dans l'Église.

  1. Faire une relecture du message à la lumière du magistère de l'Église

et des sciences humaines

A) Que signifie faire une relecture ?

C'est revenir à lire un récit ou un événement du passé non comme un simple fait qui se répète, mais avec de nouvelles données qui nous aident à le découvrir ou à faire ressortir des aspects ou des contenus non découverts dans les lectures antérieures. Des faits lus, des événements du passé repris à partir des situations historiques nouvelles et changeantes pour nous aider à en découvrir les aspects et le sens avec un langage adapté et redécouvrir les symboles qui nous ont été transmis depuis leurs origines.

Nous référant à l'expérience spirituelle extraordinaire vécue et transmise par Sainte Catherine, nous ne devons pas oublier que, comme dans tous les autres cas identiques, les récits emploient un langage et un symbole marqués et conditionnés par l'expérience personnelle, la culture, la situation sociale, politique et religieuse du témoin. Et si le message est appelé à dépasser ces circonstances concrètes, il faut lire les récits dans les nouvelles situations historiques non pour les arranger suivant nos caprices, mais les dépouiller des circonstances pour voir plus clairement ce qui est permanent, essentiel du message, au-delà des circonstances de temps et de lieu, du genre littéraire, de la sensibilité du témoin, etc…

Ces expériences spirituelles extraordinaires, bien qu'elles soient des dons accordés à une personne, surviennent dans l'Église et sont données comme des charismes pour l'enrichissement de tout le peuple de Dieu. Une Église qui, selon le concile Vatican II, est sensible et solidaire avec les joies et les espérances, avec les angoisses et les tristesses des hommes de notre temps, spécialement les pauvres et ceux qui souffrent. Dans la vie de cette Église, dans le destin du monde, dans la nouvelle réflexion théologique, dans le progrès de l'exégèse biblique et des sciences humaines, etc… nous trouvons de nouvelles lumières qui nous aident à mieux comprendre le contenu des récits originaux, souvent exprimés de façon symbolique et pour l'avenir. Pour cela il nous faut relire à la lumière de ces nouvelles perspectives et points de vue.

Le philosophe et penseur chrétien français, Jean Guitton, dans son livre sur le message de la Rue du Bac dit :

Ce côté voilé de l'apparition est devenu plus sensible à la fin du XXe siècle… l' apparition de 1830 prend une signification plus large à mesure que passe le temps. L'iconographie mystique de la Médaille de 1830 est de nature anticipante et synthétique. Le commentaire de la Médaille est inachevé en 1973, encore qu'il soit beaucoup plus riche qu'en 1830. Le signe de la vérité de sa « prophétie » (de la Rue du bac) est justement qu'elle se reproduit, comme un caillou jeté dans l'eau, en ondes successives de plus en plus larges ; qu'elle se répercute, qu'elle se reprend, qu'elle s'enrichit comme un thème musical dans une symphonie. Ici, la symphonie des temps.

Mère Roger aussi, pour le 150ème anniversaire des apparitions, proposait aux Filles de la Charité « de faire une relecture de ce que la Vierge avait dit à Sainte Catherine ».

b) La position toujours craintive de l'Église face aux révélations privées.

Les apparitions, spécialement de la Vierge, constituent un phénomène caractéristique de l'époque moderne. De fait, elles ont toujours été fréquentes dans les époques antérieures de l'histoire de l'Église. L'origine d'importants et différents courants spirituels ont leurs origines dans les apparitions concrètes du Christ ou de la Vierge. Par exemple, la dévotion au cœur de Jésus, ou les mouvements de dévotion mariale de la Rue du Bac, de Lourdes, de Fatima, etc…

L'attitude de crainte de l'Église se comprend devant l'abondance d'apparitions et de révélations. L'histoire lui a appris à être critique et prudente devant ces phénomènes qui peuvent dissimuler artifices et tromperies. Pour cette raison il est demandé des garanties de crédibilité.

Une telle attitude de crainte n'est que l'expression d'un double avertissement. Une de saint Jean :

Ne vous fiez pas à tout esprit, mais examinez s'il vient de Dieu, car beaucoup de faux prophètes sont apparus dans le monde, et un autre de saint Paul : « N'éteignez pas l'Esprit, ne méprisez pas le don de prophétie, mais vérifiez tout, ce qui est bon gardez-le .

L'Église demande aux chrétiens un assentiment de la foi en la révélation contenue dans la Saint Écriture et la Tradition. En relation aux apparitions et révélations privées, quand l'Église les juge de confiance par les témoignages et les arguments en faveur de leur authenticité, elle les permet comme une chose qui peut être cru pieusement par les fidèles, mais seulement de foi humaine. L'expression « foi humaine » indique que les apparitions ou révélations privées restent dans un registre différent de celui dans lequel nous acceptons la révélation de Dieu en Christ. Ceci veut dire que chaque chrétien reste chrétien même s'il ne croit pas aux apparitions et révélations privées. Ces phénomènes « surnaturels », s'ils sont authentiques, restent en lien avec la vie chrétienne, mais ils n'entrent pas dans le champ de la révélation divine sur laquelle repose la foi catholique. L'Église, à proprement parler, n'approuve aucune apparition ou révélation privée. Quand elle juge qu'il y a des preuves en faveur de leur authenticité, elle les permet, et peut même les recommander. Elle ne se prononce pas sur le fond, mais elle discerne si telle apparition ou révélation qui suscite un mouvement spirituel contribue au développement de la vie chrétienne. Lorsque c'est le cas, par l'intermédiaire de ses pasteurs elle donne le « feu vert », le « nihil obstat » pour qu'elles soient acceptées comme « objet de pieuse croyance ».

Une telle attitude craintive de l'Église devant les faits surnaturels est prudente et justifiée, aujourd'hui plus que jamais, étant donné la prolifération des tels phénomènes et la facilité avec laquelle beaucoup sont enclins à les accepter sans discernement suffisant. L'inclination des êtres humains envers le merveilleux s'exprime fréquemment aujourd'hui dans la croyance face aux prétendues apparitions de la Vierge. Certainement l'Église et la théologie acceptent la possibilité pour le surnaturel de se manifester dans l'histoire des hommes. Elle ne s'oppose pas aux révélations privées. Elle reconnaît que Dieu peut se manifester, par Marie aussi, pour mettre en relief une vérité déjà révélée par l'Écriture Sainte, pour corriger des déviations et venir à notre aide devant des dangers précis. Elles sont des signes extraordinaires de la libre action de l'Esprit Saint dans son Église, expressions de la dimension charismatique y prophétique du peuple de Dieu.

D'autre part, vouloir expliquer de tels phénomènes seulement à partir de la théorie des mythes et par les mécanismes du psychisme des voyants, ou les refuser parce qu'ils échappent au contrôle de la science, serait s'appuyer sur des présupposés idéologiques exclusivement rationalistes, immanents et fermés. Mais les admettre sans un certain sens critique et sans un sérieux discernement serait s'exposer à des tromperies et manipulations. Jean Guitton, un intellectuel sérieux en rien soupçonné de crédulité ou de scepticisme, a écrit :

De nos jours, et à notre époque où les sciences humaines se développent plus que jamais, où la psychanalyse, la sociologie, la métaphysique, la psychologie des profondeurs déplacent les limites de ce qui est naturel et de ce qui est improbable, il est plus que jamais nécessaire que l'autorité ecclésiale ne prononce pas d'emblée le mot de « miracle » au sujet de ces messages et de leurs effets spirituels .

II. Le message de la Rue du Bac

a) Les récits de la voyante

Sainte Catherine transmit au P. Aladel, d'abord oralement quand survinrent les faits et par écrit vingt-six ans plus tard, les diverses apparitions qu'elle eût dans la chapelle de la Rue du Bac des mois d'avril à décembre 1830 : des représentations du cœur de Saint Vincent trois fois de forme et de couleurs différentes, des visions de notre Seigneur dans le Saint-Sacrement, du Christ-Roi et les trois de la Sainte Vierge (18-19 juillet, 27 novembre et décembre).

Toutes contiennent un message perçu par la voyante. Elle-même déchiffra et nous transmit le sens des diverses couleurs du cœur de Saint Vincent, des habits du Christ-Roi, des positions de la Vierge et des signes de la Médaille.

Les deux premières « visions » de la Vierge sont accompagnées de paroles. Dans un dialogue de deux heures et demie, durant la nuit du 18 au 19 juillet, la Vierge communiqua à sainte Catherine les tristes événements d'ordre politique, social et religieux qui s'approchaient, les abus qui avaient lieu dans les deux Compagnies et la protection spéciale qu'elles auraient de la part de la Vierge et de Saint Vincent.

Le 27 novembre, durant l'oraison de l'après-midi, il y a deux temps différents quoique étroitement associés. Dans un premier temps elle voit la Vierge avec un vêtement de soie blanche et un voile de même couleur qui descendait jusqu'au sol. Sur sa tête une couronne de douze étoiles. Les pieds appuyés sur une demi-sphère écrasant la tête du serpent ; les mains portant une boule surmontée d'une croix et les yeux levés au ciel. Les doigts étaient ornés avec des anneaux de pierres de formats et d'éclats différents qui diffusaient des rayons de lumières vers le sol. Autour de la Vierge se forma un ovale avec ces paroles sur le haut : « Oh Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ». La voyante écouta la voix de la Vierge que lui déchiffra le sens de la boule (le globe) et des rayons ; elle lui demanda de faire frapper une médaille selon le modèle de la vision et lui exprima la joie qu'elle éprouvait à répandre des grâces abondantes sur ceux qui les demanderaient et sur ceux qui porteraient la Médaille avec confiance.

La deuxième partie de la même apparition fut la contemplation par Catherine du revers de la Médaille. Elle vit comme le cadre pivotant et apparut la lettre M et deux cœurs unis par une croix. Un jour plus tard, aussi durant l'oraison, Catherine entendit la voix qui lui répondait à sa préoccupation de comment devait être le revers de la Médaille : « Le M et les deux cœurs en disent assez ».

Sainte Catherine garda le silence sur ces visions durant les quarante ans de sa vie cachée et de service à Reuilly. Personne, exceptés le Père Aladel, son directeur spirituel, au début et Sœur Dufès, à la fin de la vie de Catherine, ne sut qui était la voyante de la Vierge.

b) Une relecture des "visions" de Sainte Catherine.

Il est légitime et prudent, face à ce que conte Sainte Catherine, d'avoir la même attitude craintive qu'a eu l'Église devant les phénomènes dits surnaturels (visions, apparitions, révélations privées). Partant de cette attitude de l'Église nous pouvons faire une relecture, en même temps prudente et respectueuse, du message de la Rue du Bac.

La psychologie des profondeurs nous dira quelque chose à ce sujet, si nous prêtons attention à certaines circonstances qui constituent l'environnement de ce que nous conte la voyante.

Le 21 avril 1830 elle entre au séminaire. Quatre jours après eut lieu la solennelle et majestueuse translation des reliques de saint Vincent de la cathédrale de Paris à la chapelle où elles reposent actuellement. Huit cents Filles de la Charité participèrent à cette translation.

Elle fut suivie d'une neuvaine devant les reliques à laquelle participa sainte Catherine. Ce fût durant la neuvaine qu'elle vit le cœur du Saint sur un reliquaire qu'on avait posé sur l'autel de la chapelle de la Rue du bac. La relique exposée était un morceau d'avant-bras, car le cœur, à ce moment, était conservé à Lyon. L'interprétation donnée par Catherine aux différentes couleurs que prit le cœur, qu'elle relia aux tragiques événements qui approchaient, furent mis par écrit 26 ans après alors que les événements tragiques étaient passés.

Le 18 juillet, jour de la première apparition de la Vierge durant la nuit, la sœur directrice du séminaire parla aux novices sur la dévotion aux saints et à la Vierge. Catherine raconte que ceci lui inspira un très fort désir de la voir. La directrice avait réparti à chaque novice une relique du Saint - un morceau de tissu - que Catherine mangea. Elle raconte : « Je me suis endormie dans la pensée que saint Vincent m'obtiendrait la grâce de voir la Sainte Vierge ». Elle raconte ensuite la première apparition. De l'enfant qui l'accompagna, elle dit : « Je crois que c'était mon Ange Gardien…parce que je l'avais beaucoup prié pour qu'il m'obtienne cette faveur ».

Toutes ces circonstances nécessitent au moins quelques questions : L'apparition que raconte Catherine est-elle authentique ? Fut-elle un songe ? Une vision subjective ou objective ? Symbolique ou réelle ? A-t-elle réellement vu la Vierge ou cela fut-il un produit de son imagination ? Laurentin lui-même pose ces questions. Les arguments et explications que ce théologien donne en leurs faveurs peuvent nous convaincre ou non : elles sont faibles à mon opinion. Mais il assure qu'il a étudié ces thèmes sérieusement en analysant rigoureusement les documents et qu'il est arrivé à la conclusion suivante : « Les apparitions furent une expérience sincère de sainte Catherine… l'authenticité de sa vie confirme celle des apparitions » « en tout cas je les estime authentiques ». Le P. Pierre Coste, secrétaire et archiviste de la Congrégation de la mission (1873-1935), historien que certains traitèrent de rationaliste, pourrait paraître en tête des opposants. Le P. Aladel lui-même au début, ne donna pas d'importance à ce que disait Catherine.

À partir de la réflexion qui se réfère aux apparitions et visions que font les théologiens contemporains, pas suspectés de rationalisme ni de crédulité, une relecture du message de la Rue du Bac, nous conduirait à cette conclusion. Sainte Catherine a eu des expériences spirituelles extraordinaires. Les visions qu'elle eu du Seigneur et de la Vierge n'ont pu être corporelles, car leur condition de « glorifiés » dépasse la corporalité. Ceci ne signifie pas qu'elles ne furent pas réelles. Il s'agit de sincères expériences subjectives qui purent bien être produites par des causes extérieures surnaturelles. C'est à dire qu'elles ne furent pas produites par l'imagination de la voyante mais suscitées par une action spéciale de Dieu, bien qu'elle eut pu être la conséquence d'une prédisposition psychologique spéciale de sainte Catherine. De telles expériences mystiques personnelles purent être expérimentées seulement par elle, et non par les autres sœurs qui étaient en oraison communautaire, car ces phénomènes spirituels ne sont pas perçus par des yeux et des oreilles mais par une perception intérieure. Laurentin affirme que :

Qu'une révélation privée, bien qu'elle ait donné une impression auditive, ne procède pas de vibrations transmises par l'atmosphère, sensible à un tiers. Elle atteint directement la sensation plus que les sens, à la perception même plus qu'à l'organe .

On pourrait affirmer, donc, qu'elles appartiennent non à l'ordre physique objectif et corporel, mais à l'ordre subjectif et spirituel.

D'autre part, il faut affirmer que bien que l'Église ait institué la fête liturgique, et approuvé la Médaille, ceci n'équivaut pas à la reconnaissance de l'authenticité des apparitions. Elle signifie que cette dévotion n'a rien de contraire à la foi, mais qu'elle peut favoriser la croissance de la vie chrétienne. Sainte Catherine a été canonisée par la sainteté de sa vie et non pour les apparitions qu'elle a racontées.

c) Le signe de la Médaille Miraculeuse

Sous les écrits « le message de la Rue du Bac » il faudrait inclure, logiquement, tout ce que Catherine raconta dans les faits qu'elle écrivit sur les différentes visions qu'elle eut dans ce lieu. Mais de fait, l'histoire ultérieure s'est chargée de centrer tout ce message autour de la Médaille. Les mêmes préoccupations de la voyante, durant sa vie qui suivit les faits, se centrèrent davantage sur l'accomplissement fidèle du commandement de la Vierge de frapper une médaille qu'aux messages reçus dans les autres apparitions.

Deux faits nous surprennent particulièrement concernant la Médaille : la richesse des symboles qu'elle contient et sa rapide diffusion.

Je suppose, écrit jean Guitton, qu'on ait demandé à un créateur d'images, à un poète (à Picasso, à Claudel), croyant ou incroyant, de fabriquer une médaille dont le principe serait qu'elle contiendrait le maximum d'enseignements en même temps que le minimum de traits et de signes, avec encore cette clause que ladite médaille devrait être intelligible à tous les chrétiens, qu'ils soient sur les hauteurs de la pensée ou au cœur des masses, dans la houle des foules, qu'ils soient des charnels ou des ascètes… Supposons qu'on ait mis au concours une telle médaille, il est probable que les résultats auraient été inférieurs à ceux de la « Médaille » aperçue dans l'extase de Catherine. Il est difficile de concentrer davantage de pensées qu'en dénombre cette médaille..

Un des arguments en faveur de l'authenticité de la « vision » de la Médaille que nous a raconté sainte Catherine, est précisément la quasi impossibilité qu'une jeune paysanne comme elle, peu cultivée et peu versée dans les questions bibliques et théologiques, put être l'auteur d'une telle invention. Sous un petit espace et d'une manière minuscule, avec un minimum de symbole, la Médaille rassemble en un tout la mariologie, et l'essentiel de la révélation chrétienne. Certains l'ont dénommée : « petite Bible » et « catéchisme du peuple ».

Les passages bibliques, qui sans forcer les textes ni les symboles, auxquels nous renvoient l'avers et le revers de la Médaille sont : la femme aux douze étoiles, avec la lune à ses pieds écrasant un serpent, selon la description de l'Apocalypse ; la promesse d'un descendant de la femme de vaincre Satan dans le livre de la Genèse ; la prophétie du vieux Siméon dans le temple : « Et toi, une épée te transpercera l'âme » (cœur transpercé) ; la présence active et inséparable de Marie dans les moments déterminants dans l'œuvre rédemptrice réalisé par le Christ au calvaire(croix entrelacée avec le M et les deux cœurs) ; le mystère de l'Immaculée Conception proclamé dans l'invocation « Oh Marie conçue sans péché » ; la fonction de Marie comme intercesseur et dispensatrice du don divin de la grâce comme à Cana (globe dans les mains et les bras ouverts répandant des rayons de lumière sur la terre) ; Mère du Rédempteur et des Rachetés (l'Église) ou la nouvelle Ève unie au nouvel Adam pour la naissance de la nouvelle humanité (les deux cœurs et la croix entrelacée avec le M, avec la même attitude bras et mains ouvertes répandant la lumière sur la sphère à ses pieds, ou le cercle de douze étoiles comme symbole des douze apôtres etc…).

Comme nous l'avons dit plus haut, quand une révélation privée est authentique elle ne fait que confirmer et rappeler la révélation biblique. Dans le cas de la Médaille, c'est l'œuvre rédemptrice du Christ - mystère d'amour et de souffrance - et la collaboration inséparable de la Mère qui y sont symboliquement et simplement représentées .

Une relecture contemporaine de la Médaille devra faire aussi référence aux enseignements de l'Église sur la dévotion et le culte marial. Paul VI a publié une Exhortation Apostolique « Marialis Cultus » (1974) pour promouvoir le regain du culte à Marie. Il y insiste pour donner la solidité à ce culte centré sur la figure de Marie dans l'Écriture Sainte et dans la liturgie, tout en défendant les manifestations de dévotion avec lesquelles le peuple simple l'honore.

Jean-Paul II a publié l'Encyclique « Redemptoris Mater » (1987) comme la préparation de l'année mariale 1988. Il souligne la place de Marie dans le mystère du Christ et de l'Église, et il met l'accent sur sa condition de pèlerin de la foi comme nous. Ces deux documents pontificaux sont seulement l'écho de ce que, peu de temps avant, avait enseigné le Concile Vatican II sur Marie dans le chapitre 8 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium. Une relecture des symboles que renferme la Médaille à la lumière des enseignements de l'Église peut contribuer à donner un fondement biblique et à centrer la dévotion à Marie dans l'ensemble de notre foi, c'est-à-dire le mystère du Christ et de l'Église.

Autre fait surprenant dans l'histoire de la Médaille, sa rapide propagation parmi le peuple. Le 30 juin 1832, l'orfèvre Vachette remit les 1 500 premières médailles. Il avait reçu la commande du Père Aladel. La voyante, en la voyant, dit : « que l'on n'y change rien et qu'on la diffuse », bien qu'elle exprima son désaccord car on n'avait pas représenté le globe dans les mains de la Vierge comme elle l'avait vue dans l'apparition. À cette première frappe suivirent rapidement d'autres, réalisées non seulement à Paris mais en d'autres villes et pays. Seulement en France, entre 1832 et 1836 furent distribuées plus de 12 millions de médailles. Il est impossible de calculer le nombre distribué jusqu'à ce jour dans le monde entier. De fait, acquérir et porter une médaille de la Vierge est synonyme d'avoir une Médaille Miraculeuse.

À une telle diffusion les Filles de la Charité ont contribué en premier lieu à partir de leurs hôpitaux et de leurs écoles. En 1836 on raconte que l'appui de l'Archevêque de Paris qui écrit une ordonnance dans laquelle il exhortait tous ses fidèles à porter la Médaille. Le 7 décembre 1838, elle fût approuvée par le Pape Grégoire XIV.

Mais ceci n'explique pas une si rapide et prodigieuse propagation. La première raison exige que nous y voyions la nécessité pour le simple peuple de symboles pour exprimer la foi. À travers des signes et de symboles on passe du visible à l'invisible, ce qui est réalisé dans la célébration des sacrements. La psychologie et la réflexion théologique font ressortir aujourd'hui l'importance des symboles dans l'expression et l'incarnation de la foi. Dans la Médaille le peuple a trouvé des symboles clairs et simples tels que : le cœur, la croix ; le geste maternel des bras ouverts qui accueillent et donnent, le bien et le mal, la grâce et le péché, la joie et la souffrance. À ce propos Jean Guitton écrit :

La Médaille consiste en ceci : c'est un symbole du tout, c'est un point qui remplit tout, un signe d'union. Peuvent la porter le sage et le fou, le savant et l'ignorant, le croyant et même l'incroyant. Ratisbonne qui se moquait en pensant que la Médaille ne signifiait rien alors que, dans un instant, pour lui elle signifierait tout.

L'auteur disait cette affirmation qui inspirera le titre de son livre : « la signification des ces symboles est le dépassement de toute superstition ».

À la rapide et large propagation, contribueront surtout, de nombreuses conversions et guérisons attribuées à la Médaille. Ce signe qui débuta comme prélude et impulsion à la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception (1854), parmi le peuple se propagea comme la « Médaille Miraculeuse ». On ne peut nier que Dieu ait pu se servir de la Médaille comme médiation de son action et de sa grâce salvatrice. Cependant, une relecture actuelle du message de la Rue du Bac devrait inclure une révision de certaines expressions et dévotions qui mettent davantage l'accent sur l'aspect miraculeux de la Médaille que dans la conviction qu'elle est un signe sensible qui nous rappelle et rapproche de Marie comme chemin qui nous conduit au Christ, le même auquel elle dit à Cana : « Faîtes ce que mon Fils vous dira ».

Une relecture actuelle du message de la Rue du Bac, centrée sur la Médaille comme son expression privilégiée, pourrait assumer ces deux affirmations aussi respectueuses que mesurées. La première du théologien R. Laurentin qui dit ceci :

La Médaille est un signe secondaire de la contemplation et de l'engagement. Ce n'est pas un signe obligatoire ni une nécessité pour le salut. C'est un de ces liens libres et gratuits que tout chrétien peut choisir, selon la vie spirituelle pour laquelle Dieu l'appelle, parmi les moyens qui lui serviront au mieux pour le chemin. Elle ressemblerait à un de ces petits signes d'amitié : un souvenir, une photo, une carte gardée dans le portefeuille, ou dans la partie cachée d'un bureau .

La deuxième est de Jean Guitton : Personne n'est obligé d'aller «  Rue du Bac », ni d'admettre que la sœur Catherine « a vu » la Vierge, ni que cette Médaille soit miraculeuse, qu'elle oriente les hasards, encore moins qu'elle dérange les lois du cosmos .

C'est le même auteur qui écrivit un livre sur le message de la Rue du Bac pour démontrer que la foi a besoin de médiations extérieures. Volontairement le livre s'intitule « La Rue du Bac ou la superstition dépassée ».


III. Une relecture du message aux débuts du troisième millénaire

Il s'agit de relire le message de la Rue du Bac à la lumière des nouvelles situations que nous rencontrons dans le monde et dans l'Église. Ce sont les signes de ce temps à travers lesquels Dieu nous parle. Il ne s'agit pas, comme nous le disions dans l'introduction, que nous déduisions à partir du message de la Médaille la réponse adéquate à tous les défis que nous pose le troisième millénaire. Mais, il s'agit de nous laisser interpeller, d'écouter et d'essayer de répondre à ce que nous demande l'Église comme réponse aux nouvelles situations. Et ceci en lien et de façon cohérente avec le message de la Médaille, à partir d'une relecture de ses symboles à la lumière de la réalité historique du début du troisième millénaire.

Sur quoi l'Association de la Médaille Miraculeuse devrait mettre l'accent pour répondre à l'appel que le Pape Jean-Paul II a adressé à toute l'Église dans sa lettre « Novo Millenio Ineunte » (6 janvier 2001) ? Parce qu'être une association ecclésiale signifie vibrer aux joies et espérances, aux inquiétudes missionnaires et orientations pastorales de l'Église. Et tout ceci est le contenu de la lettre que le Pape a adressé aux évêques, prêtres, religieux et laïcs.

Il s'agit d'une lettre dans laquelle Jean-Paul II nous invite tout d'abord à rendre grâce à Dieu pour les grâces qu'il a répandu durant l'année de célébration du grand Jubilé. En plus le Pape regarde vers l'avenir et formule des lignes d'actions qui donneront un nouveau dynamisme à la mission de l'Église dans le troisième millénaire. Mais ceci demande « d'établir un programme pastoral post-jubilaire qui soit efficace ». Quelles seraient parmi les nombreuses propositions de la dite lettre, celles que l'Association devraient assumer comme relecture du message de la Médaille ?

Nous allons essayer de les regrouper en deux parties, nous appuyant sur deux autres moments différents du message de la Rue du Bac.

a) « Venez au pied de cet autel, là les grâces seront répandues particulièrement aux personnes qui les lui demanderont ».

Ce sont les paroles qu'a entendu Sainte Catherine durant la rencontre avec la Vierge dans la nuit du 18 au 19 juin 1830.

Dans la liturgie catholique l'autel est la présence du Christ. Car le rapprochement du Christ, les moyens pour l'obtenir, le cultiver et les conséquences qui se déduisent de cette rencontre constituent la partie centrale de la lettre du Pape et la première ligne d'action qui doit animer tous les projets pastoraux de l'Église dans ce troisième millénaire.

Le Pape nous invite à «  investir toutes nos ressources d'intelligence et d'action dans notre service de la cause du Royaume » ; mais en même temps il nous avertit de la tentation de « faire pour faire », de penser que les résultats dépendent de nos efforts et nos programmations. Mais prenons garde d'oublier que « sans le Christ nous ne pouvons rien faire ». Parce que « devant les défis de ce temps, Non, ce n'est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude qu'elle nous inspire: Je suis avec vous! .

Pour cela, le Pape a dédié le second chapitre de cette lettre à la contemplation du visage du Christ, parce que les « hommes de notre époque, parfois inconsciemment, demandent aux croyants d'aujourd'hui non seulement de « parler » du Christ, mais en un sens de le leur faire «voir»  . De ce Christ contemplé et aimé surgira un dynamisme renouvelé de vie chrétienne. Lui seul est le rocher ferme sur lequel nous devons construire notre vie de croyants et c'est lui qui nous invite à continuer sa mission.

À partir de cette centralité du Christ, tous les programmes pastoraux doivent donner priorité et proposer la sainteté comme vocation de tout chrétien depuis le baptême. Parce que « Demander à un catéchumène: « Veux-tu recevoir le Baptême ? signifie lui demander en même temps: « Veux-tu devenir saint ? ». Par la suite, le Pape présente la prière comme la vraie pédagogie de la sainteté.

Au début du troisième millénaire, le Pape invite tous les chrétiens « un engagement renouvelé de prière. Parce qu'être personnes de prières n'est pas l'exclusivité des consacrés.

Mais on se tromperait si l'on pensait que les simples chrétiens peuvent se contenter d'une prière superficielle, qui serait incapable de remplir leur vie. Face notamment aux nombreuses épreuves que le monde d'aujourd'hui impose à la foi, ils seraient non seulement des chrétiens médiocres, mais des « chrétiens en danger ». Ils courraient en effet le risque insidieux de voir leur foi progressivement affaiblie, et ils finiraient même par céder à la fascination de « succédanés », accueillant des propositions religieuses de suppléance et se prêtant même aux formes extravagantes de la superstition. Il faut alors, poursuit le Pape, que l'éducation à la prière devienne en quelque sorte un point déterminant de tout programme pastoral. Pour cela il demande que les communautés chrétiennes doivent devenir d'authentiques « écoles » de prière.

Autant l'appel à la sainteté comme celui à être des personnes de prière, doivent orienter et façonner la vie de tout chrétien. Qu'il soit dit de même de l'Eucharistie dominicale et du sacrement de la Réconciliation compris « comme un engagement auquel on ne peut renoncer et qu'il faut vivre, non seulement pour obéir à un précepte, mais parce que c'est une nécessité pour une vie chrétienne vraiment consciente et cohérente ». Face à la tentation d'une spiritualité intimiste, individualiste et désincarnée, le Pape rappelle le versant éthico-social de la foi et du témoignage chrétien, comme exigence de la charité et du mystère de l'incarnation du Christ.

Toutes ces lignes d'actions signalées par le Pape pour toute l'Église du troisième millénaire ne sont pas étrangères au message de la Rue du Bac. Certainement que l'Association de la Médaille Miraculeuse doit susciter en priorité une authentique dévotion à Marie. Mais son invitation à nous approcher « au pied de cet autel à demander des grâces abondantes » sont avant tout, une invitation, à s'approcher du Christ et de la prière. Les signes du revers de Médaille, concrètement la croix et le M, confirment l'expression « à Jésus par Marie ».

L'Association devra encourager l'authentique dévotion à Marie. Ceci implique, en premier lieu, qu'elle soit mise à la place qu'elle occupe dans les mystères du Christ et dans le développement de la foi chrétienne. Ainsi elle est la parfaite disciple de son Fils, la première chrétienne, pèlerin de la foi comme nous, celle qui sut faire de sa vie un culte à Dieu et du culte un engagement de vie. Pour cela elle est un exemple pour tout disciple de son Fils.

Deux brèves observations et déductions en lien avec ce que nous venons de dire. 1) La dévotion et le culte à Marie font partie de l'ensemble de notre foi. Ce n'est pas en vain qu'il y a des dogmes mariaux. Ce n'est pas quelque chose d'accidentel comme peut l'être la dévotion à tel ou tel saint. Ainsi on pourra « relativiser » la dévotion à des expressions mariales déterminées (la Médaille Miraculeuse, le scapulaire du Carmel etc…), mais pas la dévotion ni le culte à Marie. 2) La Vierge avait promis à Sainte Catherine qu'elle répandrait d'abondantes grâces sur qui les demanderaient avec confiance et porterait avec dévotion la Médaille. Mais ceci n'équivaut pas à une assurance de vie terrestre ou éternelle. La Médaille et la répétition de son invocation ne nous dispense pas de vivre comme chrétien, ni ne nous libère des risques et des dangers auxquels nous sommes exposés comme les autres mortels. Ce sont des vrais croyants de la Médaille Miraculeuse de la Rue du Bac que l'on a affirmé et écrit qu'ils sont « la superstition dépassée ». Veillons à ce que ce ne soit pas seulement un souhait, mais une réalité.

Les diverses lignes d'actions que propose le Pape coïncident avec quelques-uns des défis que lance notre Supérieur Général le P. Maloney, aux laïcs vincentiens : « Soyez d'authentiques croyants de la Parole de Dieu et ses serviteurs », « Soyez bien formés », « Soyez saints ». Et lorsqu'il fait concrètement référence aux laïcs de l'Association, il leur demande  :

Déployez une authentique dévotion à Notre Dame, que la Famille Vincentienne reconnaît comme Vierge Miraculeuse…Faîtes de tous vos lieux des foyers prière, de formation permanente - qui inclut la doctrine sociale de l'Église - et d'appui mutuel de la foi .

b) «Elle portait dans ses mains une boule qui représentait la terre»

Sainte Catherine décrit sa vision de la seconde apparition de la Vierge -celle qui a donné origine à la Médaille Miraculeuse - en faisant ressortir deux attitudes de Marie : elle présentait à Dieu dans ses mains le symbole du monde et envoyait des rayons de lumière sur la sphère sur laquelle reposaient ses pieds.

Sous cette phrase de la voyante que j'ai choisie comme sous-titre de ce qui suit, je veux inclure un second point dans lequel seront regroupés le reste des lignes d'action que le Pape propose d'inclure dans tous les programmes pastoraux du troisième millénaire. Il se peut que ce sous-titre vous apparaisse conventionnel et opportuniste, et vous avez raison. Mais en l'occurrence, le plus important n'est pas le sous-titre, mais les priorités.

Plusieurs d'entre elles sont en lien direct avec notre identité vincentienne, avec la mission que nous avons dans l'Église et dans le monde. Car un détail important du message de la Rue du Bac est que c'est une Fille de la Charité, un membre de la Famille Vincentienne, qui l'a reçu et transmis.

Dire Famille Vincentienne veut dire se consacrer radicalement aux pauvres, être dans l'Église et dans le monde des «apôtres de la charité ». Tel est la caractéristique principale de notre identité chrétienne-vincentienne : serait-ce accidentel que la Vierge ait partagé le message de la Rue du Bac, sa douleur face aux misères qui approchaient, à sainte Catherine, Fille de la Charité ?

La troisième partie de la lettre du Pape s'intitule « Témoins de l'amour ». Elle commence avec ces paroles de Jésus : « À ceci ils reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous vous aimez les uns les autres » Si vraiment nous contemplons le visage du Christ, nos programmes pastoraux ne pourront pas ne pas s'inspirer du « commandement nouveau » que Dieu nous a donné: « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres ».

Jean-Paul II, faisant écho à ces paroles de saint Paul, dit : « Beaucoup de choses, même dans le nouveau siècle, seront nécessaires pour le cheminement historique de l'Église; mais si la charité (l'agapè), fait défaut, tout sera inutile »  . Être témoin de l'amour au début du troisième millénaire et dans les situations que vit l'Église dans le monde se concrétise, selon le Pape, dans «une spiritualité de communion entre tous les membres de l'unique peuple de Dieu » dans l'intérêt pour l'œcuménisme, et dans le dialogue inter-religieux, dans la pastorale de la famille, la pastorale des vocations et celle des laïcs . Il n'est pas étrange que face à tout cela Marie offre à Dieu le monde entre ses mains et que les rayons lumineux descendent jusqu'à la sphère à ses pieds. Cette sphère et les douze étoiles sont des symboles qui expriment la totalité et l'unité.

Deux affirmations du Pape devront avoir un écho spécial dans la Famille Vincentienne :

1° : Le siècle et le millénaire qui commencent devront encore voir, et il est même souhaitable qu'ils le voient avec une plus grande force, à quel degré de dévouement peut parvenir la charité envers les plus pauvres.

La fidélité de l'Église au Christ se démontre par l'option préférentielle pour les pauvres et en une charité effective davantage et plus que par une fidélité à la doctrine.

2° : C'est l'heure d'une nouvelle « imagination de la charité », qui se déploierait non seulement à travers les secours prodigués avec efficacité, mais aussi dans la capacité de se faire proche, d'être solidaire de ceux qui souffrent, de manière que le geste d'aide soit ressenti non comme une aumône humiliante, mais comme un partage fraternel… l'annonce de l'Évangile, qui demeure la première des charités, risque d'être incomprise ou de se noyer dans un flot de paroles auquel la société actuelle de la communication nous expose quotidiennement. La charité des œuvres donne une force incomparable à la charité des mots.

Même si nous n'avons que peu de connaissance de la doctrine vincentienne, je suis sûr qu'en chacun de nous, en écoutant les paroles du Pape, ont résonné celles de saint Vincent. Par exemple : la « créativité » et « l'imagination de la charité » qui ne sont que l'écho de « l'amour inventif à l'infini », « l'aumône qui n'humilie pas » qui nous évoque « en aidant les pauvres nous ne faisons pas la charité, mais la justice », « la charité illustrée par les œuvres » qui nous renvoie à « l'amour effectif dans le service intégral des pauvres ». Comme nous le voyons, c'est le Pape qui nous suggère à nous vincentiens comment faire une relecture du message de la Rue du Bac.

Le globe dans les mains de la Vierge représente le monde. Les rayons de lumière qui se répandent de ses mains ouvertes symbolisent les grâces. Nous avons alors d'autres inquiétudes et propositions du Pape : promouvoir partout dans le monde «la civilisation de l'amour » et «la culture de la solidarité ». Le P. Maloney est en syntonie avec le Pape quand il demande aux laïcs vincentiens :

«Soyez créatifs », «Soyez inventifs devant le service et les nécessités que vous découvrez », «Faites que les œuvres de charité, justice et paix resplendissent dans toutes les œuvres de la Famille Vincentienne ».

La Famille Vincentienne est composée de millions de membres appartenant aux diverses branches qui constituent le grand arbre de la charité. Ce n'est pas un rêve irréalisable que de faire entre nous un réseau de charité qui enserre le monde. Nous réunir dans un réseau déjà commencé de toute la Famille Vincentienne pour contribuer à éradiquer la faim dans le monde en est une preuve concrète. Face au défi de la mondialisation de l'économie - et malheureusement de la pauvreté - la Famille Vincentienne doit assumer le défi de collaborer à la mondialisation de la charité.

Les incroyables avancées de l'informatique, ne nous offrent-elles pas l'occasion et nous invitent-elles pas, nous vincentiens, - concrètement les millions de membres de l'Association de la Médaille Miraculeuse - à nous mettre en réseau dans un courant mondial de charité créative au service des pauvres ?

Conclusion

Une relecture du message de la Rue du Bac est nécessaire si nous ne voulons pas être réduits dans un champ limité d'un temps et d'un lieu. Certainement que la révélation privée dont fut témoin sainte Catherine n'appartient pas au domaine de la Grande Révélation, mais à la dimension charismatique et prophétique de l'Église.

Une relecture doit respecter l'essentiel du message pour ne pas sombrer dans le snobisme et les caprices d'un essai d'actualisation. En même temps sa charge de prophétisme nous invite à le relire à la lumière des signes des temps, des nouvelles situations et des enseignements de l'Église, de la théologie, de l'exégèse biblique, des sciences humaines… si nous ne voulons pas tomber dans une sclérose archéologique ou dans le fondamentalisme. C'est ainsi que nous avons essayé de faire cette relecture.

Peut-être en forçant un peu le mot à mot du message, - mais je crois sans rien n'y introduire d'étranger aux symboles que contient la Médaille, nous avons mis l'accent sur la cohérence de ces symboles avec les lignes d'actions proposées par le Pape pour les inclure dans les programmes pastoraux de toutes les communautés ecclésiales. L'Association de la Médaille Miraculeuse est une d'elles. Il serait bon que nous terminions la conférence en renouvelant notre confiance dans la puissante intercession de la Vierge de la Médaille Miraculeuse et lui demander la grâce que l'Association mette en œuvre ces lignes d'action proposées par le Pape pour l'Église du troisième millénaire qui commence.

(Traduction : BERNARD MASSARINI, C.M.)

*Cet article reprend une conférence donnée par le P. Fernando Quintano lors de la 1ère Rencontre Internationale de l'Association de la Médaille Miraculeuse (Rome, du 22 au 26 octobre 2001), puis publiée dans le livre Association de la Médaille Miraculeuse. Une nouvelle image pour un nouveau millénaire. Éditions La Milagrosa, Madrid, 2002, p. 47-75, qui a rassemblé la plupart des conférences de cette Rencontre.

Cf. Michel LLORET, Échos de la Compagnie, Juin 1980, p.155-163 : février 1988, A. FEUILLET, Esprit et Vie n°49, 4 décembre 1980, p.657-675. J.P. PRAGER, Marie des Pauvres, une relecture de la Médaille Miraculeuse depuis la périphérie, Annales de la Congrégation de la Mission et des Filles de la Charité. Madrid,1994, p. 513-519. Des approches du thème peuvent se trouver dans Jean Guitton, La Rue du Bac ou la superstition dépassée, Ed. SOS, 1974 et R. Laurentin, et les Apparitions de la Vierge à Sainte Catherine Labouré (divers). Salamanca 1981, p. 127-157.

Cf. G et S.1

Jean Guitton, La Rue du Bac ou la superstition dépassée, Ed. SOS, 1974, p. 70-71.

Idem, p.137.

Idem, p.139

1 Jn 4,1.

1 Th 5,19-21.

Telle est l'expression utilisée par la Sacrée Congrégation pour les Rites en se référant aux apparitions de Lourdes dans une déclaration le 12 mai 1877.

Jean Guitton, op. cit. p. 9

cf. J.Guitton, op. cit. p. 52.

Cf. Laurentin, op. cit. p. 140-145.

Cf. Laurentin, op. cit. p. 139.

Cf. Laurentin, op. cit. p. 146.

Dans une note dirigée à la Sacrée Congrégation pour les Rites (2 juillet 1930) il demande que soit défaite la cause de canonisation de sainte Catherine et énumère les défauts, qui selon lui empêchent la canonisation et ne donne pas crédit aux apparitions.

R. Laurentin, op. cit., p.143.

J. Guitton, op. cit. p. 76

Dans l'église de Fain-les-Moutiers on conserve un cadre qui représente l'Immaculée avec des traits suffisamment clairs au revers de la Médaille que Catherine a pu contempler dans son enfance.

Cf. Ap.12.

Gen.3,15.

Lc 2,25.

Jn 19,25-27.

Jn 2,1-12.

Dans la lettre du 31 décembre 1976, le Pape Paul VI écrivait à la Mère Roger : «  Je suis heureux d'exhorter vivement la Compagnie des Fille de la Charité et la Congrégation de la Mission à faire fructifier aujourd'hui le précieux héritage ( la Médaille) en suivant les chemins tracés par l'Exhortation Apostolique Marialis Cultus »

Cf. Laurentin, op. cit. p.117.

Jean Guitton, op. cit. p. 81-82.

Idem, p.86.

Le dialogue avec R. Laurentin qui a suivi la conférence donnée à Salamanque durant la IX Semaine d'études vincentiennes (du 9 au 13 juillet 1980), se référant à l'importance de ne pas accentuer l'aspect miraculeux de la Médaille, il fit ressortir la vie cachée et de service que mena Sainte Catherine, en le présentant comme une preuve de l'authenticité des apparitions. Il ajouta : de retour à sa maison de Reuilly la voyante, après la dernière visite qu'elle fit à la chapelle de la Rue du Bac, tomba et se cassa le bras.

R. Laurentin, op. cit. p.156.

Cf. J. Guitton, op. cit. p. 8

MNI n°15

MNI n°38.

MNI n°29.

MNI n°16.

MNI n°30.

MNI n°31.

MNI n°32.

MNI n°38.

MNI n°34.

MNI n°32.

MNI n°39.

MNI n°35-37.

MNI n°52.

R. Maloney, Message à l'Association de la Médaille Miraculeuse d'Espagne, Annales, juillet-août 1994, p. 290.

Jn 13,35

MNI n°42.

MNI n°43-45.

MNI n°48.

MNI n°55-56.

MNI n°46-47.

MNI n°49.

MNI n°50-51.

Cf. R. Maloney, Annales, mars-avril 2001, 187-188.

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