Carême 1998

Carême 1998

Aux membres de la Congrégation de la Mission de par le monde

Mes chers Confrères,

La grâce de Notre seigneur soit toujours avec vous!

Le désert joue un rôle spécial aussi bien dans le Nouveau que dans l'Ancien Testament. C'est un lieu d'itinérance et de purification, d'épreuve et de tentation; de sécheresse et de mort. Mais c'est aussi une école mobile où le peuple de Dieu apprend à vivre dans la solitude, à méditer, à saisir la vie dans sa dimension essentielle, à dépendre de Dieu. L'un des grands thèmes de l'Exode est la présence constante d'un Dieu Providence plein d'amour durant le voyage à travers le désert: “Yahvé marchait avec eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur indiquer la route, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer” (Ex 13,21). La présence du Seigneur était constante et attentive, leur procurant de la nourriture dans le désert et les nourrissant de sa parole et de sa loi. Le Seigneur les reprenait lorsqu'ils péchaient et leur pardonnait lorsqu'ils se repentait. Le Seigneur mettait à l'épreuve et fortifiait leur fidélité, puis il battit leurs ennemis et finalement il les conduisit dans un pays où coulait le lait et le miel. Avec une belle image, Osée voit le désert comme un lieu de séduction pour la relation constante et parfois tumultueuse de Dieu avec le peuple élu: “C'est pourquoi je vais la séduire. Je la conduirai au désert et je parlerai à son coeur” (Os 2, 16).

L'Evangile de cette année pour le premier dimanche de Carême nous rappelle que le désert est aussi le lieu des démons. Là, Jésus, conduit par l'Esprit, rencontre Satan qui lui présente, de façon symbolique, les tentations du pain, du pouvoir et de la renommée. Dans notre Famille Vincentienne, nous nous souvenons que Luc utilise “l'expérience du désert” de Jésus, précisément comme une introduction à son entrée dans la synagogue de Nazareth où il proclame “L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a consacré par l'onction pour porter la bonne nouvelle aux pauvres” (Lc 4,18).

En préparation à la venue du troisième millénaire, l'Eglise nous demande, en 1998, de nous centrer sur l'Esprit Saint. Aussi, je vous encourage durant le Carême à permettre à l'Esprit Saint de vous conduire au désert, comme le fit Jésus, afin que l'Esprit puisse vous remplir de puissance pour une mission renouvelée. Notre tradition chrétienne nous dit que le voyage sera tourmenté mais qu'il en vaut la peine. Je voudrais réfléchir avec vous brièvement sur trois aspects de ce voyage.

1.L'Evangile nous appelle à grandir dans la confiance que l'Esprit nous accompagne dans le désert. L'Evangile de Luc, que nous lisons chaque dimanche durant ce Carême, insiste sur la présence de l'Esprit dans tous les moments de la vie, ceux qui sont lumineux comme ceux qui sont obscurs. Dans Luc, l'Esprit descend sur Marie au moment de l'Incarnation (1, 35). L'Esprit remplit aussi Jésus au moment de son baptême et puis il le conduit au désert pendant 40 jours (4, 2). Après avoir vaincu Satan, Jésus retourne en Galilée dans la puissance de l'Esprit (4, 14) et inaugure son ministère (4, 18). Jésus exulte dans l'Esprit (10, 21). Il assure ses disciples que son Père du Ciel donnera l'Esprit à tous ceux qui le lui demanderont (11, 13) et il leur dit que l'Esprit leur enseignera tout ce qu'ils auront à dire dans la persécution (12, 12). Le second livre de Luc, les Actes, fait ressortir la présence constante de l'Esprit dans le vie de l'Eglise. Pour Luc, l'Esprit est la Providence de Dieu, son amour qui nous accompagne sans cesse. Luc nous appelle à mettre notre confiance dans l'Esprit du Seigneur d'une façon indéfectible.

Rappelez-vous avec quelle éloquence saint Vincent nous exhorte à mettre notre confiance en la Providence de Dieu: “Nous n'avons qu'à nous abandonner à sa conduite, de même qu'`un petit enfant fait à sa nourrice'. Qu'elle mette son enfant sur le bras droit, il s'y trouve bien content; qu'elle le tourne sur la gauche, il ne s'en soucie pas; pourvu qu'il ait sa mamelle, il est satisfait. Nous devons donc avoir la même confiance en la Providence divine, puisqu'elle a soin de tout ce qui nous concerne, en la manière qu'une mère nourrice a soin de son enfant” (SV X, 503). En tant qu'évangélisateurs, notre mission est de communiquer des paroles d'espérance aux pauvres. Si notre confiance en la Providence est profonde, notre vie témoignera, que nous prêchions ou que nous gardions le silence, que l'Esprit demeure en nous et respire en nous.

2.Je vous prie de réfléchir, durant le Carême, sur les tentations que nous rencontrons inévi-tablement lorsque l'Esprit nous conduit au désert. Aucun d'entre nous n'est épargné. L'Esprit est une colonne de feu qui éclaire notre chemin pendant le voyage, mais les événements quotidiens nous incitent à suivre d'autres colonnes de feu alors que nous cheminons dans le désert. Pour ceux qui détiennent une autorité, la tentation du pouvoir est grande; pour ceux qui travaillent dans la finance, c'est la tentation de l'argent; pour ceux qui sont engagés dans la prédication, c'est la tentation de la popularité; pour ceux qui recherchent des relations, c'est la tentation du sexe facile ou irresponsable; pour ceux qui servent dans des situations d'extrême pauvreté, c'est la tentation du découragement; pour ceux qui vivent au milieu de la violence, c'est la tentation d'une réponse violente. Aucune de celles-ci ne satisfait jamais. Aucune n'apporte un sens ultime. Aucune n'atteint la profondeur du mystère de la personne humaine. Nous sentons que notre faim n'est satisfaite et notre soif étanchée que dans la personne d'un Dieu Providence, plein d'amour, qui chemine toujours avec nous. C'est la leçon que les Hébreux ont appris durant l'Exode. Pendant ce Carême chacun d'entre nous doit se demander: quelle est la plus grande tentation que je rencontre comme missionnaire?

3.Enfin, pendant ce Carême la parole du Seigneur nous appelle à annoncer la présence de ce Dieu Providence à partir d'une conviction personnelle profonde. Les Ecritures nous lancent ce défi: Est-ce que vous-même, évangélisateur, percevez que Dieu marche avec vous chaque jour? Quand d'autres vous entendent parler de Dieu, sont-ils touchés pour croire? Est-ce que vous voyez Dieu, comme le psalmiste, dans le lever du soleil et dans son coucher? Est-ce que le nom de Dieu est écrit, comme le suggère l'auteur du Deutéronome, sur le chambranle de la porte de votre maison afin que vous pensiez au Seigneur quand vous entrez et quand vous sortez? Voyez-vous aussi Dieu dans la vie quotidienne des pauvres: dans leurs luttes, dans leur recherche de la justice, dans leurs espoirs contre tout espoir, dans leurs souffrances, dans leur hospitalité, dans leur gratitude? Chacun d'entre nous qui prêchons, nous pouvons nous poser ces questions. Notre mission doit se concentrer sur la présence amoureuse d'un Dieu Providence, sur l'Esprit de Dieu qui habite en nous. C'est cela la Bonne Nouvelle. Sommes-nous capables de dire aux autres avec conviction que Dieu est notre Père, notre Mère, notre tout, comme saint Vincent le dit (SV V, 534)? Si nous pouvons faire cela, les missions populaires que nous prêchons seront pleines de vie, les séminaires où nous enseignons seront des centres où Dieu habite, nos missions étrangères seront des forces vives d'évangélisation.

“Nous ne pouvons mieux assurer notre bonheur éternel qu'en vivant et mourant au service des pauvres, entre les bras de la Providence et dans un actuel renoncement de nous-mêmes, pour suivre Jésus-Christ.” (SV III, 392) C'est, me semble-t-il, ce que l'Esprit veut nous enseigner durant ce Carême.

Amen. Alléluia. Puissiez-vous être rempli de l'Esprit du Seigneur Ressuscité.

Votre frère en Saint Vincent,

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général