Cuba, en situation d'évangélisation. Entre la peur et l'espérance

Cuba, en situation d'évangélisation

Entre la peur et l'espérance

par Jesús María Lusarreta, C.M.

Province de Cuba

Cuba, tout au long d'un quasi demi-siècle, est parvenu à être le centre d'attention de millions d'hommes. Certains ont vu, dans cette petite île, le jardin aux fleurs rouges, d'autres, le camp vivant de la bataille moderne entre David et Goliath. La figure du «Che»a rempli des espaces privilégiés et la voix du Commandant a été longuement entendue de tout côté.

L'Église et la C. M., qu'ont-elles fait pendant ce temps?

À Cuba, l'Église ressemble à une montagne ravagée. Les bûcherons sont arrivés et ont détruit sans distinction tous les arbres, les grands et les petits. Les grands, ils les ont exportés et les petits, ils les ont brûlés. Il n'y a plus d'arbre dans la forêt… Mais, subitement, fruit du soleil et de l'eau, les racines demeurées à l'intérieur, à cause de la force de la nature, se sont ouvert un chemin entre le ciment et les pierres, et ont fait surgir de nouveaux rejetons. Ils ont détruit les arbres mais ils ne sont pas parvenus à dessécher les racines, et à la première occasion, elles ont fleuri.

Cuba n'est pas un peuple athée. Il y a eu absence de Dieu; depuis longtemps on n'a pas prononcé son nom; on a évité sa présence; mais Dieu continua à être nécessaire. Et voici qu'arriva le soleil du Pape Jean Paul II; on permit que les plantes soient arrosées, et comme si l'on avait ouvert un jet d'eau aveugle, l'eau surgit et la forêt reverdit, on remplit les places et, malgré des épines, le bouton de fleur de l'espérance s'est levé. L'Église vit, respire, bouge… c'est elle !

Durant ces quarante années, la C.M. est passée de 52 à 10, et même à 5 membres. Les maisons, de 12 à 5; d'une activité missionnaire remarquable, à l'extérieur, on est passé au maintien de 3 paroisses, 2 églises et une maison éloignée pour les trois étudiants et leur formateur. Dans nos maisons de la C.M., il y avait quatre associations de la Famille Vincentienne, mais…seule est restée l'Association de la Médaille Miraculeuse; les autres ont disparu radicalement. Mais l'esprit est vivant et dans nos cinq maisons, ces quatre associations: AIC, JMV, SSVP et AMM.ont refleuri.

Le Pape Jean-Paul II a été le missionnaire le plus fantastique qui ait marché sur le sol de Cuba, depuis toujours. Il a commencé sa visite en nous disant: «N'ayez pas peur, le Seigneur est avec nous». Ce fut le moment merveilleux des disciples d'Emmaüs avec le Maître. N'ayez pas peur, car après le temps de la purification, viendra la verdeur de l'espérance: «Que Cuba s'ouvre au monde et que le monde s'ouvre à Cuba ».

Au rythme de sa visite, notre petite Compagnie venait de commencer un nouveau chemin. La C.M. était passée de cinq confrères et de cinq maisons à neuf membres. Maintenant nous pouvions avoir une vie de communauté et aussi, nous pouvions rêver à faire grandir la Famille Vincentienne à partir de notre charisme propre. Lors de notre assemblée provinciale, la Province tout entière autour d'une petite table, et avec la joie de ceux qui se sentent jeunes et pleins d'illusions, nous avons opté pour une Province missionnaire qui pourrait mettre ses maisons en situation de mission et servir directement les pauvres. Ce serait là notre signe extérieur et notre identification.

- Là où est un missionnaire, qu'il y ait un service direct des pauvres.

- Là où est un missionnaire que l'on prêche l'Évangile de manière progressive, en sortant de l'église.

- Que dans nos maisons, pour rendre l'Évangile plus effectif, l'on organise les Associations de la Famille Vincentienne pour qu'elle se reconstruise, et qu'ainsi avec ses membres, nous soyons plus missionnaires.

- Que dans nos maisons l'on accueille les pauvres, faisant pour cela les travaux nécessaires et autorisés, sans jamais oublier «l'effort de nos bras et la sueur de notre front».

- Que nous nous disposions à solliciter les subventions qui nous aideront en cette tâche…, utilisant nos compétences propres et l'aide de nos frères;

Et comme une petite armée de soldats enthousiastes, nous avons commencé la tâche. Que dans toutes les maisons il y ait les associations de la Famille Vincentienne…, que l'on retrouve les livres d'autrefois, que les pauvres puissent s'approcher de nos maisons avec confiance, que… Et depuis l'Église de La Merced et celle de la Miraculeuse, à La Havane, comme pionnières…, jusqu'à celles du lointain orient, parvint la nouvelle que les pauvres venaient manger, les associations vincentiennes commençaient à travailler, les missions donnaient des fruits… et les vocations s'éveillaient. Tout cela ne nous est pas encore bien permis, nous cheminons entre des murs, mais nous cheminons…

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La première Paroisse qui prit son envol fut celle de la Médaille Miraculeuse. Là, on commença, en même temps, deux tâches d'évangélisation: une mission longue et une résidence ouverte à des personnes âgées, d'une capacité de 175 vieillards, dans le besoin. La tâche dans ce milieu social avait des vues utopiques, mais lorsque Dieu se manifeste clairement en faveur des pauvres, rien n'est impossible.

Le premier Objectif est de créer les conditions missionnaires dans la Paroisse pour parvenir, de personne à personne, à annoncer l'Évangile, à tous ceux qui habitent sur son territoire. Une Paroisse en situation permanente de mission…

Les moyens sont :

- Inviter toutes les personnes engagées dans la Paroisse à être Missionnaires;

- Créer une école d'évangélisation qui les formera;

- Et avec ces personnes engagées, créer des petites communautés ecclésiales qui leur permettent de faire une expérience communautaire;

- La mission aurait lieu durant une semaine, trois fois par an, aux temps forts liturgiques ; et en été pendant les classes en semaine.

- Le thème en serait le Kérygme, donné progressivement à chacune des visites à domicile, par de petites catéchèses, de personne à personne.

L'objectif de chaque mission est de former de petites communautés et de les inviter à connaître Jésus, à vivre la foi dans une petite communauté et à aimer la Vierge, Mère de l'Église et catéchiste de la communauté paroissiale.

La réalité a été surprenante:

1. L'Évangile est parvenu à tous les coins de la Paroisse. Nous comptons à présent 11 communautés ecclésiales et 62 maisons-mission, avec 130 missionnaires permanents qui travaillent de manière hebdomadaire dans chacune des petites communautés familiales. Et la mission…se poursuit.

Tout ceci a été possible grâce à une manière de faire. Nous avons visité toutes les maisons de la Paroisse en 18 occasions, et à chaque visite, nous avons apporté un message évangélique différent. Sa finalité est d'évangéliser d'une personne à l'autre, d'apporter le Kérygme, par des messages brefs, à chaque frère éloigné.

Les thèmes ont été les suivants: 1. Dieu t'aime, 2. Jésus-Christ est le Fils de Dieu, 3. Jésus est le Seigneur, 4. Jésus nous a sauvés, 5. Nous avons péché, 6. Jésus nous a apporté le pardon, 7. L'Église, famille des fils de Dieu, 8. L'Église et le pardon des péchés, 9. La Vierge Marie, mère de notre peuple, 10. La Communauté, 11. Ceux qui ont la foi, comment vivent-ils? etc.

Ce travail constant a créé une ambiance de mission permanente, des communautés vivantes, de vie nouvelle. Ensuite, au rythme du Diocèse, nous avons étudié les quatre évangiles. Actuellement nous sommes en train de réfléchir sur l'évangile du dimanche et sur quelques thèmes centraux de formation.

2. L'attention aux pauvres est la deuxième réalité. Nous avons suivi la méthode de saint Vincent: d'abord le pain, puis le catéchisme… Quelques-uns de nos confrères ont affirmé que le ministère de la Charité précéde celui de la Parole. Partant de cette expérience, nous pouvons dire que nous sommes totalement d'accord. Nous avons eu la grande chance que le Gouvernement nous ait accordé ce que nous appelons la «Résidence ouverte de personnes âgées» et que cette approbation comporte une quote-part d'aliments et le visa pour un certain genre d'œuvres. Le souvenir de la figure du P. Hilario Chaurrondo, vieil ami du Commandant Fidel a influé en son temps pour que la Résidence ouverte d'anciens aille de l'avant, sans obstacles à son développement. Nous pouvons affirmer que malgré tant de missions de personne à personne, malgré tant de petites communautés (une par pâté de maisons), la Paroisse est plus connue par l'attention aux pauvres que par l'évangélisation. Les pauvres sont les grands propagateurs de la vérité et de la réalité qu'ils vivent.

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L'Église de La Merced a été une autre réalité importante. Il a deux ans, la C.M. laissa la paroisse de l'Esprit Saint, qui se trouve près de l'Église de La Merced. Cependant, à l'Église de La Merced, on commença la mission qui a apporté une ambiance communautaire aux fidèles, à partir du moment de leur séparation. Elle a laissé trois petites communautés, la Caritas paroissiale organisée et les catéchèses d'enfants, jeunes et adultes.

Et la Paroisse de La Merced a commencé son nouveau parcours avec ceux que l'on appelle Les Amis de l'Église de La Merced et la réorganisation de la Famille Vincentienne.

La C.M. a fait le projet que l'Église de La Merced soit un centre d'évangélisation et un lieu pour les pauvres. Elle a organisé une cantine pour 45 pauvres, avec une aide qui se rapproche du style de la «Résidence ouverte de personnes âgées» déjà citée, et elle est devenue «lieu d'évangélisation». La Vierge de La Merced est identifiée, dans les religions d'origine africaine, à Obatala, déesse de la fécondité. De fait, notre Église est remplie de syncrétistes, c'est-à-dire, de baptisés, non évangélisés, ni croyants, qui, en regardant la Vierge du Merci, voient en elle le visage d'Obatala, faisant usage de dévotions non chrétiennes. Ils la regardent et prient… Voilà le grand défi de l'évangélisation pour l'Église de Cuba: répondre à la réalité du syncrétisme.

Comment affronter cet état de croyance?

La C.M. a pensé à une mission continue, à une évangélisation primaire permanente:

- Que dans l'église de La Merced l'on accueille non seulement les touristes comme touristes, mais aussi les syncrétistes qui cherchent quelque vérité. Cherchons à nous en approcher par le dialogue.

- Que nos prédications redisent constamment ce qui est élémentaire dans le christianisme, étant donné que les personnes qui viennent sont toujours différentes.

- Que l'action charitable soit remarquable, de manière que tous soient attirés par les signes chrétiens que nous leur manifestons.

- Les associations de la Famille Vincentienne font un travail merveilleux dans ce sens.

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Les maisons de l'orient de Cuba. La Communauté a trois maisons à l'orient de l'Île: à Santiago, l'Église de Saint François (c'est la deuxième maison de la Province par rapport à sa fondation: 1884); à Saint Louis, une paroisse dont la C.M. s'en occupe depuis 1919, et à Baracoa, la maison la plus traditionnelle et la plus chère à nos confrères aînés. Il s'agit d'une paroisse tenue par la C.M. depuis 1908, et que Mgr l'Evêque vient de diviser en quatre paroisses.

Ces trois maisons collaborent avec les associations de la Famille Vincentienne, et dans les trois on y travaille selon le schéma de l'Assemblée Provinciale: la mission en communautés et l'attention aux pauvres. Du reste, les AIC de ces maisons, en union avec les Conférences de Saint Vincent mènent à bien «Le projet retour aux sources». Il porte ce titre parce que c'est un essai de retour aux commencements des Confrèries de la Charité. Comme nous n'avons pas des facilités pour construire des cantines ou des résidences de personnes âgées, nos groupes AIC ont eu l'idée, ni plus ni moins, que de soigner les pauvres chez eux. Les volontaires de l'AIC, en même temps qu'elles font la cuisine pour leurs familles, le font pour un pauvre. À midi, elles leur apportent le repas, arrangent leur maison et les soignent à la manière vincentienne. Comme petite compensation, étant donné les difficultés que nous avons ici pour nous procurer des aliments ou du gaz, nous leur donnons une modeste participation d'un dollar par semaine pour chaque personne âgée.

L'expérience de l'attention aux pauvres est remarquable. Les pauvres sont les premiers évangélisés, ceux qui rapportent à tous ce qu'ils ont vu et entendu, et ils sont en train d'ouvrir nos paroisses et à nos maisons à une nouvelle évangélisation.

Regard vers l'avenir. La Province sortit de la première difficulté lorsqu'elle fut réduite à cinq membres et à cinq maisons. Cependant, il nous faut encore sortir de la deuxième difficulté: le manque de vocations. Notre Supérieur Général, visitant les communautés locales lors du 150eme anniversaire de la présence des Sœurs à Cuba, nous a dit que la formation des nôtres devait être l'objectif prioritaire. Les tentatives ont été fortes: pour la formation, on a acquis une maison quelque peu éloignée de la ville, située dans le quartier Le Cotorro. À sa tête, un de nos confrères. Il n'a pas manqué des jeunes à frapper à la porte. N'ont pas manqué, non plus, des cours et des efforts. Mais c'est la même crise de toujours dans notre Cuba. Nous avons actuellement trois jeunes. Nous en avons eu cinq, et même huit.

Malgré tout cela, nous avons une lointaine espérance. La Famille Vincentienne prend forme. Nous espérons qu'en introduisant le charisme de Saint Vincent dans nos communautés ecclésiales, il produira des fruits espérés pour l'Église, pour la Petite Compagnie et pour les Filles de la Charité. Son contact avec les pauvres lui fera découvrir la beauté de notre vocation.

Et je termine comme j'ai commencé: Cuba est un jardin magnifique, où les boutons deviendront des fleurs, et les fleurs donneront des fruits. Nous avons besoin des missionnaires, des missionnaires, des missionnaires…

(Traduction: BERNARD GARCÍA, C.M.)

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