Chrétiens et Musulmans aujourd'hui

CHRETIENS ET MUSULMANS AUJOURD'HUI

Jean Landousies c.m.

Plus d'un milliard de personnes se réclament aujourd'hui de la religion musulmane (environ 18 % de la population mondiale). Dans certaines régions où vivent nos communautés C.M., il est habituel de rencontrer ces croyants de l'Islam, par situation de naissance dans des pays où cette religion est implantée de longue date, ou par vocation missionnaire (il y a 350 ans saint Vincent envoyait ses premiers missionnaires en Afrique du Nord, Tunis et Alger). Dans d'autres régions du monde - certains pays d'Europe par exemple - il est plus nouveau d'être confronté à la présence musulmane.

Cette réalité ne peut nous laisser indifférents. Car nous savons que la rencontre de l'Islam est l'un des défis les plus importants pour l'Eglise et les sociétés dans les années qui viennent.

Que sera cette relation ? Aujourd'hui nous constatons un peu partout des réactions qui vont de l'accueil bienveillant, souvent parce que les relations humaines sont bonnes et anciennes, jusqu'à la peur ou l'incompréhension dues à la méconnaissance réciproque ou à des attitudes de plus en plus agressives ou prosélytes de la part de certains groupes.

Nous souvenant aussi que les musulmans sont souvent parmi les pauvres que nous côtoyons, ou encore que Saint Vincent nous a laissé en héritage le souci de la réconciliation entre les hommes d'obédiences opposées, nous ne pouvons pas passer à côté de cette immense part de notre humanité à qui doit être annoncée la Bonne Nouvelle.

Ces quelques pages voudraient donner un aperçu - très succinct - de la situation de l'Islam et des défis qui se présentent à lui dans le monde d'aujourd'hui, et d'autre par de la façon dont l'Eglise catholique perçoit la relation qu'elle souhaite vivre avec les musulmans.

l - L'Islam aujourd'hui

Porter son regard sur l'islam aujourd'hui, c'est d'abord rencontrer une réalité englobant l'ensemble de la vie individuelle et collective du croyant. Certes l'Islam est une religion au sens strict du terme, mais bien plus, c'est aussi une culture, un mode d'être et de vivre en société... D'autre part, nous devons l'appréhender dans toute sa diversité: variété géographique et culturelle selon que l'on se trouve dans le monde arabe, africain ou asiatique, ou selon que les croyants sont en situation majoritaire (45 Etats se disent musulmans) ou minoritaire, comme en certains pays africains ou européens; variété doctrinale même selon que l'on est sunnite (90 %) ou chiite.... L'Islam est UN et DIVERS. Ainsi, lorsqu'on regarde comment aujourd'hui les différent groupes musulmans se situent dans leur compréhension ou leur vécu de la religion, très schématiquement, on peut repérer trois grandes tendances, chacune demeurant traversée par de nombreux courants, divers selon les régions, voire à l'intérieur de chaque pays. (1)

1. Un Islam "populaire"

C'est ce qu'on pourrait appeler un Islam "traditionnel", tel qu'il a été vécu paisiblement jusqu'à ces derniers temps dans de très nombreuses régions du monde et qui reste en quelque sorte l'Islam de référence de beaucoup. Les croyances religieuses ont pris corps dans la société, l'ont modelée durant des siècles. Diverses pratiques locales ou importées s'y sont souvent mêlées: survivances de la période pré-islamique (animisme, magie, rites agraires...), maraboutisme, culte des "saints", pèlerinages ou rites particuliers (souvent combattus par l'orthodoxie) - ou encore "confréries" dans une ligne qu'on pourrait appeler mystique (soufisme) et qui rejoint un courant de l'Islam spirituel qui a tendance à se développer.

Cet Islam populaire est en définitive très lié à la civilisation dans laquelle il a pris corps. On pourrait parler d'une sorte d'inculturation. Les penseurs issus de cette mouvance cherchent en général à purifier la religion de tout ce qui n'est pas orthodoxe. C'est ce qu'on appelle parfois un "Islam du juste milieu", celui qui veut s'éloigner de tous les extrêmes. Son projet de société est fondé sur les valeurs musulmanes traditionnelles et en même temps ouvert à une certaine modernité. Il s'agit de tenir ensemble le spirituel et le temporel sans séparation et sans confusion.

2. Un Islam "radical"

C'est certainement celui qui aujourd'hui fait le plus parler de lui. C'est une tendance extrêmement "éclatée", et pour cette raison, on parle souvent de "nébuleuse islamiste". Si certains tenants de ce courant sont des partisans de la violence, ce n'est pas le cas de tous. Trop souvent c'est sans nuance qu'on aborde ce mouvement très complexe.

Nous avons là une tendance ancienne dans l'Islam. Elle réapparait chaque fois que la société éprouve le besoin de réagir ou de se radicaliser face aux événements qui la heurtent. En cette fin du XX_ siècle on assiste à une réaction contre la domination de l'Occident, issue d'une longue sensation d'humiliation de la communauté musulmane (colonisation, problème de la Palestine, guerre du Golfe...) ou de la perception d'un recul de la puissance de l'Islam dans des domaines aussi variés que les sciences, la politique etc... Dans bien des pays en voie de développement, les crises économiques, politiques, culturelles, identitaires...vont servir de leviers pour mobiliser les gens contre l'ordre établi. Il ne faut pas pour autant négliger le soubassement religieux de ces révoltes, même si souvent la religion est utilisée pour des buts "inavouables". La doctrine sous-jacente est celle d'une logique de la littéralité radicale: Dieu est Maître et Seigneur, on lui doit soumission entière, inconditionnelle. Une obéissance totale et aveugle est due à son Livre (le Coran), les "textes fondateurs" de la religion doivent être pris à la lettre, comme doit être vécue la loi religieuse, dans la plus stricte observance.

Pour réaliser ce projet de vie, on n'hésitera pas à s'engager dans la militance poli tique, éventuellement terroriste. Cet Islam politique est une révolte contre un pouvoir déclaré impie et renégat. Selon les situations locales, on trouvera divers degrés dans la radicalisation de ces mouvements.

Dans ce contexte précis, le Jihad (guerre sainte) n'est pas d'abord une guerre de défense ou d'expansion à l'extérieur du monde musulman, mais une guerre interne, révolutionnaire. Il n'en reste pas moins que les musulmans proches de cette tendance radicale sont particulièrement prosélytes et assument difficilement la relation avec les non-musulmans. L'lslamisme est alors conçu comme la vérité de l'Islam à laquelle tout musulman doit se convertir.

3. Un Islam "moderniste"

Ici aussi les "courants" sont d'une grande diversité. Par contre, les musulmans les plus engagés dans cette perspective ne tiennent pas habituellement le devant de la scène socio-politique ou socio-religieuse, souvent en raison du poids des traditions dans la société ou encore par crainte des attaques des milieux islamistes.

La perspective générale de ces "modernistes" est de "rouvrir les portes de l'interprétation" des textes fondateurs de l'Islam, portes fermées depuis le milieu du X_ siècle de façon qu'on croyait définitive. En d'autres termes, il s'agit de reprendre à nouveaux frais une compréhension (une exégèse) de ces textes fondateurs, en cherchant en eux l'esprit sous la lettre. C'est en quelque sorte la quête d'un Islam en prise avec les défis de la modernité.

Parmi les grands thèmes qui sous-tendent ce renouveau, il y a celui de la "laïcité" ou plus exactement la recherche d'une autonomie respective du religieux et du profane (notamment du politique), domaines traditionnellement unis ou même confondus en Islam. D'une façon générale, il s'agit de repenser dans une perspective musulmane les grandes catégories de la modernité: raison critique, démocratie, droits de la personne etc... Ce sont là des problèmes de société très concrets qui se trouvent concernés, et qui sont ceux d'une société moderne à laquelle finalement beaucoup de musulmans aspirent, souvent sans pouvoir les saisir dans la relation avec leur foi.

Ce rapide et trop schématique tour d'horizon montre qu'aujourd'hui dans l'Islam il y a un immense débat qui dépasse de loin les situations locales, aussi difficiles et dramatiques soient-elles parfois. C'est le défi de l'affrontement à la modernité qui sert de toile de fond à ce débat.

L'Islam est pris entre cet affrontement qui le tourne vers l'avenir et son désir d'authenticité doctrinale qui le ressource dans son passé.

Dès lors les défis sont internes à ce qu'est l'Islam en lui-même. Soulignons-en quelques-uns:

- La façon de concevoir la Révélation, qui est la Parole divine, donnée une fois pour toutes, immuable, exprimant la volonté même de Dieu. C'est dire que le croyant possède la vérité, et il suffit de s'y soumettre, de se conformer à la lettre de la Loi religieuse. Toute interprétation nouvelle des textes fondateurs et particulièrement du Coran, devient extrêmement difficile, voire impossible. Comment intégrer la raison critique dans une telle optique? En conséquence, on comprendra aussi combien la doctrine de la liberté de l'homme va se trouver limitée, et d'abord sa liberté religieuse. Plus fondamentalement encore, c'est la compréhension de l'unité de Dieu qui rend délicate une légitimation de la diversité dans quelque domaine que ce soit.

- En découle encore le défi de la relation entre l'individu et le groupe. La modernité comporte une certaine autonomie de la personne par rapport à tout groupe social. En Islam, cette relation est souvent difficile à gérer du fait de l'importance de la cohésion de la communauté des croyants dans tous les domaines.

- C'est d'ailleurs la place de la religion dans la société qui se trouve ainsi mise en cause, et tout ce qui d'une façon ou d'une autre rejoint le lien entre religion et Etat, laïcité, démocratie...

- Dans le domaine interne de la communauté musulmane, bien d'autres défis seraient à relever et, parmi eux, la place de la femme dans la société n'est pas des moindres.

Dans sa relation au monde extérieur maintenant, on pourrait dire que l'un des défis majeurs posé à l'Islam est celui de gérer sa relation avec le non-musulman, aussi bien dans une société majoritairement musulmane que dans les sociétés où l'Islam est minoritaire. Certes la "Tradition" avait prévu l'organisation de cette relation dans la société musulmane. Mais la réalité d'aujourd'hui n'est plus celle là. Et il est devenu indispensable de gérer des situations nouvelles où "l'autre" puisse être reconnu et accepté dans sa différence. Une évolution dans ce domaine n'est pas toujours aisée, dans la mesure où le plus souvent les mentalités demeurent profondément marquées par la vision traditionnelle de la "cité musulmane" où toute la vie privée et sociale est frappée du sceau de la religion. Il est difficile de passer d'une vie "entre nous" où la communauté est homogène, à une vie "avec les autres", où chacun et chaque groupe puisse exprimer son autonomie, sa liberté, y compris dans le domaine religieux. Ceci est vrai aussi bien à l'intérieur de la communauté musulmane que dans sa relation avec les autres religions et même avec les autres nations.

II- Les relations entre chrétiens et musulmans

Ce que nous venons de dire nous amène à aborder la question des relations entre chrétiens et musulmans. Elles seront différentes selon que l'on se trouve en société majoritairement musulmane ou lorsque ce sont les musulmans qui vivent en milieu considéré - à tort ou à raison - de culture chrétienne. Elles seront variées aussi selon les régions du monde, l'impact des courants dont nous avons parlé plus haut, et les problèmes spécifiques à chaque pays. Notons d'ailleurs à ce sujet, que les questions strictement religieuses ne sont pas toujours la véritable source des tensions qui peuvent naître ou se développer entre chrétiens et musulmans. Très souvent ces tensions sont à analyser d'abord en termes politiques de pouvoir, ou encore socio-économiques, voire ethniques. Comment faire sereinement la part des choses !

En quelques lignes il ne saurait être question de faire le tour des relations islamochrétiennes sur le terrain où elles se vivent. On rappellera ici quelques grandes lignes des orientations de l'Eglise Catholique et des domaines où se réalise cette rencontre.

1. La rencontre des religions et la mission de l'Eglise

Depuis Vatican II, l'enseignement et l'engagement de l'Eglise dans le domaine du "dialogue interreligieux" ont marqué considérablement les relations entre croyants de différentes traditions religieuses. Quelles que soient les difficultés, les incompréhensions voire les échecs, l'Eglise considère cet engagement comme ferme et irréversible, car il fait partie intégrante de sa mission d'annoncer la Bonne Nouvelle à tous les hommes et à toutes les sociétés. Dans son encyclique sur le devoir missionnaire, Redemptoris Missio, Jean-Paul II écrit: "L'Eglise est sacrement du salut pour toute l'humanité et son action ne se limite pas à ceux qui acceptent son message" (RM 20). La rencontre désintéressée des autres croyants n'est donc pas un produit de remplacement pour la mission évangélisatrice, elle n'en est pas le tout ou le dernier mot, elle en est l'un des éléments que l'Esprit-Saint conduira à son achèvement quand et comme il le voudra, elle est "un chemin vers le Royaume, et il donnera sûrement son fruit, même si les temps et les moments sont réservés au Père" (RM 57).

Le but du dialogue interreligieux est une rencontre entre croyants "pour marcher ensemble à la recherche de la Vérité, et pour collaborer en des oeuvres d'intérêt commun". Ce n'est donc pas simple recherche de bonnes relations. C'est "un voyage de découverte mutuelle, un pèlerinage commun". Comme l'écrit encore Jean-Paul II: "1l ne doit y avoir ni capitulation, ni irénisme, mais témoignage réciproque en vue d'un progrès des uns et des autres sur le chemin de la recherche et de l'expérience religieuses et aussi en vue de surmonter les préjugés, l'intolérance et les malentendus. Le dialogue tend à la purification et à la conversion intérieure qui, si elles se font dans la docilité à l'Esprit, seront spirituellement fructueuses". (RM 56)

Cet enseignement, Jean-Paul II l'a largement développé dans plusieurs documents (Redemptoris Missio en 1990, mais aussi les textes du Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux: Dialogue et Mission ( 1984) - Dialogue et Annonce ( 1991). Le pape l'a aussi illustré par son engagement personnel à travers ses rencontres avec les croyants des autres religions aussi bien au Vatican que lors de ses voyages apostoliques. Ses discours à ces croyants sont de véritables modèles de catéchèse, avec un langage adapté pour affirmer la foi chrétienne dans le respect de ses auditeurs. Le discours aux jeunes musulmans à Casablanca (Maroc) en 1985 est particulièrement significatif. Il faut encore se souvenir des grandes rencontres interreligieuses inaugurées par Jean-Paul Il à Assise en 1986 pour la grande prière pour la paix. Cette rencontre sera suivie de plusieurs autres, notamment pour la paix en Bosnie en 1994.

Depuis 1964 existe au Vatican le Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux. De nombreux responsables musulmans y ont été reçus, des visites leur ont été rendues dans divers pays musulmans. Plusieurs colloques ont eu lieu ces dernières années, à l'initiative de l'une ou l'autre partie sur des thèmes intéressant de possibles engagements communs dans la société (Libye, Espagne, Sri Lanka, Jordanie, Liban etc...) Dans le monde, des Eglises locales de plus en plus nombreuses mettent en place des commissions pour les relations avec les musulmans, dans le but de promouvoir la rencontre et une meilleure connaissance réciproque.

2. Diverses formes de rencontre entre chrétiens et musulmans.

Le dialogue entre chrétiens et musulmans n'en reste heureusement pas au niveau de rencontres de personnalités ou de colloques plus ou moins formels. S'ils ont leur importance, ce qui est vécu au jour le jour au niveau d'un quartier, d'un village ou d'une famille a une signification plus immédiate dans l'existence des croyants.

D'une manière générale, une valeur essentielle doit être donnée à ces rencontres de la vie de tous les jours qu'on pourra appeler le dialogue de la vie. Vivre ensemble, alors, ne signifiera pas vivre côte à côte, comme c'est encore trop souvent le cas: en parlant de dialogue de la vie, on veut mettre en oeuvre un véritable effort de connaissance de l'autre, une attitude d'ouverture qui permette de partager les "choses de la vie". Cela peut aller très loin dans l'amitié ou la communion réciproque. Cette forme de dialogue, à la portée de tous, n'est finalement que le partage de la charité. Mais n'est-ce pas le coeur de l'Evangile ? On peut noter ici le témoignage exceptionnel donné par des familles dont une partie des membres est chrétienne et l'autre musulmane, ou encore par certains couples islamo-chrétiens. Ces situations sont souvent difficiles à vivre, notamment pour les couples. Mais ils sont aussi parfois des lieux de dialogue de grande qualité.

Plus largement encore, lorsque la charité vécue au niveau des personnes devient plus organisée, on peut alors parler de dialogue des oeuvres. Bien des organismes chrétiens collaborent avec des organismes musulmans, notamment dans le domaine caritatif. Ainsi, à titre d'exemple dans plusieurs pays c'est le cas pour Caritas avec des organismes comme le Croissant Rouge...Dans la famille vincentienne, le laïcat organisé (Conférences saint Vincent de Paul...) est aussi amené à prendre de telles options. Ailleurs, des musulmans participent, à titre personnel, à divers organisations chrétiennes. De telles collaborations sont des moyens d'accueillir ensemble et de faire fructifier des valeurs du Royaume de Dieu.

Plus difficile sans doute est le dialogue des échanges théologiques. Certes, nos religions n'ont rien à négocier au niveau du contenu des dogmes. Mais déjà en plusieurs parties du monde, des chrétiens et des musulmans se rencontrent pour échanger sur des questions d'ordre social ou tout simplement pour une meilleure connaissance des doctrines réciproques, en vue d'une rencontre plus vraie. Il est évident en effet qu'un véritable dialogue, une rencontre authentique ne peut se réaliser que dans la vérité. Un effort constant est à faire pour pouvoir parler vrai, vivre vrai. A titre d'exemple on signalera le GRIC (groupe de recherche islamo-chrétien) qui réunit des chrétiens et des musulmans de plusieurs pays méditerranéens et d'Afrique sub-saharienne et qui a déjà produit plusieurs documents communs. L'un, qui a pour titre Ces Ecritures qui nous questionnent, est le fruit d'un travail commun sur la Révélation.

Enfin, un quatrième type de dialogue est celui de l'expérience religieuse. C'est le dialogue de l'émulation spirituelle, du partage des richesses intérieures. Bien des degrés peuvent se présenter, depuis le simple échange sur des thèmes spirituels, la "révision de vie" entre croyants sur des événements vécus ensemble, jusqu'au moment où on se retrouve devant Dieu pour le prier à la manière de ce que Jean-Paul II a initié à Assise en 1986 avec les représentants des grandes religions du monde. Un tel dialogue ne peut naître et se développer que dans la mesure où les personnes sont fermement enracinées dans leur foi et en même temps ouvertes à l'oeuvre de Dieu en elles.

Certes, les obstacles à une véritable rencontre entre chrétiens et musulmans demeurent nombreux. Il importe d'en être conscient. Les difficultés peuvent être dues à des facteurs humains, mais elles peuvent aussi provenir des doctrines religieuses elles-mêmes. Certaines perspectives théologiques chrétiennes n'ont pas toujours permis une véritable ouverture à l'oeuvre de l'Esprit de Dieu au coeur de tout homme. La conception musulmane de Dieu et de la Vérité ne porte pas spontanément à accueillir du non-musulman une part de cette vérité de Dieu qui se manifeste dans l'humanité. Pourtant, en même temps, affirmer que "Dieu est plus grand" demeure un appel à une découverte jamais terminée ici-bas.

Alors, peut-on dire que les relations entre chrétiens et musulmans ont évolué positivement ces dernières années ? Quand on jette un regard d'ensemble, il est certain qu'on peut répondre oui. Un effort considérable a été fait. Même si apparemment ici et là les résultats ne sont guère encourageants, et que des conflits demeurent; même si ailleurs, les problèmes internes à la communauté musulmane empêchent une véritable évolution, on peut dire qu'un peu partout dans le monde, des chrétiens et des musulmans se rencontrent en vérité. Il y a eu des progrès dans la compréhension mutuelle et dans une coopération active. Des valeurs évangéliques ont pu être partagées pour le bien de tous. Certes, les acteurs de ce rapprochement ne sont pas toujours compris, parfois même à l'intérieur de leur propre communauté. Mais ce qui est certain c'est qu'un peu partout dans le monde il se trouve des hommes de bonne volonté qui sont convaincus que l'avenir de l'humanité est pour une part tributaire des relations entre les croyants des différentes traditions religieuses et qu'il est urgent de s'engager à les faire évoluer. C'est l'un des défis les plus sérieux pour notre devenir.

Souvent l'expression "dialogue interreligieux" fait peur, porte à confusion ou parait utopique. Parlons alors plus simplement de "rencontre entre les croyants" et n'en sous-estimons pas les possibilités. Les difficultés ne sont jamais insurmontables dans la mesure où on accepte de donner pour objectif à cette rencontre, non un quelconque prosélytisme mais la recherche d'une conversion plus profonde de tous à Dieu qui conduit chacun et chaque communauté humaine vers le Royaume de son Christ. Un long, très long chemin reste à faire ensemble en nous mettant sous le regard aimant du Dieu Unique. Pour nous vincentiens, "l'annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres" passe aussi par ce chemin.

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( 1 ) - Je parle ici à partir d'une expérience qui rejoint essentiellement l'Islam des deux rives de la Méditerranée et de l'Afrique sub-saharienne. Mais au-delà, les grandes lignes de ce schéma se retrouvent aussi.