Chétiens et Musulmans au Moyen-Orient

CHRETIENS ET MUSULMANS AU MOYEN-ORIENT

Antoine Douaihy, cm

La Province d'Orient de la Congrégation de la Mission s'étend sur quatre pays: le Liban, Israël, l'Egypte et la Syrie. Dans chacun de ces pays l'Islam est vécu d'une façon différente. Il m'est donc difficile de parler de l'Islam en général. Je me contenterai de donner une brève idée de 1a relation mutuelle entre l'ISLAM ARABE et les CHRETIENS ORIENTAUX (1) .

En Général, cet "Islam est une force politique dirigée fondamentalement contre le christianisme" (2). Pour lui, le christianisme demeure invariablement la Chrétienté du Moyen-Age, mère des Croisades. Les chrétiens d'Orient sont, pour lui, les suppôts et les agents, dans son propre sein, de cet Occident jadis usurpateur, devenu aujourd'hui athée et corrompu. Ce sont des Croisés camouflés (3).

Il les a donc réduits à l'état de "DHIMMI" ("protégés"). Il les "tolère" en Terre d'Islam ("Dar al Islam"), par opposition à "Dar al Harb": la région de la guerre, région non encore islamisée (4). Ils sont soumis à la loi musulmane qui leur reconnait surtout des devoirs et quelques droits. Leurs chefs religieux (les Patriarches) doivent être, parfois nommés, toujours reconnus et confirmés par l'autorité politique musulmane (le Patriarche Maronite au Liban fait exception), qui peut, à tout instant les exiler et même les déposer (5). Il leur est défendu de pratiquer leur religion ou de prêcher l'Evangile en dehors de leurs lieux de culte qu'ils ne peuvent réparer et encore moins en construire de neufs sans la permission du pouvoir musulman (6).

Ces "protégés" doivent se montrer reconnaissants envers leurs bienfaiteurs en leur payant un impôt imposé ou en se rendant utiles, tout en restant en retrait par rapport à leurs maîtres. N'avons-nous pas vu l'actuel Secrétaire Général de l'ONU, M Boutros Boutros-Ghali n'occuper dans son pays, l'Egypte, que le poste de Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères sous les ordres d'un ministre, musulman lui, en titre de ce porte-feuille?

L'Etat musulman "utilise" les chrétiens pour leurs qualités humaines, leur compétence professionnelle ou pour montrer à l'opinion internationale qu'il n'y a pas chez lui de discrimination religieuse. Ainsi, le Président de la République égyptienne nomme lui-même quelques députés chrétiens au Parlement Egyptien, car aucun d'entre eux ne peut espérer accéder à ce poste par voie d'élection. Tout en leur signifiant toujours leur qualité de citoyens de seconde zone et la précarité de leur promotion. Bref, alors que dans les déclarations publiques des chefs d'Etats musulmans il n'y a aucune discrimination religieuse _entre chrétiens et musulmans, le démenti vient des faits. Ne voit-on pas des milliers de chrétiens égyptiens se convertir à l'Islam afin d'obtenir un travail ? (7)

Comment - et c'est le deuxième volet - les chrétiens orientaux réagissent-ils à cette situation ?

On peut noter plusieurs types de réaction

1. Ne supportant pas ce statut d'infériorité, une catégorie de chrétiens émigrent. Ainsi, les libanais de la diaspora sont plus nombreux que ceux qui sont restés au Liban et la diaspora égyptienne va en augmentant (Canada, Australie ).

2. Une catégorie de chrétiens ne se trouvent nullement gênés de vivre ce statut de "DHIMMI". C'est une attitude ambiguë et opportuniste qui n'a pas peur de recourir parfois à l'adulation. Elle peut aussi provenir parfois d'une ignorance religieuse ou historique.

3. D'autres, intellectuels ou idéologues surtout, se sont affirmés partie intégrante de ce monde musulman, mais sans aucune référence religieuse Ils se sont affirmés _exclusivement laïcs. La plupart d'entre eux viennent de la Communauté Grecque-Orthodoxe. Comme Michel Aflak, Antoine Saadé...

4. Un petit cercle d'intellectuels et de savants chrétiens et musulmans essaient d'établir un certain dialogue Mais sans aucun impact sur l'ensemble de la population ou sur l'opinion publique.

5. D'autres chrétiens, plus nombreux, collaborent avec des musulmans dans le domaine social. Il va de soi que toutes les oeuvres sociales ou éducatives des Lazaristes ou des Filles de la Charité de la Province sont ouvertes sans aucune discrimination à tous ceux qui ont besoin de leurs services.

6. Une catégorie de chrétiens a choisi la résistance sur place. La résistance soit à la dissolution dans le monde musulman, soit à la phagocytose. L'ossature de cette catégorie est formée surtout par les Maronites.

Ce sont des chrétiens du Patriarcat d'Antioche viscéralement attachés à la Catholicité. Sous la courageuse et sage conduite de leurs Patriarches, ils ont toujours su, tout en s'arabisant, garder leur personnalité propre faite d'indépendance, de liberté, d'attachement à leur terre et à leur foi catholique.

Afin de se maintenir dans cette situation, le moins qu'on puisse dire inconfortable, ils ont dû subir, tout au long de leur histoire millénaire, toutes sortes de vexations, de persécution et de massacres.

Ce sont ces chrétiens qui, aujourd'hui, ont peur face à la montée d'un islamisme violent, alimenté et soutenu par l'Iran surtout, qui vise rien moins qu'à l'élimination pure et simple du christianisme en Orient et l'établissement d'un pouvoir musulman pur, dur et triomphant (8)

L'intégrisme islamique dans son extension aussi large que rapide et violente pose un problème crucial non seulement aux chrétiens d'Orient qui en sont les premières victimes, mais aussi aux chrétiens d'Occident et à l'Eglise entière.

(1) Tout en gardant un même noyau dur, l'Islam peut se manifester différent selon les pays, les régions et, surtout, selon qu'il est minoritaire ou pas.

(2) Cf. Farid Jabre, c. m. "L'Islam dans le monde arabe aujourd'hui".

Polycopié inédit, 1981.

(3) Ibid.

(4) Cf. Antoine FATTAL: "Le Statut Légal des non-Musulmans en Pays d'Islam", Imprimerie Catholique, Beyrouth, 1958.

Cf. Bat YE'OR: "Les chrétiens d'Orient entre Jihad et Dhimmitude", Editions du Cerf, Paris 1991.

(5) En 1980, Anouar Sadat, Président de la République Egyptienne, dépose le Patriarche Copte-Orthodoxe, Chenouda III, et l'assigne à résidence dans un monastère du désert égyptien. Il le remplace par un comité de cinq évêques qu'il nomme afin de prendre en charge le gouvernement de l'Eglise Copte-Orthodoxe. Le Patriarche Chenouda III a été rétabli dans ses fonctions, en 1985, par Husni Moubarak, successeur d'Anouar Sadat.

(6) Il a fallu un décret présidentiel émanant du Président de la République d'Egypte, Husni Moubarak, en date du 21 avril 1991 pour permettre la remise à neuf des toilettes d'une église copte-orthodoxe. Cf. le journal égyptien "Watani", n_ 1537 du 9 juin 1991.

(7) Le dernier Synode Romain pour l'Afrique d'octobre 1994 avance le chiffre de 20 000 conversions à l'Islam par an.

(8) Des chefs religieux musulmans iraniens et libanais ont élaboré en Iran, le 30 janvier 1986, un projet de Constitution Islamique pour le Liban. Cf. "Cahiers de l'Orient", Paris, n_ 2 p. 248-250.