Cinq visage de Marie

Cinq visages de Marie

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général

Nous savons très peu de choses de la Vierge Marie, bien que ce peu que nous sachions nous ouvre beaucoup de perspectives. Elle a joué, bien sûr, un rôle crucial dans l'histoire de Jésus, et a eu une influence énorme dans l'histoire du christianisme. Le Credo professe que Jésus “a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie” L'impact de Marie sur la piété chrétienne est énorme. Elle est la première parmi les saints à laquelle nous unissons nos voix dans des prières de louange et de demande. Y-a-t-il eu une prière dite plus fréquemment que le “Je vous salue Marie”?

Sur le plan affectif, Marie symbolise l'écoute maternelle pour un nombre incalculable de personnes, devenant pour elles, comme le dit un écrivain moderne, “une icône de la tendresse de Dieu”. (1) Au niveau de l'attitude morale, les chrétiens, réfléchissant sur le Nouveau Testament, regardent Marie comme le disciple idéal, la première parmi les saints.

Son influence a profondément marqué l'art, la musique et la poésie. Il suffit de se rappeler quelques tableaux marquants de la Vierge Marie, comme les Madones de Botticelli, de Lippo Lippi, de Murillo. Et bien sûr, nous avons tous souvent entendu de magnifiques Ave Maria, comme ceux de Schubert, Gounod, de même que d'innombrables hymnes mariales. Dante, Shakespeare et Péguy ont apporté une belle contribution poétique à la Vierge Marie.

Mais, nulle part sans doute, Marie n'a fleuri autant que dans l'imagination populaire. Un auteur récent parle des mille visages de la Vierge Marie. (2) Dans ce bref article, je vous présenterai cinq de ces visages. J'invite le lecteur non seulement à réfléchir aux quelques mots que je vais écrire, mais aussi à méditer avec moi sur ces visages. Les tableaux, les icones, les mosaïques et les images crées dans notre esprit et notre coeur ont une manière de parler qui va au-delà des mots.

I.Myriam de Nazareth

J'ai choisi, pour représenter Myriam de Nazareth, la magnifique “Vierge à l'enfant” de Murillo (1617-1682). Mais bien qu'elle soit très belle et que je l'aime beaucoup, je reconnais que sa Vierge est sûrement plus européenne que la Marie de Nazareth historique. Bien que nous ne sachions pas à quoi ressemblait Marie, le tableau de Murillo dépeint son union à son fils, ce qui est central dans les textes bibliques qui la décrivent, et la profonde sérénité qui s'écoule d'elle.

Avec cette première image, nous réfléchissons, sur la Marie de l'histoire dont nous regrettons de connaître si peu de choses. Je vais essayer d'exprimer le peu que nous pouvons dire historiquement de la Vierge Marie.

Marie s'appelait en réalité Myriam, du nom de la soeur de Moïse. Elle est née probablement à Nazareth, petit village d'environ mille six cents habitants, dont presque tous étaient juifs. Si elle n'est pas née là, du moins y a-t-elle vécu une grande partie de sa vie. Son fils fut appelé “le Nazaréen” comme le montre l'inscription placée au-dessus de sa tête sur la croix. Sa naissance a très probablement eu lieu entre 20 et 15 avant J-C. Elle, Joseph et Jésus, vivaient en territoire occupé par une puissance étrangère, les Romains, que beaucoup de Juifs haïssaient. L'atmosphère était souvent tendue.

Son époux, Joseph, et son fils, Jésus, étaient charpentiers.(3) La langue qu'elle et eux parlaient à la maison était l'araméen, bien qu'elle comprit peut-être aussi un peu d'hébreu en l'entendant lire dans les offices de la synagogue locale. Peut-être aussi a-t-elle pu comprendre quelques expressions grecques ; cela pouvait être utile dans le métier de charpentier, car beaucoup de marchands à cette époque, dans cette région de l'Empire Romain, parlaient grec.

Comme les mères de cette époque et de beaucoup d'autres, elle a dû allaiter son enfant, préparer les repas régulièrement, faire beaucoup de travaux ménagers et de lessives. Elle a dû aller chercher l'eau aux puits et aux ravières voisines. Bien sûr, Marie a aussi, comme la plupart des mères, appris à son fils à marcher, à parler, à prier et à faire beaucoup d'autres choses.

Les femmes de Palestine, à cette époque, avaient rarement l'occasion d'étudier, aussi il est probable que Marie ne savait ni lire ni écrire. Son savoir lui est venu oralement à travers les traditions familiales dont elle s'imprégnait à la maison et la lecture des Écritures, ainsi que des prédications qu'elle entendait à la synagogue.

Marie, Joseph et Jésus étaient pauvres, mais, puisque Joseph avait une petite entreprise, ils n'étaient probablement pas plus pauvres que la plupart des Galiléens de leur temps.

Joseph a dû mourir avant le début du ministère public de Jésus. Marie, quant à elle, a été en vie pendant tout ce ministère. (4) Sa séparation d'avec Jésus, quand il a entrepris sa mission a dû être douloureuse pour elle. Marc nous dit que la famille de Jésus le tint pour fou(5) et que Jésus refusa une demande de sa famille qui voulait le voir.(6) Marie fut présente à la crucifixion. A cette époque, elle devait avoir environ cinquante ans. Elle vivait encore, au moins dans les premières années de l'Église.(7)

Que nous dit ce premier visage ? Il dit que Marie a été enracinée dans la vie réelle. Elle a été l'une de nous. Comme la plupart des femmes de son temps, elle était travailleuse, avait peu d'instruction et était assez pauvre. C'était une Juive profondément croyante, dont la foi se nourrissait de la parole de Dieu qu'elle entendait à la synagogue. Elle aimait et s'occupait de son enfant et son mari. Elle entretenait la maison. Elle aidait probablement de temps en temps dans l'échoppe du charpentier. Il est bien possible qu'elle éprouva un certain désarroi quand son fils quitta la boutique et entreprit un ministère extraordinaire. Elle dut bien sûr, connaître la joie devant ses succès, et ressentir de l'angoisse et de la souffrance quand il fut condamné comme criminel et mis à mort. Nous pouvons tous nous reconnaître dans cette forme de vie. Elle n'a pas été facile. Elle n'a pas été non plus très glorieuse. Il y a cependant en elle une noble beauté. Marie a été si réelle que les gens de tous les temps ont senti qu'elle comprend leurs joies, leurs besoins, leurs chagrins.

II. Le disciple qui écoute

J'ai choisi une icone russe du 15ème siècle, appelée “La Mère de Dieu de Tendresse”. Dans cette icone, dont il y a de nombreux exemplaires, la mère écoute attentivement et avec gravité, tandis que le fils lui révèle sa passion et sa mort. L'icone saisit un thème très important du nouveau Testament.

Alors que le monde moderne est très curieux d'histoire, les écrivains du nouveau Testament s'intéressaient beaucoup plus au sens.

Les Écritures ne donnent souvent que quelques faits historiques essentiels à propos d'une personne -pas assez pour satisfaire notre curiosité moderne-, puis elles se concentrent sur le sens que prend la vie de cette personne pour nous, les croyants. Pour les Écritures, Marie est le disciple idéal, l'auditeur modèle. Elle entend la parole de Dieu et la met en pratique. Ce thème est explicite surtout dans l'Evangile de Luc. Dans les deux premiers chapitres de Luc, Marie est évangélisée par Gabriel, par Elisabeth, par les bergers, par Siméon, par Anne et par Jésus lui-même. Tous, ils proclament la Bonne Nouvelle de la présence de Dieu, et chantent les louanges de la bonté divine. Luc nous dit que Marie gardait toutes ces choses dans son coeur et les méditait sans cesse.(9)

La réponse de Marie aux paroles de Gabriel est significative : “Qu'il me soit fait selon ta parole.”(11)

Luc résume tout dans ce beau récit :

“Sa mère et ses frères arrivèrent près de lui, mais ils ne pouvaient le rejoindre à cause de la foule. On lui annonça : 'Ta mère et tes frères se tiennent dehors ; ils veulent te voir". Il leur répondit : "Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique"»'

Ce thème de Marie le disciple qui écoute, a souvent été éclipsé par d'autres titres mariologiques plus éclatants. Mais c'en est un extrêmement important. En réalité, il est au coeur de la spiritualité du Nouveau Testament. Tous les disciples sont appelés, comme Marie, à écouter attentivement la parole de Dieu et à la mettre en pratique.

Que pouvons-nous apprendre de ce second visage de Marie ? Nous pouvons apprendre à écouter. Il n'y a presque rien de plus important que Marie puisse nous enseigner. A la racine, être un disciple signifie être un auditeur de la Parole. L'ensemble de la vie chrétienne peut se résumer en une phrase de Luc, qui décrit si exactement Marie : “elle écoutait la parole de Dieu et la mettait en pratique”.

III. La Mère de Dieu

Cette scène de la Nativité, si riche de sens théologique, avec sa dimension trinitaire, vient d'un artiste de l'école de Bologne qui fleurissait aux XIVème et au XVIIème siècle. La peinture reflète bien des thèmes des récits de l'enfance en Matthieu et Luc : la Providence de Dieu, l'Esprit, les anges, les songes de Joseph, la paix de Marie.

La mariologie a connu des hauts et des bas. L'Evangile de Marc et quelques-uns des premiers Pères de l'Église lui portent peu d'intérêt. Luc et Jean, au contraire, mettent en relief le rôle que Marie joua dans l'histoire du salut. Mais la mariologie fit un remarquable bond en avant quand, en l'année 431, au Concile d'Ephèse, Marie fut proclamée “Mère de Dieu”. C'est sûrement le plus glorieux des titres de Marie.

Ce n'est pas simplement un titre mariologique ; Il était compris comme une réaffirmation de la divinité de jésus. Ce titre était une réaction contre les Ariens des IVème et Vème siècle qui niaient la divinité du Christ. L'Église répondit en déclarant clairement : Marie n'est pas seulement quelqu'un qui a donné naissance à une personne humaine profondément spirituelle, Jésus. Bien plus, le Concile d'Ephèse affirma : Marie a donné naissance à Celui qui est Dieu dans la chair.

Nous ne cessons de répéter ce titre dans l'Ave Maria. Les icônes de l'Église d'Orient où ce titre est né, et où il a été proclamé, à Ephèse, représentent Marie avec l'Enfant Divin dans son sein ou auprès d'elle, bénissant le monde. Dans les mosaïques, nous la voyons souvent à côté du Seigneur ressuscité en gloire. Si important que soit ce titre, il est facile de mal le comprendre. Il a connu une longue histoire de controverses. En ce temps d'oecuménisme où nous sommes, il est essentiel de nous rappeler que proclamer Marie Mère de Dieu, c'est professer notre foi en la divinité de Jésus. En ce sens, ce titre mariologique est profondément christologique.

Que pouvons-nous apprendre de ce troisième visage de Marie ? Nous pouvons apprendre son rôle unique. Elle était, pour ainsi dire, l'Arche d'Alliance, la demeure de Dieu. Sa relation avec la personne de Jésus est incomparable ; elle est sa mère. Il est la chair de sa chair. Cependant les pauvres ont toujours remarqué, comme Marie elle-même le chante dans l'Evangile de Luc, que Dieu l'a choisie parmi eux.(12) Le Nouveau Testament et la longue tradition de l'Eglise nous enseignent, en outre, que la relation unique de Marie avec Dieu en son fils ne vient pas de sa relation physique avec lui, mais de sa conception préalable dans la foi. Choisie parmi les pauvres, l'union intime de Marie avec Dieu est venue de sa réponse : “Qu'il me soit fait selon ta parole”. Pour les pauvres, elle est un signe d'espérance. En elle, ils voient les humbles élevés, et ils ont confiance que, avec son aide, leurs chagrins peuvent se transformer en joie et que la mort même peut conduire à la vie avec le Seigneur ressuscité. En Marie, ils reconnaissent que l'abandon d'eux-même à l'action de Dieu permet à Dieu de naître de nouveaux en eux et dans leur monde.

IV. Notre Dame de la Médaille Miraculeuse

Cette statue du 19ème siècle de Notre Dame de la Médaille Miraculeuse se trouve au-dessus de l'autel majeur du sanctuaire de la rue du Bac à Paris.

Peut-être vous demandez-vous pourquoi je franchis quatorze siècles, du Concile d'Ephèse en 431 à la rue du Bac en 1830. J'ai choisi la rue du Bac pour trois raisons : premièrement, elle est représentative d'autres apparitions parce qu'elle partage d'importants éléments communs avec elles ; deuxièmement, la Médaille Miraculeuse a des millions de dévots à travers le monde ; troisièmement elle a une place très importante dans l'héritage de notre Famille Vincentienne.

On doit, bien sûr, être très prudent à propos des apparitions. De celles-ci, nous avons des récits abondants. En France seulement, on dit que Marie est apparue au moins en vingt-et-un endroits entre 1803 et 1899 ; beaucoup de ces apparitions sont oubliées depuis longtemps. Entre 1928 et 1971, on a parlé de deux cent dix apparitions en différents lieux du monde. L'expérience de l'Église nous a appris à être très prudents quant à l'attention à accorder à de tels événements. Mais quelques-uns, comme les dévotions qui se déroulent à la rue du Bac(13), à Lourdes et à Fatima ont reçu une forme d'approbation et d'encouragement officiels.

Au sujet de toute apparition, les croyants devraient avoir à l'esprit deux principes de base :

1.Seules les Ecritures interprétées dans et par la tradition de l'Église constituent la révélation publique de Dieu ; les apparitions n'y ajoutent pas de révélation nouvelle nécessaire à notre salut. Le coeur de la foi chrétienne réside toujours dans l'écoute de la parole de Dieu, telle qu'elle est révélée dans les Écritures, et dans sa mise en pratique, comme l'a fait la Vierge Marie.

2.Les apparitions, avec les messages qu'elles apportent et les prières qu'elles proposent, appartiennent au domaine de la dévotion privée. Ce sont des moyens de concrétiser et d'exprimer notre foi. En tant que dévotions privées, plus elles sont reliées aux mystères centraux de notre foi, plus elles peuvent nous aider.

Souvent les apparitions délivrent, sous une forme populaire, un message qui concrétise la foi ou la morale chrétiennes, qui ont leurs racines dans les Écritures. Elles disent avec force : convertissez-vous, cherchez la paix, contemplez l'amour souffrant de Jésus, priez fidèlement et instamment, imitez Marie, la Mère de Jésus. Naturellement, tous ces messages sont déjà clairement donnés dans les Écritures. Dans ce sens, les apparitions ne sont pas nécessaires à notre salut. Personne n'est tenu dans la foi à croire en elles. Leur popularité croit et décroît. Mais elles se produisent régulièrement, parce que l'imagination populaire a besoin d'être saisie et nous avons tous besoin de rappels.

La vision de sainte Catherine en 1830 a donné une expression populaire et un élan puissant au dogme de l'Immaculée Conception, que Pie IX allait proclamer deux décennies plus tard en 1854. Il est sûr que sans Catherine Labouré, les chrétiens du monde entier n'auraient sûrement pas prié aussi souvent : “Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous”. La rue du Bac continue d'attirer les croyants - en fait des millions chaque année - à méditer sur la Conception Immaculée de la Vierge Marie, sur son union avec le Seigneur, et à demander à Marie, la première parmi tous les saints, de prier avec nous dans nos besoins.

De plus, la médaille a toujours attiré particulièrement les pauvres, les humbles. Plus d'un milliard de médaille ont été frappées du temps même de sainte Catherine, se répandant jusqu'aux régions les plus lointaines du monde. C'est le peuple qui lui a donné le nom de “Médaille Miraculeuse”. Née à une époque de rationalisme, la médaille proclamait le besoin de symboles pour exprimer la foi, l'amour, l'engagement. Frappée en un temps qui voulait trouver des explications scientifiques pour tout, la médaille proclamait le soin que prend la Providence de toute personne humaine.(14) Les symboles portés sur la médaille étaient, en réalité, une catéchèse visuelle rappelant l'amour et le souci de Dieu pour son peuple.

Que nous enseigne ce quatrième visage marial ? Il nous rappelle que Marie est exempte de péché, qu'elle est la plus parfaitement rachetée des créatures de Dieu. Elle est la première parmi les saints. Et la médaille nous encourage, dans la communion des saints, à unir notre prière à la sienne dans nos besoins, avec une confiance profonde en l'amour providentiel de Dieu pour nous. D'une manière très particulière, elle est un symbole pour les pauvres, évoquant leur confiance que Dieu écoute, même si le monde n'écoute pas.(15) Les apparitions comme celles de Notre Dame de la Médaille Miraculeuse nous rappelle que l'amour attentif de Dieu a besoin et continue à trouver des expressions humaines populaires dans le monde, spécialement à travers les mystiques et les saints.

V.La Vierge Noire

La fameuse icone, qui arriva à Czestochowa en 1382, a une longue et importante histoire dans de la piété de la Pologne.

Vous pourriez vous demander pourquoi, parmi les mille visages de Marie, j'ai choisi celui-là.

La raison en est simple. Aujourd'hui, les documents de l'Eglise parlent sans cesse d'inculturation. Cela a été le thème de chapitres généraux de nombreuses communautés missionnaires. La foi chrétienne est très malléable et l'imagination chrétienne est très créative. Aussi, la dévotion mariale a-t-elle été inculturée d'innombrables fois dans d'innombrables cultures. J'ai vu récemment une peinture représentant une Vierge Marie indonésienne dans un Séminaire à Java. J'ai vu des Vierges chinoises, des Vierges philippines, des Vierges africaines. Nous avons tous vu Notre Dame de Guadalupe et peut-être aussi beaucoup d'autres Vierges latino-américaines.

Il y a dans tout cela quelque chose d'étonnamment paradoxal. Intellectuellement, nous savons que Marie était une pauvre femme juive. Elle n'était pas noire, elle n'avait pas non plus des traits chinois ou indiens. Nous savons aussi, naturellement, quelle ne portait pas les magnifiques robes européennes dans lesquelles Murillo et Lippo Lippi l'ont représentée. Ses traits étaient probablement très semblables à ceux des femmes juives ou palestiniennes qui vivent aujourd'hui dans cette région. Ses vêtements étaient ceux des pauvres. Nous savons tout cela avec notre tête. Mais l'imagination populaire a toujours voulu rendre Marie de plus en plus proche de nous ; aussi, elle lui a donné les traits de la communauté croyante. Elle est notre mère, et le Noir a aimé la voir noire ; l'indien a aimé la voir indienne ; l'Européen, européenne ; le Chinois, chinoise ; le Mexicain, mexicaine. Octavio Paz a dit un jour : “Notre Dame de Guadalupe a été un signe dans lequel chaque époque et chaque Mexicain a lu sa destinée”.(16) Les Mexicains l'appellent “La Morenita”, terme d'affection pour la Vierge noire qu'ils aiment tant.(17)

La "Marie multi-culturelle", s'inspire particulièrement des mots de l'épouse du Cantique des cantiques : “Sous mon teint brûlé, je suis belle”(18). Ce thème a fleuri en Afrique du Nord et en Ethiopie, ainsi qu'en Asie Mineure ; il y a aussi des Vierges noires en France, au Brésil et dans beaucoup d'autres pays. La plus célèbre “Vierge noire”, la fameuse icône de Jasna Gora à Czestochowa, est devenue un symbole central de la dévotion populaire des Polonais. Curieusement, le visage noirci de la Vierge sur cette icône est le résultat de la fumée, et non pas de la couleur de la peau, mais son teint sombre symbolise pour les Polonais les souffrances que Marie a supportées de façon héroïque, espérant contre toute espérance. En raison de l'attirance universelle que suscite Marie, elle est devenue une force puissante d'inculturation liturgique et artistique,(19) prenant naturellement le vêtement et la couleur de la peau des gens du lieu.

Que pouvons-nous apprendre de ce cinquième visage de la Vierge Marie ? Nous pouvons apprendre à être créatifs et sensibles aux différences culturelles.(20) “C'est en ces pauvres gens que se conserve la vraie religion" écrivit un jour saint Vincent. Leurs expressions religieuses sont beaucoup moins cérébrales que celles de nous théologiens. Bien sûr, la religion populaire peut donner lieu à des abus, mais la théologie aussi. Les pauvres sentent spontanément combien l'inculturation est importante. Ils comprennent que l'essentiel n'est pas que Marie ait vécu sur le territoire d'Israël ni que la couleur de sa peau ait été semblable à celle des gens du Proche-Orient. L'essentiel est qu'elle ait été l'une d'entre nous (que ce nous signifie Européen, Africain, Philippin ou Chinois), qu'elle ait répondu affirmativement et de tout coeur à l'appel de Dieu, que Dieu ait pris possession de sa vie pour naître de sa chair et qu'elle soit demeurée ferme dans la foi à travers les joies et les chagrins de la vie. La Vierge noire, et bien d'autres Vierges semblables, ont donné à beaucoup une plus grande facilité de voir l'histoire de Marie comme étant applicable à tous les temps, tous les lieux ou toutes les cultures.

Je vous présente ces cinq visages de Marie comme un moyen de réfléchir sur la tradition riche et variée qui entoure la Vierge Marie. En conclusion, je dis au lecteur ce que Jésus disait au disciple qu'il aimait(21) : "Voici votre Mère". Regardez son visage et laissez-le vous parler.

1. Chiara Stucchi, “La Bellezza e la Tenerezza di Maria in Vita Consecrata”, Religiosi in Italia (# 300, mai-juin 1997) 81-88.

2. Cf. George Tavard, The Thousand Faces of the Virgin Mary (Collegeville, Minnesota, 1996) et Jaroslav Pelikan, Mary through the Centuries (New Haven, Connecticut, 1996).

3. Cf. Mc 6, 3 ; Mt 13, 55

4. Cf. Mc 3, 31 ; Jn 2, 1-12.

5. Cf. Mc, 3, 21.

6. Cf. Mc 3, 31-35.

7. Cf. Jn 19, 25 ; Ac 1, 14.

8. Pour les faits historiques concernant Marie, voir John P. Meier, A Marginal Jew (New York, 1991) et Raymond E. Brown, Kari P. Donfried, Joseph Fitzmyer et John Reuman, Mary in the New Testament : A Collaborative Assessment by Protestant and Roman Cathotic Scholars (Philadelphia and New York, Fortress Press and Paulist Press, 1978).

9. Cf. Lc 2, 1 9 ; 2, 5 l.

10. Lc 1, 38.

11. Lc 8, 19-21.

12. Cf. Lc 1, 46-55.

13. Pelikan, op. cit., donne la liste de dix apparitions ayant reçu quelques formes d'encouragement ecclésiastique. Cf. pp. 178-179.

14. John Prager, “Maria de los Pobres, una relectura de la Medalla Milagrosa desde la periferia”, CLAPVI XXIII, n° 96, juillet-décembre 1997, pp. 171-179.

15. Cf. René Laurentien, Vie de Catherine Labouré. (DDB, Paris 1980) et Catherine Labouré et la Médaille Miraculeuse - 2. Procès de Catherine (Dessain et Tolra, Paris 1979).

16. Octavio Paz, cité par Jacques Lafaye, Quetzalcoatl and Guadalupe. The Formation of Mexican National Consciousness, 1531-1813 (Chicago, University of Chicago Press, 1976).

17. V. Elizondo - La Morenita Evangelizadora de las Americas (St Louis, Ligouri, 1981).

18. Ct 1, 5.

19. Sally Cunneen, In Search of Mary (New York, Ballantine Books, 1996).

20. SV XI, 201.

21. Cf. Jn 19, 27.