Frédéric Ozanam: sa foi, sa sainteté

Frédéric Ozanam

sa foi sa sainteté

Ronald W. Ramson, C.M.

Si Frédéric Ozanam est béatifié, ce n'est pas parce qu'il fut le principal fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul, ni parce qu'il fut un professeur éminent dans sa chaire de la Sorbonne à Paris, ni parce qu'il fut un excellent écrivain, mais parce qu'il pratiqua la vertu à un degré héroïque et vécut dans la fidélité à la Grâce de Dieu (Cf. Catéchisme de l«Église Catholique», # 828). Les hommes et les femmes sont canonisés par l'Eglise à cause de leur sainteté et non pour leurs réalisations. Ils ont pris le double commandement d'amour au sérieux et l'ont pratiqué jusqu'à un degré héroïque. La sainteté est la perfection de la charité. Être l`un des fondateurs et un membre actif de la Société de Saint-Vincent de Paul, être un brillant professeur duniversité, être un écrivain hors du commun, tout cela contribua à la sainteté de la vie de Frédéric Ozanam, mais aucune de ces qualités par elle-même ne fit de lui un saint.

Chacun de nous a été appelé à la sainteté. Comme le dit saint Paul, "la Volonté de Dieu, cest votre sanctification." (I Thes. 4:3; Cf. Eph. 1:4). Tous les Chrétiens, quelque soit leur état de vie, sont appelés à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité. (Cf. Catéchisme de l'Église Catholique, # 2013 et Lumen Gentium # 40). La sanctification est le moyen par lequel Dieu nous prépare à la vie éternelle dans le ciel. Dans cette vie, nous sommes comme des athlètes dont les performances en compétition dépendent de la manière dont nous avons développé nos capacités dans la pratique quotidienne. Tel est l'enseignement de saint Paul.

Afin d'atteindre cette perfection, nous utilisons les forces qui nous ont été dispensées par la Grâce du Christ, de telle sorte que faisant la Volonté du Père en toutes choses, nous puissions de tout notre coeur nous consacrer à la Gloire de Dieu et au service de notre prochain. (Cf. Lumen Gentium # 40.2). Ces paroles de Vatican II disent beaucoup aux Vincentiens; elles pourraient avoir été écrites par saint Vincent de Paul lui-même.

Le Pape Jean Paul II, nous rappelle ceci:

La vocation à la sainteté plonge ses racines dans le baptême et elle est réactivée par les autres sacrements, principalement par l'Eucharistie. (Christifideles laici, #16).

Frédéric Ozanam entendit l'appel à la sainteté; il connaissait cet appel et ce défi à grandir dans la vie divine qu'il avait reçue au Baptême. Il rechercha la sainteté, tout d'abord comme célibataire, puis comme homme marié et père de famille; Frédéric comprit que l'union avec le Christ Jésus dépendait de son désir et de sa décision de le suivre à chaque étape de son existence. Frédéric fut un homme d'une piété exceptionnelle tout au long de sa vie.

Frédéric fut un passionné. Il aima Dieu, ses parents et de sa famille, sa femme et sa fille, ses compagnons vincentiens, les études et de l'enseignement, la vérité, la pauvreté et les pauvres. Il se consuma au feu de la passion; elle le saisit tout entier; elle en fit un passionné dans tous les aspects de sa vie et de son apostolat.


Dès le début de la Société de Saint-Vincent de Paul, l'intention de Frédéric Ozanam était que l'appartenance à la Société contribua à la sanctification de ses membres. Frédéric croyait fermement que le respect mutuel et l'amitié vraie parmi les membres aideraient à imiter, à stimuler et à approfondir leur intimité avec leur Divin Modèle, Jésus-Christ, spécialement en vivant son commandement d'amour du prochain dans la personne des pauvres et des délaissés. (Cf. Manuel de la Société de Saint-Vincent de Paul, Introduction, p. 4).

La Société était, donc, considérée comme un précieux moyen, un instrument efficace pour avancer dans la sainteté parce qu'elle offrait à ses membres des occasions de prière personnelle et de mise en pratique de la foi par des exercices de charité compatissante envers leurs frères en humanité en qui Jésus-Christ demeure.

Frédéric dit:

Les dirigeants de telles Associations devraient être des saints, de façon à attirer la Grâce de Dieu. C'est pourquoi moi, qui suis si mauvais et si faible, je me demande souvent comment je peux m'aventurer à représenter un si grand nombre dexcellents jeunes gens. (Baunard, p. 130).

Alors que la sainteté est le but de la Société, la perfection n'a certainement jamais été une condition pour en faire partie. La Société est composée de pèlerins, hommes et femmes, qui luttent, reconnaissant humblement leur faiblesse, mais désireux de grandir dans la sainteté par la prière et la charité. (Cf. Manuel de la Société de Saint-Vincent de Paul, Introduction, p. 13). Examinons maintenant quelques traits de la vie de Frédéric qui contribuèrent à sa sainteté.

Vie spirituelle

Frédéric était un homme de prière et qui aimait l'Eglise. Si nous n'avions aucun autre moyen de le prouver, ses lettres y suffiraient.

Il écrit:

... Seulement, mais ce n'est pas ici le lieu d'expliquer mon idée, je considère le catholicisme d'une manière plus absolue; j'y vois la formule nécessaire du christianisme, comme le christianisme me semble la formule nécessaire de l'humanité. Je crois l'Eglise au-dessus des choses de ce monde. Je crois au culte comme profession de la foi, comme symbole de l'espérance, comme réalisation de l'amour de Dieu. A cause de cela, je pratique ma religion selon mes forces et selon les habitudes qui m'ont été données dès l'enfance, et je trouve dans la prière et les sacrements, l'indispensable soutien de ma vie morale au milieu des tentations d'une imagination dévorante et d'un monde hallucinateur. (À Ernest Falconet, 21 Juillet 1834).

Frédéric dit encore:

Etant un chrétien, je me glorifie de n'appartenir à aucune autre école que celle de la vérité, qui est l'Eglise. ...Je vis de ma foi, que je tiens de mon Dieu, et de mon honneur, que je tiens de mes parents. Vous me permettrez de les défendre l'un et l'autre. (Baunard, p. 63).


La croissance et le progrès spirituels de Frédéric étaient les mêmes que pour chacun de nous, lents, graduels et difficiles. Il avait l'ardent désir d'améliorer sa vie de prière, de progresser dans la manière de recevoir les sacrements et dans son engagement au service des autres. Il recevait fréquemment les sacrements de Pénitence et de l'Eucharistie, ce qui était inhabituel en ce temps-là dans l'Eglise de France. Les derniers vestiges de l'hérésie du Jansénisme continuaient à laisser des marques dans la vie spirituelle du 19 ème siècle en France, Jansénisme auquel saint Vincent de Paul s'opposa et qu'il combattit si rigoureusement.

Amélie Ozanam dit à propos de son mari:

Je ne l'ai jamais vu se réveiller ou s'endormir sans faire le signe de la croix et prier. Le matin il lisait la Bible, en grec, puis il méditait dessus environ une demi-heure. (Frédéric appelait cela sa "nourriture quotidienne".) Dans les dernières années de sa vie, il allait chaque jour à la Messe pour son réconfort et sa consolation. Il n'entreprenait jamais quelque chose d'important sans avoir prié. Avant de partir pour ses cours, il se mettait toujours à genoux pour demander à Dieu la grâce de ne rien dire qui pourrait amener le public à le louanger lui-même, mais de seulement parler pour la Gloire de Dieu et le service de la vérité. (Frédéric Ozanam, Paris, p. 128).

Les sentiments de Frédéric envers Jésus étaient ceux d'un complet abandon, d'une absolue confiance et dune totale tendresse filiale. Il avait donné sa vie au Seigneur.

Une des signes du sérieux avec lequel Frédéric avançait dans la vie spirituelle est qu'il avait un directeur spirituel. C'était le Père Marduel, un prêtre originaire de Lyon, mais vivant alors à Paris. Le Père Marduel était un directeur spirituel très recherché et avait parmi ses dirigés un vaste échantillonnage de gens éminents et de gens ordinaires de Paris. Le Père Marduel était simple, sage, bien informé, prudent, homme de prière et de grande piété. Il fut un directeur parfait pour Frédéric.

Sous la direction de ce prêtre, Frédéric trouva du temps pour la méditation et la prière, même au milieu de ses nombreuses responsabilités.

Frédéric dit un jour à sa mère que le Père Marduel "est le seul conseiller intime que j'ai, le seul qui, dans sa bonté et sa sagesse, peut tenir lieu de père et de mère." (Baunard, p. 39-40).

Frédéric était très dur avec lui-même. Le monde estimait qu'il était grand; lui-même se voyait tout petit. Le monde estimait qu'il était bon; il se considérait comme méprisable. Il croyait qu'il devait sa situation sociale à son travail acharné et à la grâce de Dieu. Il ne faisait aucun cas de son génie; ce n'était pas une source de force mais de faiblesse. Tout cela résonne comme s'il venait de la bouche de saint Vincent de Paul et de ses enseignements sur l'humilité. Frédéric était un homme de profonde humilité en imitation de son patron, Vincent. Frédéric considérait l'humilité comme la vertu caractéristique de chaque Vincentien et de la Société en général.

Bien que Frédéric fut dur avec lui-même, il était doux avec son prochain. Son coeur était tendre, doux et plein d'amour compatissant pour les pauvres et les délaissés. (Baunard, p. 65). Quand il fonda la Société il dit à son compagnon vincentien Le Taillandier, "Nous devons faire ce qui est le plus agréable à Dieu. Donc, nous devons faire ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ faisait lorsqu'il prêchait l'Evangile. Allons vers les pauvres." (Baunard p. 65). "La bénédiction des pauvres est la bénédiction de Dieu." (Baunard, p. 65)


Jusqu'à quel point devons-nous aimer Jésus-Christ dans la personne des pauvres? Frédéric dit "Jusqu'au martyre même" (Baunard p. 79). "Le monde est devenu froid, il nous appartient à nous catholiques de ranimer le feu vital qu'on a laissé éteindre." (Lettre du 23 février 1835)

Ces paroles de Frédéric nous rappellent celles de St. Vincent:

Notre vocation est donc d'aller ....embraser les coeurs des hommes, faire ce que le Fils de Dieu a fait, lui qui est venu mettre le feu au monde afin de l'enflammer de Son Amour. (S.V. XII, 262)

Frédéric dit:

C'est à nous d'inaugurer l'ère des martyrs, car il y a une possibilité de martyre pour chaque chrétien, de donner sa vie pour Dieu et pour ses frères, donner sa vie en sacrifice est devenir martyr. Peu importe le moment auquel le sacrifice est consommé ou s'il se consume lentement, il envahit l'autel nuit et jour de son doux parfum. Etre martyr c'est redonner au ciel tout ce que l'on a reçu, la santé, la vie, notre âme tout entière. Il est dans notre pouvoir de faire cette offrande, ce sacrifice. C'est à nous de choisir l'autel auquel nous le dédierons... (Baunard, p.97).

Saint Vincent dit:

Plaise à Dieu, Messieurs et chers Frères, que tous ceux qui viennent pour être de la Compagnie, y viennent dans la pensée du martyre, dans le désir d'y souffrir le martyre et de se consacrer entièrement au service de Dieu.... y a-t-il rien de plus raisonnable que de donner nos vies pour celui qui a donné si libéralement la sienne pour nous tous tant que nous sommes? (S.V. XI, 371)

Frédéric Ozanam pratiquait ce qu'il croyait. Sa vie fut celle d'un martyr - se consumant lentement. Il rendit au ciel tout ce qu'il avait reçu. Il fit le sacrifice, il choisit son autel.

Aidons-nous donc, mon cher ami, de conseils et d'exemples; tâchons que la confiance en la grâce égale notre défiance en la nature.... Faisons-nous forts, car la maladie de ce siècle est la faiblesse. Songeons que nous avons déjà vécu plus du tiers de notre existence probable, que nous avons vécu par le bienfait des autres, et qu'il faut vivre le reste pour le bien des autres. faisons ce bien tel qu'il s'offre, sans jamais reculer par une fausse humilité. (À Francis Lallier, 5 Octobre 1837)

La souffrance était une partie de ce sacrifice de lui-même offert à Dieu. Sa santé fragile était sa croix constante. Durant les dernières années de sa vie, il connut des souffrances intenses. Il oscilla entre l'espoir d'une guérison complète et la résignation et l'acceptation. Le 23 Avril 1853, jour de ses quarante ans, il rédigea ses dernières volontés et son testament. En résumé, il nous donne le credo de sa vie. Il n'y parle pas seulement de façon admirable de souffrance, mais il nous donne de jeter un regard en profondeur sur sa spiritualité.


Je sais que j'accomplis aujourd'hui ma quarantième année, plus que la moitié du chemin de la vie. Je sais que j'ai une femme jeune et bien-aimée, une charmante enfant, d'excellents frères, une seconde mère, beaucoup d'amis, une carrière honorable; des travaux conduits précisément où ils pourraient servir de fondement à un ouvrage longtemps rêvé. Voilà cependant que je suis pris d'un mal grave, opiniâtre et d'autant plus dangereux, qu'il cache probablement un épuisement complet. Faut-il donc quitter tous ces biens que vous-même, mon Dieu, vous m'aviez donnés?. Ne voulez-vous pas, Seigneur, vous contenter d'une partie du sacrifice? Laquelle faut-il que je vous immole de mes affections déréglées? N'accepteriez-vous point l'holocauste de mon amour-propre littéraire, de mes ambitions académiques, de mes projets même d'étude où se mêlait peut-être plus d'orgueil que de zèle pour la vérité? Si je vendais la moitié de mes livres pour en donner le prix aux pauvres, et, me bornant à remplir les devoirs de mon emploi, je consacrais le reste de ma vie, à visiter les indigents, à instruire les apprentis et les soldats, Seigneur, seriez-vous satisfait et me laisseriez-vous la douceur de vieillir auprès de ma femme et achever l'éducation de mon enfant? (Baunard, pp. 343-344)

Peut-être, mon Dieu, ne le voulez-vous point? Vous n'acceptez pas ces offrandes intéressées: vous rejetez mes holocaustes et mes sacrifices. C'est moi que vous demandez. Il est écrit au commencement du livre que je dois faire Votre Volonté. Et j'ai dit: "Je viens, Seigneur"! (Baunard, p. 386)

Amélie entoura Frédéric de son amour et de sa tendresse mais, dans son coeur elle en vint à réaliser que son état de santé s'aggravait et que ce n'était plus qu'une question de temps. Frédéric, aussi, le savait bien, ainsi qu'il l'indiquait par les termes de ses dernières volontés et de son testament.

Durant les derniers mois de sa vie alors qu'il cherchait à étendre les conférences en Italie, il dit à la conférence de Florence:

Oh!, combien de fois, envahi par quelque souffrance intérieure, tourmenté par ma santé gravement détériorée, rempli de tristesse, je suis entré dans la maison d'un pauvre homme confié à mes soins, et là, à la vue de tant de misères, méritant plus de compassion que moi, je me reprochais mon découragement, je me sentais plus fort contre la souffrance, je remerciais ce pauvre homme qui m'avait consolé et redonné des forces par la vue de propres misères! et combien depuis alors l'ai-je encore plus aimé? (Baunard, PP. 343-344).

Ces paroles sont vraiment inspirantes et il faut nous les rappeler lorsque nous allons visiter des pauvres et des malades.

Frédéric Ozanam, le fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul, était une personnalité hors du commun, un homme doué de nombreux talents, d'une sainteté exceptionnelle. Mais ce qui est frappant chez Frédéric Ozanam c'est son équilibre, l'harmonie qu'il maintenait dans sa vie. En plus du temps et de l'énergie qu'il lui fallait pour les simples nécessités de la vie, il y avait sa carrière professionnelle d'enseignant (qui, après tout, subvenait à ses besoins financiers et, après son mariage, à ceux de sa femme et de sa fille), ses responsabilités capitales dans la Société, ses écrits et ses publications, sa vie de relation avec sa famille, ses amis et ses collègues, sa vie spirituelle. Frédéric maintint ces diverses composantes de sa vie dans un équilibre harmonieux.

Lors dun récent rassemblement de prêtres de paroisse, la dimension de l'équilibre fut discutée en détail. Comme il est difficile de conserver l'équilibre dans nos vies de ministres ordonnés ou non-ordonnés de l'Évangile. Il est très facile de tomber dans le piège de l'accaparement dans notre vie ministérielle de telle sorte que chacun des autres secteurs de notre vie souffre de terrible négligence, par exemple la santé, la vie de relation, la prière, etc.


Frédéric Ozanam parvint à ce que tant d'entre nous cherchent à atteindre: l'équilibre de vie. J'ai, pour Frédéric, cette image d'un jongleur exceptionnel qui peut garder en l'air toutes sortes d'objets différents en même temps. Ces objets ont des formes, des tailles et des couleurs différentes, mais il les fait toutes aller en même temps.

Frédéric était un magnifique jongleur. Alors qu'il tenait chaque chose en harmonie, alors qu'il était un homme d'équilibre, nous devons nous rappeler qu'il n'accordait pas le même valeur à tous les domaines. Maintenir l'équilibre dans notre vie ne veut pas dire que notre vie de famille reçoit 20%, notre travail 20%, notre vie de service 20%, notre vie sociale 20%, notre vie personnelle 20%, l'ensemble arrivant à un total de 100%.

Diviser son temps en parts égales, c'est une certaine manière d'arriver à l'équilibre, mais cela ne correspond pas à la réalité humaine. Souvent, certaines choses demandent des pourcentages plus importants, plus de temps et d'attention; il y a des considérations premières dans notre vie qui sont plus importantes que dautres. Et, naturellement certaines choses réclameront plus d'attention et de temps que d'autres, s'adaptant aux circonstances et aux demandes imprévues.

Par exemple, il arrive que la famille réclame notre attention entière et tout notre temps disponible, ou notre profession, ou notre santé réclame des changements radicaux dans votre vie, de façon soudaine et sans compromis. C'est ce que nous voyons dans la vie de Frédéric Ozanam, particulièrement pendant les dernières années de sa vie lorsque sa santé devint si précaire.

Comme Frédéric réussit à bien organiser sa vie! Comme il fut capable de passer rapidement et efficacement d'un secteur à l'autre et de donner toute son attention à ce qui était en question!

Providence

Une des caractéristiques de la spiritualité de saint Vincent de Paul et de Frédéric Ozanam est leur foi et leur adhésion à la Divine Providence. Ils voyaient le plan de Dieu en action partout. Ils avaient la ferme confiance que Dieu pourvoyait véritablement pour eux, agissant constamment dans leur vie et dans la vie des autres, que la volonté de Dieu s'accomplissait.

Il y a une lien étroit entre le fait de faire la Volonté de Dieu et celui de suivre la Providence de Dieu. Nous le voyons dans les lettres de saint Vincent, qui écrit:

O Monsieur, quel bonheur de ne vouloir rien que ce que Dieu veut, de ne faire rien que selon la Providence en présente l'occasion et de n'avoir rien que ce que Dieu nous a donné par sa Providence. SV III, 188

Nous devons "vouloir ce que veut la divine providence" (SV VI, 476). Telle est une des manières par laquelle saint Vincent combine les deux. "La perfection consiste à unir tellement notre volonté à celle de Dieu, que la sienne et la nôtre ne soient, à proprement parler, qu'un même vouloir et non-vouloir."(SV XI, 318)

Vincent estimait que Dieu était véritablement le fondateur des Dames de Charité, de la Congrégation de la Mission, des Filles de Charité et de tout le bien qu'il avait fait au service des pauvres.


Frédéric écrit à Emmanuel Bailly, le premier président de la Société:

Sans doute la Providence n'a pas besoin de nous pour l'exécution de ses miséricordieux desseins, mais nous, nous avons besoin d'elle et elle ne nous a promis son concours qu'à la condition de nos efforts....Continuez l'ouvrage commencé et occupez-vous de sa propagation et de son affermissement. (Lettre du 22 octobre 1836).

Frédéric dit encore une année plus tard:

Notre petite Société de Saint Vincent de Paul est devenue assez considérable pour être regardée comme un fait providentiel. (À François Lallier, 5 octobre 1837).

Saint Vincent écrit:

La grâce a ses moments. Abandonnons-nous à la grâce de Dieu et gardons-nous bien de la devancer.... Nous avons tâché de ne mettre le pied que là où elle nous a marqué.(S.V. II, 453)

Frédéric écrit:

Prions les uns pour les autres, mon très cher ami, soyons sur nos gardes contre nos soucis, nos griefs, notre très grand manque de confiance. Marchons avec simplicité dans le sentier où une miséricordieuse Providence nous conduit, contentons- nous de regarder la pierre où nous devons placer notre pied, sans désirer voir la longueur ou les méandres de la route. (Baunard, p. 131)

Saint Vincent dit:

Une consolation que Notre Seigneur me donne...(celle) de croire que par la grâce de Dieu, nous avons toujours essayé de suivre et non d'anticiper la Providence qui sait comment conduire toutes choses avec tant de sagesse jusqu'à la fin que Notre Seigneur leur destine". (S.V. II, 456).

Frédéric écrit:

Ces Soirées hebdomadaires sont une des plus grandes consolations que la Providence m'ait laissées. (À François Lallier, 7 février 1838).

Lorsque Frédéric avait 17 ans seulement, il écrivit:

Je tiens qu'ici la Providence dirige le bras de la puissance temporelle, car la Providence a ses voies. (À Auguste Materne , 5 mai 1830).

Plus tard il écrivit encore:

Je remets mon avenir entre les mains de la Providence. J'accepterai de tout coeur quelque soit la place qu'il lui plaira de me donner, aussi basse qu'elle puisse être. Elle sera toujours noble si elle est remplie dignement. (Baunard, p. 89-90)


Vous voyez que, moi aussi, j'ai mes scrupules et je dois les repousser pour accomplir la volonté de la Providence, ainsi qu'elle semble se laisser voir. (À François Lallier, 30 avril 1841)

Frédéric avait des pensées très belles et inspirées sur la Providence à propos du mariage. Il écrit à Amélie (13 octobre, 1843):

Il y a trois ans, lorsque le succès de mon enseignement était incertain, je n'hésitais cependant pas. Je n'écoutais point les questions d'intérêt: je ne cherchais dans ma carrière que la science. Je crois que c'était Dieu qui m'inspira ainsi et me fit agir avec une hardiesse qui était au-dessus de mon faible caractère. Alors la Providence te conduisit sur mon chemin, je t'offris le partage d'une vie pauvre longtemps et peut-être à jamais obscure, mais sanctifiée, anoblie par le culte de tout ce qui est beau: je t'offris la solitude loin de tous les tiens, mais avec la tendresse d'un coeur qui n'aurait jamais appartenu qu'à toi. (13 octobre 1843)

Frédéric écrit à son meilleur ami François Lallier:

Aidez-moi à être bon et reconnaissant. Chaque jour, en me découvrant de nouveaux mérites dans celle que je possède, augmente ma dette envers la Providence....(28 juin 1841).

Au risque de paraître trop simpliste, le concept vincentien de la Divine Providence peut être résumé en quelques phrases clés:

Nous devons vouloir ce que veut la Divine Providence.

La grâce a ses moments.

Abandonnons-nous nous-mêmes à la Providence.

Ne courons pas en avant de la Providence.

Ne courons pas derrière la Providence.

Suivons la Providence.

La bienheureuse Vierge Marie

Frédéric mourut le 8 Septembre, le jour de fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie. C'était le jour le plus opportun pour sa mort, en raison de la dévotion de Frédéric à Marie. Ce fut lui qui insista pour placer la Société sous le patronage de la Sainte Vierge, peu après la fondation de la Société. Il fut décidé aussi qu'on célébrerait la fête de l'Immaculée Conception avec une dévotion particulière. Le "Je vous salue Marie" fut ajouté aux prières habituelles des réunions hebdomadaires de la Société.

Le Sanctuaire de Notre Dame de Fourvières, près de Lyon, était un lieu privilégié de prière pour Frédéric. Il avait une grande et particulière dévotion à la Mère de Dieu. Ce fut là aux pieds de l'autel du sanctuaire de Notre Dame, à l'âge de 21 ans, qu'il prit la résolution de se sanctifier au moyen de plus grands sacrifices. Il écrivit: "Je place mes intentions sous les auspices de notre Divine Mère, faisant confiance pour le reste à ma bonne volonté."


En Septembre 1835, la peur du choléra plana sur la cité de Lyon. L'épidémie avança jusqu'à 10 kilomètres de la cité. Une énorme foule envahit le sanctuaire de Notre Dame de Fourvières pour chanter les psaumes pénitentiels.

Frédéric écrit:

Dieu, pour la seconde fois, a glorifié sa Sainte Mère et consolé notre pauvre cité; la main qui avait menacé de nous broyer, pour la seconde fois, l'étendit pour nous bénir. Le nom de Notre Dame de Fourvières n'amena plus le ricanement aux lèvres de l'homme impie, qui ne pouvait s'empêcher de penser que, peut-être il devait sa vie à sa protection. (Lettre du 23 septembre 1835)

Frédéric écrivit à un membre de la Société:

Mon cher ami, puisse chacun de nous, en vieillissant en âge, vieillir aussi en amitié, en piété, en zèle pour le bien! Puisse notre vie entière se passer sous le patronage de ceux à qui nous avons consacré notre jeunesse: Vincent de Paul, la Vierge Marie et Jésus-Christ notre Sauveur! (À Le Taillandier, 21 Août 1837.)

Frédéric apprit beaucoup sur la Vierge Marie auprès de sa propre mère, Marie. Elle, comme Marie, était femme douce, une mère et une épouse dévouée. Frédéric se souvient comment sa mère pria pour lui lorsqu'il fut en danger de mort à l'âge de 7 ans, et il se rappelle comment il survécut aux ravages de la typhoïde au moment même où il fut confié à la miséricorde de Dieu. Les Ozanam furent convaincus que ce fut véritablement un miracle dû à l'intercession de saint François Régis, un saint Jésuite français auquel ils avaient une dévotion spéciale. Quand la fille de Frédéric naquit, il la nomma Marie comme sa mère et la Sainte Vierge. En Janvier 1853, dans l'espoir de lui faire recouvrer la santé, Amélie l'emmena en Italie. A la mi-Juillet, ils s'installèrent dans une maison aux pieds du Monténégro, aux environs de Livourne . Il y a là un pèlerinage célèbre dédié à Notre Dame, Mère de toute grâce. Frédéric et sa famille y prièrent pour sa guérison. Cest en ce même lieu de pèlerinage que sainte Elisabeth Anne Seton avait prié pendant son séjour à Livourne.

Dix mois avant sa mort, Frédéric écrivit à son frère, Charles, de Burgos, en Espagne:

Ah! Sainte Vierge ma Mère, que vous êtes une puissante Dame! et en retour de votre pauvre maison de Nazareth, que votre divin Fils vous a fait bâtir d'admirables maisons! Je vous en connaissais de bien belles depuis Notre-Dame de Cologne jusqu'à Sainte Marie Majeure, et de Sainte-Marie de Florence jusqu'à Notre-Dame de Chartres. Mais c'était peu de mettre à votre service les Italiens, les Allemands et les Français. Voici que ces Espagnols qui passent pour les plus mauvais ouvriers de la terre, quittent leurs épées et se font maçons, afin que vous ayez aussi une demeure parmi eux. Bonne Vierge, qui avez obtenu ces miracles, obtenez-nous aussi quelque chose pour nous et pour les nôtres. Raffermissez cette maison fragile et délabrée de nos corps. Faites monter jusqu'au ciel l'édifice spirituel de nos âmes. (Lettre du 18 novembre 1852).

Mariage


Mgr Helmut Moll, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, écrivant dans le journal du Vatican, l'Osservatore Romano (30 Août 1995), dit que le moment est venu de canoniser davantage de couples mariés, étant donné les vertus héroïques qui sont nécessaires aux couples modernes pour rester unis. "Rester ensemble dans le bonheur aussi bien que dans l'adversité, dans la maladie et la bonne santé, prouve un degré héroïque de vertu."

Le Vatican recherche des couples dont l'amour ne s'est jamais affadi, dont la promesse de fidélité mutuelle n'a jamais été rompue et qui démasquent les faussent solutions comme le "mariage à l'essai" ou le "mariage limité".

Frédéric épousa la jeune fille de ses rêves, Amélie Soulacroix, le 23 Juin 1841, à 10 heures du matin, en l'Eglise Saint Nizier à Lyon. Frédéric avait 28 ans; Amélie 20. Les parents de Frédéric étaient alors décédés. Son frère Alphonse, qui était prêtre, célébra leur mariage. Son autre frère, Charles, médecin, fut témoin. Frédéric tremblait en passant l'anneau au doigt d'Amélie.

Il dit:

Je pouvais à peine contenir mes larmes, des larmes de joie. Et je sentis la Bénédiction divine descendre sur moi lorsque j'entendis les paroles de la Consécration. (Lettre à François Lallier, du 28 juin 1841)

Frédéric écrivit dans la même lettre:

Depuis 5 jours que nous sommes ensemble, je me suis accordé d'être heureux. Je ne compte ni les minutes ni les heures. J'ai perdu toute notion du temps. Qu'importe le futur? Le bonheur dans le présent est éternité. J'ai trouvé le ciel.

Frédéric ne s'arrêtait jamais de faire l'éloge d'Amélie, ou de parler de son amour pour elle. Il écrit:

Venez donc, ma bien-aimée, ma colombe, mon ange, venez dans mes bras, contre mon coeur, venez m'apporter le vôtre si pur, si généreux; venez et que Dieu vous bénisse pour ce qu'après deux ans nous nous aimions mille fois plus qu'au premier jour! (Lettre à Amélie, du 13 octobre 1843)

Il passait aussi de longs et beaux moments avec sa fille, Marie; il lui apprit à lire. Quand Marie eut atteint l'âge de deux ans et demi, Frédéric et Amélie la prirent avec eux pour aller visiter des pauvres de la rue Mouffetard. Elle aidait elle-même en donnant des petits cadeaux aux pauvres et des jouets qui venaient de son propre coffre, pour les enfants. Ses parents lui apprirent très tôt à partager!

Rappelez-vous que cétait un passionné. Connaissez-vous des maris qui offrent chaque mois des fleurs à leur femme le jour de leur mariage? Frédéric n'oublia jamais de donner des fleurs à Amélie le 23 de chaque mois, y compris le 23 Août, sur le lit où il devait mourir.


De son coté Amélie aima profondément Frédéric. Elle prit le plus grand soin de lui tout le temps de leur vie commune. En tant que fille d'enseignant, elle avait une solide compréhension de ce que cela signifie être professeur dans une école supérieure. Lorsque la santé de Frédéric commença à décliner, sur l'avis de ses médecins, Amélie l'emmena en Italie dans l'espoir que le climat plus chaud et les amis lui feraient du bien. Pendant ce séjour, bien qu'en mauvaise santé, Frédéric collabora à la fondation de plusieurs Conférences spécialement dans des villes qui avaient résisté à l'établissement de la Société. Ce passionné ne pouvait pas laisser passer une occasion de développer la Société pour le bien des pauvres.

Les jours passés en Italie furent relativement paisibles. De façon étonnante, la plus grande partie de ses souffrances se calmèrent, mais cela ne dura pas. Frédéric reçut le Sacrement des Malades. Le prêtre l'encouragea à ne pas avoir peur du Seigneur.

Frédéric lui répondit:

Pourquoi le craindrais-je? Je l'aime tant! (Baunard, p. 403)

Puis, Frédéric tomba dans le coma pour n'en sortir que rarement. Quand il ouvrait les yeux, c'était pour dire une courte prière, pour presser la main d'Amélie ou pour remercier ceux qui prenaient soin de lui.

Le 8 Septembre 1853, il passa une journée paisible. Son visage reflétait une sérénité inhabituelle. Vers le soir, sa respiration devint graduellement plus pénible et plus bruyante. Il ouvrit les yeux, regarda tous ceux qui étaient autour de lui et implora à voix haute: "Mon Dieu, Mon Dieu, ayez pitié de moi." (Baunard p. 403). Frédéric rendit son dernier soupir.

Frédéric, un homme pour le troisième millénaire

Frédéric parle à chaque chrétien, homme et femme, à l'approche du troisième millénaire. Il illustre ce qu'il y a de plus noble dans l'esprit humain. Frédéric accomplit les idéaux proposés par Vatican II, particulièrement ceux qui se trouvent dans les Décrets sur l'Eglise et sur l'Apostolat des Laïc, ainsi que dans l'exhortation Christifideles Laici. Frédéric réalise ces paroles de St. Paul, "Je me suis fait tout à tous afin de les gagner au Christ."

La spiritualité de Frédéric est une spiritualité qui s'adresse à l'ensemble de l'humanité: depuis le chrétien ordinaire dans les rues des grandes villes jusqu'aux personnes exceptionnelles qui sont dans les amphithéâtre des académies ou dans les bureaux des plus grandes entreprises du monde.

Sa spiritualité réalise pleinement le double commandement de Jésus: "Aime Dieu et aime ton prochain comme toi-même". Frédéric les réunit en un seul commandement d'amour, à la suite de son patron, saint Vincent de Paul. Pour Frédéric, comme pour Vincent l'amour était l'amour; il n'y avait qu'un seul amour. La recherche dune personne humaine doit être d'aimer tout être humain, à l'imitation de Jésus, l'Amour incarné. La spiritualité de Frédéric suivait ce fameux principe de saint Vincent de Paul: "Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages." (S.V. XI, 40)

Le rêve de Frédéric était d'être un Apôtre et un Martyr. En un certain sens, il réalisa ce rêve en sa courte vie de service aimant de l'humanité, bien que par humilité, il ne l'aurait jamais accepté.

Mais, le fait est là: Frédéric fut réellement un apôtre -un envoyé- pour soulager la misère spirituelle et matérielle de ses frères et soeurs les moins favorisés. Il fut envoyé par Dieu pour servir la vérité. Il écrivit, dit et enseigna la vérité. Il fut un des principaux défenseurs de l'Eglise de son temps. Frédéric fut un martyr -un témoin- de l'amour compatissant du Fils de Dieu pour les pauvres et les abandonnés. Frédéric se fit l'écho des paroles de saint Vincent de Paul: "les pauvres sont nos maîtres".


Pourquoi les chrétiens du troisième millénaires seraient-ils intéressés ou inspirés par la vie et la spiritualité de Frédéric Ozanam?

Comme sainte Elisabeth Anne Seton et sainte Louise de Marillac (deux autres imitateurs et disciples de la personne et de la spiritualité de saint Vincent de Paul), Frédéric ne reçut pas d'apparitions, de communications audibles, ni de phénomènes surnaturels, associés aux degrés les plus élevés d'une prière contemplative. Frédéric ne fit pas non plus de miracles ni de faits inexplicables. Ici encore, Frédéric ressemble à son patron, saint Vincent de Paul.

Frédéric fut quelqu'un d'ordinaire en ce sens qu'il fut un homme de foi qui crut de tout son coeur -et vécut ce qu'il crut- et qui exprima son amour pour Dieu dans l'amour envers les pauvres de Dieu, les délaissés et les oubliés.

La spiritualité de Frédéric Ozanam est celle du simple fidèle qui brûle du désir d'aimer Dieu et son prochain et qui veut aussi mettre en pratique cet amour. La spiritualité de Frédéric Ozanam est celle de la prière et de l'action, l'une soutenant et renforçant l'autre. La spiritualité de Frédéric Ozanam est la spiritualité de l'humilité, la simplicité, la mortification, la douceur et le zèle pour les âmes. La spiritualité de Frédéric Ozanam est celle du Bon Samaritain, celui qui pratique avec un zèle ardent les oeuvres de miséricorde aux plans spirituel et corporel. La spiritualité de Frédéric Ozanam est la spiritualité de saint Vincent de Paul qui croit et reconnaît que Jésus est vraiment dans la personne du pauvre qui est devant lui. Pour Frédéric Ozanam, la personne pauvres est le Christ ressuscité; pour Frédéric la personne du pauvre est l'image sacrée de Dieu qu'il ne voit pas, et ne sachant pas comment L'aimer autrement, ne l'aimerons-nous pas dans vos personnes. (Lettre du 13 novembre 1836) La spiritualité de Frédéric Ozanam est celle de la compassion sans le jugement.

(Traduction: Mme Monique Amyot dInville)

Références:

Mgr Baunard, Ozanam in His Correspondance. Les références sont prises dans la traduction anglaise, consultée par l'auteur.

Lettres de Frédéric Ozanam, éd. Klincksiek, Paris 1992 (4 vol.)