Il y a 16 ans…

Il y a 16 ans…

Par Richard McCullen, C.M

Province d'Irlande

1.La célébration des fêtes des Saints Pierre et Paul durant cette année du grand jubilé marque le 16ème anniversaire de l'approbation de nos Constitutions et Statuts. Presque autant d'années ont été consacrées à leur préparation par la Congrégation dans un processus de réflexion, de prière, et de discussion qui s'est fait au cours des Assemblées Domestiques, Provinciales et Générales pendant ce laps de temps. La longueur du temps en elle-même est une indication sur la manière très sérieuse dont la Congrégation a réalisé ce travail qui avait été demandé à chaque Ordre, Congrégation et Institut dans l'Eglise par le Saint Siège, après le concile Vatican II: savoir exprimer d'une manière renouvelée le charisme particulier que l'Esprit de Dieu lui avait donné par son fondateur. Notre Congrégation, comme d'autres également, a réalisé ce travail d'adaptation de l'expression de ce charisme aux circonstances changeantes dans lesquelles nous nous trouvons nous-mêmes aujourd'hui - différentes à bien des égards de celles de la France au XVIIe siècle.

2.Il doit y avoir à peu près 16 ans, j'écoutais un discours du Cardinal Lustiger au cours d'une rencontre des visitatrices à la rue du Bac sur leur mission particulière dans l'Église. Beaucoup de gens, faisait remarquer le Cardinal, posent la question: "Que ferait saint Vincent aujourd'hui s'il était parmi nous?". Le Cardinal fit sursauter quelque peu son auditoire en disant que c'était une question plutôt vaine. Les conditions de vie, les structures de la société, la pensée moderne étaient manifestement différentes de celles qui avaient cours en France au XVIIe siècle, rendant ainsi impossible de dire avec certitude ce que saint Vincent ferait aujourd'hui. Sans aucun doute il porterait son attention et la nôtre vers les pauvres d'aujourd'hui: "Recherchez les pauvres dans notre société, servez les, proclamez la bonne nouvelle de Jésus Christ mort et ressuscité. Car n'avons nous pas la parole de notre Sauveur que les pauvres seront toujours avec nous". Voilà ce que saint Vincent pourrait nous dire. En voulant aller plus loin et en entrant dans les détails et en prétendant avec certitude que saint Vincent adopterait tel ou tel apostolat nous ne ferions que projeter nos propres idées sur le saint, idées auxquelles il n'adhérerait pas nécessairement. Le cardinal Lustiger continua en indiquant aux sœurs que leurs Constitutions récemment approuvées n'étaient pas seulement un résumé de l'esprit avec lequel saint Vincent et sainte Louise souhaiteraient qu'elles servent les pauvres, mais que les articles des Constitutions et Statuts étaient comme des radiogoniomètres sûrs pour indiquer les formes particulières de l'apostolat qu'elles devraient entreprendre aujourd'hui.

3.La vie consacrée est une réalité à la fois historique et théologique. Les changements historiques et culturels amènent des évolutions dans cette réalité vivante de la vie consacrée. Les formes et la direction que prend l'évolution seront, bien sûr, toujours déterminées par les éléments essentiels de la vie consacrée: - comme l'appel de Dieu, la mission, les conseils évangéliques, la vie communautaire, la prière personnelle et communautaire.- Sans eux la vie consacrée perd son identité. Les Constitutions et Statuts sont à la fois l'expression du charisme spécifique d'une Congrégation ainsi que les gardiennes de son unité et de son identité particulière dans l'Église.

4.La conservation de l'unité d'une Congrégation dans un monde qui accepte et respecte une diversité de cultures constitue un défi particulièrement délicat et redoutable. L'unité en question sera conditionnée par l'esprit du Christ et par ces vertus évangéliques particulières que saint Vincent considérait comme essentielles et perpétuelles pour réaliser la fin de la Congrégation l'évangélisation des pauvres.- C'est une unité qui est enracinée et inhérente aux idéaux et aux exigences des quatre vœux qui conditionnent et colorent l'approche de la Congrégation dans sa mission d'évangélisation des pauvres. C'est une unité qui dépasse les forces humaines, un fait qui a été reconnu par saint Vincent lorsqu'en 1646 il disait: "Soyez unis ensemble et Dieu vous bénira; mais que ce soit par la charité de Jésus car toute autre union qui n'est point cimentée par le sang de ce divin Sauveur ne peut subsister. C'est donc en Jésus Christ, par Jésus Christ et pour Jésus christ que vous devez être unis les uns aux autres".

5.Le corps de nos Constitutions et Statuts fait ressortir les conditions larges mais essentielles pour la conservation de cette unité sans laquelle la Congrégation cesserait d'être une véritable force au plan local et international. Dans une homélie, saint Vincent donnait cette comparaison: "Autrement ce serait faire comme des chevaux, lesquels étant attelés à une même charrue, tireraient les uns d'un côté, les autres d'un autre, et ainsi ils gâteraient et briseraient tout". La promotion et le développement des missions internationales au cours de ces dernières années ont été facilités par l'unité existant dans la Congrégation, unité que nos présentes Constitutions et Statuts ont contribué à préserver et à entretenir.

6.Nos Constitutions et Statuts de 1984 sont conçus pour façonner et préserver notre identité dans l'Eglise aujourd'hui. La Congrégation est bien plus qu'une entité ou une personnalité purement juridique. C'est une création de l'Esprit de Dieu et elle vit dans l'Église avec un mélange de qualités spéciales et de charismes qui, lorsqu'ils sont exprimés avec foi construisent le Corps du Christ dans l'Eglise locale. Karl Barth avait coutume de mettre l'accent sur l'importance pour les prédicateurs "de se mettre eux-mêmes à l'écoute de la parole de Dieu avant de prêcher." D'une manière analogue on peut dire qu'il est tout à fait important que la Congrégation se mette elle-même à l'écoute du texte des Constitutions et Statuts non seulement dans le choix et l'acceptation d'apostolats dans l'Eglise locale, mais aussi en accord avec la manière particulière par laquelle de tels apostolats doivent être abordés et mis en œuvre. On peut considérer les Constitutions et Statuts comme un gabarit, une référence pour guider les choix à tous les niveaux dans la communauté, l'étoile polaire qui sert de référence pour le voyage de la Congrégation à travers le temps. Avec une référence fréquente à nos Constitutions en tant que critère des choix qui doivent être faits, les caractéristiques de la Congrégation seront sauvegardées avec un profil clair. Autrement ces caractéristiques seront brouillées et l'apport de la communauté au plan pastoral de l'Eglise locale manquera de tonalité et de couleur. Ce n'est pas que du bon travail ne soit pas fait, mais le délicat travail en filigrane de l'Esprit de Dieu (qui est le- digitus dexterae Dei- le doigt droit de Dieu-) pour laquelle la Congrégation a été créée ne serait pas accompli ou même empêché. Quelquefois le bon peut être l'ennemi du meilleur.

7.Saint Vincent aimait utiliser l'image d'un navire pour la Congrégation. Et il peut y avoir beaucoup de navires sur l'océan. Nous avons été placés par la divine providence dans un navire particulier. Notre vocation est d'y rester et de travailler fidèlement avec les membres de l'équipage. En agissant de cette manière nous arriverons en toute sérénité au port du ciel. Les Règles Communes ou les Constitutions règlent la course, d'où l'importance "de fonder fermement nos vies sur ces règles qui à la longue vous conduiront au but que vous désirez: le bonheur dans le ciel".

8Lorsque de temps en temps je relis les 50 premiers articles de nos Constitutions, invariablement je referme le livre avec deux réflexions qui reviennent au premier plan dans mon esprit. Tout d'abord la richesse de la spiritualité qui a été résumée et mise dans ces articles qui traitent des éléments essentiels de notre vocation Vincentienne, de nos apostolats, et de notre vie en communauté. On a souvent fait remarquer que le deuxième chapitre de nos Règles Communes, que saint Vincent appelait Les Maximes Evangéliques, est le résumé de sa propre vision et de ses propres idées pour la Congrégation et ses apostolats. Quelque chose d'analogue peut être dit de ces 50 premiers articles de nos Constitutions. Le déploiement du contenu de ces articles nécessite une réflexion constante et empreinte de prière si l'on désire qu'ils soient en mesure de livrer l'or qu'ils contiennent.

9.Ensuite, en lisant ces articles je suis convaincu qu'il y a encore beaucoup à en extraire et à déployer. En échangeant avec des confrères, aussi bien qu'avec des membres d'autres communautés et en écoutant les observations qu'ils font au sujet de leurs Constitutions révisées, je suis souvent resté avec cette impression que, tandis que des membres peuvent être très à l'aise avec certains articles de contenu purement juridique - tels que la durée du mandat du visiteur, ce qui est requis pour l'admission aux vœux, les normes pour l'administration des biens et ainsi de suite, - on prend souvent beaucoup moins en compte et on choisit moins souvent comme sujet de révision communautaire et de réflexion les articles plus édifiants traitant de la vocation, de l'esprit, des vœux et de la vie communautaire. Invariablement, on est d'accord pour dire que les Constitutions révisées des Communautés sont de magnifiques expressions de l'esprit et des idéaux de chaque institut. Mais on peut se demander si ces belles formulations ne jouissent pas d'une existence trop paisible en restant enfermés dans le livre de nos Constitutions et Statuts révisés. Nos Constitutions et Statuts ont-ils été pleinement revendiqués et pris en compte par notre communauté? Ou, pour citer le Cardinal Newman, leur donnons-nous "un consentement notionnel plutôt que réel?".

10.Ceux qui font partie d'une génération plus ancienne dans la Congrégation se souviennent comment, semaine après semaine, des paragraphes des Règles Communes de saint Vincent étaient systématiquement pris comme sujet de conférence et de réflexion pour la communauté. Certaines phrases du texte de saint Vincent devenaient ainsi sacrées, pour ainsi dire, et pouvaient être citées avec facilité et appliquées comme normes d'action. Le déploiement des richesses de quelques-uns des paragraphes des règles communes tout au long des siècles a, sans aucun doute, inspiré et stimulé beaucoup de confrères dans leurs missions variées de par le monde.

11.Parmi les articles de nos présentes Constitutions il y en a de très courts et admirablement rédigés qui expriment la mission, l'esprit, l'idéal de la Congrégation. Précisément parce qu'ils sont courts ils demandent une réflexion toute empreinte de prière afin qu'ils puissent livrer leur puissance énergétique. Laissez-moi vous donner en exemple trois parmi de nombreux articles magnifiques qui contiennent beaucoup de nourriture spirituelle, mais qui, si l'on souhaite qu'ils livrent toute leur richesse, nécessitent d'être médités phrase par phrase.

…L'esprit de la congrégation comprend donc les dispositions intimes de l'esprit du Christ que le fondateur recommandait dès les débuts à ses confrères: amour et vénération envers le père, amour compatissant et efficace envers les pauvres, docilité à la divine providence .

Grâce à la prière, l'insertion de notre apostolat dans le monde, la vie commune et l'expérience de Dieu se compénétrent les unes les autres et s'unissent dans la vie du missionnaire. Dans la prière, en effet, la foi, l'amour fraternel et le zèle apostolique se renouvellent constamment; tandis que, dans l'action, l'amour de Dieu et du prochain se révèle effectif. Ainsi, par l'union étroite de la prière et de l'activité apostolique, le missionnaire se fait contemplatif dans l'action et apôtre dans la prière.

L'idéal du célibat évangélique et chaste est magnifiquement exprimé dans l'article 29:

Imitateurs du Christ dans son amour universel pour les hommes, nous nous engageons, en vertu d'un vœu, à la chasteté parfaite dans le célibat et à cause du royaume des cieux. Cette chasteté, nous l'acceptons comme un don que nous accorde l'infinie bienveillance personnelle de Dieu.

De la sorte, nous ouvrons plus généreusement notre cœur à Dieu et au prochain, et tout notre comportement devient l'expression joyeuse de l'amour entre le Christ et l'Eglise, qui se manifestera en sa plénitude dans le monde à venir.

Et pour vivre dans la pratique cet idéal il serait difficile de faire mieux que l'Article 30:

L'union intime avec le Christ, la véritable communion fraternelle, l'assiduité dans l'apostolat, l'ascèse approuvée par la pratique de l'Eglise donneront vigueur à notre chasteté. Celle-ci d'ailleurs, par sa réponse constante et prompte à l'appel divin est une source de fécondité spirituelle dans le monde et contribue grandement à réaliser l'épanouissement, même sur le plan humain.

12.Les évêques présents au premier concile du Vatican ont plaidé en faveur d'une simplification ou codification de l'énorme corps des lois ecclésiastiques qui avait cours en ce temps là. Ils disaient: "Obruimur legibus" "Nous sommes étouffés par les lois". Lorsque l'on parcourt les nombreux documents - et pour la plupart d'entre eux très riches en contenu théologique- issus des autorités à tous les niveaux dans l'église au cours des trente-cinq années passées, - on pourrait avoir la tentation de dire "obruimur documentis" ": nous sommes étouffés par les documents". Etant donnée la rapidité folle du changement dans le monde moderne, il est impossible qu'il en soit autrement. Dans un monde de changement, des adaptations fréquentes et une direction suivie de nos énergies par l'autorité sont nécessaires, si nous voulons faire face aux défis de l'apostolat aujourd'hui. D'où le grand nombre de documents, de projets de mission, de rapports. Sur une mer qui est aujourd'hui houleuse et quelque peu agitée nous pourrions nous sentir comme les apôtres dans la barque à savoir qu'il fait nuit et que nous avons un vent de face. Dans de tels moments, le rappel de l'Archevêque Roméro tombe à point nommé:

Nous sommes des ouvriers. Pendant notre vie nous accomplissons une toute petite fraction de la magnifique entreprise qui est l'œuvre de Dieu. Nous ne pouvons pas tout faire. Prendre conscience de cela nous libère. Cela nous permet de faire quelque chose, et de bien le faire. Il se peut que nous ne voyions jamais les résultats à la fin mais c'est là que réside la différence entre le maître d'œuvre et l'ouvrier. Nous sommes des ouvriers non des maîtres d'œuvre; des ministres, non des messies. Nous sommes prophètes d'un futur non de nous-mêmes.

Oui, nous sommes des ouvriers. Et les ouvriers travaillent selon un plan de base qu'ils consultent souvent. Notre plan de base sont nos Constitutions et Statuts. Il est bien que nous jetions souvent un coup d'œil sur ce plan de base. Il est bien de nous mettre souvent nous-mêmes à l'écoute de sa parole.

(Traduction: Noël KIEKEN, C.M.)

Dodin, Entretiens 93-94.

Ibid.

Règles Communes, Introduction

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