Jean-Gabriel Perboyre, vu à travers ses lettres

Vie et portrait de

Jean Gabriel Perboyre

Thomas Davitt C.M.

Jean-Gabriel Perboyre, aîné de huit enfants, est né en 1802 à la ferme de son père, au Puech, près du village de Montgesty, à environ 113 kilomètres au nord de Toulouse. Son oncle, Jacques Perboyre, était lazariste. Il avait survécu à la Révolution et ouvert un pensionnat pour garçons à Montauban. Pour son second fils, Louis, le père de Jean-Gabriel voulait plus d'instruction que celle offerte par l'école locale. Il décida de l'envoyer à l'école de Jacques à Montauban. Jean-Gabriel, étant l'aîné, allait hériter de la ferme; on n'estimait donc pas nécessaire de le pousser au-delà de l'école primaire. Mais comme Louis n'avait que neuf ans, son père décida d'envoyer Jean-Gabriel, âgé de quatorze ans, à Montauban pour y tenir compagnie à Louis de novembre à Pâques. Après cela, Jean-Gabriel serait de nouveau nécessaire à la ferme.

Quand Pierre Perboyre se présenta à Montauban pour ramener Jean-Gabriel à la maison, il reçut un accueil inattendu. Les professeurs avaient suggéré à l'oncle Jacques que Jean-Gabriel continue ses études et entre au grand séminaire. Jacques fit part de cette suggestion à son frère et à son neveu. Tous deux en furent surpris. Une fois son père retourné à la maison, Jean-Gabriel eut le temps de réfléchir. Le 16 juin 1817 il écrivit à son père :

Mon cher père,

Après votre départ de cette ville, j'ai réfléchi sur la proposition que vous m'avez faite d'étudier le latin. J'ai consulté Dieu pour connaître l'état que je devais embrasser pour aller sûrement au ciel. Après bien des prières, j'ai cru que le Seigneur voulait que j'entrasse dans l'état ecclésiastique. En conséquence j'ai commencé à étudier le latin, bien résolu de l'abandonner si vous n'approuviez pas ma démarche ...

Jacques lui fit donner des leçons particulières par un prêtre qui, plus tard, lui écrivit : "Vous voulûtes bien me le confier pour lui donner des soins spéciaux. Je travaillais sur un bon fonds et il m'étonna par ses progrès ..." Treize ans après la mort de Jean-Gabriel, Mgr. Jean-Henri Baldus CM écrira :

Je lui ai toujours reconnu un esprit très profond et très élevé, propre à toute espèce de questions scientifiques, philosophiques et littéraires, et je crois bien que sous ce rapport, peu de missionnaires de son temps l'ont égalé ...

Durant sa dernière année d'école, une mission fut donnée à Montauban par les Lazaristes. Jean-Gabriel décida d'entrer dans la Congrégation. Vu que la Congrégation avait été supprimée pendant la Révolution, en 1818 il n'y avait pas de séminaire interne en France. La suggestion de son oncle, d'en ouvrir un à Montauban, fut acceptée. Jean-Gabriel y fut reçu le 10 mars 1818, deux mois après son seizième anniversaire. Il était le premier séminariste en France après la Révolution. Deux autres furent reçus plus tard la même année. Au cours de son séminaire interne il compléta ses études secondaires, puis il commença la philosophie, tout en enseignant dans l'une des petites classes. Il fit les voeux en 1820 et se rendit ensuite à Paris pour commencer la théologie. L'oncle Jacques organisa son voyage de manière à lui faire rencontrer ses parents pour la première fois depuis qu'il avait quitté la maison.

En octobre 1823, il fut envoyé à Montdidier, entre Paris et Amiens. La Congrégation y tenait un collège. Jean-Gabriel s'y vit confier la classe de sixième, avec huit garçons. En avril 1824, il retourna à Paris pour être ordonné sous-diacre, puis il revint à Montdidier, pour y enseigner la philosophie. En mai 1825, il était de retour à Paris pour être ordonné diacre.

Cette année-là, il reçut un "passeport intérieur" qui est parvenu jusqu'à nous. Jean-Gabriel mesurait 1 mètre 65, avait des cheveux noirs qui débordaient sur son front, des sourcils châtains, des yeux gris noirs, un nez ordinaire, la bouche petite, la barbe noire, un menton rond, le visage rond, le teint coloré. Il rentra à Montdidier pour une autre année d'enseignement.

Le 24 août 1826 il écrivit à son père :

Dans votre lettre du 9 juin vous me reprochiez ma négligence à vous écrire et vous me recommandiez aussi fortement que tendrement de montrer un peu plus d'exactitude sur ce point. Après cela je n'aurais pas très bonne grâce de chercher à m'excuser de ce nouveau délai de deux mois. Cependant je vous dirai d'abord que la cause du délai de ma réponse n'est pas l'oubli, car depuis que j'ai reçu votre lettre il ne s'est peut-être pas passé un jour sans que j'y aie pensé; je pourrais dire ensuite que le défaut de temps y est entré pour quelque chose : les jours pour nous commencent régulièrement à 4 heures et ne finissent jamais qu'à 9 ou 10 heures cependant nos occupations nous forcent assez souvent à les prolonger jusqu'à minuit; aux approches des vacances surtout, notre besogne redouble comme la vôtre au temps de la moisson; il y a huit jours que j'avais entrepris une lettre pour M. l'Abbé Gizard, à peine l'avais-je commencée que je fus obligé de l'interrompre, aujourd'hui seulement j'ai pu la continuer. Enfin, mon cher père, je différais ma réponse pour vous apprendre si l'année prochaine je resterais encore à Montdidier. J'avais eu quelque espoir d'aller à Montauban; mon oncle a fait les plus vives instances pour m'avoir, mais je sais à présent que je n'y serai pas envoyé. Il paraît néanmoins certain que je serai changé, et même, s'il faut ajouter foi à quelques petits bruits qui sont parvenus à mes oreilles, je serais destiné pour un endroit qui avoisine le Quercy. Quoi qu'il en soit, je vous instruirai de ma nouvelle destination avant de partir de Paris où je me rendrai dans une quinzaine de jours et d'où je ne pense partir que vers la fin de septembre.

Il est donc déterminé, mon très cher père, et il n'est déjà plus bien loin le jour où le Seigneur doit imposer pour jamais sur ma tête le joug du sacerdoce; ce jour sera le plus grand de ma vie. Quel bonheur pour moi, si je pouvais recevoir la prêtrise avec toutes les dispositions requises ! quelle source de grâces pour moi et pour les autres ! Il faut que la miséricorde de Dieu soit bien grande pour se choisir des ministres aussi indignes; vous savez combien j'avais peu mérité cette insigne faveur. Suppliez, je vous en prie, Notre-Seigneur de ne pas permettre que j'abuse des grâces qu'il veut bien m'accorder.

Dans un mois je serai prêtre, c'est le 23 septembre que je dois être ordonné.

Le 23 septembre 1826 il fut ordonné prêtre à la chapelle des Filles de la Charité, à la rue du Bac, à Paris. Plusieurs biographies placent son ordination en 1825, mais la lettre ci-dessus et plusieurs autres documents montrent que l'année est bien 1826.

Il fut placé à Saint-Flour, à moins de 170 kilomètres de son pays d'origine, pour y enseigner la théologie. Peu après son arrivée, il écrivit à son père :

Je suis très content de ma nouvelle destination. Il paraît que le climat de l'Auvergne ne me sera pas moins favorable que celui de la Picardie : ma santé ne peut être mieux. Il y a environ trois semaines que je suis arrivé ici; des occupations importantes ne m'ont pas laissé un seul moment pour vous écrire plus tôt : j'espère que je serai l'objet de votre indulgence comme je l'ai (été) déjà tant de fois.

A la fin de l'année académique, son oncle fit un nouvel effort de l'obtenir pour Montauban, mais Jean-Gabriel fut renommé à Saint-Flour, à un nouveau poste. Dans une lettre à son frère Louis, alors au séminaire interne à Paris, il décrit son été : il a passé douze jours à la maison, au Puech, trois à Cahors, douze à Montauban, un à Toulouse, quatre ou cinq à Carcassonne ou à Montolieu. Le voyage avait été long quant à la distance, bref quant au temps, utile, agréable et pas trop coûteux.

Son nouveau travail était la direction d'un pensionnat pour garçons qui avaient l'intention de devenir prêtres. Il resta cinq ans à ce poste. Plus tard, il fut regardé comme celui qui donna une base solide à l'établissement. De cette période il nous reste treize lettres à son frère Louis. En mai 1828, il rappelle à Louis qu'il est plus occupé qu'il ne l'imagine. Jean-Gabriel a des classes tous les jours; il est "obligé en qualité ... d'économe, etc. .. d'être toujours à tout et à tous, et partout à la fois. Si Louis reçoit cette lettre, c'est que Jean-Gabriel a négligé un rhume et garde le lit depuis une semaine. Louis étudiait la philosophie. Il avait proposé un débat philosophique par correspondance. Jean-Gabriel lui rappelle qu'il n'enseigne plus la philosophie, mais peut discuter grammaire; sur quoi il relève toutes les fautes de grammaire qui ont échappé à Louis au cours de sa lettre !

Louis avait dit à son frère qu'il voulait aller en Chine après son ordination. Jean-Gabriel lui suggère de suivre des cours de physique, vu que cette matière pourrait être utile là-bas. Vers la fin de la lettre, il écrit :

Ne soyez pas si exigeant à mon égard. Si vous connaissiez ma position, vous ne me traiteriez pas si impitoyablement. Quoique nous n'ayons encore qu'une centaine d'élèves, je suis accablé de besogne. Je suis extrêmement fatigué d'esprit et de corps. Je ne sais où aboutira un malaise général que j'éprouve depuis longtemps et qui est toujours progressif.

Plus tard, il écrit :

La quinzaine de Pâques, qui est pour tant de prêtres le temps du grand travail, est pour moi un temps de repos. Nos élèves sont en vacances. J'avais bien besoin de ce moment de relâche. Je ne crois pas avoir passé deux jours depuis six mois sans avoir senti ma tête rompue, tous mes membres brisés et mon sang tout en feu. Rien ne me fatigue comme le détail de l'administration; rien ne me mine comme la sollicitude.

Il ne rencontra jamais plus son frère : après son ordination Louis partit pour la Chine et mourut en mer.

Dans son ministère à Saint-Flour, Jean-Gabriel était influencé par les théories de Lamennais sur l'éducation. En août 1832, les idées de Lamennais furent condamnées par Grégoire XVI. Quand Jean-Gabriel revint à Saint-Flour, à la fin des vacances d'été, il trouva une lettre qui le nommait assistant du Directeur du Séminaire Interne à Paris. Dans une lettre de ce temps, Jean-Gabriel a reconnu accepter la décision du Saint-Siège au sujet de Lamennais.

Le directeur était un confrère d'avant la Révolution, âgé de 65 ans. L'année suivante il y avait plus de vingt séminaristes. Jean-Gabriel avait donc beaucoup à faire. Jean-Gabriel fut aussi nommé secrétaire d'une sous-commission chargée d'étudier les décrets de la communauté d'avant la Révolution.

L'un des deux confrères ordonnés avec Jean-Gabriel était Jean-Baptiste Torrette, qui fut envoyé immédiatement en Chine. En mars 1834 Jean-Gabriel lui écrivit :

Je me flattais que je pourrais vous rejoindre plus tard; mais le peu de solidité de ma santé et surtout mon indignité semblent m'interdire à jamais cette belle destinée. Ma position de Directeur des Novices me met à même de vous dédommager amplement de vous avoir fait faute moi-même : je seconderai de mon mieux les vocations qui se manifestent pour la Chine.

Jean-Gabriel envoya à son oncle Jacques la circulaire du Supérieur général pour le nouvel an 1835 : un quart en était consacré à la Chine. Trois semaines plus tard, il lui envoya le fascicule 3 des Annales de la Mission, également sur la Chine. Ces deux documents révèlent l'état d'esprit à la Maison-Mère en ce temps-là. Il n'est pas surprenant que les pensées de Jean-Gabriel se soient tournées vers la Chine. Pendant la deuxième moitié de 1834, il avait essayé d'être nommé pour la Chine, mais le Supérieur général et son conseil répétaient que sa santé n'était pas assez bonne. Finalement ils demandèrent l'avis du médecin, qui accorda la permission. En février 1835 Jean-Gabriel écrivit à son oncle :

J'ai une grande nouvelle à vous annoncer. Le bon Dieu vient de me favoriser d'une grâce bien précieuse et dont j'étais bien indigne. Quand il daigna me donner la vocation pour l'état ecclésiastique, le principal motif qui me détermina a répondre à sa voix fut l'espoir de pouvoir prêcher aux infidèles la bonne nouvelle du salut. Depuis, je n'avais jamais tout à fait perdu de vue cette perspective, et l'idée des missions de Chine surtout a toujours fait palpiter mon coeur.

Après la mort de Jean-Gabriel, Antoine-François Peyrac, une vocation tardive qui avait enseigné la philosophie à Saint-Flour avant d'entrer au séminaire interne, se souvenait de lui alors qu'il l'avait pour Directeur :

La trempe particulière de son esprit le portait à chercher la raison et le sens des maximes spirituelles et des pratiques de piété dans les profondeurs des vérités dogmatiques; aussi avait-il un attrait particulier pour les grands maîtres, pour S. Thomas et S. Bonaventure, par exemple; M. Olier lui plaisait également beaucoup. M. Perboyre était saintement habile à s'emparer d'une âme, il savait attendre, ignorer, condescendre aux infirmités spirituelles pour les guérir plus efficacement; son zèle n'avait ni précipitation, ni rudesse, ni amertume, il allait au but sagement déterminé avec force, disposant les moyens avec douceur.

Il quitta Le Havre avec deux confrères, Joseph Gabet et Joseph Perry, en mars 1835. Ils arrivèrent à la colonie portugaise de Macao à la fin du mois d'août. Dans sa première lettre de Macao il dit qu'il a commencé l'étude du chinois :

Je crois qu'il m'en coûtera long d'apprendre cette langue; à en juger d'après les premières apparences, je ne m'en tirerai pas avec autant d'honneur que M. Gabet et M. Perry. On dit que M. Clet ne l'a parlée qu'avec une grande difficulté. ... Puisse-je ressembler jusqu'à la fin à un vénérable confrère dont la longue vie apostolique a été couronnée par la glorieuse palme du martyre!

Juste avant Noël il partit pour l'intérieur de la Chine. Le voyage était de 600 milles par mer, puis de 600 à 800 à l'intérieur des terres. Il arriva à son poste dans la province du Honan à la mi-août 1836. Dans la semaine après son arrivée il écrivit douze lettres. Dans l'une d'elles, à un confrère souffrant du même mal, il demande "deux ou trois bandages pour une hernie inguinale du côté droit" ..."je ne puis m'en passer, même dans le repos". La douzième lettre est adressée à son père; c'est la première depuis deux ans et demi. Il écrit :

Si nous avions à souffrir le martyre, ce serait une grande grâce que le Bon Dieu nous accorderait; c'est une chose à désirer et non à craindre.

Malgré ses déclarations en sens contraire, sa santé reste un problème manifeste. Huit ans après le martyre, Mgr Jean-Henri Baldus C.M. s'en prenait à un point de la notice rédigée par Jean-Baptiste Etienne qui disait que Jean-Gabriel se levait régulièrement à quatre heures tous les matins :

Je veux faire comprendre que notre cher confrère ne pouvait pas se lever à 4 heures sans de grands inconvénients qui l'empêchaient de presque rien faire de tout le jour. C'est ce qu'il m'a dit. Ainsi, quoiqu'il serait édifiant de lire, dans sa notice, le contraire, cependant cela prête à réflexion ou matière à réflexion à ceux qui ont connu les choses. On voit dans plusieurs notices, Annales de la Propagation de la Foi, et celles de notre Congrégation, de certaines assertions assez éloignées de la vérité pour faire de la peine et même pour jeter quelque doute sur le tout et diminuer le fruit de la lecture.

En décembre 1836 Jean-Gabriel prêcha en chinois pour la première fois, puis commença sa première mission. Après avoir passé plus d'un an en Chine, il écrivit que quiconque n'avait pas fait l'expérience personnelle de la Chine ne pouvait comprendre les problèmes des missionnaires. Voilà pourquoi il suggéra, qu'à Macao et à Paris, il y ait toujours des confrères expérimentés pour servir d'intermédiaires entre les missionnaires et l'administration centrale.

Bien qu'il ait clairement demandé des bandages pour une hernie du côté droit, il en reçut pour le côté gauche, qui étaient inutiles. Les bons n'arrivèrent qu'en août 1839. Il en reçut deux jeux, vu que deux confrères, à l'insu l'un de l'autre, les avaient commandés. Il fut critiqué pour la dépense entraînée et pour ce qu'il avait écrit au sujet de l'administration. Il s'en excusa mais ne voulut pas se rétracter sur un point : la nécessité d'avoir dans l'administration, à Macao et à Paris, un confrère ayant l'expérience de la vie missionnaire à l'intérieur de la Chine.

De septembre 1938 à la Pentecôte 1839, Jean-Gabriel donna dix-sept missions. Il était censé faire ensuite une tournée de visites aux postes de Missions, mais un confrère prit sa place, "par compassion pour ses pauvres jambes". Cela signifie qu'en septembre 1839 il était à Kou-Tchen, quand arriva une bande de soldats. Il se trouvait au petit déjeuner avec Giuseppe Rizzolati OFM et Jean-Henri Baldus C.M.. Rizzolati et Baldus se sauvèrent dans une direction, Jean-Gabriel du côté opposé. Les soldats pillèrent la maison et y mirent le feu par accident. Le lendemain Jean-Gabriel fut trouvé dans une forêt et arrêté.

Plus tard, un rapport sur son arrestation fut écrit par Evariste Huc C.M.. Baldus écrivit à Paris et fit ressortir que le rapport de Huc contenait beaucoup d'erreurs, que Huc ne se trouvait pas du tout dans le voisinage au temps de l'arrestation de Jean-Gabriel. Huc dit qu'un catéchumène rencontra les soldats, qui lui expliquèrent qu'ils cherchaient le prêtre. Selon Huc, le catéchumène leur demanda combien ils payeraient pour l'information et ils répondirent "Trente taels". Sur quoi le catéchumène indiqua Jean-Gabriel. Baldus dit que ce n'est pas exact : les soldats effrayèrent tellement le catéchumène que c'est par peur qu'il trahit Jean-Gabriel. Toujours selon Baldus, la version Huc d'une convention de prix, est "romantique et du moins très exagérée". Baldus en parle encore dans une autre lettre :

Secondement, la tradition ou trahison a été faite, non pour de l'argent, mais par crainte, car on a battu le catéchumène prétendu de M. Perboyre, à ce qu'ont rapporté les courriers de Houpé.

André Yang C.M. le confirme.

Aux premiers temps de son emprisonnement, Jean-Gabriel fut très bien traité, sur ordre du mandarin. Plus tard cependant, un autre mandarin changea cela, comme Mgr François-Alexis Rameaux l'explique dans une lettre :

Il a été mis en question et endura tous les supplices réservés aux plus grands scélérats. On l'a mis à genoux sur des chaînes de fer, des débris de pots cassés, frappé de toutes les manières, de sorte que ses chairs tombaient en lambeaux.

Cela est confirmé par André Yang C.M. qui réussit à se faire passer pour un marchand qui étudiait le régime des prisons. Il put visiter le prisonnier, lui apporter de la nourriture et entendre sa confession. Plusieurs des gardiens de la prison assurèrent à Yang que Jean-Gabriel serait bien traité.

Le crime dont on l'accusait était patent : il était entré en Chine illégalement pour y prêcher le christianisme "et pour y tromper et séduire le peuple". Selon les Chinois, il en était bien coupable : il fut condamné à être étranglé sur un gibet en forme de croix. La sentence fut exécutée le 11 septembre 1840. Rameaux écrivit :

... il a été étranglé selon toutes les règles chinoises, c'est-à-dire à trois reprises, et un coup de pied porté dans le bas ventre a mis fin à son supplice.

Deux semaines après l'exécution, Baldus écrivit à Jean-Baptiste Torrette C.M. qui avait été ordonné avec Jean-Gabriel. Partie seulement de sa lettre nous est parvenue :

Si vous me demandiez ce que l'on dit de MM. Rameaux et Perboyre, croyez-vous que je n'aurais que des éloges à vous écrire de la part des chrétiens et des confrères ? Pour ne parler ici que du dernier, sur qui à Macao vous mettiez tant de confiance et d'espérance, je ne sçais pas ce qui déplaisait en lui aux chinois, mais de tous les européens que j'ai vus en Chine, je n'en connais pas dont le genre fut moins de leur goût. Son grand mérite aurait été méconnu ici : il aurait fini par ne pas y prendre. Ce sont les propres paroles de M. Rameaux qui disait aussi que quand on ne sçavait pas mieux se remuer, il ne fallait pas venir en Chine. En plusieurs endroits les chrétiens ont montré une grande répugnance à l'avoir, fait de grandes instances, usé de beaucoup d'artifices, afin d'en avoir un autre, européen aussi, mais non pas moi. Je sçais que la raison de son extérieur physique n'y entrait pour rien.

Hélas ! je vais peut-être aller trop loin ! mais je me sens comme obligé à vous le dire. Selon moi, qui étais présent, et selon tous les autres confrères européens et chinois, si la persécution a été si violente, c'est à cause de la prise de M. Perboyre. S'il a été pris, humainement parlant, c'est parce qu'il était une poule mouillée et par sa seule bêtise.

Il est inutile que j'entre dans tous les détails; il n'était pas précisément question d'avoir des jambes, mais d'être plus avisé. Tout le monde s'accorde à le dire; les chrétiens sçavent bien répéter : M. Rameaux en pareil cas n'aurait pas été embarrassé. Nos effets, nos ornements n'auraient peut-être pas péri. Les autres confrères se reposaient sur M.Perboyre, nouvellement nommé assistant. Je n'ai sauvé que l'argent et ma personne.

De pareils événements, quand c'est la Providence qui seule les détermine, n'ont rien de fâcheux pour des chrétiens; mais lorsqu'il y entre de sa faute, il y a toujours quelque chose qui fait de la peine.

Cependant connaissant la belle âme de M.Perboyre, je suis bien persuadé qu'il n'est pas coupable devant Dieu, et je voudrais bien faire échange avec lui ...