L'engagement vincentien dans les paroisses

L'ENGAGEMENT VINCENTIEN

DANS LES PAROISSES

par Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général

Vincent de Paul n'était pas très enthousiaste à l'idée que la Congrégation de la Mission prenne en charge des paroisses. Il ne les refusait pas d'emblée, mais son hésitation est évidente depuis le tout début de la Compagnie jusqu'à sa mort.

Dans cet article, je vous fais part, en trois approches, de quelques réflexions sur la Congrégation et les paroisses.

I.L'attitude de saint Vincent.

II.Quelques changements significatifs entre le XVIIe et le XXe siècle.

III.Quelques réflexions sur l'engagement vincentien en paroisse aujourd'hui.

I. L'ATTITUDE DE SAINT VINCENT

On a souvent décrit Vincent comme l'un des chefs religieux les plus équilibrés de son temps. Il savait combiner efficacement la théorie et la pratique. Ses principes, d'une grande clarté, étaient appliqués avec souplesse. Sa vie et son ministère témoignent de son habileté dans ce domaine. Selon ses dires, il aime par-dessus tout la vertu de simplicité, mais il sait fort bien demeurer silencieux lorsque la prudence le requiert. Croyant fermement à l'importance de la fidélité dans la vocation, il lutte parfois avec force pour garder ses membres dans la Communauté, mais en même temps, il sait que certains d'entre eux exercent une influence néfaste, et il remercie Dieu lorsque ceux-ci quittent, hâtant parfois même leur départ.(1)

L'attitude de Vincent par rapport aux paroisses démontre la même finesse de jeu entre la théorie et la pratique. En théorie, il hésite à les accepter, les considérant en dehors du champ d'activité de la Congrégation de la Mission. En pratique, il les accepte occasionnellement. Deux raisons l'amènent à adoucir ses objections. D'une part, les paroisses lui semblent un moyen d'atteindre les buts de la Congrégation. En effet, il accepte des paroisses rattachées à des séminaires afin que les candidats puissent expérimenter l'exercice de leur ministère.(2) D'autre part, des considérations politiques pragmatiques l'obligent d'en accepter, à contrecoeur. Par exemple, lorsque la reine ou le Cardinal Richelieu(3) requièrent la présence de missionnaires dans une paroisse, il lui est presque impossible de refuser.(4)

Pourtant les hésitations de Vincent ne font aucun doute. Il écrit à Bernard Codoing le 30 janvier 1643 :

Pour le second, qui est des cures, nous prions Dieu incessamment pour cela, en suite de quatre ou cinq conférences qu'on a faites sur ce sujet, sans se pouvoir résoudre à l'affirmative ni à la négative. Nous ne fournirons pas moins de bons curés à l'Église par nos séminaires que par la compagnie même, comme j'espère, au cas qu'en suite de plusieurs prières et conférences la compagnie se résolve à l'exclusion. Assurez-vous, Monsieur, que vous ne sauriez alléguer aucune raison

pour ni contre qui n'ait été vue et considérée par la compagnie depuis le long temps qu'il y a qu'elle y pense...(5)

Vincent avait déjà écrit à Codoing l'année précédente : "...notre difficulté vient de celle que vous savez que nous avons toujours faite à prendre des cures, si ce n'est celle de Richelieu".(6) Dans la même veine, il écrit à Jean Bourdet en 1646, s'objectant à son acceptation d'une chapelle à Plancoët, "contre les raisons que je vous ai mandées... notamment celle de ce qu'étant occupés à satisfaire aux dévotions de cette sainte chapelle, nous abandonnons l'intention de Notre-Seigneur sur nous, qui est d'aller chercher à la campagne les pauvres âmes..."(7) Il confiera à Émerand Bajoue, sept ans plus tard : "...ce n'est pas notre fait que des cures. Nous en avons fort peu, comme vous savez, et celles que nous avons nous ont été données malgré nous, ou par nos fondateurs ou par Nosseigneurs les évêques, à qui nous n'avons pas pu refuser, à moins de rompre avec eux, et peut-être que celle de Brial est la dernière que nous accepterons jamais; car plus nous allons avant, et plus nous nous trouvons embarrassés de telles affaires."(8) En 1655, blâmant Jacques Chiroye : "Or sus, Monsieur, puisque vous reconnaissez que c'est le meilleur pour la compagnie de n'avoir point de cures, et que c'est contre l'usage que les particuliers en aient, que ne faites-vous donc ce que tant de fois je vous ai prié de faire, qui est de remettre celle que vous tenez entre les mains de Monseigneur l'évêque?"(9) Un mois plus tard, il écrit à Monsieur Thomas à Angoulême : "Une seconde raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter le bien que vous nous voulez faire, Monsieur, est que les cures nous embarrassent trop. Nous n'en avons encore pris qu'à vive force, et sommes comme résolus de n'en plus prendre. Les deux ou trois que nous avons n'ont servi qu'à nous faire connaître l'empêchement qu'elles apportent à nos fonctions, et combien il est expédient que nous ayons tous l'obligation d'aller de village en village pour l'instruction et le salut des peuples, sans nous attacher aux villes ni à certaines paroisses qui ne peuvent manquer d'ouvriers. Il serait à craindre qu'avec le temps les nôtres se tinssent aux cures."(10)

Ayant pris en charge quelques paroisses, Vincent mentionne à plusieurs occasions sa résistance à en accepter d'autres.(11) Il confesse avoir eu une double intention en acceptant des paroisses rattachées à des séminaires tels que Cahors et Agde.(12) Quelques années plus tard, il affirme ne plus vouloir accepter d'autres paroisses(13) et souhaite se débarrasser de celles que la Congrégation possède déjà.(14)

La mobilité missionnaire est la raison principale de son hésitation.(15) Au moment de négocier l'achat d'une maison à Rome, Vincent, ainsi que les confrères qu'il a consultés, décident de décliner l'offre d'une maison à Saint-Jean-Mercatelli parce qu'une paroisse y est rattachée, et que cela pourrait empêcher les missionnaires d'aller travailler avec les gens de la campagne, ce qui "serait un grand dommage et un sujet de perversion de l'esprit que Notre-Seigneur a mis dans la compagnie".(16)

Même lorsque les paroisses sont rattachées à la Congrégation de la Mission, Vincent s'assure que celle-ci gardera la liberté de nommer ou de déplacer les pasteurs(17) et qu'elle n'aura pas à rendre de comptes aux évêques à propos des affaires financières de la communauté.(18)

La même attitude ambivalente du début se retrouve durant les deux dernières années de la vie de Vincent. En dépit de ses fréquentes objections à accepter des paroisses et de son inquiétude devant les difficultés occasionnées à la Compagnie, même lorsqu'elles sont rattachées aux séminaires, Vincent recommande d'en prendre une à Rome deux ans seulement avant sa mort : "...l'expérience nous a fait connaître que là où il y a un séminaire, il est bon que nous y ayons une paroisse pour y exercer les séminaristes, qui apprennent mieux les fonctions curiales par la pratique que par la théorie."(19) Par contre, en janvier 1659, il refuse de prendre une chapelle, un lieu de pèlerinage qui avait été offert à la Congrégation, disant : "Il serait difficile à nos prêtres, qui se sont donnés à Dieu pour aller de village en village évangéliser les pauvres, de renoncer aux

missions pour s'attacher à une seule église..."(20) Pourtant, juste avant de mourir, il accepte une paroisse. Le journal de Jean Giacquel, relatant les derniers jours de la vie de Vincent, mentionne que le 16 septembre 1660, une demande lui est faite en vue d'établir un séminaire auquel la paroisse Notre-Dame-la-Maiour serait rattachée. Vincent répond : "L'on pourra recevoir la cure avec le séminaire, quoique cela soit un peu au-delà de notre Institut..."(21)

II. QUELQUES CHANGEMENTS SIGNIFICATIFS

ENTRE LE XVIIe ET LE XXe SIÈCLE

Au fil des siècles, trois changements ont eu un grand impact sur les relations entre la Congrégation et les paroisses. La première a eu lieu au XVIIe siècle, et les deux autres sont beaucoup plus récentes.

1.Engagement dans les paroisses royales. Peu après la mort de saint Vincent, la Congrégation a dû accepter, contre son gré, des paroisses royales en France. À la demande d'Anne d'Autriche, le Père Alméras, successeur de Vincent, accepte la paroisse de Fontainebleau. La Congrégation en prend possession le 27 novembre 1661. Comme premier supérieur, Alméras nomme Antoine Durand, accompagné de neuf autres confrères.

En 1672, Alméras informe les confrères de la demande du roi à l'effet que la Congrégation prenne en charge la paroisse de Versailles. Il leur confie également que c'est à regret qu'il a consenti à cette demande. Le 6 octobre 1674, Edme Jolly, le successeur d'Alméras, signait le contrat officiel. Nicolas Thibault y était nommé supérieur, accompagné de six prêtres, trois frères et un clerc.(22)

Il ne fait aucun doute que le lourd investissement en personnel dans ces deux paroisses royales a pesé considérablement sur la Congrégation de la Mission en termes de mobilité missionnaire, en plus d'identifier la Congrégation avec l'ancien régime. Ce qui entraînera de lourdes conséquence pour la communauté au moment de la Révolution française.

2."L'assimilation paroissiale". Des statistiques récentes montrent que 1 074 confrères travaillent dans un ministère paroissial, soit un très fort pourcentage (31%) de la totalité de nos membres. En comparaison, la proportion de confrères travaillant dans des oeuvres propres à la communauté, tels les séminaires et les missions, demeure faible.

Ce gros investissement de personnel dans les paroisses est un phénomène relativement récent dans la Congrégation. Durant les 40 dernières années, la Congrégation, comme bien d'autres communautés, s'est trouvée plutôt désemparée devant la fermeture d'un grand nombre de séminaires et autres institutions. N'ayant pas de critères précis par rapport à la redistribution de leur personnel, bon nombre de provinces ont assez facilement accédé aux demandes d'évêques (et souvent des confrères eux-mêmes) de travailler dans les paroisses.

Une étude récente aux États Unis constate le fait suivant : Le nombre sans cesse croissant de religieux et religieuses qui s'insèrent dans les paroisses et les diocèses, au point que leurs engagements l'emportent sur ceux de leurs congrégations, est un phénomène qui se répand aux États-Unis. Cette tendance, qu'on nomme assimilation paroissiale, a eu un effet dramatique sur la plupart des communautés religieuses... Elle pourrait facilement compromettre le rôle prophétique des membres de vie religieuse.(23)

Ce phénomène de "l'assimilation paroissiale" n'est pas limité aux États-Unis, mais il s'est répandu dans plusieurs pays d'Europe. Il ne touche pas seulement la Congrégation de la Mission, mais aussi plusieurs autres communautés.(24)

3.L'acceptation conditionnelle de paroisses missionnaires.

Les Constitutions et Statuts de la congrégation, approuvés par le Saint-Siège en 1984, reconnaissent le bien-fondé de paroisses authentiquement missionnaires dans le cadre des ministères de la Congrégation. Toutefois, le Statut 10 stipule quatre conditions pour vérifier qu'une paroisse est réellement significative de notre mission.

a.que l'apostolat que les confrères y exercent soit en harmonie avec la fin et la nature de notre institut;

b.que le nombre réduit des prêtres desservants exige cet engagement;

c.que la paroisse soit constituée, pour une bonne part, de vraiment pauvres, ou d.que la paroisse soit rattachée à un séminaire où les confrères assurent la formation pastorale.

Nul doute que des paroisses authentiquement missionnaires existent dans la Congrégation et actualisent "la mission"; par ailleurs, on doit certainement se demander s'il est sain pour la Congrégation de la Mission d'être si fortement engagée dans le ministère paroissial et si oui ou non la plupart de nos paroisses remplissent actuellement les critères spécifiés au Statut 10.

La visibilité est très importante pour la vitalité du charisme d'une congrégation. Il doit être apparent que nous sommes "missionnaires", pour le service des pauvres et du clergé, pour notre propre bien-être et pour la promotion vocationnelle. Dans l'éventualité où une paroisse donnée, ou tout autre apostolat, ne témoigne pas clairement de notre charisme, le Statut 1 nous rappelle alors: "On abandonnera progressivement les tâches apostoliques qui, tout bien considéré, semblent ne plus répondre actuellement à la vocation de la Congrégation".

III. QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L'ENGAGEMENT VINCENTIEN EN PAROISSE AUJOURD'HUI

L'impact sur la Congrégation des changements déjà mentionnés, et particulièrement les deux derniers (l'assimilation paroissiale et l'acceptation conditionnelle de paroisses missionnaires), a été très profond. En réfléchissant sur les préoccupations de saint Vincent, sur l'histoire de la Congrégation, sur les conditions décrites au Statut 10 et l'avenir qui nous attend, il me semble essentiel d'examiner la place que devrait tenir le ministère paroissial futur. Après avoir rassemblé divers éléments de notre tradition passée et présente, permettez-moi de suggérer les caractéristiques suivantes comme base d'évaluation d'une paroisse vraiment "vincentienne" et "missionnaire".

a. Elle se situe parmi les réellement pauvres.

Effectivement, c'est la raison d'être de la Congrégation. Les pauvres sont notre lot. Saint Vincent en parle avec éloquence :

Notre partage donc, Messieurs et mes frères, sont les pauvres, les pauvres; pauperibus evangelizare misit me. Quel bonheur, Messieurs, quel bonheur! Faire ce pour quoi Notre-Seigneur était venu du ciel en terre, et moyennant quoi nous irons, nous autres, de la terre au ciel, continuer l'ouvrage de Dieu, qui fuyait les villes et allait à la campagne chercher les pauvres.(25)

b. Le clergé diocésain manque de ressources en personnel.

Le Statut 10 explicite ce critère : "Les paroisses figurent au nombre des activités apostoliques de la Congrégation, pourvu que... le nombre réduit des prêtres desservants exige cet engagement." Ce critère est très utile, surtout lorsqu'il s'agit de diocèses en croissance ou de territoires missionnaires. Dès que le nombre de prêtres diocésains devient suffisant, le missionnaire doit alors partir.

Selon saint Vincent, il peut être désastreux pour une congrégation missionnaire(26) lorsque ses membres se perçoivent comme peu différents du clergé diocésain.

c. Notre apostolat en paroisse est limité dans le temps (un contrat précis est souhaitable).

Les contrats sont essentiels. Malheureusement, ils ne sont pas encore largement acceptés dans l'Église, bien que le Canon 681, § 2 indique clairement que les évêques et les communautés religieuses qui prennent en charge des paroisses dans leurs diocèses doivent établir une convention.(27)

La durée déterminée dans un contrat offre l'avantage très net de nous rappeler, d'une part, que nous sommes missionnaires et qu'éventuellement nous pouvons souhaiter aller ailleurs; d'autre part, il rappelle aux évêques cet aspect de notre vocation : nous ne sommes pas des prêtres diocésains. Naturellement, beaucoup d'évêques aux prises avec les besoins de leurs diocèses ont tendance à "domestiquer" les missionnaires, dans l'espoir qu'ils pourront toujours compter sur eux pour leur confier leurs oeuvres diocésaines. Les contrats peuvent être un bon moyen de stimuler ces évêques à trouver des candidats pour le clergé diocésain et autres agents de pastorale, et à leur donner une bonne formation.

d. Nous avons des buts missionnaires précis à réaliser dans un temps limité. Parmi ceux-ci, la formation pastorale continue, particulièrement la formation de responsables dans divers ministères.

Non seulement la durée de notre apostolat doit-elle être précisée dans une paroisse particulière, mais aussi ce que nous désirons accomplir durant ce temps. C'est seulement lorsque nous aurons formulé des objectifs spécifiques et clairs que nous pourrons évaluer si nous avons atteint notre but et rempli notre mission. Comme missionnaires, lorsque nous aurons posé des bases solides, nous pourrons en toute quiétude remettre la paroisse, ou tout autre apostolat, au clergé local.

La formation de futurs ministres est en quelque sorte un but missionnaire de premier ordre. Nous ne cherchons pas seulement à offrir un service pastoral immédiat, mais continu. De nos jours, il est évident que cela consistera à former divers agents de pastorale : prêtres, diacres, religieux et religieuses, catéchistes, enseignants, ministres de l'eucharistie, lecteurs, ministres du chant, ministres de la jeunesse, etc. La formation des clercs et des laïcs visant à une plus grande participation à l'évangélisation des pauvres est l'un des principaux moyens d'actualiser la fin de la Congrégation de la Mission.(28)

e. Notre apostolat missionnaire en paroisse est communautaire.

L'article 12, 4 des Constitutions décrit ainsi la caractéristique du ministère vincentien : "un vrai sens communautaire dans l'œuvre apostolique pour nous affermir mutuellement dans notre commune vocation". Ceci s'applique assurément à toutes nos oeuvres, mais plus encore aux paroisses, surtout depuis que le phénomène de "l'assimilation paroissiale", décrit plus tôt, mène souvent à la dispersion des confrères dans des paroisses où ils sont seuls. Habitués que nous sommes de nos jours à accepter cette réalité de l'isolement, il paraît important de rappeler la fermeté de saint Vincent concernant la vie et le travail en communauté,(29) et celle de nos Constitutions actuelles.(30) Dans le cas des pays de mission où il est parfois nécessaire de travailler seul, la communauté locale doit alors solutionner avec créativité les problèmes causés par l'isolement des ministres, afin que les confrères sentent qu'ils sont membres d'une communauté en mission.

En tout état de cause, dans toutes les paroisses missionnaires vincentiennes où qu'elles soient, les confrères devraient travailler ensemble en équipe et se supporter les uns les autres dans une vie commune réconfortante.

f. Les oeuvres de charité concrète sont organisées pour les démunis et fonctionnent dans la paroisse.

Au cœur de l'esprit de saint Vincent réside la charité effective, pratique. C'est à cette caractéristique qu'on le reconnaît le mieux. Où qu'il aille, Vincent organisait les “Charités". Il est

difficile d'imaginer une paroisse vincentienne où les oeuvres de charité organisée n'y occupent une place de choix. Ceci nous amène à la caractéristique suivante :

g. Des groupes laïques vincentiens sont formés (groupes de Jeunesse Mariale, Société de Saint-Vincent de Paul, Associations Internationales de charité (AIC), Association de la Médaille miraculeuse, etc.).

Ces dernières années, nous avons pris conscience de nous-mêmes comme famille, vivant de l'esprit de saint Vincent. Il est important que chaque paroisse vincentienne en soit le reflet.

Beaucoup de groupes vincentiens existent actuellement. Leur nombre croît rapidement : la Société de Saint-Vincent de Paul compte 900 000 membres, l'AIC 260 000, les divers groupes de Jeunesse vincentienne 200 000, sans compter les innombrables membres de l'Association de la Médaille miraculeuse. Le Statut 7 nous encourage à prendre un soin particulier de ces groupes.(31)

Saint Vincent portait une attention toute spéciale à la formation des groupes qu'il fondait, leur procurant toujours une règle de vie. De même, nos paroisses devraient être des lieux d'accompagnement et de formation des membres de notre famille élargie.

h. Un enseignement systématique sur la doctrine sociale du Christ est offert.

Parmi les caractéristiques principales de notre travail d'évangélisation, l'article 12 des Constitutions note qu'on doit porter "une attention aux réalités sociales, surtout aux causes de l'inégale distribution des biens dans le monde, pour mieux nous acquitter du rôle prophétique de l'évangélisation". À cet effet , notre "Programme de formation vincentienne pour les Grands séminaires de la Congrégation de la Mission"(32) mentionne :

L'étude de la situation socio-économique et politique contemporaine et l'enseignement social de l'Église les préparera (les séminaristes) à l'activité pastorale, à reconnaître les formes de la pauvreté, à en rechercher les causes et à trouver les moyens d'y faire face dans le contexte de notre vocation.(33)

Le Pape Jean-Paul II écrit avec vigueur dans Centesimus Annus "La 'nouvelle évangélisation', dont le monde moderne a un urgent besoin et sur laquelle j'ai insisté de nombreuses fois, doit compter parmi ses éléments essentiels l'annonce de la doctrine sociale de l'Église".(34)

Les paroisses vincentiennes devraient enseigner clairement cet aspect vital de la doctrine de l'Église en vue du bien-être des pauvres.

i. Le "style" de ministère est simple et humble.

La simplicité et l'humilité sont les deux premières "vertus fondamentales" de la Compagnie. Puisque saint Vincent nous demande d'adopter ce style, c'est donc ce qui devrait caractériser nos paroisses. On reconnaîtra les ennemis de la simplicité et de l'humilité dans le langage compliqué, les buts cachés, le cléricalisme et l'autoritarisme. Notre style, au contraire, doit être direct, clair et profondément respectueux des personnes. Un environnement d'écoute et de compréhension devrait régner dans nos paroisses.

j. C'est une paroisse évangélisatrice, avec une forte insistance sur la parole de Dieu.

Le coeur de notre vocation vincentienne consiste à suivre le Christ Évangélisateur des pauvres. Notre évangélisation, dans l'esprit de saint Vincent, devrait s'effectuer "en paroles et en actes", dans le service "spirituel et corporel" du prochain. Assurément, la parole de Dieu jouera un rôle central dans tous les lieux d'évangélisation.

De façon concrète, cela signifie que les homélies seront bien préparées et centrées sur la parole de Dieu. Cela veut dire également qu'en plusieurs endroits, la paroisse formera des petits groupes (Communautés de Base) pour réfléchir sur la parole de Dieu, pour la prier et l'appliquer à bâtir la communauté chrétienne. Bien entendu, pour ceux qui prêchent et enseignent dans les paroisses vincentiennes, la parole de Dieu sera, comme nous le rappelle l'auteur de l'épître Hébreux (4, 12), un glaive à double tranchant, qui pénètre jusqu'à diviser âme et corps, nous appelant à la conversion.

Ces réflexions sur notre apostolat en paroisse découlent d'une analyse des attitudes et actions de saint Vincent et d'un examen de quelques changements significatifs vécus par la Congrégation depuis le XVIIe siècle jusqu'à nos jours. Les dix caractéristiques que j'ai mentionnées nous aideront, je l'espère, à évaluer et peut-être à renouveler nos paroisses vincentiennes. Sans doute, plusieurs de ces caractéristiques sont importantes pour quelque paroisse que ce soit, mais elles nous sont particulièrement destinées. Si nous devons servir en paroisse, notre service doit alors être vraiment "vincentien" et "missionnaire". Autrement, nous ne devrions pas être là. Comment nos paroisses se mesurent-elles à ces critères?

(Traduction: Mme Raymonde Dubois)

(1)SV II, 381 : "...la compagnie a besoin d'hommes; mais il vaut bien mieux en avoir moins que d'en avoir plusieurs de dyscoles et faits de la sorte. Dix bons feront plus pour Dieu que cent de ces gens-là. Purgeons, Monsieur, purgeons la compagnie des personnes profanes et qui ne sont pas agréables aux yeux de Dieu, et il l'augmentera et la bénira."

(2)Cf. SV II, 377.

(3)Il ne fait aucun doute que saint Vincent ait négocié un vrai contrat «missionnaire» à Richelieu. Le contrat, en plus de confier la paroisse à la Congrégation de la Mission, prévoyait également le service des missions avoisinantes, la formation de ceux qui allaient être ordonnés prêtres, de même que l'enseignement des exercices spirituels aux prêtres. Richelieu est devenu un lieu de travail très actif des Filles de la Charité. Cf. SV I, 412-413.

(4)Pour un compte-rendu très intéressant des oeuvres fondées par saint Vincent, voir J.M. Román, «Las fundaciones de San Vicente», Vincentiana XXVIII (1984), 457-486. Voir également Román, San Vicente de Paúl, Biografia (Madrid, 1981), 294-312.

(5)SV II, 359.

(6)SV II, 251.

(7)SV II, 601.

(8)SV IV, 617

(9)SV V, 401.

(10)SV V, 430.

(11)SV VI, 334.

(12)SV VI, 625.

(13)SV VII, 174.

(14)SV VII, 358.

(15)SV V, 233-234.

(16)SV V, 459.

(17)SV II, 195; V, 201.

(18)SV XIII, 182.

(19)SV VII, 253-254.

(20)SV VII, 443-444.

(21)SV XIII, 181.

(22)Luigi Mezzadri et José María Román, Histoire de la Congrégation de la Mission, I, Desclée de Brouwer, Paris 1994, pp. 173-196.

(23)D. Nygren et M. Ukreritis, The Future of Religious Orders in the United States (Connecticut: Praeger Press, 1993) p. 250.

(24)Le problème de "l'assimilation paroissiale" a été clairement reconnu dans l'Instrumentum Laboris pour le Synode de 1994 sur la Vie consacrée, cf. par. 77.

(25)SV XII, 4.

(26)SV V, 430.

(27)Canon 681, § 2 : “Dans ces cas, l'Évêque diocésain et le Supérieur compétent de l'institut établiront entre eux une convention écrite dans laquelle, entre autres, seront définis de façon expresse et précise ce qui concerne l'oeuvre à accomplir, les religieux à y affecter et les questions financières.” Voir aussi, Mutuale Relationes, 14 mai 1978 (Acta Apostolicae Sedis I, XX) 473-506; cf. Ecclesiae Sanctae 1, 30, § 1.

(28)C 1, 3.

(29)Cf. CR VIII, 2, SV I, 115; XIII, 144, 200, 206-207, 226, 232.

281.

(30)C 21, § 1.

(31)Tel qu'indiqué au Statut 7, cela demande que certains confrères reçoivent une préparation spéciale pour ce travail : “Tous les Confrères indistinctement doivent être prêts à rendre ces services; toutefois il sera bon que quelques-uns d'entre eux se spécialisent en ce domaine.”

(32)Programme, 37.

(33)Cf. Jean-Paul II, "Discours du Pape Jean-Paul II à l'Assemblée générale", Vincentiana 1986, No 5-6, p. 414 : "Chers Pères et Frères de la Mission, plus que jamais, avec audace, humilité et compétence, recherchez les causes de la pauvreté et encouragez les solutions à court et à long terme, des solutions concrètes, mobiles, efficaces. En agissant ainsi, vous coopérez à la crédibilité de l'Evangile et de l'Eglise."

(34)Centesimus Annus, 5.