La mission vincentienne dans les Iles Salomon

La mission vincentienne dans les Iles Salomon

Ce rapport est basé sur un article

de Raphael Sucaldito ,C.M .

écrit deux ans avant sa mort

en juillet 2000,puis mis à jour et publié par Jack Harris, C.M.

L'image que l'on se fait habituellement des Iles Salomon est celle d'un beau paradis, préservé, avec des lagons couleur émeraude, des récifs coralliens dentelés, des jungles d'orchidées, de spectaculaires chutes d'eau, des cimes boisées et des villages indigènes sur pilotis. Tout cela est vrai en partie et les indigènes sont particulièrement beaux avec leur peau lisse couleur chocolat. Dans les villages de la jungle, beaucoup de femmes ont les seins nus et les hommes portent un pagne traditionnel, en matière végétale appelé « kabilato ». En outre, beaucoup d'hommes et de femmes ont, sur le visage, depuis leur enfance, des entailles indélébiles: signes de leur identité tribale.

Les indigènes sont gentils, amicaux et paisibles mais cela n'a pas toujours été le cas et ces îles ont eu une histoire étonnamment violente avec des éruptions volcaniques, des guerres tribales, un trafic d'esclaves et même du cannibalisme - de nombreux tout premiers missionnaires ont été cuits et mangés par les habitants. Elles ont mérité autrefois le nom de « terribles Salomon ».

Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, une des plus grandes îles et la mer alentour ont été le théâtre d'une des plus cruelles batailles de l'histoire, avec des milliers de morts américains et japonais. Les monuments commémoratifs des deux parties adverses dominent aujourd'hui la capitale Honiara: sinistre témoignage du terrible conflit qui a duré deux longues années. Les noms « Guadalcanal » et «Mer de Corail » évoquent encore aujourd'hui de terrifiants souvenirs aux vétérans de la guerre à travers le monde, et les épaves de navires américains et japonais gisent au fond de la mer au large de Honiara, dans une zone appelée désormais « Détroit au bas-fond de fer » (Iron Bottom Sound).

Géographiquement, les Iles Salomon font partie de ce que l'on appelle la Mélanésie, un archipel d'un millier d'îles qui s'étend de la Papouasie Nouvelle-Guinée aux îles Fidji. Ses premiers habitants sont arrivés de la Nouvelle-Guinée et le premier Européen à y avoir mis pied a été, en 1568, l'explorateur espagnol Alvaro de Mendana de Neyra. Il avait lu une vieille légende Inca qui parlait « d'îles d'or » à 5.000 kilomètres à l'ouest du Pérou. Mendana appela les îles « Iles du Roi Salomon » mais il ne trouva jamais d'or et reçu un accueil très froid de la part d'une population hostile. Mendana abandonna donc les îles et, comme il s'était trompé en les situant sur la carte, personne ne les retrouva avant 1767, date où les Anglais débarquèrent et installèrent une colonie.

Ces îles ont eu la réputation d'être très dangereuses surtout après que le trafic des esclaves ait commencé et que les indigènes soient emmenés travailler en Australie ou dans d'autres pays par des négriers, appelés « black birders ». En effet, pour se venger, les indigènes massacraient et mangeaient quiconque passait par-là, y compris les premiers missionnaires et les marins naufragés.

Les Iles sont devenues protectorat anglais et sont restées sous le contrôle de la Grande-Bretagne jusqu'à son accession à l'indépendance en 1978, où elles sont devenues une démocratie parlementaire du Commonwealth avec un Gouverneur Général représentant la Reine Elisabeth II. Toutefois, le pouvoir décisionnel reste entre les mains du Premier ministre et du Parlement national.

La grande majorité des 408.000 habitants est chrétienne, ce qui est plutôt surprenant vu à quel point les précédentes croyances étaient primitives et à quel point les autochtones pouvaient être violents aussi bien entre eux qu'avec les étrangers. Aujourd'hui les chrétiens atteignent 80% de la population. Les Anglicans, avec 30% forment le groupe le plus important, suivis par les Catholiques avec 25%, les Adventistes du 7ème Jour avec 20%, puis les Baptistes, les Évangéliques de la Mer du Sud et quelques autres groupes mineurs.

Le christianisme n'est cependant pas parvenu à supprimer complètement les anciennes rivalités entre les îles et les tribus et la violence ethnique a de nouveau explosé en décembre 1998. Pendant plus de deux ans, des groupes ethniques rivaux et armés, le MEF ( L'Aigle de la Force Malaita), l'IFM (Mouvement pour la Liberté Isabutu) et le Service Royal de Police des Iles Salomon, se sont affrontés. La situation a considérablement empiré en juin 2000 quand le MEF a fait un coup d'état, renversant le gouvernement en place. Un soi-disant « cessez-le-feu » a eu peu d'effet sur la violence. Des groupes armés ont brûlé des milliers de civils chassés de chez eux. Civils et soldats ont été tués ou blessés, torturés, menacés et persécutés. Pour bien comprendre les raisons profondes du conflit il est nécessaire de connaître la répartition de la population dans les îles.

La majorité de la population des Iles Salomon est concentrée sur deux îles - Guadalcanal et Malaita - et, après la deuxième guerre mondiale, des milliers de Malaitiens se sont transférés à Guadalcanal, ce qui fait qu'il subsiste encore à ce jour des différends concernant la propriété et l'utilisation des terres. Les Malaitiens » sont plus agressifs et travailleurs que les pacifiques habitants de Guadalcanal, ce qui a également entraîné des frictions, en ranimant de vieilles jalousies et rivalités entre les deux îles.

Un accord de paix signé à Townsville en Australie a quelque peu relâché la tension, mais des détails tels que la possession d'armes et la composition des forces de police posent toujours des problèmes. Des questions telles que le dédommagement et la réinstallation des personnes déplacées sont à l'ordre du jour au moment de la rédaction de cet article (mars 2002) et un gouvernement librement élu est en place. Les Iles Salomon, habituellement connues comme « Les Iles Heureuses », ne le sont plus depuis le commencement des tensions ethniques. Sur les marchés, les visages autrefois souriants sont désormais craintifs et soupçonneux. La spontanéité et la confiance sont remplacées par la nervosité et la prudence.

Honiara est encore un endroit sûr car, Dieu merci, le conflit n'a pas dégénéré en purification ethnique comme au Rwanda, au Kosovo ou à Timor Est, et il n'y a pas eu non plus d'explosion de violence criminelle comme celle qui continue à envahir Port Moresby, capitale de la Papouasie Nouvelle-Guinée.

Tel est le terrain sur lequel la Mission Vincentienne a pris racine, sur les traces des premiers missionnaires catholiques qui ont évangélisé les indigènes d'ici il y a seulement cent ans. Les Maristes français sont arrivés les premiers, suivis par leurs confrères de Nouvelle-Zélande, d'Australie et des États-Unis. Plus tard, les Dominicains sont allés dans la partie occidentale des Iles Salomon et, plus récemment, la Société Missionnaire des Philippines et les Salésiens les ont rejoint. Il y a trois diocèses: l'archidiocèse de Honiara avec 12 prêtres indigènes diocésains; le diocèse de Auki à Malaita, avec 15 prêtres indigènes et le diocèse de Gizo avec deux prêtres indigènes.

Les Maristes n'envoient plus aucun missionnaire et, pour l'instant, ils n'ont pas de séminaristes en formation ; ceux qui restent sont âgés ou se sont en retraite. Il y a très peu de vocations pour la vie religieuse mais un bon nombre pour la prêtrise diocésaine. Le célibat semble un trop grand défi pour de nombreux jeunes Salomonais et, avec leur faible tolérance à l'alcool nombre d'entre eux deviennent des buveurs à problèmes, de telle sorte que les formateurs rencontrent des difficultés. Ces problèmes qui s'ajoutent à la différence de culture, au faible niveau d'éducation et à la situation économique précaire des familles de séminaristes, font de l'activité du séminaire un vrai défi.

La Congrégation de la Mission a relevé ce défi en 1993 et a été chaudement accueillie quand les premiers confrères sont arrivés. Les pionniers ont été le Fr. Marcelo Manimtin, des Philippines, et le Fr. Tom Hynes, des États-Unis. Avant de commencer toute formation, ils ont passé un an et demi dans une paroisse à Takwa, au nord de Malaita, essentiellement pour se familiariser avec la culture et la langue des îles. En 1995, ils se sont transféré dans un centre laïque, le Centre Apostolique Nazareth (NAC) à Guadalcanal, où ils ont été rejoints par le Fr. Stanislaus Reksosusilo, d'Indonésie. Le centre formait des responsables laïques et des catéchistes, mais c'était le séminaire pour enfants qui l'hébergeait jusqu'à ce qu'il ne s'installe sur un site tout à côté. Les frères Marcelo et Tom ont collaboré, avec les architectes et les constructeurs, à la création du Séminaire du Saint Nom de Marie. Ils ont dû affronter patiemment des retards et des complications avec les contrats, mais ils nous ont laissé un ensemble de bâtiments pratiques et durables. La construction s'est prolongée pendant deux ans et c'est en 1997 que confrères et étudiants ont pu faire le demi kilomètre nécessaire pour emménager. Les bâtiments occupent un très vaste campus avec 14 structures distinctes: 4 résidences pour les enseignants, 4 dortoirs pour les étudiants avec, dans chacun, six chambres-studio, une chapelle, une bibliothèque, 3 salles de classe et une cuisine-réfectoire. Le Fr. Marcello a mis sur pied un programme d'études comprenant également des activités spirituelles et pastorales qui contribuent au développement complet des potentialités de chacun des membres d'un groupe aux talents très divers. Quant au Fr. Tom, avec sa profonde dévotion à la Vierge Marie et à la petite Thérèse, nombre de nos anciens se souviennent encore de lui avec beaucoup d'affection.

En 1999, le Fr. Tom Hynes est reparti aux États-Unis et a été remplacé par le Fr. Rafael Sucaldito. Ce dernier est devenu le directeur spirituel et l'organisateur des activités pastorales et a fait une profonde impression sur les séminaristes qui, encore aujourd'hui, se souviennent de nombre de ses conférences et homélies. Il a aussi énormément contribué à la vie sociale du nouveau séminaire ainsi qu'à la forme physique des étudiants en construisant un court de tennis. Quiconque lui a fait face de l'autre côté du filet a trouvé en lui un formidable adversaire. Comme membre d'une communauté, il était chaleureux et modeste et savait être un parfait magicien avec une cuisinière à gaz. Il était en mesure de vous régaler avec la meilleure cuisine philippine, puis de vous mettre en pièces sur le court de tennis. Sa visite aux Philippines en mai 2000 a coïncidé avec la montée de la tension qui devait aboutir au coup de force de juin. Tous les avions pour les Iles Salomon ayant été supprimés, il avait échoué en Australie où il est tombé malade de ce qui n'était, à première vue, qu'une simple infection.

Malheureusement, c'était beaucoup plus grave et, début juillet, c'est un membre apprécié de notre communauté que nous avons perdu avec lui. Nos confrères australiens l'ont soigné jusqu'à la fin d'une façon exceptionnelle. Puisse-t-il reposer en paix !

Juste avant la maladie de Raffy, le nouveau millénaire avait vu le retour du Fr. Reksosusilo en Indonésie. Il a laissé le souvenir d'un philosophe brillant et aux idées claires. Il était également l'économe du séminaire et avait la tâche délicate de veiller à ce que les séminaristes soient bien nourris et, en même temps, que le budget soit équilibré. Il a été remplacé par le Fr. Jack Harris, un Irlandais, qui s'intéresse aux communications, aux médias et au génie électrique. Pour commencer, Fr. Jack a perfectionné les capacités électriques du séminaire en construisant une petite centrale et a familiarisé les séminaristes avec les émissions religieuses de la radio nationale.

Il n'avait pu faire qu'une session d'enseignement, avant que la tension ne s'accroisse et que le séminaire ne soit fermé. Les Frères Jack et Marcelo sont restés pour protéger les bâtiments tandis que, à l'extérieur de notre porte, quelque chose comme la 3ème Guerre Mondiale se déchaînait. Tout autour de nous, ce n'étaient que tueries et massacres atroces mais nous, nous étions saufs. C'était certes très désagréable de ne pas avoir d'électricité, de n'avoir que peu de nourriture et beaucoup de temps sur les bras mais, Dieu merci, nous sommes toujours vivants et tous nos séminaristes ont pu mener chez eux un travail pastoral sous la surveillance de leurs prêtres locaux.

En janvier 2001, le Fr. Marek Owsiak est arrivé de Pologne pour organiser et diriger un Programme Spirituel spécial d'un an et superviser la direction spirituelle du reste des étudiants. Il est jeune et énergique et, pour lui, 10 kilomètres au pas de course ne sont qu'une bagatelle. Il a lancé le Programme Spirituel d'un an pour les étudiants qui avaient déjà passé un ou deux ans à Bomana en Papouasie Nouvelle-Guinée et qui étaient venus nous rejoindre au séminaire, tandis que nos autres étudiants, eux, vont rester dans leurs villages quelques mois encore jusqu'à ce que les choses se calment réellement.

À la reprise de la session, nous avons été rejoints par le Fr. Agustinus Marsup, Indonésien, qui est philosophe comme le Fr. Rekso et brillant cuisinier comme le Fr. Raffy. Il est le Directeur des étudiants et coordonne leur action pastorale. Il remplit également la tâche ingrate d'économe de la communauté qui, dans un groupe international, consiste à satisfaire des goûts alimentaires très différents, ce qu'il fait avec une efficacité tranquille et sans prétention.

Le Fr. Marcelo a terminé ses fonctions en 2001 et il est reparti aux Philippines après avoir mis en route le Séminaire du Saint Nom de Marie et supervisé le développement de ses structures et programmes. Il ne voulait pas un système de formation très rigide, mais un environnement serein où les étudiants puissent recevoir un appel et se sentent impliqués, de façon à pouvoir prendre leurs responsabilités en vue de la pleine maturité de leur foi. Il a laissé derrière lui un endroit heureux, bien organisé et intégré, où l'avenir de l'Eglise dans cette partie de la Mélanésie est en mains sûres. Il a été remplacé par un confrère philippin, le Fr. Frank Vargas, qui a continué à développer les infrastructures que Marcelo avait mises en place et son arrivée a coïncidé non seulement avec une baisse de la tension ethnique mais aussi avec une augmentation sans précédent de l'effectif des séminaristes. Chaque chambre sert à 28 séminaristes, dont 5 suivent l'Année de Spiritualité et vivent avec leur directeur, Fr. Marek, au NAC (Centre Apostolique Nazareth). Ce nombre considérable met sous pression tous nos moyens, mais n'a pas modifié l'atmosphère de relaxe et de challenge.

En effet, le travail de formation est une gageure, compte tenu des différences de culture et de la variété des capacités de nos étudiants qui ont des contextes académiques et religieux très différents. Il nous faut être très attentifs à la culture indigène et essayer de comprendre les coutumes locales, afin de gagner la confiance et la loyauté des insulaires. Enseigner exige de la patience mais les séminaristes ont le désir et la volonté d'apprendre. Ils sont mûrs et ont un bon rapport avec l'autorité ce qui fait que la discipline ne pose aucun problème. Par contre, un aspect de la culture mélanésienne peut déconcerter: il s'agit de la tendance à toujours vouloir plaire et à ne rien dire qui puisse ne pas être acceptable. Ils vous disent souvent ce qu'ils croient que vous voulez entendre plutôt que ce qu'ils pensent réellement ou désirent faire!

Le séminaire est, au sens le plus vrai, une communauté ou une famille, car nous avons une communauté de sœurs locales et qu'une sœur d'une communauté internationale ainsi qu'une famille vivent sur le campus. Les sœurs locales, les Filles de Marie Immaculée, ont été fondées dans les Iles Salomon, en 1931, par un évêque Mariste. Nos sœurs gèrent la partie intendance pour les étudiants et les confrères et apportent une contribution importante à la conduite des étudiants en raison de leur connaissance directe de la culture et des mœurs locales. Il en va de même du jeune homme marié chargé de l'entretien qui vit au séminaire avec sa femme et ses enfants. L'autre sœur est Mariste et fait partie de l'équipe enseignante. Elle dirige la bibliothèque, supervise les cours et enseigne l'Écriture Sainte et la théologie générale.

La formation complète du Séminaire dure 7 ans. Les étudiants des trois diocèses des Iles Salomon passent trois ans au Séminaire du Saint Nom de Marie, où les cours de philosophie et de théologie font partie du curriculum. Après quoi ils restent encore un an pour leur année spirituelle avant d'aller à Port Moresby, à Bomana, Papouasie Nouvelle-Guinée, où ils complètent pendant trois ans leur formation avant leur ordination ou leur prêtrise. Trouver des enseignants pour le Séminaire de Bomana a été un problème pendant de longues années. Pendant un certain temps il n'y a eu qu'un seul prêtre qui était à la fois recteur, procureur et doyen des étudiants, sans personne pour veiller à leurs besoins spirituels.

L'apostolat de la formation par la Congrégation de la Mission devient partie intégrante de l'Église en Mélanésie et, sans aucun doute, contribuera à la construction, et aussi peut-être à la sauvegarde, de l'avenir de l'Église dans cette partie du monde. À l'heure actuelle, aucune Province n'assume de responsabilité directe pour la mission dans les Iles Salomon, aussi toute affectation n'intervient que par volontariat. La durée de l'affectation est indéterminée et en fonction de la bonne volonté, de la santé et de l'aptitude à affronter les challenges de la mission.

(Traduction: FRANÇOISE AZEMAR TURCO - AIC Italie)

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