La Prière Mentale hier et aujourd'hui. Réflexions sur la tradition vincentienne

LA PRIERE MENTALE HIER ET AUJOURD HUI.

REFLEXIONS SUR LA TRADITION VINCENTIENNE

Robert P. Maloney, cm, Supérieur Général

I. SAINT VINCENT ET LA PRIERE MENTALE

1. Considérations préliminaires

C'est à dessein que, dans cet article, je parle de "prière mentale" plutôt que de "méditation". Saint Vincent a rarement employé le verbe méditer. Ordinairement il utilise l'expression faire oraison. (1) Je reconnais cependant les limites de l'expression "prière mentale". Saint Vincent ne visait pas un exercice mental, mais la prière affective et la contemplation. La méthode proposée par lui, qui comprenait le recours à l'esprit pour se centrer sur un sujet déterminé, n'était acceptée seulement qu'à titre de méthode. Il visait des réalités plus hautes.

Peu de choses étaient aussi importantes que la prière aux yeux de Saint Vincent. (2) S'adressant aux missionnaires, il déclare :

Donnez-moi un homme d'oraison, et il sera capable de tout; il pourra dire avec le saint Apôtre : "Je puis toutes choses en Celui qui me soutient et qui me conforte." La congrégation de la Mission subsistera autant de temps que l'exercice de l'oraison y sera fidèlement pratiqué, parce que l'oraison est comme un rempart inexpugnable, qui mettra les missionnaires à couvert contre toutes sortes d'attaques. (3)

Il est intéressant de noter que ce qui est employé ici, c'est le mot oraison. Il parle de l'importance de la prière mentale. De plus, en plusieurs occasions, Saint Vincent affirme avec force que le manquement à se lever tôt le matin pour rejoindre la communauté en prière, est la raison pour laquelle des missionnaires manquent de persévérance dans leur vocation. (4)

Pour encourager ses fils et ses filles à prier, il recourt aux nombreuses comparaisons couramment employées par les auteurs spirituels de son temps. Il leur dit que l'oraison est à l'âme ce que la nourriture est au corps. (5) Elle est une "fontaine de jouvence" qui nous revigore.(6) Elle est un miroir où nous voyons toutes nos tâches et commençons à nous parer pour plaire à Dieu. (7) Elle est un rafraîchissement au milieu du difficile travail quotidien au service des pauvres.(8) Il dit aux missionnaires qu'elle est une prédication faite à soi-même. (9) C'est un grand livre où le prédicateur peut trouver les vérités éternelles à partager avec le Peuple de Dieu. (10) C'est une douce rosée qui tous les matins rafraîchit l'âme, dit-il aux Filles de la Charité. (11)

Il a pressé Sainte Louise de former au mieux les jeunes soeurs à la prière. (12) Lui-même leur a donné nombre de conférences pratiques sur le sujet. Il en ressort que beaucoup avaient des difficultés pour s'appliquer à la prière mentale. (13) Il les assure qu'en fait c'est très facile ! C'est comme faire une conversation d'une demi-heure. Avec humour il constate que les gens sont ordinairement heureux de s'entretenir avec le roi. Nous devrions être d'autant plus heureux d'avoir une occasion de parler avec Dieu. (14) Il cite maint exemple de personnes de toutes les classes sociales qui ont appris à prier : jeunes paysannes, gens de service, militaires, acteurs et actrices, avocats, hommes d'état, dames du monde, nobles de la cour, juges. Dans les diverses conférences qu'il a données à l'occasion du décès de Filles de la Charité, il a souvent fait allusion à leur esprit de prière. Le 15 janvier 1645, parlant de Jeanne Dalmagne, il fit cette remarque : "Elle marchait en la présence de Dieu". (15)

Il définit l'oraison comme "une élévation d'esprit à Dieu, par laquelle l'âme se détache comme d'elle-même pour aller chercher Dieu en lui. C'est un pourparler de l'âme avec Dieu, une mutuelle communication où Dieu dit intérieurement à l'âme ce qu'il veut qu'elle sache et qu'elle fasse, et où l'âme dit à son Dieu ce que lui-même lui fait connaître qu'elle doit demander." (16)

Parmi les dispositions nécessaires à la prière, il cite surtout l'humilité, l'indifférence et la mortification. Les humbles reconnaissent leur absolue dépendance de Dieu. Ils viennent à la prière pleins de gratitude pour les dons de Dieu et conscients de leurs limites et de leurs péchés. (17) L'indifférence rend la personne capable de vivre dans un état de détachement et d'union à la volonté Dieu, si bien qu'en se mettant à prier, elle cherche seulement à connaître et à faire ce que Dieu révélera. (18) Saint Vincent revient souvent sur la nécessité de la mortification pour bien prier, surtout en sortant promptement du lit le matin. Le 2 août 1640, il dit aux Filles de la Charité que nos corps sont comme des ânes : accoutumés à un chemin creux, ils y vont toujours. (19)

Pour Saint Vincent, le sujet principal de la prière, c'est la vie et l'enseignement de Jésus. Il nous demande avec insistance de toujours à nouveau nous centrer sur l'humanité de Jésus. (21) Il méditait sur ce que Jésus a fait et enseigné dans les Ecritures, (22) et, parmi les enseignements de Jésus, il attirait l'attention surtout sur le sermon sur la montagne. (23) Cependant, plus que tout, il recommandait la passion et la croix de Jésus comme sujet d'oraison (24) .

Saint Vincent n'hésitait pas à recommander le recours aux images (24) et aux livres de prières. Parmi ces derniers il appréciait surtout L'Imitation de Jésus-Christ (26) l'Introduction à la Vie Dévote (27) et le Traité de l'Amour de Dieu (28) de François de Sales, les méditations de Busé (29) Le Guide du Pécheur, le Mémorial de la Vie Chrétienne et le Catéchisme de Louis de Grenade (30) ainsi que L'Année Chrétienne de Jean Souffarand. (31) Il est évident que les prêtres de la Mission et les Filles de la Charité employaient aussi d'autres livres de méditation, tels que ceux de Saint-Jure (32) et de Suffrand. (23)

2. Prière affective et contemplation

Saint Vincent, tout en insistant beaucoup sur la prière affective, est très réservé à l'égard de la recherche d'états émotionnels intenses. Il reconnait que les sentiments suscités par la prière mentale (par exemple la peine à la vue de la passion du Christ) peuvent être très bénéfiques, même si, en eux-mêmes, ils ne sont pas le coeur de la prière. Les "affections" qu'il envisage sont orientées avant tout vers des actes de volonté. L'amour "affectif" doit conduire à l'amour "effectif". Nos actes affectifs doivent tendre à devenir de plus en plus simples, pour nous conduire éventuellement à la contemplation.

La contemplation est un don de Dieu. Alors que nous entrons dans la prière mentale et dans la prière affective de notre propre initiative, nous entrons dans la contemplation seulement quand Dieu nous saisit. (34) Dans la contemplation nous "goûtons et voyons" que Dieu est bon. Une telle contemplation, tout en étant un pur don de Dieu, est pour Saint Vincent l'aboutissement normal de la vie spirituelle. D'après ses conférences, il est évident qu'il regardait certaines des Filles de la Charité comme des contemplatives. Il les encourageait à devenir d'autres saintes Thérèse. (35) Le 24 juillet 1660, en parlant des vertus de Louise de Marillac, il se réjouit de la description de Louise faite par une soeur : "sitôt qu'elle était seule, elle était toujours en oraison". (36)

3. Méthode

La méthode enseignée par Saint Vincent est fondamentalement celle donnée par Saint François de Sales. (37) Il y fait seulement de légères modifications. Tout en accordant une grande valeur à la prière affective, il insiste sans cesse sur la nécessité des résolutions pratiques. Particulièrement dans ses conférences aux Filles de la Charité, il y a un aimable mélange de sagesse spirituelle et de bon sens. Il est plus réticent que François de Sales quand il parle du recours à l'imagination. Il met sans cesse en garde contre la transformation de la prière en étude spéculative. Il avertit qu'elle peut devenir une occasion de vanité ou de "belles pensées" qui ne conduisent nulle part.

Comme préparation à la prière, Saint Vincent suggérait de lire le soir quelques points pouvant stimuler la prière mentale du lendemain matin.(38) Il considérait aussi le silence paisible de la maison, durant la nuit et le matin, comme l'atmosphère propice à la prière. (39)

La méthode qu'il propose peut être présentée schématiquement comme suit : (40)

a. Préparation. En tout premier lieu, vous vous mettez en présence de Dieu, de l'une ou l'autre manière suivante : en vous considérant présent devant Notre-Seigneur dans le Saint Sacrement, en pensant à Dieu qui règne dans le ciel et en vous-même, en réfléchissant sur son omniprésence, ou enfin en réfléchissant sur sa présence dans l'âme des justes. Puis vous demandez l'aide de Dieu pour bien prier ; vous demandez aussi l'aide de la Sainte Vierge, de votre ange gardien et de vos saints patrons. Ensuite vous choisissez un sujet de méditation, par exemple un mystère de la religion, une vertu théologale ou morale, ou une maxime de Notre-Seigneur.

b. Corps de l'oraison. Vous commencez par considérer le sujet (par exemple la passion du Christ). Si le sujet est une vertu, vous réfléchissez sur les motifs d'aimer et de pratiquer cette vertu. Si c'est un mystère, vous pensez à la vérité proposée par celui-ci. Alors que vous réfléchissez, vous essayez de susciter des actes de la volonté (par exemple d'amour du Christ, qui a tant souffert pour nous), par lesquels, sous l'impulsion de la grâce, vous exprimez de l'amour pour Dieu, du regret pour vos péchés ou un désir de perfection. Ensuite vous prenez des résolutions concrètes.

c. Conclusion. Vous remerciez Dieu pour ce temps de méditation et pour les grâces reçues durant la prière. Vous présentez à Dieu les résolutions prises. Ensuite vous offrez à Dieu toute la prière que vous avez faite et vous lui demandez son aide pour mettre en oeuvre les résolutions.

4. Deux enseignements annexes

a. Saint Vincent a encouragé les membres de ses deux communautés à se partager les uns aux autres leur prière. Il recommandait de le faire tous les deux ou trois jours. (41) Il avait appris cette pratique chez d'autres. Les Oratoriens de Saint Philippe Néri (42) par exemple, faisaient déjà la répétition d'oraison. Quand il la recommande aux Filles de la Charité, il leur cite en outre l'exemple de Madame Acarie. (43) Dans ses conférences aux Filles de la Charité nous trouvons de magnifiques exemples de la simplicité avec laquelle elles partageaient leurs pensées dans la prière. De plus, il note souvent combien les frères de la Congrégation partageaient bien leur prière. (44) Le 15 août 1659, il dit aux missionnaires que le partage de la prière était une grande grâce pour la Compagnie. (45)

b. Un autre enseignement de Saint Vincent, fréquemment trouvé dans ses conférences aux Filles de la Charité, c'est la pratique de "quitter Dieu pour Dieu". (46) Les pauvres se présentaient souvent à l'improviste et faisaient aux Soeurs des demandes urgentes. Saint Vincent les encourageait à répondre, les assurant qu'elles quittaient Dieu qu'elles rencontraient dans la prière, pour le trouver dans la personne des pauvres. En même temps, Saint Vincent pressait les Filles de la Charité et ses confrères de ne jamais manquer l'oraison, (47) Il est frappant que, bien qu'il fut très ferme sur la règle de se lever tôt le matin et de ne jamais manquer la prière, Saint Vincent apportait son bon sens habituel dans l'application de la règle. Il dit aux Filles de la Charité : "Voyez-vous, la charité est par dessus toutes les règles, et il faut que toutes se rapportent à celle-là. C'est une grande dame. Il faut faire ce qu'elle commande. C'est donc, en ce cas, laisser Dieu pour Dieu. Dieu vous appelle à faire l'oraison et à même temps il vous appelle à ce pauvre malade. Cela s'appelle quitter Dieu pour Dieu." (48)

II. CHANGEMENTS DE PERSPECTIVE, DE SAINT VINCENT A NOS JOURS

De nos jours, trois modifications de perspective influencent de façon significative les attitudes à l'égard de la prière.

1. Le mouvement liturgique

Saint Vincent se souciait beaucoup de la liturgie. Il voyait que les prêtres célébraient souvent mal la Messe et qu'ils savaient à peine confesser. Il prescrivait de donner aux ordinands, au cours de leur retraite, des instructions pour qu'ils célèbrent bien la liturgie. Mais, dans ce contexte positif, il était aussi tout à fait un homme de son époque. En ce temps-là l'accent était mis sur l'observance exacte des rubriques. On insistait peu sur la liturgie en tant que "célébration communautaire" avec participation active de tous les fidèles. La liturgie était en grande partie privée, par exemple dans la célébration quotidienne de messes individuelles, avec peut-être un servant. Souvent les célébrations liturgiques étaient envisagées davantage comme actes de "piété personnelle" du célébrant, plutôt que comme la conduite par celui-ci de la communauté locale en prière.

Le mouvement liturgique, Vatican II et l'application de sa constitution sur la liturgie ont fortement changé les attitudes et les pratiques. La constitution a proclamé la liturgie le sommet auquel tend l'action de l'Eglise et, en même temps, la source d'où découle toute sa vertu. (49) Bien sûr, cela sous-entend que la liturgie n'est pas le tout de la prière. Comme "sommet" elle doit reposer sur un solide fondement. Néanmoins, comme en témoigne l'effort énorme investi par l'Eglise dans la réforme liturgique au cours des 30 dernières années, la liturgie joue un rôle extrêmement important dans la vie de la communauté chrétienne. De nos jours nous parlons de "piété liturgique".

2. Renouveau d'intérêt pour la prière personnelle

En même temps, et pas seulement parmi les chrétiens, l'enthousiasme pour la prière personnelle a été ranimé. Des cours dans les séminaires, les noviciats et les instituts de spiritualité mettent en valeur quelques classiques qui enseignent des méthodes de prière, par exemple Le Nuage de l'Inconnaissance, (50) L'Introduction à la Vie Dévote, (51) Récits d'un Pèlerin russe. (52) Il y a un renouveau des études et de l'intérêt porté à la prière des religions orientales et à l'usage des mantras. Thomas Merton a attiré notre attention sur la riche tradition de l'Eglise d'Orient en matière de contemplation (53) et sur la "sagesse du désert". Karl Rahner aussi a insisté sur la place centrale de la prière dans la spiritualité chré tienne. (54)

Des signes concrets de cet intérêt renouvelé sont donnés avec évidence par les groupes de prière, le mouvement charismatique, la naissance des communautés nouvelles et le renouvellement des pratiques dans mainte communauté religieuse traditionnelle.

3. Déplacement d'accent du personnel à l'interpersonnel et au social

L'un des dangers permanents pour la spiritualité chrétienne, c'est l'intimisme, une sorte de piété dans laquelle l'individu se laisse absorber par lui-même et se détache peu à peu de ses responsabilités interpersonnelles et sociales. La personne reste passive, presque immunisée contre la contagion du monde.

Saint Vincent a certainement évité cette tentation ! Mais certains de ses contemporains n'y ont pas réussi. Diverses formes de quiétisme ont été condamnées de son temps. (55) Les Quiétistes insistaient sur l'efficacité exclusive de la grâce dans un monde corrompu et plaidaient pour l'abandon complet à l'action de Dieu, l'individu restant passif.

Même si elle était plus saine que le quiétisme au temps de Saint Vincent, la piété tendait beaucoup à l'individualisme. Au 20_ siècle nous donnant une importance plus grande à la dimension interpersonnelle. La philosophie personnaliste a exercé une profonde influence sur la pensée et la pratique de nos contemporains. Martin Buber (56) a fait entrer le "Je et le Tu" dans notre vocabulaire.

Au-delà encore nous avons assisté à une insistance croissante sur le social avec une conscience accrue de l'interdépendance (57) de toutes les personnes et de toutes les réalités humaines. La constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps, proclame que les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes et des femmes de ce temps, des pauvres surtout, et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ. (58) Depuis un siècle les encycliques sociales ont de plus en plus placé l'accent sur les responsabilités des chrétiens pour la justice dans le monde. (61) L'option préférentielle de l'Eglise pour les pauvres est sans cesse affirmée. (60) Les chrétiens sont encouragés à acquérir une vision universaliste du monde et à jouer leur rôle dans la "transformation du monde". (61)

Bien sûr, ces trois changements de perspective ne diminuent en rien l'importance de la prière mentale. Ils en donnent plutôt le contexte. Si la liturgie est "la source et le sommet" de l'action imprégnée de prière de l'Eglise, la réflexion sur le mystère du Christ, les Evangiles et la condition humaine, en sont les pierres de base. Si les hommes et les femmes d'aujourd'hui, surtout les jeunes, témoignent d'un intérêt renouvelé pour diverses formes de prière, la prière mentale ou méditation en est l'une des formes significatives. S'il y a une forte tendance à critiquer l'intimisme en spiritualité et s'il y a une volonté de développer son aspect interpersonnel et social, il y a là autant de voies pour élargir les horizons de la prière mentale et pour en préciser la visée.

III. LA PRIERE MENTALE AUJOURD'HUI

Karl Rahner le dit très clairement : "L'expérience personnelle de Dieu est au coeur de la spiritualité". (62) Saint Vincent le savait, aussi maintes fois il a encouragé les confrères et les Filles de la Charité à prier.

Les Règles Communes qu'il a rédigées pour la Congrégation de la Mission exigeaient une heure de prière mentale par jour. (63) Les Constitutions de la Congrégation de la Mission de 1984 ont modifié cela en parlant de faire personnellement oraison, chaque jour, pendant une heure, selon la tradition léguée par Saint Vincent. (64) Alors que cette prescription est clairement plus large que celle des Règles Communes, elle réclame sûrement un temps de prière mentale important. (65) Les premières Règles des Filles de la Charité demandait deux périodes d'une demi-heure ; (65) leurs Constitutions actuelles (67) les appellent à prendre une heure d'oraison quotidienne.

De nos jours, surtout à la lumière du deuxième changement de perspective mentionné plus haut, une grande variété de méthodes peut être proposée comme aide pour la prière mentale. Permettez-moi de les grouper schématiquement sous quatre chefs.

Je voudrais maintenant illustrer brièvement chacune de ces méthodes

1. La prière de l'esprit. Fondamentalement, c'est la méthode proposée par Saint Vincent. Un disciple de Saint Vincent se servant de cette méthode pour méditer sur l'humilité, procédera comme suit :

a. Nature - Qu'est-ce que l'humilité ?

Il cherchera dans les Ecritures des passages qui parlent de l'humilité. il pourra réfléchir, par exemple, sur Luc 1, 46, le Magnificat et la gratitude de Marie pour les multiples dons de Dieu. Ou bien il pourra choisir Phil 2, 5 où Jésus prend la condition de serviteur, s'humilie et se fait obéissant jusqu'à la mort. Il pourra choisir Marc 9, 33 où Jésus parle de l'humilité requise des chefs. Il se demande : qu'est cette humilité recommandée par les Evangiles ? En quoi consiste-t-elle ? Petit à petit, il peut en venir à formuler des convictions personnelles telles que : l'humilité c'est reconnaître que je suis une créature, que je dépends de Dieu en tout. C'est admettre que je suis racheté, que je pèche souvent et que j'ai besoin de l'aide de Dieu pour me convertir. Je suis lent à me passionner pour les valeurs de l'Evangile. Je parle trop facilement des côtés négatifs du prochain. Je me conforme trop facilement aux structures sociales injustes. Mais aussi, je suis certain que le Seigneur désire ardemment me pardonner et j'ai grande confiance en son pouvoir de me guérir. L'humilité est aussi la gratitude pour l'abondance des dons de Dieu. Comme Marie, la personne humble s'écrie : "Le Puissant fit pour moi des merveilles. Saint est son nom". (68) L'humilité implique une attitude de serviteur. Comme Jésus, nous sommes appelés "non à être servis, mais à servir". (69) L'humilité conduit encore à se laisser évangéliser par les pauvres, "nos Seigneurs et nos Maîtres", comme Saint Vincent aimait les appeler. Cela implique d'écouter attentivement et d'apprendre.

Une autre voie sera pour lui de rechercher dans les écrits de Saint Vincent ou la tradition vincentienne ce qui concerne l'humilité. Il pourra consulter les Règles Communes (II, 6-7 ou X, 13-14) et considérer les moyens proposés par Saint Vincent pour acquérir l'humilité. Il pourra aussi aller voir ce que disent des auteurs classiques ou contemporains sur ce sujet.

Le point de départ pour cette méthode, c'est la réflexion, le raisonnement. Cela est très important à une certaine étape de la vie spirituelle parce qu'une personne doit examiner à fond et rationnellement ses valeurs personnelles et leur signification concrète, sous peine de se faire des Evangiles une image floue. Pour un membre de la communauté, il est important de savoir articuler de façon cohérente, pour lui-même et pour autrui, quelles sont ses valeurs.

b. Motifs - Pourquoi dois-je être humble ?

Les sources citées plus haut fournissent de nombreux motifs. Selon Math 18, 4, les humbles ont la plus grande importance dans le Royaume des Cieux. D'après Phil 2, 9, c'est précisément à cause de cette attitude, trouvée en Christ Jésus, que Dieu l'a exalté. Saint Vincent nous présente l'humilité comme le fondement de la perfection évangélique et le coeur de la vie spirituelle. (70) Il affirme également qu'elle engendre la charité. (71) Des auteurs contemporains insistent sur la nécessité de reconnaître notre dépendance totale par rapport à Dieu, et de chanter notre louange et notre reconnaissance pour ses dons.

Une fois de plus, l'accent est ici placé sur la réflexion et le raisonnement, mais elles sont orientées vers des actes de la volonté ; par exemple, la confiance dans le Seigneur, l'amour, la gratitude, la soumission à sa volonté.

c. Moyens - Comment puis-je grandir en humilité ?

Le missionnaire qui médite pourra trouver de nombreux moyens :

1. faire des choses humbles, comme nettoyer la maison ou vider les bassins des malades

2. se laisser évangéliser par les pauvres

3. faire attention aux qualités plutôt qu'aux défauts du prochain

4. acquérir une mentalité de serviteur plutôt que de patron.

En tout cela, il faut bien se rendre compte que le but n'est pas purement la réflexion, un exercice mental, ni d'affiner son habileté à raisonner ou à s'exprimer. Le but immédiat c'est la prière affective, laissant son coeur entrer en conversation avec le Seigneur. Cette conversation devra aboutir à des résolutions concrètes et à changer de vie. Si nous sommes fidèles, la prière deviendra plus simple, moins verbale et elle conduira à la contemplation, où Dieu s'empare de plus en plus du coeur.

La prière de l'esprit est très importante, à diverses étapes de la vie d'une personne. Surtout au temps de la formation initiale, il est impérieux pour un jeune, d'en venir aux prises avec le sens des valeurs évangéliques. A moins que la personne ne sache articuler ces valeurs d'une façon qui soit porteuse de sens pour elle-même et pour les autres, l'Evangile risque de paraître inconsistant. Il y a toute une série de sujets qu'un Vincentien ou une Fille de la Charité peut examiner avec grand profit. De fait, Saint Vincent conduisait ses Communautés à l'aide de thèmes semblables, en leur demandant de s'engager dans la prière mentale et ensuite en se joignant à elles par les conférences et les répétitions d'oraison. A différentes étapes de notre formation initiale et permanente, nous aurons beaucoup à gagner en recourant à la prière de l'esprit sur les thèmes suivants :

- le profond amour humain de Jésus

- sa relation avec Dieu le Père

- le royaume qu'il a annoncé

- sa vie de communauté avec les apôtres

- sa prière

- le péché

- l'empressement de Jésus à pardonner, son pouvoir de guérison

- son attitude de serviteur

- son amour de la vérité, de la simplicité

- son humilité

- sa soif de justice

- son désir ardent de paix

- sa lutte contre la tentation

- la croix

- la résurrection

- la soumission de Jésus à la volonté du Père

- la bonté de Jésus, sa douceur

- la mortification

- le zèle apostolique

- la pauvreté

- le célibat

- l'obéissance

- la joie de Jésus et sa gratitude.

2. Prière de l'imagination. C'est au fond la méthode de Saint Ignace. Une Fille de la Charité, pour méditer sur le récit de la Passion en suivant cette méthode, pourra procéder comme suit :

a. Mettre en mouvement l'imagination.

Elle se rend en imagination sur les lieux. Elle observe leur disposition dans l'espace, Jérusalem, remplie de pèlerins venus pour célébrer la Pâque. Elle essaye d'entendre les rumeurs de la foule, de ressentir la chaleur du jour, de sentir les odeurs, de goûter ce que tous ces gens ont pu goûter. Elle regarde la scène pour voir qui est présent : les visages émus des pèlerins, les pharisiens, les scribes, les Romains, Jésus et ses disciples. Elle écoute ce qu'ils disent, elle ressent ce qu'ils ressentent. Elle note leurs caractéristiques personnelles.

b. Se mettre à la place de l'un des acteurs de la scène.

Se mettant à la place de Jésus, elle imagine, jusque dans les moindres détails, ce qu'il pense, ressent et fait. Elle aime avec lui. Elle s'attriste avec lui. Elle compatit avec lui. Elle souffre avec lui. Elle se voit abandonnée avec lui.

c. Poser des questions.

Elle se pose un ensemble de questions. Quelle personne suis-je dans cette scène ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a ici en Jésus qui me captive, qui me pousse à l'aimer? Y a-t-il une manière dont il attend de moi que je vive ce qu'il fait dans cette scène ? Qui ? Quoi ? Pourquoi ? Quand ? Comment ? Pour qui ? Est-ce que cela fait une différence ?

d. "Etre présent", en imagination.

Qui médite, retourne sur les lieux, mais cette fois comme un passant. Elle se contente de regarder, d'écouter, et se laisser travailler par la scène. Elle se tient près de la Croix, aux côtés de Marie et de Jean. Elle prend sa place parmi les spectateurs dans la foule. Elle se tient près de Pierre ou du larron pénitent.

e. Si la méditation porte sur un enseignement (par exemple le Sermon sur la Montagne), elle lit le texte trois fois, faisant une pause après chaque lecture : "Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux." (72)

La première fois elle se demande : Qu'est-ce que Jésus a dit ? Y ai-je fait attention? Elle peut aussi consulter un commentaire pour trouver le sens exact de ses mots. Qui sont les "pauvres en esprit" ? Qu'est-ce que le "Royaume de Dieu" à eux promis ?

La deuxième fois elle s'efforce d'écouter plus attentivement. Qu'est-ce que Jésus veut dire ? Que veut-il dire pour moi ? Souvent, les pauvres ne me paraissent pas heureux. Pourquoi Jésus dit-il qu'ils le sont ? Suis-je l'une de ces pauvres en esprit ? Suis-je vraiment heureuse ?

La troisième fois elle parle directement avec Jésus ou avec son Père au sujet du texte. Elle peut même visualiser la conversation, assise avec Jésus et ses disciples près d'un feu, le soir, au bord du lac, éprouvant une certaine crainte, mais en même temps un amour profond. Elle lui dit : "Seigneur, aide-moi à comprendre ce que tout cela veut dire. Je veux vraiment être pauvre en esprit, compter complètement sur toi. Je sais que tu m'aime. Je t'en prie, aide-moi."

3. Prière du coeur. De nos jours on l'appelle communément prière intérieure. Son expression classique se trouve dans des ouvrages tels que Le Nuage de l'Inconnaissance ou les Récits d'un Pèlerin russe. L'un de ses fameux initiateurs contemporains est Basile Pennington. (73) On peut la présenter sommairement en quatre règles.

Règle 1. Au début de la prière prenez une ou deux minutes pour vous apaiser, puis, dans la foi, allez à Dieu qui habite en vous.

Un laïc ou le membre d'une communauté qui s'engage dans ce genre de prière, cherchera d'abord un lieu tranquille. Puis il adopte une position détendue. il peut essayer de respirer profondément et régulièrement, de manière à se pacifier et ensuite à se centrer sur Dieu. Pour s'y aider, il peut porter son attention sur Galates 2, 20 : "Si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi. Bien sûr, je vis encore ma vie humaine, mais je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi."

Règle 2. Après être resté quelques instants au centre dans un amour plein de foi, choisissez un unique et simple mot ou phrase, qui exprime votre réponse et commencez à le 1aisser se répéter en vous.

Vous essayez de le faire simplement, sans effort. Vous choisissez un mot ou une phrase qui exprime ce qu'il y a de plus profond dans votre coeur : Dieu, l'amour, la prière de Jésus. Vous le répétez lentement, doucement : "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur". Ou peut-être :"Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute". (74) Ou : "Je t'aime, Seigneur ; je te remercie de ton amour". Il y a un vaste choix de phrase-prières : "Je ne manque de rien." (75) "Crée en moi un coeur pur." "Rends-moi la joie de ton salut". (77) "Vivre en sa présence dans l'amour." (78) "Meilleur est ton amour que la vie." (79) "Tu comptes beaucoup à mes yeux."(80) "Je suis venu pour qu'ils aient la vie.(8l) "Arrêtez, connaissez que moi je suis Dieu." (82)

Règle 3. Si, en cours d'oraison, vous prenez conscient de quelque autre chose, retournez doucement au mot-prière.

D'autres pensées et images font toujours intrusion. Par exemple, le priant peut se surprendre à examiner le mot-prière du point de vue de sa signification, ce qui doit être évité. il doit simplement répéter le mot en laissant son coeur aller à Dieu.

Règle 4. A la fin de la prière, accordez-vous plusieurs minutes pour en sortir, en priant le Notre Père.

Ce genre de prière nous conduit dans les profondeurs intérieures. Il n'est pas bon d'en être tiré brusquement (ce serait comme se réveiller brutalement d'un sommeil profond). Au contraire, le priant doit plutôt se détendre, demeurer en silence quelques minutes, dire la prière du Seigneur, se rappeler la présence de Dieu et puis conclure.

4. Lectio divina. Une quatrième méthode de prière, depuis longtemps en usage dans la tradition monastique de l'Eglise, c'est la Lectio divina. Des expressions classiques de cette méthode peuvent être trouvées dans les écrits des grands fondateurs monastiques.

Les Ecritures sont la source première, mais jamais exclusive, de la Lectio divina. L'Ecriture Sainte est au coeur de la vie de l'Eglise. La constitution dogmatique sur la Révélation divine nous dit que "dans les Saints Livres, le Père qui est aux cieux vient avec tendresse au-devant de ses fils et entre en conversation avec eux ; or la force et la puissance que recèle la Parole de Dieu sont si grandes qu'elles constituent, pour l'Eglise, son point d'appui et sa vigueur et, pour les enfants de l'Eglise, la force de leur foi, la nourriture de leur âme, la source pure et permanente de leur vie spirituelle." ((83) Pour tous les croyants, la Bible est l'eau qui donne vie à l'aridité de l'existence humaine, (84) la nourriture qui est plus douce que le miel, (85) le marteau qui brise le blindage de l'indifférence, (86) et le glaive à deux tranchants qui pénètre le refus obstiné. (87)

La prière et la spiritualité de Saint Vincent étaient profondément enracinées dans les Ecritures. Abelly, son premier biographe, a écrit de lui : "Il semblait sucer le sens des passages de l'Ecriture, comme un enfant le lait de sa mère, et en tirait la moelle et la substance pour en sustenter et nourrir son âme : ce qui faisait qu'en toutes ses actions et paroles il paraissait tout rempli de l'Esprit de Jésus-Christ." (88) Souvent aussi, il recommandait le recours à d'autres livres comme aide pour la prière, .

Le cardinal Carlo Maria Martini, archevêque de Milan, dans ses entretiens aux jeunes, propose souvent l'usage de la lectio divina. (89) Voici comment il en décrit la méthode :

a. Lectio. Le jeune lira et relira le texte, essayant de le comprendre dans le contexte immédiat et dans le cadre de l'ensemble des Ecritures. L'attention se concentre d'abord sur la question : qu'est-ce que le texte dit vraiment ? Le Cardinal conseille aux jeunes de prendre un crayon pour souligner les noms, verbes, adjectifs ou adverbes significatifs et pour écrire des notes en marge. Le texte sera lu lentement, de sorte que le lecteur laisse la Bible lui parler. Souvent ce texte révélera des choses différentes à différents moments de la vie du lecteur.

b. Meditatio. Si dans la lectio, l'attention se portait sur ce que dit le texte lui-même, dans la meditatio, l'accent est mis sur une nouvelle question : qu'est-ce qu'il me dit ? Quels sont les valeurs, les dispositions, les changements dans ma vie, qu'il demande ? Qu'est-ce qu'il dit aujourd'hui, dans l'ici et maintenant, en qualité de Parole vivante de Dieu et de voix de l'Esprit ?

c. Oratio. Ici le centre c'est la prière. Le message biblique suscite une réponse. Elle peut être la crainte du Seigneur, parce que je suis si loin de vivre ce que la parole de Dieu demande de moi. Ou cela peut être l'adoration du Dieu vivant qui a la bienveillance de se révéler à moi dans la prière. Cela peut être un appel à l'aide pour mieux mettre en pratique la Parole de Dieu. Dans tous les cas, l'oratio consiste à s'entretenir avec Dieu, en se servant du texte et de son message comme point de départ. Le centre de l'oratio, c'est : qu'est-ce que la Parole de Dieu me pousse à dire ?

d. Contemplatio. La prière devient contemplation quand elle va au-delà d'un passage particulier et se laisse absorber dans la personne de Jésus qui est présent derrière et dans chaque page des Ecritures. A ce stade, la prière n'est plus un exercice de l'esprit, mais elle est louange et silence devant celui qui est révélé, qui me parle, qui m'écoute, qui m'est présent comme ami, comme guérisseur, comme Sauveur. Dans la contemplatio, le priant goûte la Parole de Dieu et fait l'expérience de la vie de Dieu en lui.

Le cardinal Martini ajoute que tous ceux qui sont assidus à la lectio divina seront inévitablement conduits à expérimenter quatre mouvements durant le processus, comme l'ont souvent noté les Pères de l'Eglise. En fait, les mêmes termes, ou des termes similaires, sont communément employés pour décrire ce qui se passe si d'autres méthodes, par exemple celle de Saint Ignace, sont employées.

a. Consolatio. L'on goûte la bonté de Dieu, la grandeur du monde qu'il a créé, sa présence rédemptrice. Le priant se réjouit du mystère du Christ, de l'amour de Dieu, des béatitudes. La consolation est la joie du Saint-Esprit qui remplit le coeur quand nous contemplons le mystère du Christ révélé dans les Ecritures.

b. Discretio. La consolation donne naissance au discernement spirituel, qui est la capacité d'évaluer les divers mouvements intérieurs que je ressens dans mon coeur, de distinguer le bien du mal, de reconnaître mes motivations conflictuelles. C'est l'aptitude à identifier, dans ma situation présente (personnelle, ecclésiale, sociale, civile) les points qui sont en harmonie avec le message évangélique et ceux qui sont en désaccord avec lui. C'est la capacité de saisir toujours mieux et davantage l'esprit des béatitudes. C'est l'aptitude à penser de plus en plus comme le Christ.

c. Deliberatio. Le discernement conduit à la prise de décision, aux choix de vie ou à un engagement à agir en conformité avec la Parole de Dieu. C'est au stade de la deliberatio que la lectio divina donne naissance à des jugements concrets, basés sur l'Evangile.

d. Actio. Cette étape est le fruit de l'oraison. La priant accomplit des oeuvres de justice, des services caritatifs, écoute attentivement, travaille, se sacrifie et pardonne.

IV. QUELQUES REGLES PRATIQUES POUR PRIER

Je propose ces "règles" à ceux qui cherchent à prier tous les jours. Ce ne sont pas des principes abstraits, ni des conclusions démontrables par voie de déduction. C'est simplement un ensemble de règles pratiques dont l'expérience montre qu'elles aident ceux qui veulent prier. Alors que je prends la responsabilité de leur formulation, je me sais redevable d'une profonde dette de gratitude envers d'autres qui me les ont enseignées.

1. La fidélité dans la prière exige de la discipline. Saint Vincent y fait allusion quand il parle de la mortification comme une condition préalable à la prière. Il est important de se fixer un temps de prière et d'avoir un lieu pour prier. De même, il est très utile de se coucher à une heure raisonnable si l'on doit se lever tôt pour l'oraison. Aujourd'hui, alors qu'il y a beaucoup de diversions qui peuvent facilement nous soustraire à notre temps de prière (par exemple la télévision, la radio, les films, etc), on doit souvent renoncer à des alternatives bonnes et intéressantes pour être un priant fidèle.

2. La prière mentale exige du calme. Bien sûr, une communauté apostolique ne peut être complètement coupée du contact avec les pauvres, comme on le voit avec évidence dans les conférences de Saint Vincent aux Filles de la Charité. Néanmoins il faut choisir notre temps de prière à un moment où le bruit et les interruptions sont peu probables, où ni le téléphone ni la porte ne vont sonner. C'est l'une des raisons pour lesquelles les communautés ont traditionnellement choisi de prier tôt le matin, avant que ne commence le rythme rapide des activités de la journée. Selon Dietrich Bonhoeffer "le silence n'est autre chose que l'attente de la parole de Dieu". (90)

3. Il est important de se familiariser avec diverses méthodes, d'avoir pour ainsi dire un "répertoire de prières". (91) Les quatre types de prière décrits dans cet article peuvent rendre bien des services. Les différentes méthodes peuvent servir à différents moments de la vie. A un stade plus avancé de la vie, nous pouvons éprouver le besoin de retourner aux méthodes utilisées plus tôt.

4. Le priant a besoin d'être nourri. Parmi les éléments principaux de son alimentation il y a la lecture de l'Ecriture Sainte, de bonnes lectures spirituelles et, surtout dans une spiritualité apostolique, un contact vivant et intériorisé avec le Christ dans la personne des pauvres.

5. La prière devra conduire à une nouvelle définition de nous-même. (92) Grâce à elle, nos valeurs devront être redéfinies et prendre un caractère de plus en plus évangéliques. La prière devra entraîner une conversion permanente. Elle devra entraîner des actes de justice et de charité. Voilà pourquoi Saint Vincent insistait sur les "résolutions pratiques".

6. Le priant ne devra pas porter une attention exagérée à ce qu'il dit. Ce que Dieu communique est plus important. A long terme, l'oraison est affaire de relation. Bien que les paroles aient une place privilégiée dans une relation, la communication cependant va bien au-delà des mots. Quelques-unes de ses formes les plus profondes ne sont pas verbales. Ceux qui sont profondément amoureux peuvent souvent rester assez longtemps ensemble en disant très peu de choses. La "pure" présence est un signe de fidélité. De fait, Jésus nous met en garde contre la multiplication des paroles dans la prière. (93)

7. Vu notre pauvreté, notre prière sera souvent une prière de demande, mais il est très important aussi que votre prière prenne les autres "tonalités" bibliques : la louange, l'action de grâce, l'émerveillement, la confiance, l'angoisse, l'abandon, l'acceptation. La prière typiquement chrétienne est imprégnée d'action de grâce.

8. Comme le recommande Jésus, (94) nous devrons prier souvent pour faire ou accepter la volonté de Dieu, quelque soit la manière dont elle se manifestera dans notre vie. C'est ce que Saint Vincent avait en tête lorsqu'il recommandait l'indifférence comme prédisposition à la prière. Cela est particulièrement important aux moments de discernement.

9. Etant donné que nous sommes des êtres humains, et donc que nous sommes incarnés, les conditions physiques et d'environnement peuvent aider ou gêner notre prière. Les images, les bougies, l'encens, la beauté du cadre, un tabernacle, l'éclairage, la musique, tout peut être une aide pour la prière.

10. Les distractions sont inévitables parce que notre esprit est incapable de se concentrer trop longtemps sur un même sujet. Quand les distractions sont persistantes, il vaut souvent mieux se concentrer sur elles que de les fuir, et d'en faire le sujet de notre entretien avec le Seigneur.

11. Le partage de la prière peut être très bénéfique. Les lumières de chacun d'entre nous sont limitées. Nous pouvons tirer grand profit de celles des autres. Le témoignage de foi des autres peut approfondir notre propre foi. C'est sûrement l'une des raisons pour lesquelles Saint Vincent a encouragé les répétitions d'oraison fréquentes. Bien que cette pratique soit tombée dans le formalisme au cours des années, elle peut actuellement trouver des formes beaucoup plus flexibles.

12. La fidélité à la prière exige de la persévérance. La recherche de Dieu est un long voyage dans lequel le priant escalade des montagnes, descend dans des vallées et quelque fois s'immobilise sur un replat. Saint Vincent, pour encourager les Filles de la Charité, leur rappelle que Sainte Thérèse a été, durant 20 ans, incapable de méditer, alors même qu'elle participait fidèlement à la prière. (95) Parfois, nous pouvons avoir l'impression que nous "perdons notre temps" en prière (96) ou nous pouvons faire l'expérience de longues "sécheresses" (97) et être tenté d'abandonner. Nous devons résister à cette tentation. Le voyage nous vaudra de grandes récompenses.

13. Le critère ultime de l'oraison sera toujours la vie : "A leurs fruits vous les reconnaîtrez". (98) Malheureusement, l'expérience démontre que certains de ceux qui prient très régulièrement peuvent être des gens très difficile à vivre. On pourra dire charitablement qu'ils seraient pires encore s'ils ne priaient pas. Mais, en même temps on a le droit de se demander si leur prière a quelque vrai rapport avec la vie. En dernier ressort nous ne pouvons pas juger, dans un cas individuel, de ce qui se passe vraiment entre Dieu et une personne dans le tréfonds de son être. Mais en général on peut conclure qu'il y a sûrement quelque chose qui va fort mal dans une prière qui ne produit pas de changement dans la vie.

"Donnons-nous à Dieu" répète Saint Vincent, aussi bien aux missionnaires qu'aux Filles de la Charité. (99) Il a une profonde confiance en Dieu, qu'il regarde à la fois comme père et mère (100) dans la main duquel il peut se mettre lui-même avec ses oeuvres. Le journal rédigé par Jean Gicquel raconte comment Saint Vincent dit à MM. Alméras, Berthe et Gicquel, le 7 juin 1660, juste quatre mois avant de mourir : "Se consommer pour Dieu, n'avoir de bien ni de forces que pour les consommer pour Dieu, c'est ce que Notre-Seigneur a fait lui-même, qui s'est consommé pour l'amour de son Père." (101)

Ce grand homme d'action était aussi un contemplatif, saisi par Dieu et consumé par son amour. Sa contemplation de l'amour de Dieu débordait dans un amour concret pour les pauvres. Il encourage ainsi ses fils et ses filles :

Donnons-nous bien tous à cette pratique de l'oraison, puisque c'est par elle que nous viennent tous les biens. Si nous persévérons dans notre vocation, c'est grâce à l'oraison ; si nous réussissons dans nos emplois, grâce à l'oraison ; si nous ne tombons pas dans le péché, grâce à l'oraison ; si nous demeurons dans la charité, si nous sommes sauvés, tout cela grâce à Dieu et à l'oraison. Comme Dieu ne refuse rien à l'oraison, aussi il n'accorde presque rien sans oraison." (102)

_________________________

1- Il emploie faire oraison 30 fois, méditer 6 fois seulement.

2. Il y a un bon nombre d'études importantes sur l'enseignement de Saint Vincent au sujet de la prière. Voici un bref choix de titres qui peuvent aider le lecteur. André Dodin, En prière avec Monsieur Vincent (Paris, Desclée de Brouwer, 1982) ; Joseph Leonard, Saint Vincent de Paul and the Mental Prayer (New York, Benziger Brothers, 1925) ; Arnaud d'Agnel, Saint Vincent de Paul, Maître d'Oraison (Paris, Pierre Téqui, 1929) ; Jacques Delarue, L'Idéal Missionnaire du Prêtre d'après Saint Vincent de Paul (Paris, Missions Laza ristes, 1947) ; Antonino Orcajo & Miguel Pérez Flores, San Vicente de Paul II, Espiritualidad y Seleccion de Escritos (Madrid, Bac, 1981) 120-135. Il y a divers recueils de prières de Saint Vincent, dans la plupart des langues modernes. Ils sont semblables à celui présenté par A. Dodin dans le livre cité plus haut.

22. Règles Communes I, 1

23. SV XII, 125-27.

24. SV IX, 32, 217 ; X, 569 ; cf. aussi IV, 139, 590 ; I, 134 ; cf. X, "N'est-ce pas faire une bonne méditation que d'avoir toujours la pensée de la mort et passion de Notre-Seigneur dans le coeur ?"

37. cf. SV X, 587 ; cf. François de Sales, Introduction à la vie dévote, Deuxième partie de l'introduction, ch. 1-10 ; Traité de l'Amour de Dieu l. IV, c. 1-15 ; cf. aussi A. Dodin, François de Sales / Vincent de Paul, les deux amis (Paris, OEIL, 1984) 65-67.

50. Anonyme, The Cloud of Unknowing. Trad. fr. A. Guerne, Le Nuage de l'Inconnaissance (Paris 1953, 1957, 1977) ; M. Noetinger, Le Nuage de l'Inconnaissance et les épîtres qui s'y rattachent ( Tours, 1 925 ; Solesmes, 1977 ).

51. François de Sales, Introduction à la vie dévote.

52- Anonyme, Récits d'un pèlerin russe, Editions fr. Jean Gauvain, coll. Cahiers du Rhône, série blanche 12, Neuchâtel 1943 ; J. Laloy, Paris, 1966, coll. Livre de vie ; Paris, 1978, coll. Points-Sagesse.

55. Une intéressante manière de voir : cf. L. Dupré ; Jansénism and Quiétism, Christian Spirituality III, Post-Reformation and Modern (New-York, Crossroad, 1989) 130-141.

59. Synode des Evêques, 1971, La justice dans le monde, in AAS LXIII ( 1971 ) 924.

64. Constitutions 47. Pour l'histoire et le contexte de l'article 47, cf. Miguel Pérez Flores,"Oracion personal diaria, en privado o en comun, durante una hora", Anales 95 (#3) ; mars 1987) 162-168.

65. Statut 19

66. Règles, IX, 1-2.

67. Constitutions 2.14 ; cf. aussi SV IX, 29.

70 Règles Communes II, 7.

90. D. Bonhoeffer, De la vie communautaire, traduction de Fernand Ryser, coll. Traditions chrétiennes, n.10 (Ed. Paris, Cerf / Genève, Labor et Fides, 1983).

93 Mt. 6, 7 ; cf. SV XII, 328 : dans le contexte de la prière de l'office, Saint Vincent, à la suite de Chrysostome, compare le débit irréfléchi de formules de prières à l'aboiement des chiens.

94 Pour une expression caractéristique de l'attitude de Saint Vincent devant Dieu, cf. SV XII, 133-134, 146-147.

PRIERE DE

L'ESPRIT

PRIERE DE

L'IMAGINATION

PRIERE DU

COEUR

LECTIO DIVINA

1 Nature - Qu'est- ce que l'humilité?

- rechercher dans les Ecritures.

- rechercher dans les écrits de Saint Vincent.

- rechercher dans des auteurs classiques ou contemporains.

2. Les motifs - Pourquoi dois-je être humble ?

- Rechercher dans les Ecritures.

- rechercher dans les écrits de Saint Vincent.

- rechercher dans des auteurs classiques ou contemporains.

3. Moyens - Comment puis-je grandir en humilité ?

- en faisant des choses humbles

- en acceptant d'être évangélisé par les pauvres.

- en remarquant le bien chez les autres, plutôt que leurs fautes.

- en développant une attitude de serviteur.

1. Mettre en oeuvre l'imagination en se concentrant sur une scène de l'Evangile.

2. Prendre le rôle d'un des personnages de la scène.

3. Poser les questions:

Quoi ?

Qui ?

Pourquoi ?

Comment ?

4. "Etre présent" en

imagination,

retournant à la

scène comme

un passant.

5. Si la méditation

porte sur un

enseignement,

lisez le texte trois fois, mais

de façons différentes.

1. Au début de la

prière, prenez

une ou deux

minutes pour

vous pacifier,

puis, dirigez- vous dans la foi

vers Dieu qui

habite en vous.

2. Après être demeuré un peu

dans un amour plein de foi,

prenez un simple

mot ou une

phrase qui

exprime votre

réponse et com-

mencez à le laisser se répéter

lui-même en vous.

3. Si, au cours de la prière, vous prenez conscien-

ce de quelque

chose d'autres,

doucement,

revenez au mot-

prière.

4. A la fin de la prière, prenez

plusieurs minutes

pour sortir, en

priant le Notre

Père.

1. Lectio - Qu'est-

ce que le texte dit vraiment ?

2. Meditatio -

Qu'est-ce que

le texte me dit ?

3. Oratio -

Parler à Dieu, en

se servant du

texte comme

point de départ.

4. Contemplatio -

Se laisser saisir par la personne de Jésus.