Le Supérieur local vincentien

Le supérieur Local vincentien

par Józef Kapuściak, C.M.

Assistant Général

9.VI.2001

La Commission Préparatoire de cette rencontre m'a chargé de vous parler du «Supérieur Local vincentien». Je vais essayer de satisfaire les conditions requises par la Commission, c'est-à-dire «ne pas faire une conférence mais faire une présentation du thème ayant pour ossature de référence quelques articles des Constitutions, des Statuts et du Guide pratique du Visiteur; d'être concret, de mettre en évidence les éléments principaux du thème et ne pas dépasser le temps alloué de 20 minutes».

I. Le Supérieur Local - une figure importante dans l'histoire de la Congrégation

Depuis les débuts de notre Congrégation, l'office de Supérieur Local a toujours eu une grande importance. Il suffit de rappeler brièvement quelques faits qui les confirment clairement.

L'office de Supérieur Local était fréquemment mentionné par saint Vincent tant dans ses paroles que dans ses écrits. Dans la Table Générale du XIVeme volume des Correspondance, entretiens, documents de saint Vincent dans l'édition de Pierre Coste, la liste de références ayant trait à cet office occupe trois pages entières (et il ne s'agit que ceux directs); ces mêmes références atteignent le chiffre de 200. Père Félix Contassot, sur la base de ces textes, a écrit le livre intitulé saint Vincent de Paul: Guide des Supérieurs, qui comprend environ 200 pages.

Dans le Code de Sarzana de 1653, manuscrit qui contient la première version des Règles Communes de notre Congrégation, nous trouvons une grande sixième section divisée en huit chapitres, exposant les règles particulières afférentes au Supérieur Local.

Dans la version définitive des Règles Communes de 1658, on n'y retrouve pas une telle section réservée au Supérieur Local, mais le rapport Supérieur - sujet est traité dans 63 des 142 articles, comme l'a souligné le Supérieur Général, Père Robert Maloney, dans sa récente étude sur la vie communautaire.

Toutefois dans la Congrégation, est toujours apparue la nécessité d'avoir des règles particulières pour les différents offices et c'est pourquoi très vite est né un important document: les Constitutiones et Regulae Visitatoris Inferiorumque Officialium Congregationis Missionis. Dans une des premières versions de ce document, peut-être la première, lithographiée probablement avant l'Assemblée Générale de 1668, nous trouvons une partie complète intitulée: Regulae Superioris Localis composée de 6 chapitres développés dans 42 pages! Ces Regulae officiorum, revues et modifiées par les Assemblées Générales successives ou par les Supérieurs Généraux, sont demeurées en vigueur, dans la pratique jusqu'à la période avant Vatican II; en effet leur dernière révision a été faite par le Supérieur Général, William Slattery en 1961.

Dans les Constitutions de 1954 mises à jour en particulier pour la partie concernant l'administration de la Congrégation en conformité au Droit Canonique de 1917, les affaires du gouvernement occupent presque la moitié du document et précèdent les vœux et ministères. Le chapitre XVI, composé de neuf articles, est entièrement consacré à la description de l'office du Supérieur Local.

Il est nécessaire d'ajouter que certains Supérieurs Généraux ont aussi été très sensibles à ce thème et leurs circulaires faisaient souvent état des divers aspects liés à l'exercice de la fonction du Supérieur Local. Père Fiat, dans son Manuel des Supérieurs de la Congrégation de la Mission, publié en 1901, y a inclus une bonne partie de ces circulaires.

La lecture de ces documents, même très rapide, fait apparaître la physionomie du Supérieur Local comme «un père tout puissant». Selon les règles établies, il intervient directement dans tous les aspects de la vie quotidienne de la communauté, du travail et dans les problèmes qui ont trait à la vie personnelle de chaque confrère, y compris leurs problèmes de conscience. Et chacun doit croire que «la volonté de Dieu s'exprime par celle exprimée par le Supérieur»…

II. Le Supérieur Local vincentien dans les nouvelles Constitutions

Après le Concile Vatican II, nous le savons, beaucoup de choses dans l'Église et aussi dans notre Congrégation ont changé. En autre la manière de concevoir l'autorité est changée: on est passé d'un mode plutôt monarchique à un mode plus participatif qui favorise le dialogue, les échanges, la consultation, la communication, l'information, la coresponsabilité, la communion. Ce changement s'est aussi opéré dans nos nouvelles Constitutions, approuvées par le Saint-Siège le 29 juin 1984 et entrées en vigueur le 25 janvier 1985.

  1. Principes généraux

Ceci peut se vérifier notamment dans le chapitre de la vie communautaire (art. 24, 2°-27), et tout particulièrement dans la première section de la troisième partie des Constitutions, où sont présentés les principes généraux du gouvernement de la Congrégation (art. 96-100). Permettez-moi d'en citer deux fondamentaux:

Le premier principe: «Tous les Confrères, du fait de la vocation qui fait d'eux des continuateurs de la mission du Christ, ont le droit et le devoir de collaborer au bien de la Communauté apostolique et de participer à son gouvernement, conformément à son Droit particulier. Tous, en conséquence, coopéreront d'une façon active et responsable dans l'accomplissement de leurs fonctions, dans la prise en charge des projets apostoliques et l'exécution des ordres reçus». (Art. 96).

Le second principe: «Tous ceux qui, dans la Congrégation, exercent l'autorité, venue de Dieu, ou qui y participent à quelque niveau que ce soit, même dans les Assemblées et les Conseils, auront devant les yeux l'exemple du Bon Pasteur, venu non pour être servi mais pour servir. C'est pourquoi, conscients de leur responsabilité devant Dieu, ils se considéreront comme des serviteurs de la communauté, en vue de réaliser la fin qui lui est propre, selon l'esprit de saint Vincent, dans une véritable communion d'apostolat et de vie. Ils engageront donc le dialogue avec leurs Confrères, restant sauf leur propre pouvoir de décider et de prescrire ce qu'il y a lieu de faire.(Art. 97 §1 et 2).

Ces principes, et en particulier le second, sont très clairs et concernent aussi le Supérieur Local. Son office est décrit spécialement à partir des articles 129 à 134 des Constitutions et dans les articles 78 et 79 des Statuts.

  1. Aspects juridiques

Presque tous ces articles ont, par nature, un caractère juridique (C. 130-133; S. 78-79). Mais nous y trouvons aussi des éléments de base qui nous permettent de tracer le profil humain et spirituel du Supérieur Local. En outre, nous pouvons définir son rôle important dans la communauté. Arrêtons-nous d'abord sur ces aspects avant de passer à d'autres points.

a) Conditions juridiques requises. Notre droit particulier fixe les conditions que le Supérieur Local doit remplir et celles-ci sont décrites dans les articles 61 et 100 des Constitutions. A savoir: 1° qu'il soit «incorporé à la Congrégation depuis trois ans au moins et âgé de vingt-cinq ans révolus», et 2° qu'il «soit revêtu d'un ordre sacré». Ce pendant, cette dernière condition n'est pas absolue car un frère incorporé peut devenir Supérieur Local, si la situation le nécessite et si le Père Général en obtient la permission de la Congrégation pour les Instituts de la Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique. Nous avons déjà un tel cas dans une des provinces des États-Unis.

b) Mode de désignation. Les Constitutions prévoient deux procédures possibles pour désigner le Supérieur Local:

- 1° Il peut être nommé par le Visiteur, ou par le Supérieur Général pour des communautés qui sont sous sa dépendance, avec le consentement des Conseils respectifs (C. 125, 4; 107, 8), et après consultation des Confrères de la Maison ou de la Communauté Locale (C. 130 §1).

- 2° Il est aussi possible à L'Assemblée Provinciale de déterminer un autre mode de désignation du Supérieur Local, (C. 130 §2). Il semble que jusqu'à présent aucune province n'a utilisé cette seconde éventualité.

c) Durée du mandat. Le supérieur Local est nommé pour trois ans. Aux mêmes conditions, il peut être nommé dans la même Maison ou Communauté Locale pour un second triennat. Après le second triennat, si c'est nécessaire, le Visiteur doit recourir au Supérieur Général (C. 130 §1). Bien que les Constitutions ne le précisent pas, mais il est très important et suggéré par les canonistes, que le Visiteur - pour éviter d'éventuelles confusions - précise par écrit comment est déterminée la durée du mandat: date de la nomination ou confirmation, date de l'installation ou du début de la prise en charge de cet office.

d) Pouvoirs du Supérieur. Conformément à notre droit particulier, «Le Supérieur Local possède le pouvoir ordinaire, au for interne et au for externe, pour ses Confrères et les personnes résidant jour et nuit dans la Maison; il peut aussi déléguer ce même pouvoir à d'autres». (C. 131).

e) Droits et devoirs. Le document du Saint-Siège sur les rapports entre évêques et religieux dans l'Église, Mutuae Relationes, du 14 mai 1978 suggère qu'il soit utile d'accommoder les obligations de l'autorité des Religieux et de la Société de Vie Apostolique, selon la triple fonction du ministère sacerdotal: sanctifier, former et gouverner. Les Constitutions ne suivent pas ce conseil mais précisent concrètement ce que le Supérieur Local doit faire. Une liste complète de ses devoirs est formulée dans l'article 78 des Statuts.

f) Relève de la charge. Les Constitutions prévoient que le Supérieur peut être relevé de sa charge (C. 133) mais ne spécifient pas dans quels cas. Elles se limitent à constater ce qu'il peut arriver si le Visiteur avec le consentement de son Conseil et l'approbation du Supérieur Général «estimera qu'il y a une cause juste et suffisante». Selon nos canonistes ces causes justes et suffisantes peuvent être de nature personnelle, communautaire ou ecclésiale. Donc il s'agit de cas très différents de ceux décrits par le droit commun et le Canon 194 du Code de Droit Canonique, (c'est-à-dire l'abandon de l'état clérical; l'abandon public de la foi catholique; le clerc qui a attenté un mariage même civil).

  1. Nature de l'office et qualités humaines et spirituelles requises

Le Guide pratique du Visiteur (268-269) souligne l'importance du choix et de la nomination des Supérieurs locaux, mais rien ne mentionne quelles doivent êtres ses qualités humaines et spirituelles. Dans le numéro 270 il est seulement mentionné qu'ils doivent être «appropriés» au projet du Visiteur.

Les nouvelles Constitutions contrairement aux précédentes, ne font aucune mention aux qualités humaines et spirituelles requises pour être Supérieur. Toutefois, la manière dont est décrit l'office, même si cela est fait brièvement, permet de déduire quelles doivent être les qualités de celui qui est nommé.

Le Supérieur Local est défini comme «Centre d'unité, animateur de la vie de la Communauté Locale». De plus, il précise qu'«il doit favoriser les ministères exercés par la Maison et avoir souci […]du progrès et de l'activité de chacun». (C. 129 §2).

1° Être un centre d'unité demande un dialogue constant avec chaque confrère et toute la communauté (Cf. 24, 2°). En même temps, comme le stipulent les Constitutions, le Supérieur Local maintient «le pouvoir de décider et commander ce qu'il y a lieu de faire» (C. 97 §2). Ces deux derniers termes «décider» et «ordonner» sont très forts. Décider, puis ordonner, peuvent facilement bloquer la communication. Il peut aussi arriver que ceux qui ne sont pas d'accord avec la décision prise et l'ordre donné se sentent défavorisés et peu à peu prennent de la distance. Le Supérieur doit en être conscient et doit savoir avec discernement maintenir l'équilibre entre le dialogue et l'autorité de décider et d'ordonner ce qui doit être fait.

Être animateur de la communauté c'est la principale tâche du Supérieur. Saint Vincent le reconnaissait quand il disait: «Ce qui est l'âme et le cœur à un corps, cela même est le Supérieur à la communauté». (XIII, 144). Mais ce devoir peut être compris et interprété de manière différente selon les personnes. Je crois que nous aussi, ici présents, avons des conceptions différentes de ce sujet.

Si nous voulons trouver une inspiration chez saint Vincent, lui-même nous dirait que: «Les Supérieurs sont comme les pilotes qui doivent conduire un navire sur la mer». (X, 262).

Le successeur de saint Vincent, Père Richard McCullen, dans une conférence aux Supérieurs locaux tenue dans cette maison il y a quelques années, a dit entre autres:

Au risque de proposer une vue trop large du devoir de l'animation, je pense[…] que une bonne animation ne signifiera pas seulement une bonne administration mais une conduite douce de la communauté vers une meilleure connaissance et une plus grande fidélité aux idéaux de saint Vincent tels qu'ils ont été formulés et authentiquement interprétés pour nous dans les Constitutions et Statuts qui nous ont été donnés de notre temps et pour notre temps.

[…]La bonne animation d'une communauté impliquera aussi la reconnaissance des talents et des dons des Confrères à l'intérieur de la communauté Locale, reconnaissance accompagnée de l'encouragement de la part du Supérieur à les utiliser, particulièrement les dons et talents que le Supérieur lui-même peut ne pas posséder ou ne possède en réalité». (Cf. 129 §1 et 2).

Nous partageons totalement ou partiellement cette interprétation du rôle d'animateur. Mais nous ne pouvons pas nier qu'être animateur de la vie communautaire, apostolique et spirituelle, comme être centre d'unité implique que le Supérieur ait certaines qualités humaines et spirituelles.

3°Qualités humaines et spirituelles. Le Père Perez Florez, dans l'épreuve du Guide pratique pour les Supérieurs locaux qu'il est entrain de préparer, en présente une description détaillée. Par manque de temps je me contenterai de lister les principales.

Le Supérieur Local doit être: humainement mature, sociable, responsable, simple, humble, patient, prudent, pacifique, respectueux envers les autres, sensible aux besoins des Confrères aînés et malades, bien organisé, homme de foi et de prière, fidèle à l'esprit et au charisme vincentien et avoir le sensus Ecclesiae.

Bien que cela soit également précisé dans le Guide pratique du Visiteur (n°268), souvent les Visiteurs n'ont pas beaucoup de choix et ne trouvent pas des candidats «idéaux» à la charge des Supérieurs locaux par manque de personnes, mais peut-être il est nécessaire qu'ils tiennent compte des conseils de saint Vincent dans ce domaine.

Selon notre Fondateur ne sont aptes: «ni ceux qui recherchent cette charge (IV 545), ni les jeunes gens (V 351), ni les saints, les savants et les vieillards en tant que tels (IX 517; 668; XII, 48-50) mais bien ceux qui ajoutent à la science l'esprit de conduite et un bon jugement (XII 50) et ont l'amour de la règle et de leur vocation». (XIII 356).

Avec ces quelques paroles de saint Vincent je dois terminer car mon temps est déjà terminé. Merci pour votre attention et votre patience.

Félix Contassot, saint Vincent de Paul, Guide des Supérieurs, Paris 1964.

Cf. Codex Sarzana, Vincentiana 4-5 (1991), p. 379-393.

Cf. Robert Moloney, Comme des amis intimes, Vincentiana 4-5 (2000), p. 340.

Archives de la Maison-Mère, Constitutiones et Regulae Visitatoris Inferiorumque Officialium Cong.is Miss.is, ms registre 650, p. 173-236.

Regulae Officiorum Congregationis Missionis, t. 1-2, Paris 1850; 1891.

Manuel des Supérieurs, Paris 1901, p.108-162.

Cf. Yves Danjou, Le gouvernement de la Congrégation de la Mission selon les nouvelles Constitutions, Vincentiana 4-5, 2000, p. 383-390.

Cf. Miguel Pérez Flores, El Superior local de la Congregación de la Misión, Épreuve, p.59.

Idem p. 60.

Cf. Richard McCullen, Mission au cœur de la Mission. Le Supérieur local, Bulletin des Lazaristes de France, avril 1998, p. 108.

Cf. Perez Florez, op. cit., p. 4-16.

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