L'engagement missionnaire des Chrétiens vis-à-vis des Musulmans au Proche-Orient

L'engagement missionnaire des Chrétiens

vis-à-vis des Musulmans au Proche-Orient

Par S.B. Ghattas Stephanos II

I. TROIS OBSERVATIONS PRELIMINAIRES

1ère Observation:

Il y a deux courants dans l'attitude et le comportement des Musulmans dans la région du Proche-Orient:

1. Un courant rigide-intégriste, fondamentaliste, qui appelle à la création d'un Etat Islamique, régi par la loi musulmane, la «Schari'a», dans le fonds et dans la forme. Il a des adeptes dans tous les milieux et tous les domaines de la Société: économique, politique, culturel et médiatique. C'est un appel à un retour à l'époque d'or de la société musulmane, durant la domination de l'Empire Musulman, qui s'étendait de l'Inde à l'Espagne, et qui a gouverné pendant des siècles. C'est la rêve e l'ambition de millions de Musulmans.

Il prend racine dans l'indifférentisme religieux des Occidentaux et la précarité de la prédication évangélique. Les intégristes musulmans voient le champ libre pour répandre leurs idées, et saisissent l'opportunité pour établir l'Islam, comme seule Religion et seule Civilisation, face à la Civilisation décadente de l'Occident dit Chrétien. Pour ce qui nous intéresse dans notre région du Proche-Orient, ce courant intégriste exclut et entend éliminer la présence des Chrétiens dans le monde musulman, considérant cette présence comme une entrave à l'unité des Musulmans et à l'instauration d'un Etat purement Islamique.

Mais, se trouvant dans l'impossibilité d'éliminer les Chrétiens, ou de les pousser à l'émigration, ils cherchent par tous les moyens de faire des Chrétiens des citoyens de seconde zone, en les privant de leurs droits à participer à l'administration, et à occuper des postes-clés dans le gouvernement, les excluant même de l'armée et de la police. Nous comprenons dès lors les soit-disant persécutions et les discriminations des Chrétiens.

2. Un courant laïc, qui appelle au nationalisme, non à l'appartenance religieuse.

Ce courant a commencé à gagner des adeptes dans les milieux cultivés, grâce à l'encouragement des gouvernants. Il se compose surtout des penseurs, des hommes de lettres, des journalistes, des professeurs d'Université… Il reste quand même faible et restreint, et n'atteint pas la masse… Le nationalisme reste la pierre angulaire sur laquelle se bâtit la relation du citoyen à sa Patrie, et du citoyen avec ses concitoyens.

Les protagonistes de ces deux courants se font un combat acharné. La rêve intégriste est confronté par le courant laïcisant, se disputant la prise du pouvoir et la conscientisation des jeunes et de la foule. Les Chrétiens, bien entendu, s'efforcent de donner une forte contribution au courant laïc.

2e Observation:

La division des Chrétiens continue d'être une pierre d'achoppement pour les Musulmans dans la compréhension de la doctrine et de la morale chrétiennes. La multiplicité des Eglises s'opposant entre elles et se critiquant mutuellement reste une cause des plus graves pour les Musulmans de non-véracité de la foi chrétienne, basée essentiellement sur la charité. «C'est à ce signe - à l'amour que vous aurez les uns pour les autres - que tous vous reconnaîtront pour mes disciples», avait dit Jésus (Jean 13:35).

Les Eglises Orthodoxes, d'une façon générale, se considèrent des Eglises nationales, authentiques, et sentent avec amertume la présence, le zèle et le dynamisme des Eglises Catholiques et Protestantes, et ne font que répéter le mot «prosélytisme», comme étant le grand forfait de ces Eglises, à l'encontre de leurs fidèles…

Les Musulmans s'interrogent sur les causes de l'oppositions des Chrétiens entre eux, et des efforts des Eglises rivales à supplanter l'une l'autre, et voient en cela l'accomplissement de ce que le Coran avait déjà proclamé: «qu'il y ait toujours de l'inimitié et de la haine entre les Chrétiens, jusqu'à la fin du monde».

Les Eglises chrétiennes ont donc un devoir impérieux de conserver l'unité entre elles, de se respecter, de s'aimer et de s'entraider dans la prédication de la Bonne Nouvelle, pour l'affermissement du Royaume du Christ, et d'éviter toutes sortes de critiques et d'oppositions, pour ne pas être un contre-témoignage pour les Musulmans.

3e Observation:

Personne nie le rôle positif et constructif de l'Eglise dans la Société musulmane, en particulier dans les domaines de l'éducation, de la culture, de la santé et du développement social. Les Musulmans eux-mêmes apprécient grandement la contribution des Chrétiens dans l'évolution, l'essor et la civilisation du monde arabe.

Cependant, ces efforts et ces différentes activités, tous bons en soi, restent isolés et disparates, et ne donnent pas une vision évangélique unifiée, avec un but bien déterminé. Il serait donc possible et opportun d'unifier les activités d'Organismes qui se ressemblent et se répètent dans les diverses Eglises, et de donner ainsi une vision claire et un témoignage éclatant de l'apostolat de l'Eglise, p. e. dans le domaine de l'éducation. Il est donc de toute urgence d'approfondir le sens de notre mission chrétienne et un témoignage clair du Christianisme dans la société arabe et musulmane.

Il ne faudrait pas aussi craindre d'affirmer que les Eglises, dans la multiplicité et la diversité de leurs croyances et de leurs activités, manquent de personnes qualifiées, de spécialistes, dans les diverses branches du savoir et de l'agir. Les différentes Eglises Catholiques, Orthodoxes et Protestantes doivent réviser leurs méthodes de la formation des prêtres, des catéchistes, des enseignants de la Doctrine chrétienne et des prédicateurs, ainsi que tous ceux qui se dévouent dans les diverses activités apostoliques et missionnaires. Sans vouloir calquer l'Occident, il ne faudrait pas avoir peur de s'ouvrir et de rénover, en maintenant saufs les principes et la substance.

Il est nécessaire que les Eglises répondent à l'appel et aux exigences actuelles de la société arabe et musulmane, par une formation adéquate et efficace des prêtres et des missionnaires, ayant une réelle appartenance à leur Patrie et à leur Société, avec autant d'appartenance à leurs croyances et à leur foi et leur Eglise.

Il faudrait aussi reconsidérer le rôle de la Paroisse dans la Société arabe. La Paroisse este la cellule primordiale de l'Eglise, c'est l'Eglise vivante; elle participe réellement et quotidiennement à la vie des Musulmans. Le Curé d'une petite Paroisse de campagne, dans un petit village, représente l'Eglise toute entière, et le Christianisme vécu, pour tous les habitants du village, Chrétiens et Musulmans. Par conséquent, le rôle du Curé de la Paroisse est un rôle irremplaçable dans l'enseignement et le vécu du contenu de la foi dans la vie des chrétiens, comme aussi dans la compréhension de celle-ci de la part des musulmans. De là, la nécessité pour tout prêtre d'une formation solide, humaine, culturelle, doctrinale et morale chrétiennes.

Ajouter à cela, le rôle considérable de la famille chrétienne dans la Société musulmane, et le témoignage éclatant qu'elle peut et doit donner de la vie chrétienne. Mais hélas! comment ne pas nous attrister devant la situation dégradante de certaines familles dites chrétiennes, même dans notre région du Proche-Orient, supposé traditionaliste et encore sain: mariages libres, mariages à essai, divorce et séparations des conjoints, avortement, euthanasie,…

II. NOTRE ENGAGEMENT CHRETIEN DANS UNE SOCIETE MUSULMANE

1. ŒUVRE DE CONSCIENTISATION ET D'EVOLUTION DE LA SOCIETE ARABE ET MUSULMANE

Notre Seigneur Jésus Christ a recommandé à ses disciples d'être la lumière du monde et le sel de la terre (Matth. 5:13-16). Les Chrétiens se sont appliqués à mettre en pratique cette consigne du Christ dans le monde entier. Les Chrétiens d'Orient, eux aussi, après l'occupation arabe et l'islamisation de la région, se sont efforcés, malgré toutes les difficultés et les vexations que l'on sait, de co-exister avec leurs concitoyens musulmans 15 siècles durant. Ils ont porté l'étendard de la civilisation chrétienne, en particulier dans le domaine de l'enseignement et de la culture. Nous voulons citer en particulier les Chrétiens de la Syrie et du Liban qui ont été dans les Pays du Proche-Orient, au XIXe et XXe Siècles les pionniers de l'enseignement, des lettres, de la presse, de l'imprimerie, de l'art et du Cinéma. A la veille de l'an 2000, nous sentons que les Chrétiens du proche-Orient ont une mission spécifique à remplir, la mission d'éclairer leurs frères musulmans, et d'être le levain dans la pâte de la grande masse musulmane.

Les musulmans eux-même voient dans les écoles, instituts, universités et Congrégations religieuses chrétiennes des centres de rayonnement. De là, l'obligation missionnaire de l'Eglise du Christ à l'égard de la Société, dont elle fait partie, dans le domaine de l'enseignement et de l'éducation.

Nous sommes fiers que beaucoup de responsables musulmans aient été des anciens élèves de nos écoles. Beaucoup d'artistes et d'hommes de culture sont redevables à nos écoles et continuent de jouer un rôle des plus importants dans les relations islamo-chrétiennes. Nous devons par conséquent fructifier ce talent si précieux dans le développement de notre Société à majorité musulmane. Il est à noter que beaucoup d'intégristes parmi les hommes d'affaires et de richards musulmans, en particulier en Egypte, ont créé des écoles de langues très modernes, afin de supplanter nos écoles catholiques, et de s'arracher notre clientèle. De nombreuses familles musulmanes aisées qui avaient envoyé leurs enfants dans ces nouveaux centres d'enseignement, se sont rendus compte assez tôt que ces écoles ne donnaient ni l'enseignement ni l'éducation qu'elles voulaient pour leurs enfants, et nous les ont rapportés, convaincus plus que jamais de notre œuvre éducatrice.

N'est-ce pas là un signe des temps? Et une mission vitale de l'Eglise? Nous devons mettre toute notre confiance en Celui qui a dit: «N'ayez pas peur, Je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles» (Matth. 28:20). Nos écoles et nos Instituts devraient rester des Centres de rayonnement et de renouveau moral et spirituel pour non Société et nos Pays.

2. ŒUVRE DE DEVELOPPEMENT HUMAIN ET SOCIAL

Sa sainteté le Pape Jean-Paul II disait: «La charité aujourd'hui c'est le développement». C'est un autre signe des temps, et un témoignage authentique de la véracité et de la crédibilité de l'Evangile et de l'attachement des Chrétiens à leur foi. Il faudrait faire tous les efforts possibles pour intensifier et moderniser les œuvres de développement: santé (dispensaires et hôpitaux), promotion féminine et P.M.I., centres d'alphabétisation, patronages et oratoires, asiles de vieillards et centre pour handicapés, ouverts aux Musulmans comme aux Chrétiens. Ce sont ces œuvres, accomplies avec un esprit de dévouement et de désintéressement, rien que pour l'amour de Dieu et des pauvres, dans tous les sens du mot pauvre, loin de tout lucre, que les Musulmans apprécient notre dévouement et nous pardonnent notre charité. Ces œuvres sont les véhicules les plus sûrs et les ponts les plus solides d'un vrai dialogue islamo-chrétien.

C'est l'exemple du «Bon Pasteur», mis en pratique, qui impressionne plus que tout autre et rend notre religion crédible. Le Christianisme est la civilisation de l'amour et la base de tout progrès réel et durable, tant pour l'individu, que pour la société et l'humanité entière. L'Eglise a l'obligation de donner ce témoignage à travers les œuvres de développement social, et à servir tous les hommes et tout l'homme, à l'exemple du Christ qui a dit: «Je suis venu pour servir, et non pour être servi» (Marc 10:45).

Notre région Proche-Orientale a besoin d'hommes et de femmes tout dévoués à la cause de l'humanité, se dépensant sans compter à l'exemple du Christ qui a livré jusqu'à la dernière goutte de son sang pour tous les hommes, et pour chaque homme en particulier.

3. APPROFONDISSEMENT DU SENS NATIONAL ET PATRIOTIQUE

Nous, les Chrétiens, responsables et citoyens, avons-nous l'esprit d'appartenance à notre Nation? A notre Patrie? Sommes-nous convaincus que Dieu nous a destinés à vivre sur cette terre, dans ce pays à majorité musulmane pour y proclamer par toute notre vie la Bonne Nouvelle du Salut? Sommes-nous conscients que Dieu nous a prédestinés à vivre et être les témoins vivants et authentiques de Son Fils bien-aimé, dans cette région du monde où le Verbe s'est fait chair, devenant semblable à nous en toutes choses, hormis le péché, a vécu comme nous, a fait des miracles, mais il a souffert, crucifié et mort sur la croix pour le salut de tous les hommes, avec un peuple et des conditions de vie aussi difficiles que les nôtres. Puis Il a ressuscité et monté au Ciel. Il veut que nous continuions avec courage et persévérance sa mission terrestre, avec nos frères chrétiens et musulmans et juifs! dans cette terre arrosée par le sang des martyrs, et béni par la sainteté des anachorètes, des moines et des Docteurs de l'Eglise.

Est-ce l'idée de l'émigration dans des pays lointains, en quête de bien-être et de plus de liberté, ne nous hante pas, et nous pousse à quitter notre pays qui compte sur nous?

L'amour de la Patrie est un sentiment qui doit être bien vif en nous, et nous stimuler continuellement à travailler pour tous nos frères, chrétiens et musulmans, et conjuguer nos efforts, afin que cette portion du monde, qui est le Proche-Orient, soit réellement, un havre de paix et de liberté, et un exemple vivant de convivialité avec nos frères Musulmans, en nous acheminant avec confiance tous ensemble vers le Grand Jubilé de l'An 2000.

Qu'il me soit permis de citer, en guise de conclusion, les points suivants qui émanent de tout ce qu'il a été dit et répété dans les conférences, les carrefours, les rencontres auxquelles nous avons eu l'occasion de participer entre les représentants du Christianisme et de l'Islam, ou qui sont simplement le fruit de notre réflexion personnelle. Je les résume comme suit:

  1. Le dialogue islamo-chrétien est une nécessité qui découle de notre mission de chrétien, de personnes consacrées, et plus encore de notre vocation vincentienne.

  1. Le dialogue islamo-chrétien dit théologique, qui se fonde sur les données doctrinales et le Dogme du Christianisme et de l'Islam est réservé à des spécialistes, et ne peut être en aucune façon entrepris par des individus ou des Communautés non autorisés, sinon il serait plus nuisible que bénéfique.

  1. Dans notre dialogue islamo-chrétien, il vaut mieux s'arrêter sur ce qui nous rapproche, tel que la prière, le jeune, les œuvres de miséricorde, la paix et la justice sociale - comme décrits dans le Document «Nostra aetate» du Concile Vatican II - e non sur ce qui nous oppose et risque de nous éloigner les uns des autres et créer de discussions et d'inimitiés.

  1. Le dialogue à instaurer entre chrétiens et musulmans est celui que l'on appelle communément «le dialogue de vie», qui consiste dans une saine convivialité, le témoignage de la vie, le travail en communs dans l'entente et la cordialité, le service des autres avec amour et compréhension.

Exigences ou qualités d'un dialogue fructueux:

  • éloigner de nous tout préjugé malveillant ou toute idée préconçue

  • vivre dans l'espérance, même contre toute expérience, comme le dit st. Paul en parlant d'Abraham

  • écoute de l'autre avec estime et respect, et ne pas croire que nous sommes seuls à posséder toute la vérité

  • donc humilité….

  • patience, et attendre l'heure de Dieu: l'Esprit souffle où il veut et quand il veut une prière assidue.

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