Les laïcs dans l'Eglise aujourd'hui

Les laïcs dans l'Église aujourd'hui

par Jean Landousies, C.M.

Province de Paris

9.VII.2002

Introduction

Le titre donné à cet exposé englobe un champ très vaste : « Les laïcs dans l'Église aujourd'hui ». D'autre part, la diversité de vos origines, de vos engagements de vos situations et de vos options locales rend encore plus difficile le projet ! Aussi il m'a fallu faire des choix parmi les thèmes à retenir pour notre réflexion. J'ai été obligé de m'en tenir à des éléments assez généraux, espérant que dans le travail de groupe vous pourrez exprimer vos expériences. Je vous propose donc quelques grandes orientations qui me semblent importantes pour la vocation et la mission des laïcs dans les évolutions actuelles du monde et de l'Église. Je développerai mon propos en cinq points :

  1. Les laïcs dans l'Église-Communion

  2. Des laïcs passionnés pour l'homme : l'appel à l'annonce de l'Évangile aux pauvres

  3. Des laïcs passionnés pour Dieu : l'appel à la sainteté.

  4. Travailler en Église, collaborer avec les hommes de bonne volonté

  5. La nécessité de la formation

Avant d'entrer dans notre réflexion, je voudrais aussi souligner deux points qu'il me semble important de garder à l'esprit en arrière-plan de notre débat :

Le premier c'est l'intérêt que Vincent de Paul a porté à la place des laïcs dans la mission de l'Église. Nous nous souvenons que la première de ses fondations a été celle des charités. Il a mis ensemble des laïcs pour que les pauvres soient servis. Ce thème sera repris plus tard. Le second point c'est le souci que nous devons avoir non seulement du laïcat vincentien « constitué », mais aussi de tous ces laïcs qui à travers le monde se réclament, explicitement ou non, de Vincent de Paul, et qui n'ont aucunement l'intention de se rattacher à une branche constituée de la famille vincentienne. Eux aussi, seuls ou avec d'autres, permettent à des pauvres d'être servis.

1. Laïcs dans l'Église-communion

1.1. Quelle Église ? Dans un premier temps, je vous invite à réfléchir un instant sur l'Église dans laquelle les baptisés ont à vivre leur vocation.

Depuis le Concile Vatican II, la réflexion sur l'Église communion s'est largement développée. Nous nous trouvons là au cœur du mystère de l'Église : une Église qui vient du Dieu-Trinité, c'est-à-dire d'un Dieu qui est lui-même communion, une Église dont les membres doivent vivre en communion avec ce Dieu qui les appelle et qui les envoie, une communion avec Dieu d'où découle la communion des membres entre eux. Enfin, conséquence de ce qu'elle est au plus profond de son être, cette Église a reçu la mission d'œuvrer à la réalisation de la communion de tous les hommes entre eux et avec Dieu.

Trois images importantes expriment et complètent la présentation de ce mystère de l'Église communion : les images de l'Église Peuple de Dieu, Corps du Christ, et Temple de l'Esprit.

a. L'Église peuple de Dieu : L'Église est un peuple qui vient de Dieu, qui vit de Dieu et qui appartient à Dieu. Avant toute distinction de fonctions, de services ou de ministères, ce qui est premier c'est l'être ensemble des chrétiens. Ce qui n'exclut pas bien sûr la nécessité pour ce peuple de Dieu, comme pour tout peuple, d'avoir des responsables pris parmi ses membres. Mais il faut aller encore plus loin, car le risque est grand que ce peuple se referme sur lui-même, excluant ceux qui n'en font pas partie. C'est ce qu'on pourrait appeler le risque `sectaire'. L'Église est un peuple envoyé en mission avec l'Esprit Saint, un peuple ouvert à tous les peuples de la terre, les invitant à constituer tous ensemble l'unique Peuple de Dieu. Nous connaissons bien le beau passage de Lumen Gentium, repris bien des fois depuis dans l'enseignement du Magistère : « l'Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain » (n.1).

b. L'Église Corps du Christ. Ces dernières années on a peut-être souvent parlé exclusivement de l'Église comme peuple de Dieu, sans doute pour éviter de retomber dans une vision pyramidale de l'Église. Pourtant, l'image du peuple n'épuise pas le mystère de l'Église. Il faut l'articuler à d'autres images, et tout d'abord cette image essentielle de l'Église Corps du Christ. Cette image dit à la fois l'unité profonde de l'Église avec le Christ et sa dépendance à son égard, lui qui est la tête du corps. Cette image montre aussi à la fois l'unité et la diversité de l'Église. Tous en sont membres, mais tous n'y ont pas la même fonction (cf. S. Paul, 1 Co 12, 12-30). Dans l'Église il y a une diversité et une complémentarité des vocations et des conditions de vie, des ministères, des charismes et des responsabilités. D'autre part, cette image du Corps est importante pour la compréhension de la mission. Car si le corps est ce qui nous permet d'entrer en relation avec les autres, l'Église corps du Christ permet à celui-ci d'entrer concrètement en relation avec les hommes et les femmes de toutes les époques, de toutes les cultures.

c. L'Église Temple de l'Esprit. Enfin, une troisième image, liée aux deux précédentes est celle de l'Église Temple de l'Esprit. C'est le même Esprit qui est le principe dynamique de la variété et de l'unité de l'Église et dans l'Église. C'est l'Esprit de communion qui rassemble l'Église dans toute la diversité de ses membres et qui en fait un seul peuple et un seul Corps. L'Église est le Temple de l'Esprit parce qu'elle est construite, édifiée par l'Esprit Saint en même temps que par les chrétiens. C'est l'Esprit qui est la source de tous les charismes, ces dons confiés à tous les chrétiens au bénéfice de l'Église et de sa mission. Ceci signifie aussi que puisque tous les baptisés ont reçu l'Esprit Saint, ils ont tous le droit à la parole dans l'Église, ils ont tous le droit d'être écoutés. C'est ici qu'on pourrait rattacher ce qu'on appelle de « sensus fidei », c'est-à-dire le sens surnaturel de la foi qui est celui du peuple tout entier (cf. LG n. 12).

Si nous en avions le temps, il nous faudrait parler ici aussi du sacerdoce commun des fidèles qui n'est pas le sacerdoce des laïcs mais celui de tous les membres de l'Église, un sacerdoce commun donné à tous par l'Esprit Saint… (cf. LG 10).

1.2. Pour quels laïcs ? C'est dans cette Église communion, Corps du Christ, Temple de l'Esprit et Peuple de Dieu, que je voudrais situer la vocation et la mission des laïcs. Rappelons-nous ce que dit Vatican II dans Lumen gentium : « Sous le nom de laïcs on entend […] les chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l'Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien » (n. 31). Les laïcs ne sont donc pas définis par rapport aux prêtres ou aux religieux, ce sont d'abord des baptisés, qui sont habilités par leur baptême à participer à la vie et à la mission de l'Église, qui sont reliés au Christ dont ils vivent de la vie et de l'Esprit. Par ailleurs, ils vivent en communion les uns avec les autres constituant un même corps et un même peuple. Enfin, leur mission s'exerce dans l'Église et dans le monde. Notons aussi au passage que le laïc ne se définit pas uniquement par sa présence au monde. Il est aussi responsable de la vie de l'Église et il participe à sa mission.

a. L'engagement des laïcs dans le monde. Cet aspect est largement développé dans les textes de Vatican II et aussi par la suite. J'y reviendrai tout à l'heure. Disons déjà que la vocation apostolique des laïcs ne leur vient pas d'un `mandat' qui leur serait confié par l'Évêque, elle est fondée sur leur baptême et sur leur confirmation. Les textes montrent clairement qu'évangéliser, mission primordiale de l'Église, ce n'est pas seulement annoncer l'Évangile au sens étroit de l'expression (prédication, catéchèse, etc…), c'est aussi transformer le monde en le rendant plus conforme à l'Évangile. Il y a aussi un apostolat qui consiste à évangéliser les réalités du monde par le témoignage de vie et par la parole.

b. L'engagement des laïcs dans l'Église. On assiste depuis Vatican II à un renouveau considérable dans ce domaine. La place des laïcs dans l'Église ne se réduit pas à une assistance passive ni même à un service liturgique, d'ailleurs assez limité. On pensera au développement de la participation des laïcs aux responsabilités pastorales dans la vie des communautés, depuis la liturgie jusqu'à la transmission de la foi, la catéchèse ou la contribution à divers services et structures pastorales. Chaque région a ses façons de faire pour permettre aux laïcs d'être actifs dans la vie de l'Église, selon les besoins. Mais d'une manière générale, nous pouvons remarquer aussi, par exemple, que la création de conseils et de synodes permet aux laïcs non seulement de développer des `activités' mais de se sentir effectivement plus responsables de la mission de l'Église, responsables en tant que laïcs, en communion avec les Evêques et les prêtres. Tout en évitant les risques d'une cléricalisation des laïcs, c'est une nécessité pour eux de participer à la vie interne de l'Église du fait de leur baptême et de leur confirmation.

En résumé, nous pouvons reprendre ce qu'écrit Jean-Paul II dans la lettre apostolique Christifideles laïci : « Les fidèles laïcs, précisément parce qu'ils sont membres de l'Église, ont la vocation et la mission d'annoncer l'Évangile : à cette activité, ils sont habilités et engagés par les sacrements de l'initiation chrétienne et par les dons du Saint Esprit » (n. 33). Les laïcs sont donc pleinement engagés dans la mission de l'Église, du fait de leur baptême et de leur confirmation. C'est ce que je voudrais développer maintenant.

2. La passion pour l'homme : des laïcs appelés à annoncer l'Évangile aux pauvres

Je voudrais donc maintenant aborder de manière plus précise la place des laïcs dans la mission de l'Église et surtout ici à travers leur service de la société.

La mission première des laïcs que je soulignerai d'abord c'est qu'ils doivent témoigner par toute leur vie que la foi en Jésus-Christ est la réponse fondamentale aux questions et aux espoirs de l'homme et des sociétés. En s'engageant dans les différents secteurs de la vie du monde, ils annoncent concrètement cette Bonne Nouvelle qui est le salut en Jésus Christ. Il s'agit là d'une responsabilité essentielle confiée aux laïcs en communion avec tous les autres membres du peuple de Dieu. Je ne m'étendrai pas ici sur la diversité des engagements missionnaires des laïcs ni sur la nécessité d'une analyse des situations humaines et des mutations des sociétés. Vous y êtes sensibles dans vos pays.

Mais dans ces domaines, il me semble que nous autres vincentiens nous devons avoir le souci particulier de rappeler à temps et à contre temps que les laïcs ont une vocation particulière à travailler à la promotion de la dignité de tout homme. Et d'abord des plus pauvres et des plus faibles.

Un domaine privilégié lié à l'engagement en faveur de la dignité de l'homme, c'est la présence dans les lieux de pauvreté et de souffrance : assistance aux malades, handicapés, personnes âgées, malades en fin de vie, victimes des nouvelles maladies (sida et autres). Les chrétiens qui s'y impliquent par leur rencontre et leur compréhension des personnes sont des expressions essentielles du visage d'amour et de miséricorde du Christ et de son Église à l'égard de ceux qui sont dans l'épreuve. Le cœur du message évangélique est bien cette Bonne Nouvelle : l'homme est aimé de Dieu ! La parole et la vie de chaque chrétien devrait en être une claire annonce. Il en va de même pour tout ce qui touche le domaine de la charité et de la solidarité, la participation aux mouvements caritatifs, d'apostolat ou d'éducation, pour construire une société plus juste où chacun trouvera sa place et pourra vivre décemment. Nous autres vincentiens, tout particulièrement, nous ne pouvons pas oublier que le combat pour la justice est un élément essentiel de la mission de l'Église : tout cela dans les paroisses, communautés diverses, dans la vie associative des quartiers ou villages, en collaboration avec les autres personnes d'autres courants de pensée qui animent des services d'entraide ou de solidarité.

Un autre domaine dans lequel il est urgent que les laïcs s'investissent, c'est celui de la promotion et de la défense du respect de la vie. Nous savons que cela englobe bien des domaines et qui posent des questions souvent très difficiles, mais que nous ne pouvons pas évacuer. Je pense en particulier aux défis lancés par les questions touchant à la bioéthique.

La diversité des engagements, que je ne développerai pas plus ici, doit permettre d'atteindre tous les domaines de l'existence humaine dans leurs dimensions individuelles et collectives : depuis les problèmes de la personne, de la famille, jusqu'à ceux de la culture, de la paix, de la politique... ou encore la nécessité d'avoir une claire conscience de la dignité du travail, conçu en vue de l'épanouissement de l'homme et de l'accomplissement de sa vocation.

Par ailleurs, d'une manière générale, pour parvenir à un authentique changement dans les rapports humains et l'ensemble de la vie de la société, il me semble important que les mouvements de laïcs soient des lieux d'éducation et de soutien pour ceux qui ont des responsabilités politiques, économiques, sociales, afin de leur permettre d'accomplir leurs tâches avec intégrité, en ayant le souci de donner la priorité au bien des personnes, en ayant conscience de l'impact humain de leurs choix.

Permettez-moi maintenant, pour conclure ce point, de m'arrêter à deux dimensions de ces engagements qui me paraissent essentielles aujourd'hui pour la mission : la qualité des rencontres et l'universalité du regard. C'est d'ailleurs ce que nous pouvons retrouver largement exprimé chez Vincent de Paul.

D'abord l'importance et la qualité des rencontres. C'est vrai dans la vie de tout chrétien, mais je voudrais le souligner dans la vie des laïcs aujourd'hui, car souvent la tentation est de s'en tenir à la qualité du faire, du contenu intellectuel ou matériel d'un rassemblement, d'une réunion, d'une action etc… Pour nous, il y a certainement là quelque chose à approfondir pour vivre selon l'esprit de Vincent de Paul. Les laïcs sont en première ligne pour aller `naturellement' et dans tous les domaines, à la rencontre des autres au nom du Christ, sans exclusive; pour développer des rencontres faites d'écoute de l'autre, pour l'aider à grandir, en le prenant au sérieux, en respectant sa dignité afin qu'il puisse épanouir pleinement sa propre vocation humaine et spirituelle. Dans cette perspective, je voudrais aussi ajouter qu'il est urgent que dans nos réflexes, pour notre propre vision des personnes et des situations nous ayons intégré des éléments aussi importants que le dialogue œcuménique ou le dialogue interreligieux. Aujourd'hui, ce sont des lieux de rencontre, et donc d'annonce de l'Évangile, que nous ne pouvons plus ignorer. Si tant d'incompréhensions demeurent et hélas se développent aujourd'hui entre des gens de religions différentes, c'est souvent par manque de connaissance vraie, par manque de respect mutuel des différences.

Tout ceci nous conduit aussi à favoriser l'universalisation du regard, d'autant plus urgente que dans la vie sociale nous nous trouvons dans un contexte de mondialisation. Vous aurez l'occasion de revenir sur ce thème. Dans de nombreux pays, de plus en plus, on se trouve en présence de populations d'origine très diverses par l'origine sociale, la culture ou la religion. On pourrait ajouter bien sûr le développement rapide des communications, du tourisme etc… Il n'est plus possible de demeurer repliés sur son environnement traditionnel immédiat. De plus, nous savons aussi que la découverte de cet élargissement des horizons peut engendrer bien des peurs avec leurs conséquences souvent désastreuses. Les laïcs ont certainement là un champ illimité d'ouverture du cœur et de l'esprit missionnaire.

3. La passion pour Dieu : des laïcs appelés à la sainteté

Je vous propose maintenant de faire un pas de plus en situant la vocation des laïcs à la mission dans la perspective de l'appel à la sainteté, qui est en quelque sorte une conséquence du baptême.

La vocation du laïc dans l'Église n'est pas un pur activisme, alors que les `choses spirituelles' seraient réservées aux prêtres, religieux et religieuses. L'expérience chrétienne du laïc ne se réduit pas à ses rencontres de l'homme. Elle se réalise en même temps dans une rencontre intime avec Dieu. L'expérience spirituelle de Vincent de Paul est particulièrement éclairante à ce sujet. Son expérience du Christ est indissociable de son expérience des pauvres. En cherchant l'un il découvre les autres, en découvrant les pauvres il rencontre le Christ, et plus il découvre le Christ dans son mystère, plus il est poussé à aller à la rencontre des pauvres pour vivre avec eux ce qu'il a découvert. La vie spirituelle que chaque baptisé est appelé à développer en lui n'est pas une fuite du monde ! Il est essentiel d'en revenir à l'appel universel à la sainteté adressé à tous et donc à chaque fidèle laïc, car cet appel plonge ses racines dans le baptême et il est renforcé par les autres sacrements. Le baptisé se doit donc d'être un passionné de Dieu, en avançant hardiment sur le chemin du renouveau évangélique.

La réponse à l'appel à la sainteté n'est pas un chemin abstrait, perdu dans les nuages, ce n'est pas un pur désir lointain et désincarné. Il s'agit en réalité de la recherche de la perfection de l'être, de l'épanouissement total de la personne, telle que Dieu l'a créée, tel que Dieu veut la voir se développer pleinement. C'est la recherche du véritable bonheur pour soi, et aussi avec et pour les autres d'une certaine manière ; un bonheur, une perfection qui se trouvent dans une authentique communion avec Dieu et avec les frères. C'est donc quelque chose de très concret qui prend toute la vie, qui concerne tous les domaines de l'existence, pas seulement ce que nous appelons strictement la vie spirituelle. En recherchant la sainteté, le chrétien désire trouver son plein développement, son plein accomplissement, en se conformant au Christ. Ce chemin n'est pas facile. Mais il est essentiel de le proposer comme le cœur de la vocation chrétienne d'où découle tout le reste, et de montrer que la marche sur cette route n'est pas solitaire mais solidaire, à la fois avec le Christ et avec les autres baptisés.

Cette vocation des laïcs à la sainteté s'exprime de façon particulière à travers leur insertion dans les réalités temporelles et leur participation aux activités du monde. Cela signifie que la vocation à la sainteté est intimement liée à la vocation à la mission. C'est la vie quotidienne, avec tous ses engagements, en particulier au service des autres dans l'Église et dans le monde, qui doit devenir une occasion d'union à Dieu et d'accomplissement de sa volonté. Ainsi, les laïcs contribuent à l'édification du Royaume de Dieu.

En résumé, comme l'a rappelé Jean-Paul II dans sa Lettre apostolique au terme du grand Jubilé, mettre la vie pastorale sous le signe de la sainteté est un choix lourd de conséquences. « Cela signifie exprimer la conviction que, si le Baptême fait vraiment entrer dans la sainteté de Dieu au moyen de l'insertion dans le Christ et de l'inhabitation de son Esprit, ce serait un contresens que de se contenter d'une vie médiocre, vécue sous le signe d'une éthique minimaliste et d'une religiosité superficielle » (Novo millennio ineunte, n. 31).

4. Dans des sociétés pluralistes : nécessité d'un travail en Église et de collaborations avec les hommes de bonne volonté

Dans les sociétés qui sont les nôtres, il est nécessaire de prendre en compte le pluralisme qui s'y exprime de plus en plus et d'en tirer les conséquences pour la mission des laïcs. Il me semble qu'ici le rôle des accompagnateurs des différents groupes et mouvements a une grande importance.

Pour cela, il faut d'abord relever que l'Église elle-même est pluraliste. Comme nous l'avons déjà dit, à l'image de la Trinité, l'unité de l'Église est une unité de communion entre différents charismes s'y expriment. C'est sa richesse, qui montre à la fois la diversité des dons de l'Esprit et la possibilité qu'elle porte en elle de rejoindre toutes les situations vécues par les hommes pour y annoncer l'Évangile et y témoigner de façon authentique.

Cette richesse des dons de l'Esprit, qui manifeste la richesse et la diversité de l'Évangile, personne ni aucun groupe ecclésial ne peut prétendre la posséder entièrement. D'autre part, c'est l'Évangile dans sa totalité qui doit être transmis aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui. Il y a là l'expression d'une réalité importante pour la vie de l'Église. Être fidèle à l'Évangile et à son annonce demande qu'une authentique communion s'y vive, non seulement au niveau du Credo, mais dans son expression missionnaire elle-même. Les exigences qui en découlent sont ici de deux ordres : à l'intérieur de nos communautés catholiques elles-mêmes, et d'autre part dans la recherche de l'unité des chrétiens.

Pour parler plus concrètement, il est un point qui est essentiel dans la mission des laïcs, c'est sa dimension collective, communautaire ou plutôt tout simplement ecclésiale. La tentation de nombreux groupes est de se replier sur eux-mêmes ! Il y a une nécessaire prise de conscience à faire par beaucoup que la mission qu'ils ont reçue, personnellement ou en groupe, est une mission confiée par le Christ à son Église et que les différents groupes qui existent en son sein sont l'expression de la diversité des charismes. Certes, pour ce qui nous regarde plus immédiatement, il est légitime de donner corps à ce que nous appelons la Famille vincentienne. Mais cela doit conduire à un approfondissement du charisme vincentien, à son élargissement. Déjà entre nous, dans cette famille, nous pouvons ressentir la richesse des différentes facettes de ce charisme. C'est cet ensemble que nous devons apporter à l'unique mission de l'Église. Le repli sur soi de certaines communautés ecclésiales ou de groupes ne peut que conduire à un appauvrissement de l'Église et finalement à un appauvrissement de ces groupes qui finiront par en mourir ou se détacher de l'arbre vivant de l'Église pour s'enfermer dans des pratiques sectaires. Nous avons à construire une Église fraternelle, communauté de croyants mais aussi communauté ou communion de communautés, une Église ouverte, où chacun a sa place reconnue par les autres, une Église où tous collaborent avec leurs différences. Nous retrouvons là ce qui doit aussi être vécu dans les sociétés humaines tentées par l'individualisme.

Par notre charisme vincentien, nous avons la responsabilité de contribuer à faire du monde un lieu de partage et de fraternité, un lieu où l'on vit bien ensemble, largement ouvert sur les autres, dans le respect des différences légitimes qui sont un enrichissement mutuel et non des frontières étanches à maintenir.

Ceci nous conduit alors à faire encore un pas de plus, à ouvrir nos horizons. C'est ce que j'appellerais l'urgence d'un engagement commun avec les hommes de bonne volonté. Les laïcs se trouvent au cœur de ces sociétés pluralistes, où s'expriment une multitude de courants religieux ou non religieux, culturels ou autres. Ils se trouvent confrontés directement à ces courants dans leur vie de famille, de voisinage, de travail, de loisirs etc. … C'est là, de multiples façons que se vit leur engagement apostolique. Il est donc nécessaire de les ouvrir à tous ces domaines du « religieux » ou du culturel qu'ils sont de plus en plus amenés à rencontrer. Trop souvent ils ne sont pas préparés à cela - les prêtres sont parfois dans le même cas - Il me semble urgent que face à tous les débordements actuels, face aux manipulations des religions les laïcs soient incités à la rencontre, au travail commun, au service de la société, avec tous les hommes de bonne volonté, au-delà des clivages religieux ou idéologiques. Je pense que ce n'est pas seulement en vivant les uns à côté des autres que peut se réaliser une authentique connaissance ou une appréciation réciproque, mais à partir du partage quotidien de la vie, d'un engagement commun au progrès des personnes et des sociétés.

5. La formation des laïcs

J'en arrive à mon dernier point qui a certainement une grande importance pour vous d'abord, comme accompagnateurs, mais surtout pour consolider le présent de la vocation et de la mission des laïcs et pour assurer leur avenir. C'est la question de la formation.

Si l'on souhaite un laïcat qui fasse preuve de maturité, qui soit conscient de ses responsabilités dans l'Église et dans la société, et si l'on veut élargir les horizons de l'évangélisation il est nécessaire de donner aux laïcs une formation humaine et spirituelle solide. Il s'agit par là de les aider à découvrir et à vivre leur vocation, à se structurer en faisant l'unité de leur vie. Dans le monde d'aujourd'hui, qui est devenu complexe et exigeant, il est indispensable que les chrétiens, surtout ceux qui sont engagés dans des mouvements, puissent agir avec compétence, une compétence qui ne soit pas seulement matérielle ou technique mais aussi, et peut-être avant tout, spirituelle, pour que l'Évangile soit annoncé avec authenticité et audace. La compétence dans le service est une forme de respect des pauvres. Il est indispensable que les laïcs soient formés à une réflexion chrétienne sur les situations qui se présentent à eux dans leur vie et dans leur apostolat. Nous savons tous qu'il est important d'avoir du cœur mais que cela n'est pas suffisant. Il faut aussi, en même temps, faire fonctionner sa raison. Et cela est particulièrement vrai dans l'exercice de la charité, des œuvres de charité où l'on est souvent tenté de laisser parler et agir exclusivement les sentiments.

Sans vouloir limiter la formation à cet aspect des choses, je voudrais souligner ici pour nous vincentiens l'importance de la formation à la doctrine sociale de l'Église. Il nous revient d'y être particulièrement sensibles, si nous voulons proposer une vision de l'homme et de la société conforme aux valeurs humaines fondamentales et travailler à promouvoir le respect de la dignité inviolable de toute personne humaine, à commencer par les plus pauvres et les plus faibles de nos sociétés.

Conclusion

En conclusion de cet exposé, je voudrais reprendre un passage de la lettre apostolique adressée à toute l'Église par Jean-Paul II au terme du grand Jubilé de l'an 2000, Novo millennio ineunte : « Au début de ce nouveau siècle, notre marche doit être plus alerte en parcourant à nouveau les routes du monde. Les routes sur lesquelles marche chacun de nous, chacune de nos Églises, sont nombreuses, mais il n'y a pas de distance entre ceux qui sont étroitement unis dans l'unique communion, la communion qui chaque jour se nourrit à la table du Pain eucharistique et de la Parole de Vie » (n. 58).

La vocation et la mission des laïcs dans l'Église et dans le monde comportent des exigences aussi fortes que les autres vocations ecclésiales. Ce ne sont pas des vocations « au rabais ». Comme accompagnateurs, nous avons une responsabilité spéciale non seulement auprès des groupes que nous suivons, mais plus largement encore dans l'Église, afin que tous les baptisés prennent une conscience vive de la dignité de leur vocation et des conséquences qui en découlent dans leur vie personnelle et ecclésiale.

Originale francese

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