Les Santuaires: lieux missionnaires

Les sanctuaires : lieux missionnaires

par Jean Landousies, C.M.

Province de Paris*

C'est peut-être avec étonnement que l'on constate que la Congrégation de la Mission est engagée dans l'animation pastorale de nombreux sanctuaires à travers le monde, sanctuaires spécifiquement liés à la Congrégation ou à la Compagnie des Filles de la Charité, mais aussi sanctuaires nationaux ou régionaux directement rattachés à l'Église locale. Ce numéro de Vincentiana témoigne du travail missionnaire considérable qui y est accompli. À une époque où la « piété populaire » reprend une place notable et reconnue dans la vie de nombreuses communautés chrétiennes, il a semblé intéressant de réfléchir sur quelques aspects de la fonction des sanctuaires dans une pastorale missionnaire vincentienne.

1. Des sanctuaires qui rassemblent un peuple pour Dieu

En ces lieux où Dieu visite son peuple...

Qu'ils soient grands ou modestes, consacrés à la Vierge Marie, aux saints de la famille vincentienne ou à d'autres, les sanctuaires sont des lieux où Dieu prend l'initiative de venir à la rencontre des hommes et des femmes de notre temps, où le Christ incarné et ressuscité se manifeste, de manière tangible pourrait-on presque dire ! Lieux d'une rencontre entre Dieu et les hommes, lieux d'une présence vivante du Ressuscité qui attire un peuple pour le rassembler, les sanctuaires demandent donc avant tout que les mystères fondamentaux de la foi chrétienne y soient mis en relief et que les chrétiens soient engagés à prendre conscience qu'ils sont envoyés dans le monde, à la suite du Christ pour en être des témoins authentiques.

Les « rencontres » aux formes multiples qui se déploient dans les sanctuaires, répondent à des appels de Dieu d'une grande diversité, qu'ils soient directs ou par l'intermédiaire de la Vierge Marie et des saints. Mais la démarche de pèlerinage accomplie par ceux qui répondent à l'invitation de la Vierge de venir en ces lieux, comme par ceux qui viennent honorer un saint là où il a vécu, ou encore par ceux qui se rassemblent dans un sanctuaire né de l'intuition de personnes animées par l'Esprit, a toujours pour but premier de rendre gloire à Dieu.

Les croyants se succèdent de génération en génération ...

Aujourd'hui, la démarche de se mettre en route vers un sanctuaire retrouve ses lettres de noblesse. En Europe, on connaît, par exemple, les développements considérables du pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle selon les antiques itinéraires. Il est intéressant de situer cette démarche du pèlerin dans l'histoire des lieux qu'il visite et surtout dans la continuité de l'expérience spirituelle qui s'y exprime, parfois depuis des générations. Les sanctuaires, des plus humbles aux plus fréquentés, sont les témoins d'une tradition de prière, mais aussi de conversion du cœur, de guérison de l'âme, voire du corps, ainsi que de reconnaissance pour les grâces reçues. Le pèlerin, qu'il soit seul ou en groupe, s'insère dans cette interminable procession de ceux qui l'ont précédé. Il se coule dans un long processus de solidarité et d'ouverture à un immense peuple de croyants qui vient répondre à un appel perçu avec plus ou moins de clarté et qui se rend disponible à la Parole.

Pour recevoir un message spécifique qui traduit l'Évangile...

Les sanctuaires sont donc d'abord des lieux au service de la foi, même s'ils ne sont pas objets de foi. Le message qui y est délivré ne fait que rappeler l'Évangile du Christ, qui se révèle à l'homme dans la multiplicité de ses facettes. À ce titre l'expérience spirituelle qui s'y exprime a un caractère universel. Mais l'origine de chaque sanctuaire, avec son histoire, les circonstances de son développement… font qu'il a un caractère spécifique qui témoigne aussi de la manière dont Dieu rejoint les hommes dans leur vie et dans leur histoire commune. Le rappel des événements qui se sont déroulés dans le passé doit inciter à être attentif aux signes actuels de Dieu, pour donner sens au présent et orienter l'avenir. Les sanctuaires sont pour beaucoup de pèlerins des lieux de pause, de « repos » intérieur, favorisant ainsi un retour à la source de vie, pour se désaltérer, se renouveler et repartir plus fort.

Lieux d'accueil et de liberté…

Si les sanctuaires sont plus que jamais des lieux missionnaires, c'est que dans bien des pays, ce sont des lieux où de nombreuses personnes ne fréquentant pas habituellement les églises se rassemblent, passent un moment, seules, en famille ou en groupe, touristes, chercheurs de spirituel, chercheurs d'espérance et de raisons de vivre, chercheurs de Dieu peut-être… Elles savent en effet que pèlerins ou hommes de bonne volonté, tous ceux qui passent ici sont attendus. Car ces lieux ne sont pas comme les autres, ils sont perçus comme des lieux de prière, de recueillement, de paix. Pèlerin ou touriste, chacun peut percevoir à sa manière que le sanctuaire est un lieu où l'on vient en pèlerinage, où l'on cherche quelque chose, où l'on fait la démarche d'aller vers Quelqu'un ! Si chez le pèlerin il y a la volonté de rencontrer Dieu, on ne peut que souhaiter que le touriste puisse aussi un jour se retrouver dans cette démarche de foi. Les sanctuaires ne sont-ils pas de ces lieux privilégiés où l'Esprit vient parler au cœur de l'homme ?

Pour que cela puisse se réaliser, la qualité des lieux eux-mêmes a bien sûr son importance, mais encore plus la qualité des personnes qui accueillent à divers titres. Savoir écouter, dialoguer, entendre la question profonde qui parfois a du mal à être exprimée, sont des aptitudes indispensables à ceux qui reçoivent pèlerins et visiteurs. Le sanctuaire est un lieu où la Parole de Dieu est annoncée avec foi, dans un climat d'écoute, fraternel et convivial à l'égard de tous, à commencer par les pauvres, les malades, les petits et les humbles.

Dans un tel contexte on perçoit combien les « cinq vertus vincentiennes » sont singulièrement missionnaires et particulièrement adaptées à l'accueil de personnes réceptives à la Parole qui leur sera annoncée, partagée. Elles créent aussi les conditions d'un plus grand respect de la liberté des personnes et des groupes, non seulement dans l'organisation de leur visite des lieux, mais surtout de la liberté intérieure qui permet d'accueillir ce que l'Esprit dit au cœur de chacun. De plus en plus nombreuses sont les personnes qui se disent non-croyantes ou mal-croyantes, voire adeptes d'autres religions, qui viennent vers les sanctuaires à la recherche du « Dieu-inconnu » ou en attente d'une réponse à leur questionnement spirituel !

Pour annoncer l'Évangile et éduquer la foi

Nous rejoignons ici le cœur de la mission des sanctuaires. Proposition et approfondissement de la foi, apprentissage de la prière… Que de visées pastorales deviennent possibles dans de tels lieux ! Le pèlerin est une personne disponible et réceptive. Il peut prendre le temps de s'initier au message du lieu et par là de découvrir ou de redécouvrir la foi chrétienne.

Tous les missionnaires qui ont participé à l'animation de sanctuaires savent que ces lieux sont privilégiés pour l'annonce de l'Évangile et pour la sacramentalisation, particulièrement pour les Sacrements de la Réconciliation et de l'Eucharistie. On y apprend ainsi concrètement que la liturgie elle-même est au cœur de l'évangélisation.

De plus, les sanctuaires sont aussi des lieux privilégiés pour ouvrir les cœurs et les intelligences, pour élargir les horizons aux dimensions du monde, de l'Église universelle et de sa mission. Enfin, nous ne pouvons pas non plus négliger le fait que les sanctuaires sont des lieux propices pour répercuter l'appel à suivre le Christ, tout particulièrement dans le ministère sacerdotal ou la vie consacrée.

2. Les sanctuaires et la piété populaire

Les sanctuaires ont parfois été décriés sous prétexte qu'ils sont des lieux d'expression de pratiques de piété populaire. Certes, celles-ci doivent être purifiées, « christianisées ». On se souviendra pourtant que saint Vincent recommandait de prier la Vierge avec les moyens de la piété populaire : Angélus, chapelet, litanies…

Le « Directoire sur la piété populaire et la liturgie »**, publié en 2002 par la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des Sacrements a opportunément rappelé la place de la piété populaire dans la vie de l'Église. Le document souligne particulièrement qu'elle est une riche expression de la foi et qu'elle a été, et demeure, une nourriture spirituelle pour les chrétiens tout au long des siècles :

La piété populaire est un trésor de l'Église

Peut-on imaginer, relève le directoire, ce qui en résulterait pour l'histoire de la spiritualité chrétienne d'Occident si n'avaient pas existé par exemple le Rosaire ou le Chemin de Croix qui pendant des siècles ont nourri la vie spirituelle de tant de générations chrétiennes ? Peut-on imaginer ce qu'aurait été la vie chrétienne de nombreuses régions du monde sans ces sanctuaires vers lesquels on se rend en pèlerinage, Jérusalem, Rome, Compostelle et tant d'autres innombrables lieux vers lesquels, depuis des générations, s'achemine le peuple chrétien pour confier sa vie à Dieu, par l'intercession de la Vierge Marie ou des saints. La vie sociale d'un village ou d'une région s'est même parfois constituée autour de ces sanctuaires, chapelles, lieux de cultes qui parsèment tant de régions du monde.

Il est vrai qu'au cours des siècles bien des superstitions se sont rattachées à certaines formes de piété populaires et cela doit pousser à réfléchir sur le rapport qui existe entre les pratiques de la piété populaire et la liturgie de l'Église. Certes, dans le décret sur la liturgie (Sacrosanctum concilium) aux no 10, 12, 13, le Concile Vatican II affirme avec force que la Liturgie est « le sommet auquel tend l'action de l'Église, et en même temps la source d'où découle toute sa vertu ». Mais un peu plus loin au no 12 le texte conciliaire poursuit : « Cependant, la vie spirituelle n'est pas enfermée dans la participation à la seule liturgie ». En effet, ce qu'on appelle les `pieux exercices' ou les exercices de piété du peuple chrétien, du moment qu'ils sont conformes aux lois et aux normes de l'Église, sont importants pour nourrir la vie spirituelle. Toutefois, ajoute le Concile, en toute logique avec sa première affirmation « les exercices en question doivent être réglés en tenant compte des temps liturgiques et de façon à s'harmoniser avec la liturgie, à en découler d'une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure » (no 13).

Après le Concile, le Magistère de l'Église s'est encore intéressé à cette question, pour souhaiter un renouveau de la piété populaire. Ainsi en décembre 1988, Jean-Paul II dans une Lettre apostolique sur cette question, « Vicesimus quintus annus », affirme : « La piété populaire ne peut être ni ignorée ni traitée avec indifférence ou mépris, parce qu'elle est riche de valeurs, et déjà en soi elle exprime l'attitude religieuse en face de Dieu. Mais elle a continuellement besoin d'être évangélisée, afin que la foi qu'elle exprime, devienne un acte toujours plus mature et authentique. Aussi bien les pieux exercices du peuple chrétien que les autres formes de dévotion sont accueillis et recommandés du moment qu'ils ne se substituent pas ou ne se mélangent pas aux célébrations liturgiques. Une authentique pastorale liturgique saura s'appuyer sur les richesses de la piété populaire, les purifier et les orienter vers la Liturgie comme offrande des peuples » (no 18).

Il est donc recommandable de reconnaître la valeur de la piété populaire, d'en sauvegarder la vraie substance, de la purifier là où c'est nécessaire, de l'éclairer à la lumière de l'Écriture et de l'orienter vers la liturgie, sans l'opposer à elle. On reconnaîtra ici l'urgence de la formation des fidèles pour que la piété populaire évite ce qui peut favoriser la recherche à tout prix de « l'extraordinaire », les expériences pseudo-religieuses et toute manifestation de religiosité vague ou déviante.

La piété populaire est une expression de la foi

Il faut reconnaître que les multiples formes d'une authentique piété populaire sont le témoignage de la foi des gens simples de cœur, exprimée de façon directe. Elles soulignent tel ou tel aspect de la foi, sans prétendre en embrasser tout le contenu. Les éléments sensibles, corporels, visibles, qui caractérisent la piété populaire sont le signe du désir intérieur des fidèles d'exprimer leur adhésion au Christ, leur amour de la Vierge Marie, c'est aussi leur manière d'invoquer les saints : toucher une image du crucifix ou de la Vierge des douleurs, c'est une façon d'exprimer qu'on a quelque chose à voir avec cette douleur. Faire un pèlerinage à pieds, affronter la fatigue et dépenser de l'argent, c'est une façon de manifester le désir que l'on a de s'approcher du mystère qui est rendu visible dans tel ou tel sanctuaire. Porter une médaille est l'expression d'une confiance en l'intercession de Marie ou des saints.

La liturgie n'élimine pas les autres formes légitimes d'expression de la foi dans le Christ Sauveur. D'une manière ou d'une autre, les manifestations authentiques de piété populaire fondent toujours leurs racines dans les mystères de la foi chrétienne, même si parfois elles comportent des éléments dont l'origine peut lui être extérieure. Si au cours des temps les évolutions des mentalités ont parfois donné une place prédominante à l'extériorité au détriment de l'intériorité, ou favorisé des pratiques plus ou moins déviantes, il convient d'aider les fidèles à redécouvrir dans ces manifestations de piété populaire le lien vital avec l'acte de croire et de vivre dans le Christ.

Toutefois, s'il est essentiel que dans les formules de prière comme dans les gestes de dévotion posés par les chrétiens la foi chrétienne soit reconnaissables et qu'on y trouve nécessairement une référence à la Révélation chrétienne, on ne peut pas exiger que chaque pratique particulière de foi exprime la plénitude de la Révélation. La piété populaire n'est pas un tout complet en elle-même, elle a pour fonction de préparer le cœur, de disposer l'esprit à recevoir la grâce divine d'une manière plus ample à travers la célébration liturgique du mystère du Christ !

Conclusion : Les sanctuaires, des lieux pour la mission

Dans les sanctuaires où ils œuvrent, les vincentiens sont dépositaires de la grâce propre à ces lieux, à leur message. Et il leur revient de se laisser imprégner de cette grâce et de la diffuser. Mais, ils y trouvent aussi la possibilité d'y développer une pastorale où s'exprime l'esprit missionnaire vincentien.

C'est à la fois une chance et un défi qui leur sont ainsi proposés. Chance, parce qu'un sanctuaire rassemble des pèlerins de toutes origines venant d'un peu partout, parce qu'il répand largement le message évangélique et qu'il a le rayonnement d'un centre spirituel, enfin parce qu'il accueille ceux qui sont plus ou moins loin de l'Église, ou encore ceux qui désirent renouer avec elle sans trop se faire remarquer.

Mais c'est aussi un défi, pour les vincentiens, parce qu'il leur est possible d'y témoigner en profondeur de l'esprit de Monsieur Vincent, surtout dans la façon d'accueillir les personnes et les groupes, de leur être présents et de leur annoncer l'Évangile de l'espérance. Les sanctuaires sont largement fréquentés par les pauvres, par les malades, les « blessés de la vie », tous ceux à qui Vincent de Paul a envoyé ses fils et ses filles. Ils sont aussi fréquentés par des personnes qui ont besoin d'être sensibilisées à la solidarité, au partage, à l'attention à ceux qui souffrent…. L'originalité de ces lieux c'est que ces personnes y viennent d'elles-mêmes et sont le plus souvent en état d'écoute, de disponibilité intérieure. Quelle grâce est ainsi offerte au missionnaire !

Alors qu'en de nombreuses régions du monde, les pèlerinages, les rassemblements dans les sanctuaires connaissent un regain d'intérêt, les vincentiens se doivent de saisir l'occasion providentielle qui leur est donnée d'y annoncer l'Évangile aux pauvres et de créer les liens de solidarité et de fraternité entre des hommes et des femmes venant d'horizons de plus en plus variés. Il est bien d'autres champs pour la mission, mais celui-ci vient opportunément nous rappeler les soifs « spirituelles », et souvent aussi « corporelles », d'un peuple dont les frontières dépassent de loin celles de l'Église institutionnelle.

Originale

* Secrétaire de l'Association des Recteurs de Sanctuaires de France.

** Congrégation pour le Culte divin et la discipline des Sacrements. Directoire sur la piété populaire et la liturgie. Principes et orientations. Pierre Téqui éditeur, Paris, 2002.

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