La canonisation de Jean-Gabriel Perboyre et l'engagement missionnaire de la Congrégation

La canonisation de Jean-Gabriel Perboyre

et l'engagement missionnaire de la Congrégation

par Corpus Juan Delgado, C.M.

Dans une lettre adressée à tous les membres de la Congrégation de la Mission (20 avril 1995), le Supérieur Général rendait compte du décret du Pape Jean-Paul II, où culminait le procès de canonisation du Bienheureux Jean-Gabriel Perboyre (l). Dans la même lettre, le P. Robert P. Maloney exprimait ses souhaits, et ceux du Conseil Général, pour que nous vivions cet événement.

Avec la canonisation, le Pape déclarera solennellement que Jean-Gabriel "jouit de la vision de Dieu; que son intercession devant Dieu est efficace; et que sa vie présente les caractéristiques d'un authentique modèle chrétien" (2). Cette certitude porte l'Eglise, dès les premiers temps, à témoigner de la vénération aux martyrs (et ensuite aux autres saints), à invoquer leur médiation et à célébrer leur mémoire à l'Eucharistie (3).

Que peut signifier pour la Congrégation de la Mission, pour chacun des missionnaires, la

canonisation de notre confrère Jean-Gabriel Perboyre?

I.- Jean-Gabriel Perboyre nous stimule par l'exemple de sa vie

"Les saints nous rendent la sainteté plus accessible. Ils l'incarnent. Je désire exhorter tous les membres de notre famille vincentienne à méditer durant les prochains mois sur la vie de cet homme merveilleux" (4).

"L'exemple de leur vie nous stimule" (5).

1.- Jean-Gabriel, un missionnaire...

A l'âge de 16 ans, à l'occasion d'une mission prêchée par les lazaristes à Montauban, où Jean-Gabriel faisait ses études, il exprime clairement sa décision: "Je veux être missionnaire"(6). S'agissait-il seulement d'un enthousiasme juvénile?

En décembre 1818, il entre au Séminaire Interne de la Congrégation de la Mission, à Montauban. Il passe ensuite à Paris pour étudier la théologie. Ses études terminées, il est destiné au collège de Montdidier, en attendant qu'il atteigne l'âge requis pour l'ordination sacerdotale. Il est ordonné prêtre le 23 septembre 1826 et destiné au Grand séminaire de Saint-Flour. En 1835, il devient sous-directeur du Séminaire Interne de Saint-Lazare.

En commentant un jour le martyre de M. Clet, Jean-Gabriel s'écrie: "Quelle belle fin que celle de M. Clet! priez Dieu que je finisse comme lui." Et, quand arrivèrent à Paris quelques reliques de M. Clet, martyrisé en Chine, il les montra aux séminaristes en disant: "Voici l'habit d'un martyr, voici l'habit de M. Clet! Voici la corde avec laquelle il a été étranglé! Quel bonheur pour nous, si nous avions un jour le même sort!" Et il demande à l'un des séminaristes: "Priez donc bien que ma santé se fortifie et que je puisse aller en Chine, afin d'y prêcher Jésus-Christ et d'y mourir pour lui!... je ne suis entré à Saint-Lazare que pour cela!".

La mort de son frère Louis, au cours du voyage, ravive encore plus son désir d'aller en Chine comme missionnaire, "bien que je ne me sente pas digne d'occuper le poste qu'il laisse vacant", avoue-t-il.

L'objection à son envoi en Chine, sa santé précaire, est surmontée le 2 février 1835, quand le médecin retire ses hésitations.

De 1836 à 1840, Jean-Gabriel développe principalement son activité missionnaire dans les provinces de Honan et de Houpé. Quatre ans et demi à peine de prédication et de catéchèse pour encourager les chrétiens, éprouvés par la persécution, appauvris et géographiquement dispersés (7).

Jean-Gabriel, comme les autres missionnaires, est hors-la-loi, exposé à des dangers continuels, obligé à voyager déguisé ou en cachette. "Pour aller au ciel, il faut faire des sacrifices!".

2.- ... identifié au Christ

Les biographes de Jean-Gabriel Perboyre ont fait ressortir son identification avec le Christ: Alter Christus, autre Christ, a-t-on dit de lui avec justesse.

On nous a conservé divers écrits de Jean-Gabriel où il exprime vivement son identification avec Jésus-Christ:

"JE SUIS LE CHEMIN: Quel chemin? Le chemin de l'humilité, de la charité, de l'obéissance, de la patience, de la perfection, du bonheur et de la gloire du Ciel. Si nous voulons devenir parfaits, si nous voulons obtenir le bonheur et la gloire du Ciel, il faut aller par ce chemin. Mais pour ne pas nous égarer, nous avons besoin d'un flambeau qui nous éclaire. Eh bien, le Christ nous servira aussi de flambeau, parce qu'il est la Vérité et qu'il nous déclare: 'Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres et il aura la lumière de la vie'. Nous avons aussi besoin d'une force qui nous soutienne dans ce chemin et nous permette d'y persévérer. Et de nouveau Jésus nous résout ce problème: C'est Lui qui sera notre force. Il a voulu être notre aliment en se donnant dans l'Eucharistie, et c'est pourquoi il nous a dit: JE SUIS LA VIE".

"Jésus-Christ est le Grand Maître de la science; c'est lui seul qui donne la vraie lumière. Toute science qui ne vient pas de lui et ne conduit pas à lui est vaine, inutile et dangereuse. Il n'y a qu'une seule chose importante, c'est de connaître et d'aimer Jésus-Christ".

"Nous ne pouvons parvenir au Salut que par la conformité avec Jésus-Christ. Après notre mort, on ne nous demandera pas si nous avons été savants, si nous avons occupé des emplois distingués, si nous avons fait parler avantageusement de nous dans le monde; on nous demandera si nous nous sommes occupés à étudier Jésus-Christ et à l'imiter".

Et dans une prière inspirée que Jean-Gabriel composa lui-même, il s'exprime ainsi:

"O mon divin Sauveur, faites, par votre toute puissance et votre miséricorde infinie que je sois changé et tout transformé en vous. Que mes mains soient les mains de Jésus! Que mes yeux soient les yeux de Jésus! Que ma langue soit la langue de Jésus! Que tous mes sens et tout mon corps ne servent qu'à vous glorifier! Mais, surtout, transformez mon âme et toutes ses puissances; que ma mémoire, mon intelligence, mon coeur, soient la mémoire, l'intelligence et le coeur de Jésus! Que mes opérations, mes sentiments soient semblables à vos opérations, à vos sentiments! Et que, comme votre Père disait de vous: 'Je vous ai engendré aujourd'hui', vous puissiez le dire de moi et ajouter aussi comme votre Père céleste: 'Voici mon fils bien-aimé, l'objet de mes complaisances'".

Jésus-Christ est la personne qui attire Jean-Gabriel avec une force assez grande pour qu'il se laisse ravir la vie, qu'il apprécie et qu'il voit si nécessaire pour évangéliser (8 ).

3.- ... jusqu'à la mort et la mort sur la croix

Jean-Gabriel a vécu l'identification au Christ jusqu'à la mort et la mort de la croix.

Il avait écrit à son père: "Si nous avions à souffrir le martyre, ce serait une grande grâce que le bon Dieu nous accorderait; c'est une chose à désirer et non à craindre". Et au Supérieur Général: "Je ne sais ce que l'avenir me réservera. Sans doute beaucoup de croix. La croix est le pain quotidien du missionnaire".

Jean-Gabriel participa à la Croix du Christ dès son arrivée en Chine: voyages pénibles, persécution... Finalement trahi par l'un de ses catéchumènes pour trente taëls (9), il subit une longue passion de tribunal en tribunal.

Le P. Rizzolati le pria d'écrire une lettre à ses confrères depuis la prison. Le papier, taché de sang, dit en latin:

"Les circonstances du temps et du lieu ne me permettent pas d'écrire avec de longs détails... Lorsque je fus parvenu à Kou-tch'eng (où je fus bien traité par le Tche-hien - sous-préfet - tout le temps de mon séjour) j'y subis deux interrogatoires. A Siang-yang-fou, j'ai subi quatre interrogatoire, pendant l'un desquels je suis resté toute une demi-journée durant sur les genoux nus sur des chaînes et suspend au hant-se (instrument de supplice). A Ou-tch'ang-fou, j'ai subi plus de vingt interrogatoires et dans presque tous, j'ai souffert diverses tortures, parque je ne voulais pas dire ce que les mandarins désiraient apprendre (si j'eusse parlé, la persécution aurait vite éclaté dans tout l'empire). Cependant, ce que j'ai souffert à Siang-yang-fou a été directement pour la cause de la religion. A Ou-tchang-fou, j'ai reçu cent dix coups de pan-tse ou planchette, parce que je n'ai pas voulu fouler la croix.

A un catéchiste, venu le visiter dans sa prison, il demande: "Quand tu retourneras, salue en mon nom tous les chrétiens. Dis-leur de ne pas craindre cette persécution. Qu'ils aient confiance en Dieu. Moi, je ne les reverrai plus, eux non plus ne me reverront pas; car je serai condamné à mort. Mais je suis heureux de mourir pour le Christ”!.

Jean-Gabriel mourait le 11 septembre, à l'âge de 38 ans, attaché à une croix. Elles retrouvent ainsi tout leur sens ces paroles du jeune étudiant: "Oh! qu'elle est belle cette Croix plantée au milieu des terres infidèles et souvent arrosée du sang des apôtres du Jésus-Christ".

Le témoignage de sa vie stimule notre engagement missionnaire

La vie et la mort de Jean-Gabriel peuvent susciter en nous des réactions qui dynamisent notre engagement missionnaire:

1. L'amour de notre vocation missionnaire:

Saint Vincent de Paul, repassant les activités missionnaires confiées à la Congrégation, s'exclamait:

"... faire connaître Dieu aux pauvres, leur annoncer Jésus-Christ, leur dire que le royaume des Cieux est proche et qu'il est pour les pauvres..., oh! quel grand sujet de louer Dieu, mes frères, et de le remercier incessamment de cette grâce!" (11).

Le témoignage de la vie de Jean-Gabriel nous porte aussi à nous exclamer, en chantant l'excellence de la vocation du missionnaire. Sa canonisation sera une occasion de croître dans l'amour de notre vocation et de la vivre avec une joyeuse reconnaissance.

2. Désir de croître en sainteté:

Dans l'encyclique Redemptoris Missio, Jean-Paul II a écrit:

"Tout missionnaire n'est authentiquement missionnaire que s'il s'engage sur la voie de la sainteté... Il faut susciter un nouvel élan de sainteté chez les missionnaires et dans toute la communauté chrétienne... Le vrai missionnaire, c'est le saint" (12).

La reconnaissance de la sainteté de vie de Jean-Gabriel encouragera l'effort de chacun des missionnaires pour avancer dans la voie de la sainteté.

3. Identification au Christ:

Les Règles Communes de la Congrégation de la Mission nous rappellent: .

“Pour que cette Congrégation parvienne, moyennant la grâce de Dieu, à la fin qu'elle s'est proposée, elle doit faire son possible pour se revêtir de l'esprit de Jésus-Christ" (13).

Et l'Assemblée générale de 1992 confirme:

"Cherchant à nous identifier à Jésus-Christ, évangélisateur des pauvres, nous nous revêtons toujours davantage de son Esprit" (14).

La canonisation de Jean-Gabriel, alter Christus, doit fortifier notre décision de vivre dans le Christ et de faire de Lui notre Règle, le centre de notre vie et de notre activité (15).

4. Participation à la croix du Christ:

Selon saint Vincent de Paul, notre identification au Christ doit être totale, en cohérence avec l'offrande d'amour extrême de sa mort en croix:

"Ressouvenez-vous, Monsieur, que nous vivons en Jésus-Christ par la mort de Jésus-Christ,... que notre vie doit être cachée en Jésus-Christ et pleine de Jésus-Christ et que pour mourir comme Jésus-Christ il faut vivre comme Jésus-Christ (16).

La reconnaissance par l'Eglise du martyre de Jean-Gabriel nous assure qu'il fut un disciple authentique du Maître. L'identification avec le Christ en croix rendra authentique notre engagement missionnaire.

5. Disponibilité pour tout souffrir par amour:

Saint Vincent de Paul, conscient de l'exigence de la vocation missionnaire, nous invite à être prêts à tout pour la mission:

"C'est une espèce de martyre que d'exposer sa vie, traverser les mers pour le seul amour de Dieu, pour le Salut du prochain; pource qu'encore bien qu'on ne le soit pas d'effet, du moins on l'est de volonté, puisque l'on quitte tout, on s'expose à je ne sais combien de périls..."

"Serait-il bien possible que nous fussions si lâches de coeur et si efféminés que d'abandonner cette vigne du Seigneur où sa divine Majesté nous a appelés, pource seulement qu'en voilà quatre ou cinq ou six qui sont morts!... Disons: `Non, cela ne sera pas capable de me faire abandonner cette résolution'" (17).

Le témoignage du martyre de Jean-Gabriel, sa participation à la croix du Christ, soutiendront notre dévouement au milieu des adversités inhérentes à la mission. *

C'est de cette manière que deviendra réalité la béatitude de Monsieur Vincent: "Que nous serions heureux de devenir pauvres pour avoir exercé la charité envers les autres! Mais ne craignons pas de le devenir par cette voie...Si, néanmoins, Dieu le permettait, quel bonheur, Messieurs, de pouvoir répondre: 'C'est la charité!' "(18).

Le témoignage du martyre de Jean-Gabriel nous aidera à découvrir que l'engagement missionnaire se mesure par la charité, à la suite du Maître qui donne sa vie pour tous.

II.- Jean-Gabriel Perboyre nous aide par son intercession

"Avec vous tous, je demande aujourd'hui que Jean-Gabriel Perboyre, notre frère, nous incite à vivre notre vocation missionnaire avec plus de générosité" (19).

"Leur prière fraternelle nous aide" (20)

L'identification du martyr avec le Christ mourant entraîne aussi une participation à l'efficacité de son oblation. La mort de Jean-Gabriel participe au caractère sacrificiel de la mort du Christ et de sa vertu rédemptrice. Sa canonisation est la reconnaissance par l'Eglise de l'importance de son martyre pour la communion des saints. C'est pourquoi Jean-Gabriel peut nous aider par son intercession.

1. Par l'intercession de Jean-Gabriel nous demandons la générosité dans l'esprit missionnaire pour tous et chacun des membres de la Congrégation de la Mission et de la famille vincentienne.

2. Par l'intercession de Jean-Gabriel nous prions, plus concrètement, pour les nouveaux engagements acquis par la Congrégation de la Mission à la suite de l'Assemblée Générale de 1992 et des demandes adressées par le Supérieur Général à chacun des missionnaires et à chaque province (22).

3. Par l'intercession de Jean-Gabriel nous prions, très spécialement, pour notre mission de Chine, "nous rappelant les sacrifices de ceux qui y ont travaillé dans le passé et exprimant notre reconnaissance pour la fidélité de ceux qui continuent à y vivre, en étant témoins du Christ ainsi qu'en attendant avec espoir un futur travail d'évangélisation en Chine" (23).

(Traduction: Jules Vilbas, C.M.)

___________________

(1) P. Robert P. Maloney, dans Vincentiana (1995), 66-67.

(2) P. Molinari, Canonización, Sacramentum Mundi.

(3) Ceci explique en quel sens et pour quelles raisons l'Eglise canonise. Il est bien connu que, depuis 1234, la canonisation fut réservée au pape, la procédure à suivre se précisant peu à peu en détail.

(4) P. Robert P. Maloney, ibidem.

(5) Préface des Saints.

(6) Les renseignements sur la vie de Jean-Gabriel et les textes que nous citons dans ce travail sont tirés de l'ouvrage du P. André Sylvestre: "Jean-Gabriel Perboyre, prêtre de la Congrégation de la Mission, lazariste". Puech-Montgesty. Voir aussi: "Vie du Bienheureux Jean-Gabriel Perboyre". Paris, 1889; et J. Herrera: "Alter Christus. Vida del Beato Juan-Gabriel Perboyre". Madrid, 1942.

(7) Voir A. Piras, "I martiri crocifissi: Clet e Perboyre" dans "Annali della Missione" (1988), 53-66.

(8) Jean-Gabriel accueille le martyre comme une grâce de Dieu, bien que "en Chine, où les prêtres sont si rares, il vaut mieux pour la Gloire de Dieu vivre que mourir".

(9) Monnaie locale.

(10) Instrument de supplice

(11) Coste XII, 30

(12) Redemptoris Missio, 90

(13) RR.CC. I, 3.

(14) Lettre de l'Assemblée Générale de 1992.

(15) Cf. Constitutions, 5.

(16) Coste I, 295.

(17) Coste XI, 422-423.

(18) SVP XI, 767-765 (édit. esp.) Maynard, 130.

(19) P. Robert P. Maloney, ibidem

(20) Préface des Saints.

(21) Cf.. O. Semmelroth, Martyrio, Sacramentum Mundi.

(22) L'Assemblée Générale sanctionna ce Statut: " Que le Supérieur Général et son Conseil aient vraiment le pouvoir d'obliger les Provinces à participer à des ministères - oeuvres, engagements - missionnaires internationaux". Le Supérieur Général écrivait à tous les prêtres et frères de la Congrégation de la Mission (9 Octobre 1992): "J'ai décidé, avec l'appui et le consentement unanime du Conseil Général, d'établir chaque année une nouvelle mission ad gentes, avec une participation internationale, durant les six années de mon mandat".

(23) P. Robert P. Maloney, lettre du 20 avril 1995.