Justice et charité dans la mission

Justice et charité dans la Mission

Getúlio Mota Grossi, C.M.

Nous connaissons tous l'avertissement de notre saint fondateur: "S'il s'en trouve parmi nous qui pensent qu'ils sont à la Mission pour évangéliser les pauvres et non pour les soulager, pour remédier à leurs besoins spirituels, non temporels, je réponds que nous les devons assister et faire assister en toutes manières, par nous et par autrui" (1).

Fidèle à son charisme, durant les missions, outre la prédication et la catéchèse, saint Vincent s'appliquait toujours à la fondation des Charités pour le soulagement des besoins corporels des pauvres.

Maintenant, les temps ont changé. "L'irruption" du pauvre dans la société et dans l'Église, l'approfondissement de la dignité de la personne humaine et de ses exigences dans tous les domaines de la vie, la clameur pour la justice en face d'un monde de plus en plus inégal, pose aujourd'hui pour nous, disciples de saint Vincent, si nous voulons être fidèles à son esprit, l'urgente question de la justice dans la Mission. D'où le titre de notre réflexion: "Justice et Charité dans la Mission".

Nous allons mener notre réflexion en trois moments: a) perspectives éthiques actuelles sur

la Justice, b) enracinement biblico-théologiques, c) perspectives Vincentiennes. Je proposerai quelques questions pour le débat qui suivra et je présenterai quelques pistes d'action, à la lumière des réflexions faites et de notre expérience missionnaire au Brésil.

I - Perspectives éthiques actuelles sur la Justice

1. Insuffisances du cadre traditionnel

D'entrée, on pourrait s'interroger: de quelle justice s'agit-il? Personne n'ignore la définition et la division traditionnelle de la justice qui nous vient d'Aristote (2), en passant par Thomas d'Aquin (3) et l'enseignement de l'École, dite justice commutative, distributive et légale.

La définition, ainsi que l'étymologie, à laquelle on rattache généralement le mot lui-même(4), montre bien l'insuffisance et les ambiguïtés de la triade classique: a) la tendance à "encadrer la justice dans le schéma formel d'habitus-vertu", en lui imprimant, d'emblée, "une marque subjective" (5); b) la concrétisation de l'objet de la justice dans les limites du droit établi à l'intérieur d'un ordre déterminé, où la note de stricte exigibilité oriente vers le minimum légal. "L'altérité" se trouve orientée plutôt vers les rapports interpersonnels - personnes physiques ou juridiques entre elles - au plan horizontal. Le plan vertical, ascendant ou descendant: individu-État, individu-société, ou vice-versa, n'est pas bien posé, du fait que la conception de ces derniers (Etats et société) les présente comme des réalités parfaites et intouchables, qui imposent le respect de la loi et de l'ordre, ignorant les sens de la justice comme moralisation et transformation des structures sociales, économiques et politiques.

L'accent et la prédominance tendancielle de la justice commutative (6) ou au moins de l'aspect commutatif ou d'échanges (dans tous les sens) toujours selon les règles du système - reviennent bien au goût du palais libéral et sont très bien assimilés, parce que facilement manipulés et instrumentalisés par les maîtres du marché global.


L'aspiration à l'égalité et à la participation, née au sein de la société du progrès technique, révèle un progrès de la conscience humaine, comme le remarquait déjà Paul VI (7). De là s'élèvent de nouvelles et légitimes exigences, dans le contexte des relations difficiles des hommes entre eux. L'attention se porte aujourd'hui sur les divers obstacles à une existence équilibrée face à la croissante complexité de l'organisme social, qui tend à occulter les irresponsabilités et à diluer dans l'anonymat les connivences et les inerties contraires à l'engagement solidaire en faveur de la vie. Cela soulève l'urgence d'une redéfiniton de la justice dans le monde, de manière plus ample.

  1. Pour une redéfinition de la justice.

Il y a des droits et des exigences de base de la personne humaine qui sont antérieurs à n'importe quel ordre juridique concret. Il y a des "ajustements", des changements et des transformations à faire, non seulement à l'intérieur et à partir d'un système ou d'un ordre établi, mais à implanter et à établir au coeur des structures du système lui-même. Il convient de rappeler, à cet égard, la fonction créatrice du droit, présente déjà dans la conférence de Genève (1966) sur l'Église et la Société (8).

Plutôt qu'un ordre à respecter et à faire valoir conformément à la conception classique de la justice, on est en face d'un désordre à démonter et d'un nouvel ordre à créer. Déjà en 1962, Mgr Bruno Solages présentait des idées audacieuses et très pertinentes sur cette question, dans son excellent ouvrage "Initiation Métaphysique" (9).

Cette nouvelle compréhension a fait surgir l'expression "justice sociale", consacrée par Pie XI et employée par la suite dans les documents postérieurs de la Doctrine Sociale de l'Église. Depuis lors, elle apparaît, théoriquement assimilée, dans presque tous les programmes politiques, explicitant l'idéal éthique d'un ordre économique et social (10).

Le phénomène de l'appauvrissement aigu de foules immenses dans l'humanité, nouveau "signe des temps", pousse la conscience de l'humanité et surtout des chrétiens vers l'inéluctable problème de la justice dans un sens plus large encore. Il s'agit de sa face dynamique et évolutive, dans un effort continu et jamais achevé, d'articuler dialectiquement son horizon utopique avec la réalité des démarches possibles, mais absolument nécessaires et inévitables. Pour les croyants, c'est l'enchaînement, toujours en tension féconde, du pas encore de l'idéal eschatologique avec le "déjà là" de la présence de la grâce libératrice pour tous hommes, surtout des pauvres, pour la vie.

En effet, la justice, aujourd'hui, est une question de vie. Elle est la conscience radicale et dynamique d'une lutte et d'une action pour la vie. Car la vie est, par elle-même, la source du droit fondamental de survivre en dignité, d'être agent et sujet de sa propre histoire, d'affirmer sa citoyenneté dans la participation aux divers niveaux de l'existence et de l'activité humaines: telle est la justice sociale, économique, politique, écologique; justice structurelle, ou justice tout court, justice radicale.

Comme autrefois avec le peuple de Dieu en Égypte, il y a une clameur étique pour un nouvel exode (11) d'une situation de plus en plus insoutenable.

3Une clameur étouffée

Les grands du système, tendent aujourd'hui, non sans une dose évidente de cynisme, à amortir le cri des pauvres en le disqualifiant pour étouffer leur clameur. Ils prétendent vider leur conscience "d'opprimés", pour apaiser leur conscience de dominateurs et de maîtres du monde en proclamant: "On ne les exploite pas, on n'a pas besoin d'eux". (12)

Il est clair que l'exploitation centenaire et monstrueuse de la main d'oeuvre, l'imposition de conditions inégales et avilissantes dans les opérations commerciales entre groupes et nations (13), appuyées par des rapports de pouvoir, ont rendu possible une progressive et fantastique accumulation de ressources entre les mains des puissants. L'immense potentiel productif, qui s'appuie maintenant sur les progrès technologiques et de l'informatique, obtenu au prix du sang et de l'épuisement des appauvris, est en train d'éliminer de plus en plus la force ouvrière, achetée auparavant à bas prix sur le marché ouvert et supersaturé de "l'armée industrielle de reserve".


Aux pauvres, maintenant, matière que l'on peut écarter, foule marginalisée et incommode, il ne reste pas même la possibilité d'un cri justifiable. Au maximum seraient-ils un objet de miséricorde, une bonne pâture propre à nourrir la vanité, à soulager la conscience dans des propagandes promotionnelles de certains types de campagne de solidarité et d'aide humanitaire.

Plus que jamais, donc, se pose le défi d'une authentique réflexion éthico-historique pour éveiller parmi les hommes la conscience de la situation d'injustice actuelle, et pour établir le droit radical et primaire de survivre et vivre de tout homme ou femme qui vient en ce monde. Jamais, aussi, ne s'est imposée avec autant d'urgence une vision de la justice comme tâche globale, comme mouvement dynamique de conquête, à l'intérieur d'une conception de la vie humaine comme processus et marche continue vers un but utopique d'humanisation totale, au sein de laquelle doivent surgir des exigences toujours nouvelles, en réponse au développement de l'être humain, de plus en plus sensible aux appels de la vie, comme droits de justice.

La tâche est, par conséquent, de construire la vie et une vie digne, toujours plus de vie, puisque la vie "est une réalité, de par sa nature même, toujours ouverte à un plus" (14).

Ce qui est en jeu, évidemment, c'est la vie des appauvris, des marginalisés, des exclus, mais qui sont les choisis et les préférés du coeur de Dieu et du projet libérateur du Christ, assumé avec une passion mystique par le charisme de notre saint fondateur: annoncer aux pauvres l'Évangile de la Vie, le Royaume de Dieu et sa justice. (15)

Nous allons maintenant passer à un autre plan de réflexion.

II - Références biblico-théologiques

1Le mot "justice" dans la Bible

Avant de rappeler les deux catégories-clés de la Bible, propres à notre réflexion, nous avons jugé utile de faire une allusion à l'analyse des termes les plus employés pour exprimer le concept de justice dans le Proche-Orient ancien et le peuple de la Bible, d'après l'intéressante étude de Léon Epstein (16).

Il résulte de ses minutieuses observations, appuyées par des nombreuses et sérieuses citations, qu'il est absolument impossible d'enserrer le concept biblique de justice dans une signification unique et réduite à un seul secteur (17).

Bien avant l'élaboration biblique, mais dans le même contexte, affleure "l'idée de plénitude et d'abondance, de vie heureuse où tout se trouve à sa place et où il ne manque rien"(18).

Précisément, cette élasticité du mot nous renvoie à la plénitude du Royaume de Dieu et de sa Justice dans le Nouveau Testament, qui est libération et vie pour les pauvres.

2.Le Royaume de Dieu dans l'Évangile et un nouvel ordre de justice

"Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice et tout cela vous sera donné par surcroît" (19).

Le verset s'insère dans l'ample contexte du discours évangélique raconté par Mathieu. Il vient aussitôt après le sévère avertissement de Jésus - "Nul de peut servir deux maîtres" (20), qu'il explicite par ces mots: "Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent" (21).

Loin, donc, de blâmer les efforts, pleins d'angoisse et de douleur, du pauvre pour sa survie, il y a là une claire réprimande, contre le désir insatiable de consommation et d'accumulation, excluante de la part des mauvais riches de ce monde: "Ne vous amassez point de trésors sur la terre" (22).


Le "par surcroît" n'est ni un encouragement à l'inertie ni une incitation à ne pas s'engager. L'exégèse des pauvres est éclairante: "Dans un monde nouveau où seraient établies des relations plus justes dans l'ensemble de la vie des hommes, où les personnes seraient estimées pour ce quelles sont et non pour ce quelles ont ou pour le pouvoir quelles détiennent, où les droits fondamentaux de la personne humaine seraient respectés, où serait respectée la souveraineté du Dieu juste et l'égalité radicale de tous ses enfants, en un mot, où l'on chercherait sincèrement le Royaume de Dieu et sa justice, le "surcroît" serait une vie digne pour tout le monde, qui serait une conséquence, un fruit spontané de l'ordre vrai, du nouvel ordre de la justice et de "l'amour sans feinte" (23).

Voilà, la justice du Dieu du Royaume, la justice du Royaume du Dieu juste!

2.1Royaume de Dieu et vie.

L'expression "entrer dans le Royaume" a pour équivalant, dans l'Évangile de Mathieu, "entrer dans la vie" (24).

Marc articule les deux expressions dans la même péricope (25). Entrer dans le Royaume c'est alors entrer dans la Vie.

Les miracles, les attitudes, toute la pratique de Jésus sont l'accomplissement de l'annonce missionnaire de la vie pour les pauvres (26).

En fait, il est venu apporter la Bonne Nouvelle du Royaume présent dans sa personne (27) et cette Bonne Nouvelle est la "Vie en abondance pour tous" (28), mais, avant tout, pour les premiers destinataires du Royaume (29). On voit par là que, Royaume de Dieu, justice de Dieu et Vie s'identifient.

Mais affirmer que notre Dieu est le Dieu de la vie, que son Royaume est vie n'est pas toute la question. Il y en une autre, fondamentale pour les pauvres: la question du sens à donner à ces mots et de la concrétisation historique du Royaume.

2.2Royaume de Dieu et réalisation historique

Le binôme "foi-vie", si accentué dans les Communautés de Base à partir d'une lecture libératrice du message du Royaume, trouve son inspiration et un fondement solide dans l'imaginaire créé par les prophètes.

Ils annoncent une plénitude messianique dans des termes d'une réalité si palpable qu'elle soulève les coeurs des pauvres vers l'espoir d'une ère de justice et de vie heureuse sur terre.

Le banquet messianique - on omet d'autres images, d'ailleurs bien connues - est décrit par Isaïe de façon tellement concrète et expressive (30) qu'il ne peut se prêter au réductionnisme d'une spiritualisation tout à fait abstraite (31). C'est une "horreur" de le renvoyer tout entier à un futur lointain et inaccessible, en aucune manière, en ce monde.

Le Royaume de Dieu et l'espoir de justice et de vie pour les pauvres, dès ici bas, dans ce monde, est une constante dans nos Cercles Bibliques et dans les cantiques de nos Communautés de Base, qui sont tout impreignés de la Bible et des prophètes, de l'Ancien et du Nouveau Testament (32). Suivant de près l'inspiration biblico-prophétique, on voit apparaître aussi tout un imaginaire populaire dans des poèmes où les gens expriment leurs recherches, leurs espoirs et leurs joies malgré la douleur, leurs luttes et leurs souffrances sur le chemin. On y entrevoit et on y vit la venue concrète du Royaume, au contraire, mais par contre, à la lumière de sa plénitude eschatologique, rendue présente dans les petites victoires de la lutte et de l'engagement solidaire pour la vie, fruits du don, de la grâce et de la présence active du Seigneur.


Des mots et des expressions telles que "nos droits viendront", "monde nouveau", "monde de frères", "peuple nouveau", "lutter, croire, vaincre la douleur", "fraternité", "terre", "travail", "salaire", "partage", "libération", "vie" et "justice", sont tous modulés de mille manières, imprégnés de la foi en la présence de l'Esprit de Jésus. On les rencontre dans les cantiques des célébrations liturgiques, ainsi que, dans les chants, pleins d'élan et de courage civique, des rencontres, des réunions, des marches et des défilés des mouvements et organisations populaires.

Sans aucun doute, "l'Esprit qui est la vie" est là quand ils découvrent que les petites démarches et conquêtes, de même que les miracles de Jésus, rendent présente la réalité du royaume dont ils attendent la plénitude dans l'espérance et qu'ils vivent déjà dans la foi.

Encore une fois, ce serait cruel, et je crois que ce ne serait pas théologique ni biblique, de remettre et de situer l'espoir des pauvres au plan exclusivement transtemporel de la parousie finale du Seigneur (33).

Cette intuition de foi et cette expérience de vie, nos théologiens les expriment avec compétence et de façon appropriée (34). On va voir plus avant un aspect de cette "théologie organique", celui du péché, très étroitement lié à notre sujet.

3.Alliance et justice du Dieu du Royaume

C'est précisément à la lumière de cette catégorie centrale de la Bible qu'on saisit mieux le sens de la justice du Dieu du Royaume.

Faute de temps, on va s'en tenir à des touches bien rapides sur deux aspects importants pour notre sujet.

La justice de Dieu dans son Alliance avec le peuple tient, premièrement, à un certain caractère juridique que sa bonté et miséricorde ont voulu lui conférer: "Je suis votre Dieu et vous serez mon peuple"(35).

Il ne s'agit pas évidemment de partenaires égaux. Mais les sens de la gratuité et du don, dans l'Alliance, ne lui ôte pas pour autant le caractère d'une obligation de justice.

En proposant l'Alliance comme un pacte fait entre deux, Dieu veut s'obliger à lui être fidèle, puisqu'il est un Dieu juste.

La justice de Dieu est alors sa fidélité à l'Alliance et à tout ce qu'elle referme: élection, promesse, terre, descendance nombreuse, bénédiction, protection et vie. (36)

C'est pourquoi, aussi, protéger la vie du peuple, en établissant la justice et le droit "est une des grandes exigences de Dieu dans l'Ancien Testament. C'est dans cette mission que s'exprime le mieux la fidélité à l'Alliance entre Dieu et son peuple. Le Dieu de la vie et de l'amour veut que, parmi son peuple, règne la justice et que soit respecté le droit de tous, en particulier des plus pauvres"... "Ce sont là les fruits qu'aurait dû produire la vigne que le Seigneur a planté et dont il prend soin" (37).

Mais la justice du Dieu du Royaume est rehaussée et transfigurée surtout dans le caractère d'épousailles de l'Alliance, si fortement présent et de façon si suggestive dans l'Ancien Testament (38), ainsi que dans les paroles et les paraboles de Jésus (39). Ce caractère sponsal" de l'Alliance engage le Seigneur à se donner à son peuple et à lui donner tout ce que l'amour des époux exige: présence, protection, tendresse, fidélité, justice, don de soi-même et de sa vie. "A lumière de l'Alliance entre Yahvé et le peuple (entre le Christ et l'Église) les thèmes sociaux (ajoutons: économiques, politiques, écologiques et ceux de la justice radicale) se transforment en question de foi, en des éléments qui caractérisent la qualité de la foi et ne peuvent être réduits au niveau d'une simple législation sociale. À sa lumière, aussi, nous jugeons les "jubilés pervers" qui ne font qu'adoucir la situation du pauvre pour le maintenir sous le joug, ajoutant en plus un complexe de gratitude" (40). À la lumière, enfin, de ce caractère "sponsal", "l'amour fort comme la mort" devient un devoir de justice! En effet, dans la Nouvelle Alliance, on voit que le "Christ a aimé son Église et s'est livré pour elle" (41).

4. -Justice du Royaume et nouvelle notion du péché.

L'ampleur de la justice signalée dans les perspectives éthiques trouve son écho et son approfondissement dans la théologie.


Là, on y parlait de désordre structurel. On parle, ici, de péché, de péché structurel, péché social, d'injustice systématique en tant que péché fondamental contre le don de la vie reçue du Créateur et reconquise par la Croix du Seigneur.

On ne peut comprendre la justice-vie, en termes chrétiens, à partir d'aucun projet historique déterminé, ni d'aucun critère élitiste de perfection sociale ou d'assujettissement à un prétendu ordre établi, nous l'avons dit, ni à l'intérieur d'aucun système de pouvoir, soit civil, soit ecclésiastique ou mixte (42).

La dimension eschatologique de la plénitude de la vie et de la justice qui révèle la sainteté de Dieu (43) nous maintient en attitude critique et vigilante devant n'importe quel projet historique et nous invite à "relativiser" toutes les structures, institutions ou organisations concrètes de la vie humaine -puisque elle est toujours ouverte à un plus, comme on l'a dit avant- toujours en tension vers une plénitude méta-historique et surnaturelle, ajoutons ici.

À partir de la réflexion biblique sur la libération du peuple de Dieu de l'esclavage du Pharaon, la clameur des pauvres de nos Communautés de Base, d'un ton vigoureux, éveille la conscience de l'Église: "La clameur de millions d'hommes demandant à ses Pasteurs une libération qui ne leur vient d'aucune part" (44) a touché au fond du coeur des évêques de la deuxième Conférence Générale de l'Épiscopat latino-américain. Le document prophétique de Medellin dénonce le "fait collectif de la misère" comme une "injustice qui crie vers le ciel" (45). Il parle de la "situation d'injustice", de la "violence institutionnalisée" (46) et des "inégalités injustes" comme d'un "rejet du Seigneur" (47).

Ce langage devient un thème de la Théologie Morale. Dès lors, les expressions structure de péché, “péché structurel”, péché social se répercutent dans d'autres documents officiels de l'Église. La réflexion théologico-pastorale les comprend par opposition au projet de vie révélé dans l'Exode, quand le peuple s'écarte de ce projet.

Dieu y est défini comme "juste" et "notre Justice" (48). Être le miroir du Dieu juste et ami de la vie, dans la réciprocité de l'Alliance, accueillant, dans la terre de la promesse, l'offre de la vie (49) à travers des structures de vie fraternelle, telle est la vocation du peuple de Dieu, puisqu'il donnera un jour naissance en son sein au Sauveur et Seigneur de la vie, dont la mission doit être le rachat de la vie de tous, spécialement des pauvres (50). Le péché de chacun et du peuple entier serait de briser ce projet, choisissant la mort (51).

Notre Théologie a affronté le défi de faire la théorie de ce projet de vie, le rachetant d'un "ancien modèle piétiste et ritualiste" (52). Elle lie la vertu et l'attitude fondamentale du chrétien qui cherche la justice aux appels de "l'Esprit qui est vie par la justice", et "dont le désir c'est la vie" (53). Rapportons ici l'intuition prophétique, plus actuelle que jamais, de notre martyr, le grand Mgr Romero, qui, paraphrasant Saint Iréné, disait "la gloire de Dieu est la vie des pauvres".

Cette vie est toujours sacrifiée sur l'autel des exigences sacrées du marché!

Il convient, ici, de faire allusion à Hugo Assman qui démasque avec perspicacité les "sacralisations" et "théolgisations" que les économistes libéraux ou néolibéraux aiment à faire pour légitimer, de façon subtile et rusée, les structures, les exigences et les rituels "intouchables" du marché, dont les "lois naturelles" sont guidées par une "main invisible" et "providentielle" (54). Il démasque le processus qui vise à faire taire la clameur d'une réalité criante, où le pauvre ne compte pas comme une variable dans l'équation du système économique et concurrentiel de l'efficacité productive.

Les certitudes "religieuses", "inébranlables" et "idolâtriques" de la rationalité économique imposent de plus en plus un "rite sacrificiel", dans l'offrande de vies humaines sur l'autel du Dieu Marché", renvoyant sans cesse à plus tard l'espoir des pauvres ou l'ignorant au profit d'une vertigineuse voracité de concentration excluante et de rêves de pouvoir et domination. On y touche la racine du grand péché actuel: l'idolâtrie du Dieu Argent, frappé par Jésus de manière lapidaire, modulée par l'Apôtre Paul: "La racine de tous les maux c'est l'amour de l'argent. Pour s'y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi". (55) Il se trouve incrusté dans les législations et les organisations sociales, présent aux rapports pervers dans le travail et le commerce, inséré aux mailles des structures de mort d'un système inique, attentatoire à la vie des pauvres. Péché structurel, situation de péché, injustice institutionnalisée qui a éveillé la théologie pour une nouvelle conception du péché.

Des instances ecclésiastiques et des théologiens perplexes ont manifesté quelque inquiétude devant cette notion de péché structurel - péché sans pécheur? - et les mises au point et les avertissements n'ont pas manqué (56).

Jean-Paul II rappelle à juste titre son caractère analogique, puisque le sujet propre de la responsabilité morale est toujours et seulement la personne.

Et pourtant on n'est pas devant une pure et simple métaphore, quand on parle de péché structurel. En effet, les structures de péché, conséquence d'une multitude de péché personnels, une fois installées, acquièrent une relative indépendance et agissent avec une certaine logique propre et perverse, poussant ou favorisant les péchés personnels (sans supprimer la liberté, c'est évident). Ceux-ci, à leur tour, refluent sur les structures, établissant un cercle infernal.

Il faut se situer dans cette vision dialectique pour bien comprendre et mettre en clair le péché structurel comme catégorie morale, le rapportant toujours à la responsabilité personnelle.

Il convient de rappeler ici les profondes racines biblique de ce péché dans le péché du peuple qui rompt l'Alliance, s'écarte du projet d'amour et de vie, opprime le pauvre, l'orphelin et la veuve (57).

Il est question ici d'une participation réelle dans le "mystère d'iniquité", dont nous finissons tous par être responsables, par inertie, par omission, par paresse, par indifférence ou même par complicité et connivence, passive ou active, “qui se cachent souvent derrière une prétendue impossibilité de transformer le monde, ou derrière la fuite de la fatigue et du sacrifice, invoquant parfois des soi-disant raisons d'ordre supérieur" (58).

Cela inquiète l'Église, mettant en question toute une manière de vivre dans l'Église et d'y faire la Théologie. Cela inquiète la société, mettant en question ses mécanismes de discrimination et de domination. (59)

Pour l'assimiler, il faut remettre en question notre manière propre d'être église, nous ouvrir à une nouvelle ecclésiologie, à partir d'une "option pour les pauvres effective et cohérente. (60).

Il nous faut aussi accepter de changer "notre place dans la société", pour être cohérents avec l'Option pour les Pauvres et avec ce à quoi nous invitent nos Constitutions et Statuts (61). Passer du coté du pauvre qui deviendra un sujet dans l'Église et aura un mot à lui dire sur sa manière de parler et de se situer devant les structures sociales et économiques et les grands du système. Changer d'axe, nous laisser interpeller évangéliquement par les pauvres, premiers destinataires du Royaume. Prendre parti, réviser nos amitiés, refaire nos pactes. Il s'agit de changements au niveau de la pratique et de la compréhension. Donc de la théologie, du péché, de la justice, de la compréhension du "Royaume de Dieu et de sa justice".

N'y aurait-il pas lieu ici de faire cette révision de vie proposée par le Pape à toute l'Église -disciples, diocèses, familles, instituts religieux- à partir de la solidarité avec les pauvres, dans Redemptoris Missio (62).

5.Justice du Royaume et charité

Au début, on s'est demandé: de quelle justice s'agit-il?

Maintenant, on se demande: quelle charité?

En traitant cette question, on va mettre en relief des références doctrinales officielles de l'Église pour appuyer nos réflexions.

5.1Charité-oeuvres (Les oeuvres de charité).

Le décret Ad Gentes, au chapitre sur l'oeuvre missionnaire elle-même, fait allusion à la présence active des chrétiens qui, à l'exemple de Jésus, portent secours aux misères corporelles, et insiste sur la valeur de témoignage de cette présence (63).

Le décret sur l'Apostolat des Laïcs revendique les oeuvres de charité comme un "devoir et un droit inaliénable" de l'Église (64).

Jean-Paul II, dans Redemptoris Missio, met à nouveau l'accent sur la valeur des "oeuvres de charité" et leur force particulière pour exprimer l'âme de l'activité missionnaire: l'amour qui est et devient le moteur de la mission" (65).

Il n'y a qu'à regarder le monde avec le coeur compatissant du Christ pour voir que les oeuvres de charité gardent toute leur actualité: les victimes de guerre et de la violence, les prisonniers, les handicapés, les drogués, etc., sont là. Ce serait une insensibilité incompatible avec la miséricorde de l'Évangile et la gratuité de l'amour (66) que de fermer les yeux à leur appel: "Donnez-leur vous-mêmes à manger", nous dit le Seigneur (67). "Considérer l'histoire de Lazare et la parabole du bon Samaritain comme anachroniques, c'est ne pas comprendre l'essence du Christianisme" (68).

Il nous revient, dans la fidélité créative, de découvrir comment les mettre en pratique dans le respect dû à la personne du pauvre, d'une manière aussi libératrice que possible.

5.2La charité politique

On touche un sujet assez large, et peut-être polémique, qui enveloppe les réflexions antérieures, articulant justice et charité.

L'expression vient de Pie XI, dans son allocution du 18 décembre 1927, adressée à la F.U.I., où il dit textuellement : "La charité est politique". Elle apparaît par la suite dans Quadragesimo Anno sous l'expression Charité sociale. (69)

Le Concile parle de charité et force politique, comme attitudes de l'engagement chrétien (70).

La théologie actuelle a commencé à parler du caractère "politique" de la charité, avec un relief particulier dans la Théologie de la Libération, dans la lutte pour la transformation des structures.

Apparaît alors la pastorale libératrice, à partir des chrétiens, des religieux et des prêtres des Communautés Ecclésiales, ainsi que de la sensibilité pastorale de nombreux évêques du Tiers-Monde dont la voix prophétique a retenti vigoureusement dans la claire et expresse "option préférentielle pour les pauvres"; elle apparaît également dans les proclamations et dénonciations des deux grands documents officiels de la Conférences Générale de l'Episcopat Latino-américain, celui de Medellin (1968) et puis celui de Puebla (1979).

La théorisation théologique de la charité politique et la pastorale engagée ont effrayé les responsables politiques du système.

Le célèbre document de Santa Fé I, sur la stratégie politique pour l'Amérique dit textuellement: "la politique extérieure des Etats-Unis d'Amérique doit commencer à affronter (et pas simplement à réagir postérieurement) la Théologie de la Libération, telle quelle est utilisée en Amérique Latine par le clergé de la Théologie de la Libération. Le rôle de l'Église en Amérique Latine est vital pour le concept de liberté politique. Lamentablement, les forces marxistes-léninistes ont utilisé l'Église comme arme politique contre la propriété privée (sic) et le système capitaliste de production, infiltrant dans la communauté religieuse des idées plus communistes que chrétiennes" (71).

Il est facile de percevoir le bruit provoqué dans les milieux politiques et religieux, exacerbé en suite par la Santa Fé II: soupçons, doutes, incompréhensions, accusations et, surtout, dénonciations fréquentes, où les idéologies, à vrai dire, entraient en scène et pas seulement l'amour de la vérité de l'Évangile.


Personnellement, durant mes 11 ans de travail missionnaire dans une région extrêmement pauvre et conflituelle de l'ouest de Bahia, au Brésil, je n'ai jamais eu connaissance de déviation menaçant la foi ou la morale chrétiennes. Bien au contraire, le pauvre peuple est très croyant, aime beaucoup ses pasteurs et l'Église.

Quoi qu'il en soit, devant tant de rumeurs, on comprend les justes préoccupations et les mises en garde des instances supérieures, déjà contenues dans l'exhortation Evangelii Nuntiandi de Paul VI et plus encore dans les deux interventions de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi: "L'Annonce de la Liberté" et "Liberté Chrétienne et Libération".

Une lecture attentive et sans préjugé de ces documents décèle leur caractère positif et stimulant. Il y va de l'horizon de la compréhension.

Les mises en garde ont pour but d'écarter ou prévenir de possibles déviations concernant l'horizon eschatologique et la foi de la libération chrétienne (72), le sens essentiellement religieux et spirituel de la mission évangélisatrice de l'Église (73), la non-violence évangélique (74), le péché, la responsabilité et la nécessité de la conversion personnelle (75), le caractère intégral de la libération chrétienne embrassant toutes les dimensions de l'homme, son ouverture à l'absolu de Dieu (76).

On ne condamne pas du tout. Par contre, on reconnaît la nécessité de l'action transformatrice des structures sociales et de la violence institutionnalisée (77), la nécessité de l'annonce de la libération comme contenu de la mission (78) et la réalité du Royaume qui commence déjà dans ce monde. (79).

Ne pas le faire, ce serait ignorer l'Évangile, manquer à l'amour du prochain (80). Nous avons là, évidement, une nouvelle facette de la charité - la charité politique.

Enfin, on y donne un encouragement stimulant à tout chrétien qui, au nom de sa foi, s'engage dans ces luttes (81), ainsi qu'aux Communautés Ecclésiales de Base, dont la force d'évangélisation et "le rayonnement missionnaire", sont "signe de la vitalité de l'Église" et "point de départ d'une nouvelle société, dans la civilisation de l'amour". Ces orientations sont clairement reconnues dans Redemptoris Missio, n 51.

5.3.La charité politique, une nouvelle mystique.

On voit naître là, dans l'engagement issu de la charité politique, une nouvelle mystique, engendrant un niveau type de sainteté. Heureusement, nous en avons de beaux témoins et martyrs.

Cette mystique, renfermant une première indignation éthique contre un système et une culture de mort, prend pied, trouve son élan et se nourrit d'une profonde expérience du Seigneur qui clame, à travers le pauvre, l'exclu et l'oublié du système, des paroles de justice et vie:

"J'ai faim": Rassasie-moi du pain, de la Parole, de la Vie.

"J'ai Soif": Abreuve-moi de la justice.

"Je suis nu": Vêts-moi du droit d'être une personne, d'être frère, d'être enfant du même Père!

III Perspectives Vincentiennes

1.Docilité à la Providence : "J'ai une dévotion particulière de suivre pas à pas l'adorable providence de Dieu (82). Phrase traditionnellement invoquée contre la précipitation! C'est l'heure, je crois bien, d'en faire une autre lecture, non pas à la lumière des paroles et des justes soucis du Fondateur, mais de sa pratique et de son sens de l'innovation. Alors, nous sommes tous invités et stimulés à élargir et hâter généreusement notre pas, dociles aux appels de Dieu qui, dans les exclus, les écartés, les oubliés, nous appelle à avoir "faim et soif de justice".

On sait bien jusqu'où est allé saint Vincent dans cet accueil à la Providence, docile aux signes des temps. Il fut un pionnier d'initiatives courageuses et tout à fait neuves à son époque. Le courage de suivre les pas de la Providence pourra bien nous conduire très loin dans l'actualisation de nos missions.

2.L'amour concret et efficace: "Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages" (83).

Il se peut bien que les oeuvres de miséricorde et d'assistance n'exigent pas aujourd'hui autant de force et de sueur. Mais combien de force, de sang, de sueur et de larmes pour les actions humbles, mais intrépides des David de la Mission contre les Goliath du système, en faveur de la justice, dans l'engagement pour la transformation des structures, au profit de la vie et de la libération des pauvres, de la solidarité avec les sans-terre et les sans-toit, avec la foule des oubliés du marché. Quel prix à payer pour nous diriger vers ces horizons plus vastes et efficaces de l'engagement de la charité politique, subversive de l'ordre en vigueur et de la fausse justice des scribes et des pharisiens d'aujourd'hui.

La visite de saint Vincent à Mazarin pour lui suggérer de démissionner parle fort à cet égard.

3.La créativité: "L'amour est inventif jusqu'à l'infini" (84)

Il ne faut pas répéter saint Vincent comme il ne faut même pas répéter Jésus Christ: "En vérité je vous le dis, celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes" (Jn 14,12). Ce qui compte, c'est la fidélité inventive au charisme reçu en héritage. "Perdre le dynamisme du charisme, a dit notre regrettée Mère Guillemin, c'est faire la trahison la plus grave au charisme et au Fondateur, et à l'Esprit saint qui l'a fait surgir" (85).

Elle est là, la foule des oubliés, des appauvris en tout genre, des discriminés, des migrants, de ceux qui sont en dehors du marché, des inutiles aux structures, qui sont menacés d'élimination. Ils constituent un défi à la créativité évangélique des missionnaires de la justice et de la vie.

Il nous faudrait, qui sait, descendre de cheval, laisser nos montures, comme le bon samaritain, non seulement pour embrasser les victimes des assauts, mais aussi pour affronter les assaillants, revêtus du "bouclier de la foi" du "casque du salut", de la cuirasse de la justice", portant "le glaive de l'Esprit, c'est à dire la Parole de Dieu", les "chaussures du zèle" enflammé de l'amour - inventif jusqu'à l'infini - pour "lutter contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres" pour "résister aux manoeuvres de Diable" et "éteindre les traits enflammés du Mauvais" (86).

4.L'homme tout entier.

"S'il s'en trouve parmi nous qui pensent qu'ils sont à la Mission pour évangéliser les pauvres et non pour les soulager ...etc.(87).

En cette époque de chrétienté bien établie, où les missions n'étaient que prédication du salut de l'âme, l'intuition évangélique de coeur de Vincent voit l'homme tout entier, corps et esprit: "Les pauvres gens meurent de faim et se damnent". Son coeur bat en syntonie avec celui du Christ: "J'ai pitié de cette foule qui, depuis trois jours, reste auprès de moi...lasse et prostrée comme des brebis qui n'ont pas de berger...et il se mit à les instruire...donnez-leur vous même à manger" (88).

5.Option mystique et exclusive pour les pauvres

Les pauvres prêtres de la Mission ne sont que pour les pauvres gens" (89). "Une compagnie, o Dieu! Qui aille annoncer l'Évangile seulement aux Pauvres; et néanmoins ce sont là nos règles." (90). "Notre partage donc sont les pauvres" (91). Cela est laissé "comme un monument à la Compagnie et un mémorial à la postérité" (92).


Il suffit de faire attention aux accents de joie, aux expressions pleine de foi de cette conférence du 17 mai 1658, pour se convaincre qu'il y a là une profonde expérience spirituelle et de foi, une expérience contemplative, une option mystique.

Option exclusive, ajoutons-nous, basée sur ses paroles trop claires et convaincantes. C'est là précisément la caractère "inaudi", dont il parle (93): option fondamentale, institutionnelle, constitutive - pas préférentielle, en notre cas.

Et pourtant, exclusivité sans exclusion . Exclusivité de la fidélité aux destinataires, choisis par un voeu à Dieu, comme celle des époux. La fidélité à cette exclusivité rend l'amour des époux plus fécond, plus ouvert, plus livre d'accueillir les autres.

Notre fidélité aux pauvres nous rendra plus ouverts à l'amour universel, aux grandes causes le l'humanité, plus utiles à l'Église de Dieu, plus féconds pour le Royaume et sa justice.

Conclusion.

Notre clé de lecture de la justice et de la charité dans la Mission nous fait dépasser la dichotomie horizontalisme-verticalisme et l'opposition tout à fait dépourvue de sens entre justice et charité. Elles tendent vers un même but, suscitent des initiatives identiques.

Du point de vue chrétien il y a une urgence de surpasser la dicotomie Justice / Charité. Le noeud de ce dépassement c'est justement la conception de la justice sous son aspect radical de plénitude, d'exigence de vie pour tous et de la charité sous son aspect politique.

La Charité sans la justice n'a pas de contenu concret. Par contre, la justice atteint l'horizon de plénitude dans la charité.

L'amour comprend et rend radicale l'exigence de justice et lui donne un nouveau motif, un élan et une force intérieure.

Ce sont deux expressions de la même réalité chrétienne: le nécessaire effort du croyant dans la construction de la société humaine en accord avec l'idéal du salut eschatologique réalisé par le Christ.

C'est la même réalité avec de nuances diverses et complémentaires.

La charité rend évident l'horizon religieux (intentionnalité et cosmovision chrétiennes).

La justice met l'accent lsur le contenu intra-historique du salut chrétien.

“L'action humaine pour la justice sous cet aspect contient une densité propre et garde un rapport étroit avec le Royaume définitif. Il ne faut pas la réduire à un simple moyen de salut pour les individus qui en participent. En tant que lutte contre le mal objectif et contre le péché humain, elle est l'anticipation du Royaume définitif dans le provisoire de l'histoire” (94), la présence de l'amour et de la libération chrétienne dans le tissu du monde et des rappots humains (95).

Sous cette conception intégratrice tombent par terre les distinctions qui amènent des distorsions et des casuismes (96).

Justice et Charité jaillissent de la même source, se nourrirent dans le même lit, se lancent dans la même mer: l'amour de Dieu "au dessus de tout entendement".

Elles font partie, ensemble du "Kérigme" missionnaire. Elles convoquent les personnes et le système à la "metanoia" du Royaume.

Annoncer Jésus Ressuscité, proclamer que Dieu l'a délivré de la mort, lui, le saint et le juste (97), c'est annoncer la Vie. Dire que Dieu l'a approuvé (98), c'est proclamer que le projet de la libération de Jésus de Nazareth pour les pauvres du royaume est approuvé.

C'est ainsi que la résurrection et le témoignage des Apôtres ont été compris par les disciples de la première communauté Chrétienne: ils s'aimaient d'un seul coeur et d'une seule âme, "fidèles aux prières et aux enseignements des Apôtres"; "parmi eux, nul n'était dans le besoin"; "nul ne disait sien ce qui lui appartenait", mais "ils vendaient tout ce qu'ils possédaient et partageaient tout", dans "la joie et la simplicité du coeur", "louant Dieu" dans l'union fraternelle, "la fraction du pain" et la "communion de vie" (99).

Dans la mission, il faut éveiller au coeur des pauvres l'espoir d'un "monde nouveau", nous engager et les aider à s'engager dans cette lutte pour conquérir le Royaume de la justice et de la Charité!

$nota1$Coste XII, 87.

$nota2$E.N., V.

$nota3$S. Theol. II-II, 58, lss.

$nota4$On le dérive, généralement du latin: “Jus, Jubere” (caractère d'exigence, d'obligation), ou bien “Juxtare” (caractère de convenance, d'ajustement).

$nota5$Marciano Vidal, “Dicionário de Moral” Ed. Santuário, Aparecida - São Paulo - brasil, verbete “Justiça”.

$nota6$Marciano Vidal, Op. Cit., Ibidem.

$nota7$Paul VI O.A. n°22

$nota8$Apud “Teologia da Missão”, Karl Müller, Ed. Vozes, Petrópolis, Brasil, 1995, p. 126.

$nota9$Bruno Solages, “Initiation Méthaphysique” - Éthique de l'action, Ed. Edouard Privat, Toulouse, 1962, p. 311.

$nota10$Marciano Vidal, Op. Cit. Ibidem.

$nota11$”A Igreja na atual tranformação da América Latina à luz do Concílio” - Conselho Episcopal latino-Americano - Segunda Conferência Geral do Episcopado Latino-Americano - Medellin, 26.08.68, Colômbia, Ed. Vozes, Petrópois, RJ, Brasil, 6a. edição, 1997, 14.1. Dorénavant cité tout court: MEDELLIN.

$nota12$L'esprit de ces expressions apparait dans les analyses pénétrantes du petit livre très intelligent de Hugo Assmann “Crítica da Lógica da Exclusão” Ed. Paulus São Paulo, Brasil, 1994, p.5.

$nota13$Paul VI fait allusion à ces distorsions dans l'Exhortation Apostolique “Evangelii Nuntiandi” (EN), 30.

$nota14$Jon Sobino, em “Jesus o Liberatador”, Coleção Teologia da Libertação 3 - Ed Voze - São Paulo - Brasil - 1994, p. 197.

$nota15$Voir Coste XII, les belles pages 3,4,5 de la Conf. du 17.05.1658.

$nota16$Léon Epstein “La justice sociale dans le Proche-Orient et le Peuple de la Bible” - traduction Portugaise des Ed. Paulinas, São Paulo, Brasil, 1990.

$nota17$Léon Epstein, Op. Cit. p. 64

$nota18$ Léon Epstein, Op. Cit. p.60

$nota19$Mt 6,33

$nota20$Mt 6,24

$nota21$Mt 6,24

$nota22$Mt 6,19

$nota23$Le paragraphe presente le commentaire des nos communautés au dicèse de Bom Jesus da Lapa - Ba-Brasil Mssions de Carinhanha.

$nota24$Mt 5,20; 7, 21; 18,3; 19,23 ss; 18,8, 19,17.

$nota25$Mc 9,43-48.

$nota26$Lc 4,16-21

$nota27$Mt 4,23; 9,35; 24,14, Mc 1,14

$nota28$Jn 10,10

$nota29$Lc 4,18; Mt 11, 4-5

$nota30$Is 25,6 ss

$nota31$Voir Karl Müller Op. cit. p. 112.

$nota32$Voir, par exemple : “Comunidade Reunida Canta”, n° 88, 104, 219 et beaucoup d'autres - Diocèse du Bom Jesus da Lapa, BA, Brasil, 1992.

$nota33$Cf. le mot “Escatologia” dans le “Dicionário Enciclopédico da Bíblia”, Ed. Vozes, Petrópolis, Brasil, 1971, p. 470, n° 3.

$nota34$Pour n'en citer que deux théologiens de poids: G. Gutierrez “O Deus da Vida”, Ed. Loyola, São Paulo, Brasil, 1990 et Jon Sobrino, Op. cit.

$nota35$ Lv 26,12;Ez 36,28;37,27

$nota36$ Sur le Dieu de l'Alliance et le Dieu de la Vie, voir le beau livre de G. Gutierrez: “O Deus da Vida", précité, spécialement. Le commentare du texte du Deutéronome sur l'actualisation de l'Allliance, p.28, 29.

$nota37$-Ibidem, p.82

$nota38$ L'AT est tout imprégné de métaphores nuptiales connues de tous. On peut en citer au hasard: Os 2, 18-21; Ct 4,8.9.11.12; 5,l; Is 62, 3-50.

$nota39$ On peut dire autant du NT: Mt 9,15;25,1-13;Lc 5,35; Ap 12;21.

$nota40$ Hugo Asmann, RED 6-88, pag 397

$nota41$ Eph 5,25.

$nota42$ Temas Latino-Americanod de Ética (TLAE) - Teologia Moral na América Latina 3 - Ed Santuário, Aparecida, São Paulo, Brasil, p.170

$nota43$Is 5,16.

$nota44$Medellin 14,1.

$nota45$Medellin 1,1.

$nota46$Medellin 2,1.16.

$nota47$Medellin 2,14.

$nota48$ TLAE 169

$nota49$ Dt 30,15-20

$nota50$Lc 16-21; Jn 10,10.

$nota51$ Dt 30,17-19

$nota52$ TLAE 170

$nota53$Rm 8,6.10

$nota54$Hugo Asmann, “Desafios e Falácias”, Ed. Paulinas, São Paulo, Brasil, 1991, p. 20-26.

$nota55$1 Tm 6,10.

$nota56$TLAE 3, surtout pag 90; voir aussi F.M. Rejon, “Teologia Moral desde los pobres” Madrid, 1975, p. 134.

$nota57$ Dt 27,19; Ps 93,6; Za 7,10

$nota58$Dicionário de Moral (voir note 5) - Verbete: “Estruturas de Pecado”.

$nota59$ TLAE p.64

$nota60$ Constitutiones et Statuta CM (CC) 15

$nota61$ CC 12.

$nota62$RM 6

$nota63$AG 12,13.

$nota64$AA 8.

$nota65$RM 60

$nota66$AG 12

$nota67$Mt 14,16

$nota68$Karl Müller Op.Cit. p.121

$nota69$AAS 33 - 1931 - 206

$nota70$-GS 75

$nota71$CEPIS - Doc. n° 3 São Paulo, Brasil 1984. Introduction à la lecture

$nota72$ EN 32,33

$nota73$EN 32

$nota74$Instruction: “Liberté Chrétienne et Libération” (LC) 76-79

$nota75$RP 16; voir aussi F.M. Rejon, Op. Cit. ibidem.

$nota76$ EN 33

$nota77$EN 29,30,31.

$nota78$EN 30,31

$nota79$RM 13

$nota80$(80)EN 31

$nota81$EN 38

$nota82$Coste XII,208

$nota83$Coste XI,40

$nota84$Coste XI,146

$nota85$”O Mensageiro” - Revue des FC de la Province de Rio de Janeiro, 1969 pag-63

$nota86$Eph 6, 10-18

$nota87$Coste XII, 87

$nota88$Mt 15,32; 10,36; Mc 6,34-37

$nota89$Coste XII,4

$nota90$Coste XII,5

$nota91$Coste XII,4

$nota92$Coste XII,4

$nota93$Coste XII,5

$nota94$Carneiro de Andrade, Paul Fernando: “Foi et Eficace” Ed. Loyola,

São Paulo, Brasil, 1991, p. 216

$nota95$Octogesima Adveniens (OA), 23; Libertatis Conscientia(LC), 57

$nota96$Vidal, Marciano - Dicionário de Moral: “Caridade Política”.

$nota97$Ac 2,24.32.36;3,13.14.15

$nota98$Ac 2,22

$nota99$Ac 4,32;3,42;3,34;4,32;4,34;3,44;3,46;3,42;3,44.