L'apport du Père Dodin aux études Vincentiennes

L'Apport du Père André Dodin (1991 - 1996)

aux études Vincentiennes

Jean-Pierre Renouard, C.M.

Seul le temps est le maître d`oeuvre assuré en matière de jugement sur les personnes et leurs oeuvres. Saint Vincent lui-même remarquait: «le temps change tout» (III, 390). Il m`a été demandé de fournir quelques premières réactions à chaud sur l'oeuvre du Père André Dodin, mort le 18 décembre 1996. Imprudence? Aux lecteurs d`apprécier, et de façons diverses probablement, les trois remarques que je laisserai en guise de premier regard.

1. Parmi les nombreux ouvrages ou articles de revue compilés avec patience par M. Vansteenkiste, orfèvre célèbre en la matière, je retiens trois titres qui m`ont plus profondément marqué:

Les 30 pages introductives parues dans un petit livre désormais introuvable, publié chez Aubier en 1949, et intitulé: «Textes et Études, saint Vincent de Paul», dans la collection «les Maîtres de la spiritualité chrétienne».

Ces pages offraient alors une première synthèse toujours valable sur la spiritualité vincentienne. Elles rendaient justice à l`ambition affichée de l`auteur: «valoriser le cheminement humain» et «valoriser chaque action». Elles aidaient à entrer de plein pied dans une spiritualité vincentienne qui n`existait pas alors de façon formelle. Elles annonçaient à leur manière, le printemps des études vincentiennes en exploitant les premières mines de Pémartin et Coste. Monsieur Dodin m`écrivait en 1966, à propos de ces pages, que c`était ce qu`il avait écrit de meilleur.

En 1960 paraissait le best seller du Père: «Saint Vincent de Paul et la charité», au Seuil, dans la collection «Microcosme, les maîtres spirituels», Nº 21. Edité, réédité en de nombreuses langues, ce livre a fait le tour du monde vincentien en présentant une vision renouvelée de la vie («son service terrestre») et de la spiritualité ( «la doctrine spirituelle») de Monsieur Vincent. Il présentait quelques textes prégnants et donnait l`état de la critique concernant la date de naissance, la captivité et la conversion. C`est le livre toujours à lire pour qui veut aborder saint Vincent de l`intérieur sans risquer d`erreurs majeures. Il est une garantie et le meilleur condensé à mettre dans les mains de ceux qui veulent savoir selon la bonne mesure. Les directeurs de séminaire interne conservent là un bon «manuel» pour la formation des nôtres.


En 1985, les éditions de l`O.E.I.L. ont permis l`impression de la thèse du Père Dodin sur l`oeuvre d`Abelly (Prix Jean de Pange) : «La légende et l`histoire, de Monsieur Depaul à Saint Vincent de Paul». L`auteur a démonté la manière de faire du premier biographe de saint Vincent qui écrivait en vue de la béatification. Il a démontré aussi comment il est possible à travers cette oeuvre apologétique de passer de la légende à l`histoire. Certes le propos est ici plus pointu et quelquefois grinçant mais il a l`immense mérite de rappeler que l`histoire a ses règles et ses exigences. La tentation est toujours là: s`inventer un monsieur Vincent selon ses besoins et les attentes de son temps. L`objectivité est chemin de vérité. Une livre paradoxal qui conduit à l`humilité en matière de connaissance de saint Vincent.

Enfin une brève mention du livre paru Rue de Dragon (O.E.I.L.), en 1984, «François de Sales, Vincent de Paul, les deux amis». Ce petit livret agrémenté de quelques répétitions, offre l`avantage de rappeler aux lazaristes que la vieille méthode d`oraison imposée par les deux Saint Lazare était résolument d`inspiration salésienne. Saint Vincent, on le sait, propose plus dans son enseignement oral et écrit.

2. Monsieur Dodin a combattu l`idée que saint Vincent était uniquement un homme d`action. Il a affirmé haut et fort qu`il était un mystique, un homme spirituel. Il a contribué à la connaissance de l`homme intérieur. Il l`a saisi en prière. Une session donnée à l`Alliance française en 1960, rejoint l`esprit des pages parues chez Aubier et déjà citées. Monsieur Vincent invite à vivre dans le Christ et à organiser la vie intérieure à partir de cet effort d`imitation. La vie apostolique s`en trouve alors sanctifiée. Le mérite du Père Dodin est d`abord là: nous avoir aidé à passer de l`histoire à la spiritualité vincentienne. Même si quelquefois, il a trop systématisé au point d`avoir privilégié l`esprit de logique sur l`esprit de philosophie.

3. Parallèlement à cet effort de changement d`otique (grosso modo, à partir du Tricentenaire), Monsieur Dodin a rendu Monsieur Vincent intéressant; il a procuré à ses auditeurs le goût de saint Vincent. Il a montré un Monsieur Vincent humain, homme d`affaires, friand de temporelde procès, de politique! Il a aidé aussi à la connaissance de son temps, relayé de main de maître dans l`ombre, par le père Chalumeau dont la réputation de dixseptièmiste n`est plus à répéter.

Il serait précisément injuste d`isoler le travail magistral du Père Dodin, en oubliant celui de ses prédécesseurs: Monsieur Coste, le fournisseur, Monsieur Guichard qui lit des manuscrits et les collationne soigneusement (auquel Monsieur Dodin a beaucoup emprunté); Monsieur Contassot qui a classé et a laissé (hors de toute publication) l`histoire de tous les séminaires de tradition vincentienne; Monsieur Chalumeau qui aimait situer saint Vincent dans son contexte et a ouvert une voie royale aux étude postérieures; Monsieur Morin qui a charmé ses auditrices et auditeurs par ses synthèses personnelles et neuves. Il y a là, conjointement, un mouvement qui dépasse les frontières françaises et a conduit, en 1980, à l`écriture des Constitutions en un langage universel, voire à des oeuvres de renom dont les auteurs vivent encore.

Une dernière constatation: Monsieur Dodin réussissait mieux dans les articles que dans les grands livres. Le mot qui résume le mieux son talent serait celui-ci: il fut un miniaturiste. A sa manière, il a enluminé les très riches heures vincentiennes. Et celles-ci sont loin d`être toutes écoulées