La Dévotion à Saint Justin De Jacobis en Erythrée et en Ethiopie

La Dévotion à saint Justin De Jacobis en Érythrée et en Éthiopie

Par Iyob Ghebresellasie, C.M.

Province d'Erythrée

Avant de commencer à parler de la dévotion à saint Justin De Jacobis, je tiens à préciser que, je me limiterais à considérer la vénération exprimée par les seuls catholiques d'Érythrée et de quelques régions de l'Éthiopie.

On sait d'ailleurs que, saint Justin a exercé son œuvre apostolique principalement en Abyssinie, pays qui correspond à l'actuelle Érythrée et Éthiopie.

1. La foi chrétienne avant l'évangélisation de saint Justin

La première annonce remonte au 1er siècle et se situe sur la côte érythréenne, pour se propager avec le temps jusqu' au nord de l'Éthiopie traversant le haut plateau érythréen. Dès le IVe siècle et jusqu'au XVIIIe, avant l'arrivée de saint Justin, des dizaines et dizaines de monastères furent fondés par différents saints indigènes et étrangers.

Les premiers évangélisateurs (dits Saints Romains), qui ont diffusé de manière décisive le christianisme, étaient des missionnaires qui provenaient de l'Empire Romain. Malheureusement, l'Évangile prêché par ces derniers fut à l'origine d'un malentendu entre l'Église catholique et celle orthodoxe. Les catholiques, en se basant sur l'enseignement de saint Frumence, premier évêque envoyé par saint Athanase, vers l'an 340, affirmaient que les premiers évangélisateurs étaient des catholiques, Saint Athanase ne pouvait, disaient-ils à juste titre, que consacrer et envoyer un évêque observant la foi que lui même professait.

Au contraire, les orthodoxes, oubliant la longue période historique de l'évangélisation, restée d'ailleurs dans l'obscurité, et forts du fait qu'aujourd'hui tous les monastères sont à l'église orthodoxe, ils voudraient démontrer que les premiers évangélisateurs de l'Abyssinie étaient de foi orthodoxe.

Naturellement, ces Saints évangélisateurs furent et sont encore vénérés par la population à cause de leur vertu, de leur zèle apostolique et de leur vigueur à défendre la foi chrétienne. En dépassant les obstacles traditionnels et les persécutions perpétuées par les païens et les animistes, ils réussirent à instaurer solidement le christianisme. C'est grâce à ce zèle missionnaire, que le haut plateau érythréen et le nord de l'Éthiopie furent reconnus comme « l'île chrétienne » de la corne d'Afrique .

Cependant, l'isolement d'une part, et les invasions musulmanes de l'autre, laissèrent des blessures profondes dans la vie ecclésiale et le service pastoral du pays. Pour ce motif le peuple chrétien, qui était pourtant si fier de son christianisme clos en soi même, fut fortement affaibli.

À cela s'ajouta la falsification de la part de l'Église Egyptienne, des « canons du Concile de Nicée », la prohibition, pendant de longs siècles de la nomination et de la consécration d'un évêque érythréen ou éthiopien.

L'évêque égyptien ainsi nommé et envoyé, ne connaissant ni la langue, ni la culture du peuple au gouvernail duquel il était pourtant installé, se trouvait confiné à l'administration des sacrements et à l'application des excommunications sur des questions de foi et de morale. La terreur procurée par le spectre de l'excommunication empêcha au peuple de vivre sa foi, de la pratiquer, ce qui entraîna avec le temps à la perte même de la doctrine chrétienne. Ce qui resta c'était seulement une foi intérieure qui ne pouvait pas s'exprimer correctement du point de vue théologique. Et, bien qu'isolée et enfermée, cette foi était animée par une telle force qu'elle resta jalousement gardée et farouchement défendue. Ainsi, à l'occasion de la nomination, en 1780, de l'Abuna par le patriarche copte d'Égypte, avant même de prendre possession de sa charge pastorale de l'Érythrée et de l'Éthiopie, le peuple envoya une délégation aux autorités civiles demandant l'éloignement du premier évêque catholique abyssin, Abuna Tobie.

Également, en 1841-1842, Abuna Salama, à la nomination duquel participa avec la délégation abyssine De Jacobis, menaça plusieurs fois ce dernier et le força à quitter son champ d'apostolat. Néanmoins, le haut plateau érythréen et le nord de l'Éthiopie restèrent toujours le « bastion » défensif contre toutes les expéditions provenant de la mer Rouge. Et si cet îlot de la chrétienté resta vigoureusement fermé sur lui- même, cela n'est pas dû à une clôture totale à tout contact externe, mais à la ferme conviction de l'intégrité de sa foi et de ses rites. Il n'admettait aucune hésitation sur ces points. La foi en la Sainte Trinité et la dévotion à la Mère de Dieu étaient les deux bastions de sa religion. C'est à cause de cette conviction qu'on persécuta toujours les missionnaires européens, les catholiques comme les protestants.

C'est dans ce paysage qu'il faut regarder l'arrivée De Jacobis en Abyssinie en 1839. Les catholiques restaient bannis du royaume, et l'Église orthodoxe était fortement affaiblie quand la Providence fit apparaître dans le territoire un héraut de l'Évangile capable de comprendre la mentalité et la tradition culturelle de ce peuple.

2. Arrivée du De Jacobis à Adua et sa première homélie

Saint Justin, une fois arrivé à Adua au centre nord de l'Éthiopie, commença immédiatement à étudier la langue et la culture de ce pays qu'il devait ré évangéliser. Deux mois après son arrivée à Adua, assisté par son maître le « Debtera Maticos », il prononça son premier discours dans la langue locale qui resta gravé dans le cœur de la première communauté rassemblée autour de lui.

Il disait, entre autre : « … La porte du cœur c'est la bouche, la clé du cœur c'est la parole… Quand je vous parle, je vous donne la clé de mon cœur… »

Saint Justin, en prononçant ces paroles réussit à ouvrir le cœur des ses auditeurs qui étaient perplexes à se laisser convaincre par les paroles d'un « Ferengi », un missionnaire blanc. Comme écrit son biographe l'Abba Teklehaimanot Minore : « Un jour, pour avoir adressé quelques mots à un Éthiopien qui s'était arrêté à le regarder lire, il eut droit à cette réponse maligne… : `Eh Ferengí' (de façon méprisante) ! C'est mieux se lier d'amitié avec un démon connu qu'avec un ange inconnu. » Cette phrase, même si dite dans un sens méprisant, exprimait toute la conviction propre aux orthodoxes au sujet de leur foi religieuse. Saint Justin le comprit sans difficulté. Il pria le Seigneur pour qu'il lui suggère le moyen le plus apte à pénétrer le cœur de ceux qui lui paraissaient les plus irréductibles. Cependant, la Parole de Dieu, la plus efficace entre toutes, prononcée par l'homme juste, attendrit dans un bref délai la dureté de cœur de ceux qui semblaient les plus irréductibles.

Par la grâce de Dieu et le mérite des fatigues de l'Apôtre, l'espérance vers l'avenir poussa sur un tronc considéré sec et stérile. Son enseignant Debtera, expert en liturgie, dogmatique et morale, à la fin d'une réunion tenue par De Jacobis, extrêmement touché par les paroles et la dévotion de celui-ci, exclama : « Ce prêtre qui vient de parler mérite d'être notre père ».

Cette expression du Debtera semblerait plutôt étrange, mais on la pourrait comparer à celle de Jésus à ses disciples: « C'est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu ». Humainement parlant, il était extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible de convaincre un pharisien endurci par ses convictions doctrinales. Mais, il n'est pas ainsi pour la Divine Providence. En changeant l'attitude de cet influent maître des chants (le Debtera), le Seigneur préparait sa vigne à donner du fruit, par l'action pastorale du Préfet Apostolique.

3. La bénédiction de Dieu renforce la dévotion à saint Justin

Traiter directement sur des questions dogmatiques, dialoguer sur les sacrements en les exprimant selon la doctrine catholique, n'était pas une affaire de tout repos. Cependant, il fallait bien s'y mettre. Mais, d'abord le Préfet Apostolique choisit, pendant sa première année, de se mettre à l'étude de la langue et de la culture et encore plus à la prière. Il passait son temps en célébrant la Sainte messe, en cachette dans sa maison, et en faisant ses prières dans le cloître de l'église orthodoxe, après que les orthodoxes avaient fini de célébrer leurs offices religieux.

La messe, qui était célébrée dans une cachette de sa maison, ne pouvait pas ne pas être écoutée par le Père, qui a ainsi voulu renouveler le cœur des futurs disciples de saint Justin. Pareillement, la prière adressée depuis le cloître de l'église orthodoxe, était écoutée par Jésus, qui, comme le réfère les évangiles, allait souvent à la Porte de Salomon !

Tout d'abord saint Justin, avec le service de la charité, visant les malades, les affamés, la visite aux personnes âgées et aux infirmes, transforma sa petite résidence en un lieu de fraternité. Tous ceux qui s'y rendaient, personnes de culture et classes sociales diverses, étaient extrêmement touchés par la charité et l'humilité du Préfet Apostolique. Toutes ces activités véritablement vincentiennes, étaient plus que convaincantes sur sa bonté paternelle envers tous ceux qui s'approchaient de lui. Tous ceux qui étaient soignés et nourris, ne pouvaient pas rester seulement surpris en admirant sa charité et sa bonté, mais ils partaient en la révélant ; et c'est ainsi que petit à petit ils commencèrent à se poser des questions et à ouvrir leurs esprits et encore plus leurs cœurs. Ainsi faisant, ils tenaient la clé du cœur du Préfet. Après cette première période, plusieurs personnes commencèrent spontanément à le rejoindre pour collaborer dans ce qui était devenu sa vie quotidienne. Ainsi, une petite communauté catholique se forma autour du Préfet. De son côté celui-ci faisait le maximum pour ne pas rompre l'amitié des savants orthodoxes, pour préserver cette communauté qui venait de se constituer autour de lui.

Le Préfet Apostolique s'employa à éviter toutes discussions doctrinales et dogmatiques; par contre, il préféra accueillir autour de lui des personnes, parmi les plus cultivées de l'église orthodoxe, afin de les instruire sur le « Fidel Hawariat » c'est-à-dire sur l'ABC de la foi, sur le Ziema, le chant liturgique, et aussi sur le « Kene » composition iconographique ecclésiale. Lui se réservait l'enseignement du catéchisme. Différentes personnalités compétentes de l'église orthodoxe, hostiles à sa présence parmi eux, eurent ainsi l'occasion de l'observer soit du point de vue du contenu de son enseignement que de sa conduite morale. Ils n'eurent rien à lui reprocher. Son enseignement était conforme à leurs traditions aussi bien doctrinales que liturgiques.

Un deuxième aspect qui fut repéré par ces savants orthodoxes, fut la bonté paternelle et la charité serviable que le Préfet prodiguait à tout le monde. Cette attitude augmenta le nombre de ceux qui rejoignaient sa petite communauté. Au moment le plus opportun et avec beaucoup de prudence, il parlait à ses auditeurs de l'histoire ecclésiastique et leur expliquait la doctrine catholique. À la fin des ses enseignements, il concluait toujours par : « Mes fils, suivez ce qui vous semble être la vérité ».

Constatant l'humilité De Jacobis et sa bonté d'âme, plusieurs savants, prêtres et diacres, décidèrent d'abandonner leur Église pour se mettre définitivement à sa suite.

Entre temps ses farouches adversaires, en voyant que sa communauté ne cessait pas de s'agrandir, commencèrent à s'alarmer et donc à le persécuter. Le Préfet vit le danger et décida de transférer une partie de sa communauté à Enticio', petit centre à 20 Km à l'est d'Adua. C'est ici que prend naissance la confrérie catholique guidée par un prêtre converti et par un maître de chant. Le Préfet resta encore cinq ans à Adua. Après quoi, en laissant même ici quelques prêtres et diacres au service de la communauté, il se déplaça, avec la plupart des ses ecclésiastiques, prêtres et diacres, en mai 1845 à Gualà, dans la périphérie d'Addigrat. Dès son arrivée, des villages entiers des SASIH accompagnés par leurs prêtres se présentèrent à lui en manifestant leur disponibilité à accueillir la foi catholique. Également un grand nombre de moines, qui avaient été touchés par la spiritualité de De Jacobis, pendant ses nombreuses visites aux monastères, décidèrent de le suivre sans hésitation.

Le Préfet resta deux ans à Gualà et, malgré les nombreux obstacles dressés par les autorités civiles et religieuses, la bénédiction de Dieu attira beaucoup de membres dans son troupeau. Mais il y avait toujours pénurie de prêtres pour assister sa communauté en continuelle expansion. Il pria beaucoup le Seigneur pour qu'il envoie des ouvriers pour sa moisson, et au même moment il continuait à éveiller des vocations dans sa communauté. Le Seigneur ne tarda pas à l'écouter. Il apprit qu'il serait arrivé d'ici peu, un nouveau Vicaire Apostolique pour le sud de l'Éthiopie. C'était Mons. Guglielmo Massaia, le futur Cardinal Massaia, qui, après avoir été consacré évêque à Rome le 24 mai 1846, arriva à Gualà accompagné de quatre de ses collaborateurs à la fin de la même année et y resta presque deux ans. Pendant cette période, Mons. Massaia ordonna à deux occasions, une quinzaine à la fois, des candidats de De Jacobis. Ces ordinations laissèrent des profondes traces dans le cœur de la petite communauté de De Jacobis et augmentèrent la très grande vénération et le respect pour De Jacobis.

Voyons comment ils expriment leur vénération pour cet homme de Dieu, que la Providence leur donna.

4. Premiers témoignages

Au cours de sa première année à Adua, De Jacobis était habitué à distribuer la Médaille Miraculeuse à toutes personnes qu'il rencontrait, en leur expliquant comment Marie était la Mère de Dieu et la Mère de tous les croyants en Jésus Christ. Et au nom de Marie, il faisait de nombreuses œuvres caritatives. Ses interlocuteurs ne se contentaient pas seulement de l'écouter sur ce qu'il disait sur Marie, mais ils étaient très attentifs à sa façon de la vénérer et de la prier. D'où le sobriquet qu'ils lui octroyèrent de « Abba Yacob Zemariam », c'est-à-dire Justin de Marie.

Un autre témoignage, nous est donné par ceux qui restèrent sous sa conduite pendant des années et le suivirent jusqu'au lit de mort. Voilà ce qu'ils lui écrivent de Gondar le 27 juillet 1854 :

« Salut, à notre père Justin, de la part des ses fils, arrachés, par la miséricorde divine, aux ténèbres du schisme et de l'apostasie. Que l'amour de Marie, Mère de Jésus, puisse croître en vous et en nous ! Ainsi soit-t-il. Nous avons été consolés par la missive que vous nous avez envoyée. Mais, hélas nous nous unissons à votre actuelle angoisse, sachant combien la douleur de l'âme surpasse celle du corps. En fait ces souffrances, celles des chaînes qui enferment la chair, sont moins dures que celles dues aux angoisses et aux anxiétés qui serrent le cœur.».

Cette lettre fut écrite durant la difficile captivité de ces fils spirituels soumis à la torture. Supportant la souffrance, ils lui écrivirent ce message plein d'espérance et d'affection lui exprimant ainsi toute la force et la portée de leur amour filial.

P. Poussou, Assistant Général, en revenant de la visite aux Missions de Chine, passa vers la fin de 1851 à Halai, une des résidences de De Jacobis dans le haut plateau érythréen et exprima son admiration en ces termes :

« Mons. De Jacobis, en particulier, semblerait être destiné à faire un grand bien en ce pays, et c'est ma conviction que, si Dieu a décidé d'avoir pitié du peuple abyssin, c'est Mons De Jacobis qui doit devenir l'instrument de miséricorde ».

Mons. Massaia, qui avait été très touché par la vie spirituelle de notre saint ajouta: 

« 35 ans après, je pourrais encore rapporter la majorité des sermons écoutés tellement l'impact fut grand sur moi et aussi sur les autres… Voir cet homme toujours grave et agréable à la fois; simple et sobre sur la nourriture et le vêtement; modeste ; courtois et charitable dans les manières, toujours prêt à dire une parole édifiante ; inséparable de ses élèves qui étaient traités avec une douce autorité de père et avec l'affectueuse familiarité d'un frère, toujours avec eux dans les tâches quotidiennes, dans le travail, dans la distraction, à la prière; le voir célébrer la Sainte Messe comme en extase; assister aux oraisons en commun avec un recueillement et une piété célestes; le voir en somme, vivre une vie où étaient mariés la discipline de l'anachorète et le zèle de l'apôtre; il était pour nous une homélie vivante ».

Toutes ces expressions révèlent la véritable syntonie entre le père et ses fils, entre le maître et ses disciples. Beaucoup de ses disciples n'avaient pas la passion d'écrire leur admiration et leur profonde dévotion pour De Jacobis. Autrement nous aurions eu la joie de voir exprimés les sentiments parmi les plus touchants à son égard. D'autre part, il suffirait leur seul mot de « Père » pour nous faire comprendre leur profonde dévotion et vénération envers De Jacobis.

Abba Teklehaimanot, le minime qui fut son premier biographe à rapportant les vertus et le total dévouement de De Jacobis, fait comprendre que tout le monde resta convaincu, pour le reste de leurs jours, de la stature spirituelle et de la donation totale de cet homme au service de la Parole et du prochain !

5. Le respect et la dévotion à saint Justin dans le milieu ecclésiastique

Tout de suite après la mort de saint Justin, presque tous ses disciples, convaincus de sa sainteté, attendirent avec anxiété son procès de canonisation. Nonobstant il fallait un certain temps entre la mort du saint et la démarche pour la béatification, ses disciples commencèrent tout de suite à raconter tous ses prodiges, un à un. De telle façon que, laissant de côté la normale procédure ecclésiastique, ils cultivèrent dans leurs cœurs et leurs émotions cette dévotion. Cette tradition fut transmise de générations en générations, jusqu'à aujourd'hui. Avant l'arrivée de nouveaux missionnaires et religieuses en Érythrée et en Éthiopie, les prêtres diocésains avec les séminaristes étaient engagés à transmettre l'influence de cet homme dans tout le pays.

Après sa béatification, diverses communautés religieuses furent établies en Érythrée et en Éthiopie. Et beaucoup, avant d'entreprendre leurs fondations étaient habituées à faire un pèlerinage à son tombeau à Hebo afin de demander son intercession pour l'aboutissement de leurs entreprises.

Aujourd'hui encore, son tombeau est un des seuls buts de pèlerinage encore existants dans toute l'Érythrée et il en sera de même demain, au moins pour une bonne partie du nord de l'Éthiopie. Pour accueillir les pèlerins, il y a les Lazaristes et les Filles de la charité, établis près de sa tombe dès 1947- 48.

Les prêtres diocésains sont habitués à tenir leurs exercices spirituels annuels et leurs réunions pastorales ici à Hebo où repose le Saint. D'autre part le lieu se prête bien au silence et au recueillement.

6. La dévotion et le respect du peuple

À la mort du Préfet Apostolique, survenue dans la vallée d'Alighede, au long du torrent Haddas remontant vers Halai, on raconte qu'il y eut un litige sur le choix du lieu de sépulture. Tous le voulaient pour eux.

Le père Delmonte, vicaire du défunt Préfet, avec l'appui du consul français à Massaua, ordonna le retour du corps pour l'inhumer à Muncullu, une des résidences de De Jacobis. Les prêtres et les moines qui étaient ressemblés autour de la dépouille mortelle de De Jacobis, fous de douleur, étaient décidés à la transporter à Hebo, plutôt qu'à Muncullu comme le voulait Delmonte. Et pour cela ils envoyèrent une ambassade aux paysans de Hebo, afin qu'ils se pressent de transporter le corps et d'y préparer la sépulture. Aussitôt tout le monde se précipita aussi bien ceux de Hebo que ceux de Halai, hommes et femmes, tous autour du corps de leur père et pasteur. Arrivés sur le lieu, après avoir longuement pleuré, ils commencèrent à discuter pour savoir où et comment transporter la dépouille. Les paysans de Hebo, soutenus par les prêtres et les moines là présents, défièrent ceux de Halai et finalement réussirent à avoir le corps et à le transporter à Hebo où il fut enterré à quelques mètres de la petite église du village. C'était le vendredi 3 août 1860. Et ainsi fut respecté la volonté du Saint, qui avait exprimé, de son vivant, le désir d'être enterré à Hebo.

Les Lazaristes, qui connaissaient fort bien la vertu et la sainteté de vie de De Jacobis, essayèrent plusieurs fois de ramener le corps du Saint en Italie. Mais les villageois de Hebo s'y opposèrent avec fermeté et dirent :

« Abuna Jacob est notre Père. Et la place du père est parmi ses Fils. Il nous a engendrés dans la foi. Nous l'aimons et lui nous aime. Et la preuve de cet amour est dans sa dernière volonté. Il avait demandé de reposer ici, parmi nous, et personne ne peut violer le désir d'un mourant. Il est à nous, nous sommes à lui et nous le garderons ».

Mons. Biancheri répliqua: 

« C'est vrai qu'un père doit reposer parmi ses fils, mais une mère a aussi le droit au corps de son fils, et la Congrégation est la mère de Abuna Jacob. Nous sommes ses frères. Est-il convenant pour vous de résister au désir et à la volonté de la mère? ».

Mais les paysans restèrent fermes sur leur positon et ne permirent pas que la dépouille du Saint soit emmenée par les Lazaristes. Mons. Biancheri en constatant la tenace décision de la population d'Hebo renonça à ses requêtes et on commença à choisir les personnes qui auraient gardé, nuit et jour, le corps du père.

En 1871, l'empereur Jean IV d'Éthiopie, furieux par la présence des Lazaristes, ordonna de brûler toutes les églises catholiques de son royaume et les habitations des missionnaires. Les habitants de Hebo, ayant eu connaissance des incendies des églises environnantes, perpétués par les soldats, et de peur que le corps de leur aimé père ne soit perdu, ils l'exhumèrent en toute hâte et transportèrent les reliques en un lieu plus sûr, dans les grottes d'une des montagnes dominantes d'Hebo, connue sous l'appellation de « Zelim Emni ».

Quand le danger passa, les reliques furent ramenées dans la petite église où elles sont encore aujourd'hui jalousement gardées.

Conclusion

Outre ce que nous avons pu dire jusqu'à maintenant sur le respect et sur la dévotion à Saint Justin, nous pouvons conclure en ajoutant que aussi bien les érythréens que les éthiopiens ont pris la coutume de: se laver pendant deux semaines avec de l'eau bénite au nom de Saint Justin près de sa tombe; et de prendre une poignée de terre dans le lieu de sa première inhumation. En faisant de la sorte, les fidèles sont convaincus qu'ils seront guéris de n'importe quelle maladie contractée. Cela semble une absurdité. Pourtant c'est ce que font les amis de Saint Justin et ils s'estiment miraculés. Voilà pourquoi, la tombe de Hebo est encore aujourd'hui lieu de pèlerinage. Pareillement en temps de calamité ou de guerre, c'est ici près de sa tombe, que beaucoup se retrouvent pour se confier à son intercession. C'est encore ici qu'ils viennent pour demander la pluie en temps de sécheresse. Beaucoup dans leur ignorance historique pensent que saint Justin est un Abyssin, un des leurs quoi! Leur dévotion, leur amour et leur admiration pour cet homme de la providence, sont si forts qu'ils disent: « Il ne peut pas être un Ferengí », c'est-à-dire un européen.

Ils disent aussi : « Oui, Dieu a envoyé Jésus Christ pour sauver l'humanité. Mais ce même Dieu a aussi envoyé, en Jésus Christ, saint Justin pour sauver le peuple abyssin. Saint Justin s'est fait complètement Abyssin pour gagner les Abyssins à Dieu ». C'est ce qu'ils pensent et croient profondément. Profondément ils le croient.

Que saint Justin puisse obtenir, aujourd'hui encore, pour ce peuple qu'il a tant aimé, la Paix et la Réconciliation.

(Traduction: ADRIANO CARNIO, C.M.)

L'Érythrée, est un nouveau pays situé dans la Corne d'Afrique, au bord de la mer Rouge. Elle a une superficie de 127 750Km². Sa population compte 3.500.000 habitants; on compte aussi environ 1.500.000 d'expatriés dans d'autres pays de par le monde. L'Érythrée a obtenu son indépendance de l'Éthiopie, après une longue guerre de libération, en mai 1991, reconnue par le référendum sur l'indépendance de l'avril 1993, adopté par 99,8 % de oui. La population est composée de 50% de chrétiens, dont la majorité est de confession orthodoxe copte et le restant 50% est de religion musulmane. Les catholiques représentent 20% et les protestants 5%. La dévotion à saint Justin n'est pas limitée aux seuls catholiques, mais elle est aussi sentie parmi les orthodoxes et aussi parmi les musulmans.

Quand on parle de la dévotion à S.Justin De Jacobis on se réfère spécialement au nord du pays et on s'étend jusqu'au à la région Showa, au centre de l'Éthiopie, alors sous l'administration du roi Sahlesellasie. Le sud a été évangélisé par le Cardinal Massaia, nommé Vicaire Apostolique en 1836. Après la béatification du 1939 et la canonisation en 1975, les Lazaristes de la Province d'Éthiopie avec d'autres instituts catholiques masculins et féminins se prodiguèrent pour divulguer ensemble au clergé indigène la dévotion à saint Justin. Il faut souligner que celle-ci est particulièrement sentie en Tigrai et parmi les populations de l'Irob.

Actes des Apôtres 8, 26-39. The Church History of Eusebius. Réédition en 1986, Michigan, p. 105.

Sapeto, G. Viaggio e Missione Cattolica dell'Abissinia (Parmi les Mensà, les Bogos et les Habab), Roma, 1857, p. 62; C.C. Rossini. Etiopia e gente di Etiopia. Firenze, 1937, p. 170.

Pane, Salvatore. Vita del Beato Giustino De Jacobis. Napoli, 1949, p. 226 ; Aymro, W. and Joachim M. The Ethiopian Orthodox Church. Addis-Abeba, 1970, p. 4.

Lino da Mesero. Etiopia Cristiana. Milano, 1964, p. 33.

Les musulmans n'avaient pas oublié le succès militaire des Abyssins au Yémen et craignant que les évêques catholiques ne puissent les instiguer contre les musulmans, ils empêchèrent toutes relations entre les deux empires. Les patriarches coptes une fois restés seuls, purent aussitôt et par la suite, envoyer des évêques en Abyssinie. Le premier fut envoyé par Benjamin, patriarche copte, au temps de la conquête de l'Égypte par Arnru. Benjamin, pour éloigner davantage les Éthiopiens de la foi catholique, promulgua des canons pour l'Église Éthiopienne. Et pour leur donner plus d'autorité, il les attribua faussement à ceux de Nicée. Le contenu de ces pseudo-canons proscrivait aux éthiopiens d'avoir des évêques autochtones. Il ne pouvait qu'y avoir des évêques égyptiens envoyés par Alexandrie (cf. Sapeto, Giuseppe. Viaggio e Missione Cattolica dell'Abissinia. Roma 1857, p. 71-72).

Abba Ayala Thamanoy. The Ethiopian Church. Addis-Abeba, 1982, p. 32.

Tobie Ghiorghis Ghebreigziabhier naquit à Debre Mariam Camcam dans la région du Dembia (Ethiopie). Après ses études de théologie à Propaganda Fide à Rome, le 20 juin 1788, il fut consacré évêque de Adulis (cité portuaire de l'ancienne Ethiopie, aujourd'hui Érytrée, donnant sur la mer Rouge). Il y travailla inlassablement afin d'établir une communauté catholique dans son propre pays. Mais à la fin, il fut obligé de quitter l'Éthiopie et de s'enfuir en Égypte (O'Manhey, Kevin. The Ebullient Phoenix. Book III, Addis-Abeba, p.1).

Crummey, Donald. Priests and Politicians, Protestants and Catholic Missions in Orthodox Ethiopia. Oxford, 1972, p. 39.

Diario di S. Giustino. Frascati, Roma, 1975, p. 79.

Lucatelli-Betta L. L'Abuna Yacob-Mariam. Roma, 1975, p. 72.

Ib. p. 75.

Mt 19, 26.

Abba Teklehaimanot Adua. La vita di Giustino De Jacobis, p. 161.

Ib. p.305.

Ib. p. 334.

Pane, Salvatore. op. cit., p.790.

Ib., p.709.

Ib., p. 585-586.

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