L'Albanie: Le pays des aigles. Après des années de captivité, reprend son vol

L'Albanie

"Le pays des aigles"

après des années de captivité, reprend son vol

Cristoforo Palmieri, C.M.

L'Albanie compte trois millions d'habitants dont les deux tiers vivent à la campagne; la moitié a moins de 25 ans et un million moins de 18 ans. Ce pays se trouve à l'Est de l'Italie, à moins de 50 milles marins du Cap d'Otrante. Que faut-il lui apporter surtout et avant tout ? Le Christ Seigneur, et cela en première annonce. Son régime marxiste, un des pires de l'histoire, n'a-t-il pas essayé, de toutes les manières possibles, d'extirper le Christ du coeur des hommes, ainsi que des institutions et des structures qui pouvaient en rappeler le souvenir.

L'Albanie ne manquait pas de ressources naturelles et minières. Jusqu'à en provoquer un certain épuisement, durant 50 ans, les dictateurs les ont exportées pour enrichir le pouvoir. Après la chute du régime, le pays se trouve dans une situation désastreuse. Tout est à refaire : au plan social, économique, structurel et législatif. Le gouvernement démocratique, issu des élections libres de mars 1992, a pris les premières mesures d'assainissement. Mais, par suite de la pauvreté de l'économie, il ne peut s'en tirer avec les seules ressources du pays.

L'agriculture

La population agricole dispose de terres, mais manque de semences, d'engrais, de tracteurs. La terre se cultive encore à la bêche et avec des instruments d'il y a 50 ans et plus.

L'industrie

Les usines sont vétustes. Elles ne peuvent produire, faute de matières premières. Elles attendent des entrepreneurs de tous les pays, prêts à investir pour l'Albanie, c'est-a-dire disposés à courir des risques avant de faire des bénéfices. A ce point de vue le gouvernement est ouvert; il fait des efforts notables pour obtenir des soutiens politiques et économiques de la part des pays étrangers, surtout de ses voisins, dont l'Italie.

L'économie

Le niveau de vie, très bas, n'est nullement comparable avec les autres pays d'Europe. Pour survivre, une famille de cinq ou six membres a besoin du travail des deux conjoints. En moyenne un ouvrier et un paysan gagnent l'équivalent d'environ 65 FF par mois; un professionnel touche environ 70 FF, un retraité 45 FF. C'est loin de suffire. Un kilo de viande se paye deux journées de travail. Le kilo de pain coûte plus d'un FF. Le pain, aliment ordinaire, est parfois le seul. S'il empêche de mourir de faim, il ne suffit pas pour une alimentation équilibrée.

Certes, actuellement l'ordre règne dans la tranquillité et il y a une certaine reprise des affaires. Cependant, au risque de s'endetter pour dix ans s'ils échouent, beaucoup de jeunes tentent d'arriver en Grèce, au moins jusqu'à Salonique, dans l'espoir d'y trouver un gagne-pain, même le plus humble et le moins payé, et cela à la pire des conditions : celle d'échanger leur nom albanais musulman contre un nom grec orthodoxe.

Animés d'esprit humanitaire et chrétien, des organismes s'efforcent de porter les premiers secours : l'Opération Pélican, la Caritas d'Italie, les Soeurs de Mère Teresa (fille du pays), bon nombre d'institutions et de groupements de divers pays.

La religion

De nos jours, tout en se disant musulmans, orthodoxes ou catholiques, bien peu connaissent toute la différence entre ces religions, car pendant cinquante ans il n'en était plus question.

Jusqu'en 1400, tout le monde était catholique. Puis, est venu le schisme orthodoxe. Après 1500, les envahisseurs turcs réussirent à imposer l'islam à une grande partie de la population, en recourant à la confiscation des biens, à la suppression des privilèges et à la persécution des opposants. A l'avènement du communisme, on comptait 65 % de musulmans, 25 % d'orthodoxes et 10 % de catholiques. Quand le gouvernement s'est déclaré radicalement athée, il a détruit mosquées et églises, éliminé les responsables religieux, rendu difficile une quelconque profession de foi, sous peine de persécutions, de prison et de travaux forcés. Bon nombre de croyants ont accepté de subir ces peines.

Vu le changement politique radical des récentes années, les Eglises renaissent et rétablissent leur présence. Malgré de graves difficultés, elles récupèrent la vaste et forte tradition chrétienne de la vie nationale.

L'Eglise orthodoxe autocéphale d'Albanie est membre de la Conférence Européenne des Eglises depuis 1992. Le nouvel archevêque, nommé par le Patriarche oecuménique de Constantinople, coordonne la marche de 4 diocèses : Tirana, Berati, Girocastro et Korce. Grâce à la réouverture du séminaire de Durazzo, 8 nouveaux ordonnés ont pu rejoindre les 15 prêtres survivants. Ce nombre ne suffit pas pour les 700.000 fidèles répandus sur un vaste territoire. Face à cette difficulté se manifeste de plus en plus la solidarité des Eglises étrangères, dont la Fédération des Eglises Evangéliques d'Italie.

L'Eglise Catholique a de nouveau un Nonce apostolique, Mgr. Ivan Diaz, qui s'est engagé dans la restructuration des communautés catholiques, auxquelles appartiennent environ 350.000 personnes, surtout dans le Nord du pays. A ses efforts se joignent ceux de la Communauté de Saint Egidio, de la Caritas, des Jésuites, des Franciscains, des Salésiens, de l'Institut de Don Orione, des Soeurs de Mère Teresa de Calcutta, des Filles de la Charité et peut-être d'autres encore.

La reprise des cours de théologie au séminaire de Scutari prépare de nouveaux collaborateurs aux 30 prêtres survivants. La solidarité des Conférences Episcopales, dont celle d'Italie, soutient fortement la reconstruction. A Noël 1992, lors de la Messe de minuit à la cathédrale de Scutari, le Nonce apostolique a annoncé aux fidèles, que Jean Paul II leur donnait quatre évêques, choisis parmi leurs martyrs :

Le P. Franco Zilia, 74 ans, curé de Mildi, condamné à mort en 1968, peine commuée en 25 ans de travaux forcés, devient archevêque de Scutari.

Le P. Rrok Mirdita, 53 ans, Yougoslave monténégrin, depuis 1970 curé d'une paroisse albanaise à New York, est archevêque de Durazzo.

Le P. Robert Ashta, franciscain, ouvrier dans les installations hydroélectriques au temps de la persécution, est nommé évêque de Pulati.

Le P. Zev Sirnani, 64 ans, condamné en 1976 à 15 ans de prison, mais libéré à la chute du régime, devient auxiliaire de Scutari.

Ces nominations pourvoient aux 3 diocèses du Nord. Le Nonce a été nommé Administrateur apostolique pour le restant des catholiques, environ 350.000.

Voilà que tout reprend vie après la suppression de 1967 où furent dispersés ou persécutés 7 évêques, 200 prêtres et autant de religieux, et fermées 2169 églises et mosquées.

Actuellement, seulement un évêque, 30 prêtres et 30 religieux survivent, portant le poids de nombreuses années de persécutions.

L'Albanie et nous

Sur une superficie de 28 844 kilomètres carrés, l'Albanie compte 3 300 000 habitants, répartis en 25 districts. Le Nonce apostolique s'est adressé d'abord au Visiteur de Naples, puis au Supérieur Général, pour demander à la Congrégation de se charger de la (ré)évangélisation du district de Mirditë, selon notre style : corporellement et spirituellement.

Le district de Mirditë, de 885 kilomètres carrés, au Nord-Est de l'Albanie, a 60 000 habitants. Il ne manque pas d'eau, vu l'abondance des pluies et des neiges. En hiver la température se situe entre 2 et 8 degrés, en été elle peut monter jusqu'à 21 degrés. Il y a 81 villages, dont 3 centres plus peuplés : Rreshen (chef-lieu), Rubiku et Kurbneshi. Ce district est des plus pauvres. Il vit de la culture, de l'élevage, du travail du bois et du fer.

Les villages, assez distants les uns des autres, vu le manque de routes carrossables, ne peuvent pas être visités en voiture. Dans certains, il faut se rendre à dos de mulet ou de cheval. Les habitants, en grande majorité catholiques, sont de ceux qui ont le plus résisté au communisme et subi le plus la persécution. Ils devraient être des mieux disposés à une réévangélisation. Il n'y a pas d'autre Eglise présente dans le district.

Notre dispositif pastoral actuel

Nous avons la responsabilité de de 82 villages, avec près de 60 000 habitants, presque tous catholiques par tradition, répartis sur plus de 800 kilomètres carrés. 72 villages sont desservis à tour de rôle seulement.

Il y a 5 Prêtres de la Mission, 3 Soeurs Eucharistines, 4 Filles de la Charité, 10 collaborateurs laïcs. En 1994-95 nous avons célébré 1 800 baptêmes de personnes de tous âges.

Parmi les laïcs il y a un groupe de Caritas, composé d'adultes et de jeunes. Des enfants et des adolescents forment un groupe d'animation liturgique. Des adolescents et des jeunes ont formé deux chorales. Il y a 9 catéchistes en formation. Il y a des groupes de formation permanente : 3 pour les adolescents, 2 pour les jeunes, 1 pour les adultes. Il y a 1590 catéchumènes, de tout âge.

L'Evangile de la Charité: nous assurons des interventions suivies auprès des familles, des handicapés, des non-voyants, des ex-persécutés. Nous offrons des secours pour les besoins en vêtements, médicaments et vivres.

Nous avons aussi des services socio-sanitaires. Il y a un dispensaire. Une Fille de la Charité travaille à l'hôpital. Des Soeurs et des laïcs assistent les familles en difficulté. Nous intervenons auprès des prisonniers et des malades hospitalisés.

Des services socio-éducatifs sont à l'oeuvre: une école maternelle pour 30 enfants; des aides variées à des écoles et des foyers : aménagement de locaux, ameublement scolaire, matériel pédagogique.

Enfin, il y a des services culturels et récréatifs: une salle de lecture et vidéo; une salle de jeux, des cours de langue italienne, de dactylographie, de coupe-couture et broderie; des cours d'éducation artistique; des camps scolaires et des camps de travail pour les jeunes; organisation de journées de spiritualité, de formation permanente et de sessions.

Perspectives pastorales pour la Mirditë

S'il est facile de parler de la situation de la Mirditë et de l'Albanie en général, par rapport au passé et au présent, car tout est bien connu, il est plus difficile de le faire en ce qui concerne l'avenir de notre présence et notre activité missionnaire.

On peut dire que nous travaillons -et pour longtemps encore- "au jour le jour", sans pouvoir faire de projets à long terme, aux niveaux pastoral et communautaire.

Il est encore trop tôt pour parler de création d'un diocèse pour cette région, vu les rares directives pastorales que nous recevons et l'absence d'un clergé diocésain dans notre secteur. Cependant, s'il doit y avoir création d'un nouveau diocèse, se sera probablement pour la Mirditë.

Il est difficile d'être proche de toute la population, dispersée en 80 villages, qui manquent de lieux de rencontre pour mieux se connaître et mieux s'entr'aider.

Les routes, souvent presque impraticables surtout en hiver, sont un des obstacles majeurs pour développer un projet pastoral commun et pour la vie communautaire. Il faut aller et venir sans cesse, d'où beaucoup de fatigue et de temps perdu en déplacements.

Nous sentons vivement la nécessité d'une évangélisation systématique en profondeur. On a l'impression que la foi est affaire d'appartenance ethnique : Mirditain = chrétien catholique. Les plus anciens gardent quelque chose de leur religiosité chrétienne d'avant Vatican II, aux limites flottantes entre foi et superstition. Parmi les jeunes, et pas chez eux seulement, au paganisme athée du défunt régime, succède l'athéisme pratique du consumisme occidental.

On pourrait se limiter à évangéliser seulement dans quelques centres. Mais tous nous demandent : "Quand venez-vous chez nous?" C'est cette seconde option d'essayer de rejoindre le plus de monde possible, assez systématiquement, qui est mise en pratique, même si elle rend notre labeur plus ardu et moins fécond.

Nous sommes tous d'accord pour une évangélisation vincentienne, affective et effective, où, comme l'enseigne l'Eglise d'aujourd'hui, l'évangélisation s'accompagne de gestes concrets de charité et de service. C'est l'unique discours que le monde veut bien encore écouter.

A l'heure actuelle, on se connaît de mieux en mieux, alors que nous pourvoyons aux nécessités immédiates des gens au moyen de microréalisations dans le domaine scolaire, sanitaire et récréatif. En même temps, nous faisons une première annonce de l'Evangile, suivie de la célébration des sacrements de l'initiation chrétienne, du baptême surtout.

Nous apprenons aussi à voir où se trouvent les centres stratégiques pour la construction de lieux de rencontre, au moins pour la célébration du culte, pour ne plus célébrer sous la pluie, au froid ou en plein soleil, près d'un cimetière ou sous un arbre. A cette fin on reconstruit les églises réduites en ruines par l'ancien président Enver Oxha. Nous continuons à prospecter pour trouver des lieux aussi simples et pratiques que possible pour la catéchèse et aussi, même si c'est trop dire, pour des rencontres de socialisation.

Nous envisageons aussi une certaine décentralisation. Au lieu d'un unique centre-résidence à Rreshen, nous pensons à d'autres lieux de résidence (pour les confrères et pour les Soeurs) dans certaines zones de montagne, pour une meilleure présence, et un meilleur travail d'évangélisation et de promotion humaine (maison de la mission, église, soeurs, oeuvres sociales et sanitaires). Nous avons déjà fait les premiers pas dans cette direction.

Dans l'actuel centre de Rreshen, nous avons commencé l'expérience d'une "Ecole de la Foi". La maison accueille, à plein temps, une vingtaine de garçons, à partir de la classe de troisième, pour les faire bénéficier non seulement d'une formation scolaire, mais encore d'une formation humaine et chrétienne plus profonde.

Ce n'est certes pas beaucoup, mais ce n'est pas peu non plus!

Ce petit rapport, bien insuffisant certes, révèle cependant assez bien les difficultés que nous vivons. Il peut être utile pour lancer un appel à ne pas laisser tomber dans l'oubli nos frères d'Albanie. Il nous invite à nous rendre disponibles, avec toutes nos ressources et tout notre être, pour que puisse être mieux annoncé et communiqué le Royaume de Dieu dans ce pays, appelé "Pays des Aigles", mais dont les ailes sont encore trop rognées pour qu'on puisse dire qu'il a repris son envol.

En tous cas, cet appel, nous l'avons lancé et, pour rester dans le langage des symboles, nous disons à qui veut y répondre qu'il ne s'en repentira pas: comme l'aigle, il renouvellera sa propre jeunesse.

(Traduction: Paul Henzmann, C.M.)