Lire et prier les Constitutions

Lire et prier les Constitutions

Par Miguel Pérez Flores, C.M.

Province de Salamanque

Fidèles à la lettre et à l'esprit des Constitutions

  1. Les Constitutions ont été publiées le 29 juin, en la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul, en 1984. Le Supérieur Général de l'époque, le P. Richard McCullen, écrivit une brève présentation de ces Constitutions dans laquelle il affirmait qu'il les remettait dans un esprit plein de joie. Il faisait l'observation suivante: “La mesure de notre fidélité à l'esprit et à la lettre de ces Constitutions déterminera dans une large mesure notre contribution à la vie de l'Eglise locale où la Congrégation est établie”. Tout de suite après, il ajoutait: “Dans les pages de ce livre, sont tracés les traits de notre identité au sein de l'Eglise. Nous ne devons pas nous contenter de laisser ces traits sur le seul papier. Le texte doit maintenant s'exprimer dans nos cœurs et doit être vécu dans notre vocation de prêcher l'Evangile aux pauvres». La conclusion que tirait le Supérieur Général était évidente et correspond au titre de ces réflexions: lire et prier les Constitutions, les lire souvent et accompagner cette lecture de l' oraison assidue. Sa réflexion s'achèvera avec le souhait que les Constitutions deviennent des moyens efficaces pour que, facilement, selon la prière de saint Vincent: “Nous aimions ce que saint Vincent a aimé et que nous pratiquions volontiers ce qu'il a enseigné”.

Livre de vie ou livre de bibliothèque ?

  1. Seize années ont passé, et de nouveau surgit le thème “lire et prier les Constitutions”. Il est possible que chez certains missionnaires se soit refroidie la ferveur première de ces dix-sept années d'étude et de réflexion pendant lesquelles la Congrégation entière a vécu avec enthousiasme le travail constitutionnel. De nombreuses années ont passé depuis l'approbation (1984) jusqu'à présent début du XXIe siècle, avec l'augmentation de l'aspect vertigineux des temps. La Congrégation est autre dans de nombreuses provinces ; les événements de la Congrégation ont été variés, par exemple le manque de vocations, le poids du travail pastoral et l'urgence de l'action ainsi que le peu d'attrait pour la lecture des Constitutions. D'autre part, les Constitutions tendent à la stabilité et sont, par leur propre nature, conjoncturelles. Tout cela a fait et fait que le livre des Constitutions et Statuts devient un livre pour rayonnage et pour les occasions de discussions domestiques, c'est-à-dire, un livre de bibliothèque ou de tiroir et non pas un livre de vie.

Deux anecdotes

  1. Un jour, on m'a invité à expliquer la première partie des Constitutions qui traite de la Vocation de la Congrégation de la Mission. On y trouve là la substance même de l'identité vincentienne: les fins, l'esprit, les aspects de l'œuvre proprement vincentienne, les caractéristiques canonico-spirituelles de la Congrégation, l'esprit de la Congrégation et ses expressions, c'est-à-dire les vertus propres du missionnaire vincentien.

  1. Il semble que mon intervention exprimait un certain enthousiasme pour le contenu des textes des constitutions et aussi dans la façon dont je les exposais. Soudain je suis interrompu par la voix d'un jeune missionnaire qui, avec sincérité et humilité, dit devant tout le groupe qu'il était en admiration devant mon enthousiasme. On lui avait donné le livre des Constitutions sans rien lui dire, personne ne les lui avait expliquées et, avec reconnaissance, il avait pris le livre et l'avait mis au fond du tiroir de son bureau. Il l'avait sorti de là pour venir à cette réunion, parce qu'il ne voulait pas être “ un soldat qui va à la guerre sans l'arme adéquate ”, mais sans savoir s'en servir. Maintenant, disait-il pendant ce cours, je suis en train d'apprendre ce que sont les Constitutions et à quoi elles servent.

  1. Une autre des objections, avancées plus d'une fois, a été celle des faits. Selon les objecteurs, les Constitutions paralysent la créativité - ce qui est intéressant ce sont les actes, les œuvres en faveur des pauvres, les œuvres typiquement vincentiennes - De fait, on se demande: ont-elles vraiment changé après la formulation des nouvelles Constitutions ? Ma réponse, en ces cas-là, n'a pas été le silence, mais de lire littéralement l'article 2 des Constitutions, qui est pour moi un des plus ouverts et opérationnels et, jusqu'à un certain point, le critère à partir duquel une génération de missionnaires peut juger la précédente: “En fidélité à cette fin (article 1) et centrée sur l'Evangile, toujours attentive aux signes des temps et aux appels plus pressants de l'Eglise, la Congrégation de la Mission aura soin d'ouvrir des voies nouvelles, d'employer les moyens adaptés aux circonstances de temps et de lieux, et de procéder à l'évaluation et à la coordination de ses activités et de ses ministères: ainsi se maintiendra-t-elle en état de perpétuel renouveau”.

  1. Grande est la créativité, dit l'article 2, et peu nombreuses les limitations qu'il contient, en dehors de ce qui constitue la fin de la Congrégation: suivre le Christ évangélisateur des pauvres, à la lumière de l'inspiration de saint Vincent. C'est la raison pour laquelle, les faits et les œuvres typiquement vincentiennes que ces yeux ne voyaient pas, il faudrait la situer ailleurs et non pas dans les Constitutions qui encouragent à faire ce qui ne se fait pas et qui dénoncent ce qui ne se fait pas à la manière vincentienne.

  1. Je pourrais citer un autre article également ouvert et inspirateur de créativité: l'article 18: “A la suite de saint Vincent, qui s'inspirait de la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 30-37) en se portant efficacement au secours des abandonnés, les Provinces et les Confrères eux-mêmes s'efforceront d'aider, selon leurs moyens, ceux qui sont rejetés de la société, les victimes des calamités et des injustices de tous genres et ceux qui sont touchés par les diverses formes de la misère morale de notre temps. Agissant pour eux et avec eux, Provinces et Confrères s'ingénieront à satisfaire les exigences de la justice sociale et de la charité évangélique”.

Raisons de lire les Constitutions

8.J'ignore si les deux cas cités sont des cas isolés ou s'ils sont nombreux. De toute façon, il faut insister pour qu'on lise et prie les Constitutions. C'est en elles que, malgré les limites, l'on conserve l'actualisation de l'expérience spirituelle et apostolique du fondateur, l'identité du missionnaire du point de vue théologique et ecclésial, expression du dessein salvifique de Dieu; les chemins de sanctification personnelle, d'efficacité apostolique et de vie commune qui témoigne de personnes qui se donnent à Dieu et au service des autres dans la Congrégation de la Mission; la prière et sa triple expression: liturgique, communautaire et mentale.

La nouvelle formulation des Constitutions

9. De nombreux fondateurs ont eu des difficultés à passer de l'expérience spirituelle ou intuition à l'institution, c'est-à-dire pour décrire et créer les institutions les plus adéquates aux exigences de leur intuition ou charisme afin de le rendre visible et efficace. Ils ont eu des difficultés à les doter de roues pour parcourir l'histoire. Grâce à une aide spéciale de l'Esprit, ils ont pu mener à bien cette tâche. La Congrégation elle-même a considéré le temps dédié à la formulation des Constitutions comme un temps spécial de grâce et affirme avoir expérimenté l'action de l'Esprit Saint qui passait sur Elle et la poussait à se renouveler et à suivre les traces de Saint Vincent. On a senti la présence de l'Esprit au milieu du “ fervet opus ” de tous. Un des agents assidus et témoin fidèle des travaux de l'assemblée fut le P. Carlo BRAGA qui a écrit: “Que personne ne dise qu'un problème aussi vital que celui de la révision des Constitutions a été indifférent à la Compagnie”. D'autre part, l'approbation ecclésiastique est la garantie de la qualité - si ce n'est la meilleure, du moins la bonne et sûre - de tout ce qui est relatif à notre vocation de fils de saint Vincent”.

L'acceptation “cordiale” et constante des Constitutions

10. Si la valeur principale des Constitutions, c'est d'être l'expression écrite du charisme, de l'esprit, de l'apostolat, de la vie en communauté fraternelle, de la vie de prière, des orientations pour gouverner et pour administrer les biens temporels et, en général, ce qui a une valeur spirituelle, vincentienne, apostolique et ecclésiale pour l'insertion de la Congrégation dans l'Eglise, l'acceptation cordiale et constante de ces mêmes Constitutions est le premier pas que doit faire vers elles tout missionnaire s'il veut être fidèle à sa vocation de vrai vincentien.

11. L'acceptation, à laquelle je me réfère, est l'acceptation cordiale et non juridique. Celle-ci s'impose, celle-là est acceptée à partir du cœur, par amour de la vocation et de la Congrégation qui la soutient, intériorise les valeurs des Constitutions et pousse à les pratiquer. Les Constitutions actuelles sont un fait congrégationnel, et par conséquent, l'acceptation de celles-ci est un processus dynamique de tout le corps de la Congrégation et non de quelques responsables. L'acceptation cordiale est indispensable pour qu'elles fonctionnent et créent un climat d'estime et qu'elles soient opérationnelles dans la Congrégation, de la même façon que le droit canon universel doit être accepté comme un fait ecclésial et non pas seulement comme un événement valable pour l'histoire du droit ecclésiastique.

12. L'acceptation doit mener à, non seulement la lecture superficielle, mais à l'approfondissement de ces Constitutions, surtout en ce qui concerne les articles de nature plus théologique que juridique, par exemple l'article 5 dans lequel on affirme que l'esprit de la Congrégation est une participation de l'esprit même du Christ, ce qui fait que le Christ est la Règle de la Mission, le centre de sa vie et de son activité.

13.L'article 6 n'est pas moins exigeant pour ce qui concerne la connaissance et l'approfondissement. Il nous introduit dans l'âme du Christ et nous indique trois aspects de la christologie vincentienne: amour et révérence envers le Père, charité compatissante et efficace pour les pauvres et docilité envers la providence. On a beaucoup écrit, et on continuera d'écrire à propos de la christologie vécue et transmise par saint Vincent.

Les Constitutions nous rendent ce service de susciter en nous le désir de connaître son expérience christologique. Selon le document “ Mutuae relationes ” du 14 mai 1978, ceux qui sont les véritables et fidèles partisans du charisme, en même temps que ses héritiers, doivent non seulement le conserver, mais aussi le promouvoir et l'actualiser.

14.La nécessité d'approfondir augmente quand l'article 7 signale que, pour exprimer l'esprit du Christ à travers le prisme vincentien, il est nécessaire de pratiquer les vertus qui, selon saint Vincent lui-même, caractérisent le missionnaire: la simplicité, l'humilité, la douceur, la mortification et le zèle. Les implications de chacune de ces vertus dans le monde actuel sont grandes. Ainsi, la simplicité comme splendeur de la vérité dans un monde où elle est blessée par des intérêts politiques, des propagandes économiques; l'humilité, comme préférence accordée à l'autre, quand nous vivons dans une société où apparaît l'égoïsme; la douceur pour effacer des relations humaines tout signe ou menace de violence; la mortification, quand c'est l'invasion du monde du bien-être; et le zèle pour la gloire de Dieu en des temps de sécularisation féroce qui essaie d'effacer le nom de Dieu de la face de la terre ainsi que tout ce qui se rapporte à lui.

Vivre les Constitutions

15.Les Constitutions, dans leur ensemble bien harmonisées, doivent être vécues. On commence donc par les lire avec simplicité, comme une lecture constitutionnelle, comme une “lectio divina” écoutant la différence. On continue à les approfondir pour, finalement, les vivre. Si l'on ne vit pas les Constitutions, on tombe dans un désordre qui ferait disparaître la vigueur de la Congrégation, son unité et sa vocation, créant chez ses membres la désillusion et la conviction qu'un charisme comme celui reçu de saint Vincent, doit disparaître. Vivre ou non les Constitutions, c'est mettre en jeu la fidélité théologique. Pour une communauté - née d'une expérience spirituelle, approuvée par l'Eglise comme un message de sanctification personnelle et collective, et née pour porter le message de l'Evangile à tous les hommes, spécialement aux pauvres - dédaigner ses Constitutions serait comme repousser la voix de Dieu et, par-là, être infidèle théologiquement.

Préjugés envers les Constitutions

16. La considération sur les motivations pour lire les Constitutions porte à la réflexion sur d'éventuels préjugés, dont certains ont été déjà signalés, à savoir: si les constitutions sont plus théologiques que pratiques, si elles sont utopiques et irréalisables; qu'il y a une grande différence entre le comportement réel des missionnaires et ce qu'exigent les Constitutions. Pour certains, il existe un abîme infranchissable qu'on ne peut enjamber. Il est certain que le style de rédaction a changé et qu'on a abandonné le style livre de recettes ou le style énumération d'obligations additionnées. Elles sont plus théologiques et, pour cela même, plus motivantes, mais elles exigent la responsabilité et, si l'on peut dire, le risque de passer du théorique et utopique au vécu. Les Constitutions, comme nous l'avons dit, sont une Règle de vie, elles existent pour aider à vaincre. l'inertie et la paresse humaine, l'esprit fragmentaire, le désir du changement pour le changement, le désengagement et l'indifférence.

17. Il y a des symptômes qui cachent en eux une maladie plus grande: la non-appartenance inconditionnelle à la Congrégation, le manque d'estime de la vocation ou des institutions vincentiennes. Il se peut que fasse défaut ce dont saint Vincent était sûr: que tous “…nous avons tous apporté en la Compagnie la résolution d'y vivre et d'y mourir; nous y avons porté tout ce que nous sommes, le corps, l'âme, la volonté, la capacité, l'industrie et le reste. Pourquoi cela? Pour faire ce que Jésus-Christ a fait, pour sauver le monde. Et comment cela? Au moyen de cette liaison qui est entre nous et de l'oblation que nous avons faite de vivre et de mourir en cette société et d'y donner tout ce que nous sommes et nous faisons».* Il est évident que, s'il n'y a pas d'appartenance à la Congrégation, il n'y a aucun intérêt ni pour elle-même, ni pour ses projets, ni pour ses normes qui sont l'appui du reste.

Lecture linéaire des Constitutions

18.Bien convaincus de la valeur des Constitutions et de l'importance qu'elles ont dans notre vie et dans notre apostolat, une manière éventuelle de les lire et de les comprendre suffisamment, c'est de les lire comme on lit un livre qui est intéressant pour la vie, l'apostolat et pour sa propre sanctification. C'est ce que j'appelle une lecture linéaire, qui cherche à comprendre le texte, les idées qu'il renferme et son but. Cette lecture doit être méditative et cela n'empêche pas que, faite en présence de Dieu, surgissent des sentiments et des décisions, et même une véritable contemplation. La lecture linéaire de l'article 11 peut aller jusqu'à contempler la compassion du Christ pour les foules et comment c'est en sa miséricorde qu'on trouve l'origine des signes qui vérifiaient sa parole.

Initiation guidée des Constitutions

19. Les Constitutions existent pour tous les membres de la Congrégation. Il n'est pas nécessaire que tous soient spécialistes dans les thèmes traités. Cependant, l'accès initial à celles-ci devrait être guidé par un formateur bien préparé en ce qui concerne les Constitutions, leur histoire, leur relation avec la doctrine de saint Vincent, avec l'histoire de la Compagnie, avec la législation ecclésiale. Tout article de ces Constitutions a été le fruit de débats, de positions contrastées. De nombreux articles sont comme de petits pactes après beaucoup d'épuration des opinions différentes. Dans la Ratio Formationis pour le Séminaire Interne, on ordonne d'étudier les Constitutions dans le contexte de la connaissance que l'on doit avoir de la Congrégation.

20. La lecture initiale, peut-être pas très satisfaisante au début, peut devenir savoureuse et agréable au fur et à mesure que, à la compréhension du texte constitutionnel, s'ajoutent peu à peu d'autres éléments historiques, sociaux, ecclésiaux et vincentiens. En ce sens-là, ce qui a été fait dans quelques provinces est louable. En effet, des groupes de missionnaires, d'âges divers et travaillant dans divers ministères, se sont réunis pendant plusieurs jours, malgré l'urgence des ministères, pour lire les Constitutions, les réfléchir ensemble, soit dans leur ensemble, soit à partir de leurs aspects principaux. Dans cette même ligne, on peut louer l'initiative du P. Général de maintenir à Paris le CIF, dont les Constitutions sont l'étude principale, et de l'ouvrir au plus grand nombre de missionnaires.

Lecture à partir de différentes clefs

21.Ayant fait la lecture initiale guidée, on peut faire d'autres lectures à partir de différentes clefs. Par exemple, quel visage du Christ nous offrent-elles? Sont-elles en harmonie avec divers documents conciliaires ou qui concernent d'une manière spéciale la Congrégation, comme “Perfectae Caritatis” ou “Apostolicam Actuositatem” ou d'autres documents post conciliaires comme “Evangelii Nuntiandi” ou “La Dimension contemplative dans les Instituts de vie active” ou “La vie fraternelle en commun”. Ainsi, de la lecture initiale conduite par la main du formateur, on arrivera à une connaissance chaque fois plus grande, profonde et efficace. La lecture à partir d'une clef peut être faite par n'importe quel missionnaire qui a des connaissances théologiques, apostoliques et vincentiennes de base.

Guide et examen de l'activité missionnaire

22.L'article 8ème des Constitutions, quoiqu'il se réfère directement à l'esprit, on peut l'appliquer, sans faire violence au texte constitutionnel, à la lecture et à l'étude de ces mêmes Constitutions: “Tous s'appliqueront à approfondir de plus en plus cet esprit, faisant retour à l'Evangile, à l'exemple et selon l'enseignement de saint Vincent, se souvenant que notre esprit et notre ministère doivent s'alimenter mutuellement”. En d'autres termes, nous ne pouvons pas séparer la connaissance des Constitutions de leur pratique. La connaissance théorique aide la connaissance expérimentale, de la même manière que la connaissance expérimentale authentifie la connaissance théorique. On devrait lire les Constitutions dans leur ensemble ou en partie, quand on rédige ou évalue les projets communautaires.

Usage de critères adaptés pour l'interprétation

23. J'ai dit plus haut que la lecture des Constitutions pouvait être faite à partir de plusieurs clefs, pour qu'elle soit plus réfléchie et avec des effets de compréhension plus satisfaisants. Elles ont besoin d'être interprétées. Toute interprétation a ses règles et ses critères. Je m'en tiens aux critères, comme étant plus important du point de vue de la compréhension des Constitutions. Ceux-ci s'appuient sur la conception globale des Constitutions: leur finalité, leurs motivations, leur structure. Les critères sont ceux qui, à mon avis, créent l'esprit propre et propice pour la lecture correcte et savoureuse des Constitutions et le cadre approprié pour, si c'était le cas, les étudier ; ils indiquent l'attitude psychologique et spirituelle apte pour les aborder. On peut aussi prendre en compte les règles qui sont les moyens techniques qui pénètrent et découvrent le contenu des textes.

24. Comme exemple de critère de lecture des Constitutions, on peut appliquer celui de la finalité de la Congrégation, c'est-à-dire suivre le Christ évangélisateur des pauvres. Si, pour interpréter la législation complexe de l'Eglise, on prend comme critère le plus grand, le “ salut des âmes ”, de même on peut dire que la trame constitutionnelle de la Congrégation est éclairée par sa finalité: suivre le Christ évangélisateur des pauvres. Les Constitutions n'ont pas été rédigées pour remplacer la finalité de la Congrégation, sa grâce ou son charisme. Les Constitutions sont approuvées par l'Eglise pour assurer le patrimoine spirituel de la Congrégation: pour qu'elle croisse d'une façon ordonnée et pour qu'elle promeuve dans l'Eglise sa spiritualité, son apostolat et ses institutions, au rythme de la croissance du Corps mystique du Christ qui est l'Eglise.

Eviter l'indifférence face aux Constitutions

25. Je ne crois pas que le fait de lire ou de ne pas lire les Constitutions soit dû au manque de motifs ou de moyens, mais peut-être à quelque chose de plus profond, à notre attitude face à elles. J'entends par attitude, la disposition intérieure, celle du cœur qui nous situe devant elles. Joyeusement et cordialement acceptées au début, l'impression que le lecteur retire aujourd'hui de la lecture de certains écrits actuels et de revues religieuses, c'est que les Constitutions en général sont en train de cesser d'être le livre de chevet comme Règle de vie et qu'elles sont en train de perdre de l'estime et de gagner en indifférence, paralysant, dans une certaine mesure, l'exigence de demeurer, dans notre cas, en état de rénovation continuelle, comme il est dit dans l'article 2 cité plus haut. On étudie et on réfléchit sur d'autres thèmes de la vie consacrée, théologiquement de grande importance, mais en marginalisant le thème des Constitutions rénovées après Vatican II et selon ses orientations, avec effort, intérêt et enthousiasme. L'indifférence est non seulement un mauvais signe, mais elle est surtout mauvaise parce qu'elle nous fait perdre notre identité vincentienne.

PRIER les CONSTITUTIONS

Faire des Constitutions l'objet de notre prière

26.“Seigneur qui nous a envoyé ton Fils, modèle par excellence du don pour le salut des hommes, spécialement des pauvres, accorde-nous, par l'intercession de saint Vincent et des autres Saints de la Famille vincentienne, de nous revêtir des sentiments et des affections de ton Fils, et plus encore, de nous remplir de son esprit afin d'acquérir la perfection propre à notre vocation vincentienne et de nous consacrer à l'évangélisation des pauvres, à l'aide des clercs et des laïcs, pour qu'ils participent, à partir de leur propre état, à l'évangélisation des pauvres” (en parallèle avec l'art. Const. Art. 1 des Constitutions)

27. La prière donnée en exemple ci-dessus n'est pas de saint Vincent, elle est tout simplement la formulation en prière du premier article des Constitutions. J'ai suivi en cela saint Vincent lui-même qui, souvent, terminait ses conférences et répétitions d'oraison par une prière demandant à Dieu la grâce d'obtenir ce que lui, avec conviction et foi, avait expliqué à ses auditeurs, Pères ou Sœurs.

28.Le Père Dodin - dans son livre “En prière avec Monsieur Vincent”, après avoir écrit un bref traité sur l'oraison de saint Vincent et sur sa conduite devant cet acte si important pour lui - nous a laissé une sélection de quatre-vingt-quatre prières sur des thèmes très divers, par exemple demander la protection de Dieu et jusqu'à la prière pour acquérir la vertu de pauvreté. Le Père Luis Nos, C.M. a fait de même, choisissant quelques belles prières de Saint Vincent qu'il a su embellir de ses dons littéraires. Dans les schémas pour la prière dans nos communautés, souvent on a recourt à saint Vincent pour prendre dans ses écrits quelque chose qui serve pour faire oraison.

29.Cette première façon de prier les Constitutions est facile, et il suffit d'avoir de l'intérêt pour présenter à Dieu, par Jésus Christ, n'importe quels thèmes spirituels, apostoliques et communautaires que mentionnent les Constitutions et Statuts.

Chercher les signes de la volonté du Christ et imiter sa disponibilité

30. Pour saint Vincent, la prière n'était pas une manière de s'éloigner du réel, ni une subtile recherche de soi-même ; elle était une expression de la charité, une manière de se donner à Dieu et de l'aimer vraiment. Bien que très souvent, on le considère comme un homme d'action - et il le fut - il a toujours été dépendant de Dieu et de sa divine volonté. Dans l'article 40 § 2, ayant le Christ devant notre regard contemplatif, lui qui demeurait en intime communication avec le Père, les Constitutions ajoutent: “Nous aussi, sanctifiés dans le Christ et envoyés au monde, nous nous efforcerons de rechercher dans la prière les signes de la volonté divine et d'imiter la disponibilité du Christ en appréciant toutes choses selon son jugement”.

31.Cette clef pour prier les Constitutions est celle qui peut le plus intéresser le missionnaire parce que - comme dit aussi saint Vincent et le reprennent les Constitutions - la prière est la source de la vie spirituelle. Grâce à elle, on se revêt du Christ et on s'inspire de la doctrine évangélique, on discerne la réalité et les événements en présence de Dieu et l'on demeure dans son amour et dans sa miséricorde. De cette façon, l'esprit du Christ procure efficacité à nos paroles et à nos actions. C'est chercher une réponse à la question thérésienne: “Que voulez-vous de moi, Seigneur?”

32.Le grand motif que nous avons de prier, c'est que le Christ a prié et a demandé de prier pour être fidèle à la volonté du Père, suprême raison de sa vie, de sa mission et du don de sa vie pour le salut du monde. Le Christ lisait et méditait ce qui se présentait comme la volonté du Père: les Ecritures, les événements, la mission. Faire ainsi permet à la prière de n'être pas séparée de la vie.

En guise de para liturgie

33. Selon les articles 45, 46 et 47 des Constitutions, la prière de la Congrégation peut se faire et s'exprimer de trois formes différentes: liturgique, communautaire et mentale. On peut donc prier les Constitutions en s'en servant pour faire une sorte de para liturgie - dans ce cas, les Constitutions peuvent être une des lectures et aussi la source des prières et de l'oraison finale. Tout dépend de la manière dont on veut ordonner la para liturgie et le contenu qu'on veut lui donner.

La prière communautaire

34. La prière communautaire est signalée dans l'article 46 des Constitutions: “La prière communautaire nous offre une excellente manière d'animer et de renouveler notre vie, surtout lorsque nous célébrons et partageons la Parole de Dieu, ou bien lorsque, instaurant entre nous un dialogue fraternel, nous nous faisons part mutuellement des résultats de notre expérience spirituelle et apostolique”.

35.Cette manière de prier les Constitutions est simple et suppose qu'existe dans la communauté la confiance suffisante pour exprimer ses pensées et ses désirs sur le thème choisi. Rien n'empêche qu'une fois lu le texte constitutionnel, le président ou quelqu'autre membre du groupe puisse donner quelques indications sur le thème. Après un temps raisonnable de réflexion, librement et d'une manière spontanée, on commence à exposer ce que l'on a pensé sur le texte, toujours avec humilité et charité, sans accuser personne, seulement avec l'intention d'être constructif.

36.Cette manière de prier les Constitutions peut servir à faire un examen de conscience et à dénoncer charitablement les fautes graves qu'on a trouvées par cette réflexion. Il est évident que les chapitres des Constitutions ne peuvent pas tous servir à cela. Le bon jugement du Supérieur, avec l'avis des confrères, aidera à utiliser cette façon de prier avec les Constitutions. La situation de la communauté peut être un bon indicateur pour choisir ou non cette manière de prier.

La prière mentale ou oraison

37. Cette manière de prier les Constitutions consiste à choisir un paragraphe ou un chapitre comme thème de prière mentale et de méditer les Constitutions. J'entends par méditation la réflexion silencieuse et prolongée autour d'un thème spirituel. Ce n'est pas un acte purement intellectuel parce que la méditation se fait en présence de Dieu et animée par son amour, et elle doit se terminer par une sorte de prière de demande, de repentir ou d'action de grâce.

38.Dès que possible, il faut prendre en compte les nombreux conseils que nous donne saint Vincent à propos de l'oraison et qui sont en lien avec la tradition de la prière pratique. Les manuels de méditation, comme celui du Père Busée, étaient utilisés par les missionnaires. Dans le même temps, saint Vincent était préoccupé par l'orientation de saint François de Sales qui profitait profondément des ressources de l'affectivité. Selon le Père Dodin, saint Vincent, par principe, n'interdit aucune forme de prière et ne donne la préférence à aucune en particulier. Tout dépend du tempérament, de la santé, de la grâce et de l'efficacité de la méthode en relation avec la personne qui l'utilise.

39.Etant donnée la nature des Constitutions - les unes plus théologiques, d'autres plus pratiques, mais toutes orientées vers une meilleure suite du Christ - il faut leur donner un caractère pratique, sans inhiber ou étouffer les affections qui, de leur considération, surgissent sous l'influence du Saint Esprit.

Peut-on psalmodier les Constitutions ?

40.C'est une question que je me suis faite parfois. D'un côté, j'hésitais à lier les Constitutions aux psaumes mis par l'Eglise comme base de la prière, non seulement pour les clercs et membres des Sociétés de Vie Apostolique, mais aussi pour tout chrétien. Et de fait, ils sont assez nombreux les chrétiens qui se réunissent pour chanter les louanges divines et prier avec les psaumes. D'autre part, connaissant l'origine, la finalité et la composition des Constitutions et quelques Communautés, l'idée ne me paraît pas naïve ni à rejeter qu'elles puissent être psalmodiées, s'il y a une personne qui possède des talents poétiques et qui sache créer le rythme opportun. On pourrait faire des Constitutions un genre d'Heure intermédiaire, si la liturgie le permet, avec chant, une brève lecture et une oraison finale. Ce système a été utilisé, je crois, dans des groupes de formation. Il est évident qu'il ne s'agit pas là de pousser à préférer la prière psalmodiée privée à la prière de l'Eglise !

41.Quand le Père Général a suggéré de faire une prière “belle pour Dieu”, il se référait, je crois, à la forme, de telle sorte que celle-ci, extérieurement belle par son contenu, ses chants et sa participation, arrive à toucher la sensibilité des jeunes, mais aussi des anciens, sans tomber dans “l'esthétisme” qui ne serait pas prière, pour très belles que soient les formes. Je crois que toute prière faite en commun ou en particulier, d'une manière ou d'une autre, est belle si elle se fait, comme dit notre Seigneur, en esprit et en vérité.

42.Je me souviens que, pendant une des Assemblées, quand on ne savait pas bien comment formuler le chapitre sur la prière et qu'on présentait de nombreuses idées, un des membres présents me dit: tout cela c'est bien, mais il suffirait de la recommandation faite par l'Eglise fait durant le sacrifice eucharistique: Priez, mes frères!

(Traduction : ALAIN PÉREZ, C.M.)

* SV XII, 98 / ES XI, 402

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