La Mission ad gentes à la lumière de saint Vincent de Paul

La mission “ad gentes”

à la lumière de saint Vincent de Paul

Antonino Orcajo, C.M.

Depuis l'annonce de la prochaine canonisation de Jean-Gabriel Perboyre, beaucoup de confrères portent en eux un nouvel intérêt pour les missions "ad gentes". Parmi les oeuvres apostoliques de la Congrégation, celles-ci "occupent une place éminente", disent les Constitu-

tions C.M., conformément à la pensée de saint Vincent (C.16).

Les exhortations du fondateur sur ce sujet me sont revenues à la mémoire, tandis que je relisais les lettres du P. Robert P. Maloney, Supérieur Général C.M., où il rendait compte de ses visites en Chine et en Afrique et lançait en même temps des appels à tous les membres de la Congrégation, pour qu'ils répondent généreusement en s'offrant à aller dans les missions internationales soutenues par la Congrégation.

Serait-ce dû a ce que, dans les circonstances actuelles, la Congrégation toute entière devrait donner des preuves plus évidentes, ou faire de plus grands sacrifices de personnes et de moyens, pour prouver que, de fait, les missions occupent cette "place éminente" parmi ses oeuvres? La réactivation de l'esprit missionnaire ne dépendra-t-elle pas d'un dévouement plus généralisé aux missions des pays où sévit la plus honteuse pauvreté et où le secours est urgent? Aujourd'hui et tnujours l'engagement réel aux missions revitalise l'esprit d'une Congrgation née précisément pour évangéliser en n'importe quel lieu du monde.

Déjà au temps de saint Vincent, les missionnaires s'affermissaient dans leur vocation devant l'urgence d'aller aux "pays lointains" où l'Evangile n'avait pas été prêché ni l'Eglise établie. L'appel aux missions constituait un révulsif vocationnel que le fondateur exploitait dans ses communications orales et écrites (1). On peut affirmer la même chose des missions assumées par les supérieurs généraux, successeurs de saint Vincent, qui ont suscité et consolidé de très nombreuses vocations à la Congrégation de la Mission. L'exemple de Jean-Gabriel Perboyre le confirme. Son attachement à prêcher le message de l'Evangile, d'abord au Séminaire de Saint-Flour et au Séminaire Interne de Paris, puis en Chine, avec l'empreinte de l'amour de Jésus-Christ et de l'Eglise, cet attachement a produit un bien incalculable dans toute la chrétienté et surtout dans la petite parcelle de la famille vincentienne.

La passion de suivre Jésus, évangélisateur des pauvres.

Selon l'expérience vincentienne, le dévouement aux missions provient de l'amour passionné pour Jésus, envoyé par le Père pour évangéliser les pauvres. Jésus est le premier et l'éminent modèle de tous les missionnaires. Incarné dans notre nature et consacré par l'Esprit pour annoncer la Bonne Nouvelle du Salut, Jésus de Nazareth enseigne dans les synagogues, guérit les malades, pardonne aux pécheurs et appelle chacun à la conversion. En lui s'accomplissent les Ecritures concernant le Messie (cf. Luc 4,21); il passa par les villes et les villages de Palestine, en faisant le bien, et il aurait traversé les frontières "si sa sagesse éternelle eût jugé à propos de travailler pour la conversion des nations pauvres. Il a envoyé pour cela les apôtres; il nous envoie comme eux pour porter partout le feu, partout.” (SV XI, 291) Voilà le missionnaire des pauvres, plein de charité compatissante et miséricordieuse, qui suscite la vocation de Vincent de Paul et de la Mission qu'il mettra lui-même en marche, à partir de l'année 1617, à l' occasion de la mission donnée à Gannes-Folleville.

Les renvois de saint Vincent à Jésus missionnaire sont constants, quelle que soit le domaine où se développent ses enseignements spirituels, communautaires et apostoliques. Un témoin nous assure que "lorsque Monsieur Vincent, en allant au fond des choses, parle (..) de la compassion envers les affligés, de l'assistance aux pauvres, du zèle pour le salut des âmes (...), il le réalise en pratique et dans son comportement”.

La contagion qu'il transmettait à ses compagnons était due, avec certitude, à l'amour qu'il professait à Jésus, Sauveur du monde. De là vient que tous resteront impressionnés par sa conduite et sa parole, et disposés, en général, à aller jusqu'aux derniers confins du monde "pour faire connaître Dieu aux pauvres, leur annoncer Jésus-Christ, leur dire que le royaume des cieux est proche et qu'il est pour les pauvres" (SV XII, 80). Souvent, on l'avait entendu dire que son plus grand idéal, sur la terre, était d'apporter l'Evangile à toute créature, si éloignée soit-elle, et qu'il enviait le sort des missionnaires envoyés aux "quatre coins du monde" (SV XI, 291). Bref, son désir d'imiter Jésus évangélisateur des pauvres n'était pas du tout supplanté par des motifs d'ordre seulement sociologique.

Qui ne perçoit dans ces paroles la résonance qu'elles produisirent dans les générations postérieures? Il n'y a personne parmi nous qui ignore, au moins en théorie, que l'appel à suivre Jésus évangélisateur des pauvres implique une intime disposition à aller n'importe où dans le monde.

S'il existe une piste pour discerner la vocation missionnaire, ce doit être celle de sentir que "l'amour du Christ nous presse", comme dit saint Paul, pour faire connaître à tous Dieu et son Envoyé Jésus-Christ (Jn 17,3). Sinon, c'eût été une erreur d'entrer dans une Compagnie "élevée dans cette disposition que, toutes choses cessantes, lorsqu'il plaira à Sa Sainteté de l'envoyer a capite ad calcem en ces pays-là, elle ira très volontiers" (SV II, 256). C'est ce qu'écrivait le fondateur à B. Codoing, le 25 mai 1642, en lui exprimant le grand réconfort qu'il éprouvait en recevant divers appels de Mgr Ingoli, premier secrétaire de la Congrégation "de Propaganda Fide", pour qu'il se charge de quelques missions. Un tel sentiment n'obéissait pas à une émotion passagère mais à la plus profonde conviction de foi et d'amour pour Jésus-Christ, comme le prouvent une multitude de lettres, antérieures et postérieures à celle bien connue du 25 mai 1642. Il lui pesait d'avoir la conviction que, dans ces pays de mission, régnaient la plus grande pauvreté matérielle et le manque d'ouvriers, et que la moisson y était plus abondante. Bien que trois siècles se soient écoulés, la même réalité demeure: il n'y a pas au monde de plus triste désolation que celle constatée dans les pays en voie de développement. D'innombrables témoins le confirment: non seulement de hauts responsables de l'Eglise et des supérieurs de Congrégations missionnaires, mais n'importe quel observateur attentif à l'évolution des peuples.

L'amour pour l'Eglise mis à l'épreuve.

L'envoi de Jésus en ce monde et l'ordre qu'il donne à ses Apôtres d'aller prêcher l'Evangile à toutes les nations (Mt 28, 19-20), renforcent l'enseignement de saint Vincent à ses disciples. Après beaucoup d'explications sur la vocation missionnaire, et bien informé sur le sens étymologique et conceptuel du mot "missionnaire", équivalent à celui d'apôtre, il conclut: "Que veut dire missionnaire? C'est-à-dire: envoyé. Oui, mes frères, missionnaire veut dire envoyé de Dieu; et c'est à vous que Notre-Seigneur a dit: Euntes in mundum universum, predicate Evangelium omni creaturae" (SV XII, 27). En effet, obéissant à l'ordre de leur Seigneur, les Douze se répandent par le monde; ils témoignent en paroles et en actes de la vie de Jésus, incarné, mort et ressuscité pour le Salut et le Rachat de toute l'humanité. Comme preuve de leur amour pour Jésus, ils affrontent les persécutions, la prison, les menaces et jusqu'à la mort, sans que rien ni personne ne puisse arrêter leurs pas ou faire taire leur voix.

C'est surtout le grand apôtre saint Paul, vase d'élection, qui est un infatigable modèle de travail et d' amour pour les communautés chrétiennes; elles surgiront ici ou là, sous l'impulsion de l'Esprit qui le menait par divers chemins.

Le fondateur de la Congrégation ne peut pas lire les Actes des Apôtres sans se sentir pressé par le même Esprit qui poussait Paul de Tarse à annoncer aux païens la richesse insondable du Christ. Après la lecture, Monsieur Vincent transmettait à ses compagnons le feu qui le dévorait au-dedans. Pas plus que les Apôtres, il ne s'effrayait guère des peines de l'évangélisation, pas même des pertes de la Compagnie dues aux missions. Il disait, au contraire: "Que les difficultés ne nous ébranlent pas; il y va de la Gloire du Père éternel et de l'efficacité de la parole et de la passion de son Fils. Le Salut des peuples et le nôtre propre sont un bien si grand, qu'il mérite qu'on l'emporte, à quelque prix que ce soit; et n'importe que nous mourions plus tôt, pourvu que nous mourions les armes à la main (...). Pour un missionnaire qui aura donné sa vie par charité, la bonté de Dieu en suscitera plusieurs qui feront le bien qu'il aura laissé à faire" (SV XI, 413).

L'histoire s'est chargée de confirmer cette prophétie qui avait été déjà consignée par Tertullien dans son Apologeticus: "Sanguis martyrum, semen christianorum". Est-il possible de douter que le sang de nos martyrs, tel celui de Jean-Gabriel Perboyre et, peu de temps avant, celui de François-Régis Clet, pour ne citer que deux exemples, aient été semence d'abondantes vocations missionnaires! L'oeuvre des missions intérieures et extérieures n'admet pas de comparaison avec les autres ministères de la Congrégation. Elle possède une force d'éveil que n'offre pas les autres ministères. Ce sont les modèles admirables d'attachement à l'évangélisation qui ont forgé pour la Congrégation les vocations authentiques et ont donné plus de saints à la Communauté. S'il en est ainsi, comme cela est sûr, la Compagnie resterait minée dans sa vocation essentielle au cas où le charisme des missions se délaierait et qu'elle offrirait peu à ceux qui se présentent pour continuer l'oeuvre principale de Jésus: il est venu du Ciel sur la terre pour accomplir la Mission que le Père lui avait confiée.

L'amour passionné pour Jésus se vit en harmonie avec l'amour de l'Eglise, évangélisatrice et évangélisée par ceux-là même à qui son travail est voué. C'est ainsi que l'ont témoigné tous les serviteurs de l'Evangile. En tant que Royaume de Dieu, Bercail des brebis et Corps du Christ, l'Eglise suggère à saint Vincent d'intéressants enseignements sur les missions: ils sont le fruit de son expérience, baptismale et sacerdotale. En tant que Royaume de Dieu, l'Eglise prouve, grâce aux missions, que l'Esprit-Saint la guide. Comme Bercail ou Troupeau, l'Eglise a besoin de pasteurs zélés qui fassent paître leurs brebis, qui aillent à leur recherche si elles se sont perdues, qui bandent les blessées et les attirent toutes à l'unique bergerie du Salut (Luc 15, 4-7; Mt 18, 12-14). En tant que Corps du Christ, l'Eglise se compose de nombreux membres, intimement liés entre eux, dont les missionnaires sont les plus solidaires et les plus sensibles pour les membres souffrants de ce Corps. Dans ces images de l'Eglise et en d'autres, telle que la Moisson qui a besoin d'ouvriers pour travailler à la récolte (SV XI, 41), ou comme l'Epouse qui a besoin de se purifier, se détache la bonté de Dieu, qui "nous a choisis comme instruments de son immense et paternelle charité, qui se veut établir et dilater dans les âmes" (SV XII, 262).

La crainte que l'Eglise disparaisse en Europe, à cause des guerres de religion et des moeurs dépravées, stimulait le zèle de saint Vincent. En 1647 il découvre cette inquiétude à J. Dehorgny: "Pour moi, je sais que ce sentiment me demeure depuis longtemps. Mais, quand Dieu n'aurait pas ce dessein , ne devons-nous pas contribuer à l'extension de l' Eglise?" (SV III, 154). Ce qui est certain, c'est que, en se consacrant aux missions et à la formation du clergé, il donnait le meilleur de ses forces pour prouver son amour à l'Eglise.

L'ardeur de la charité

Evidemment, ces images de l'Eglise s'appliquent à des personnes physiques et collectives, bien que toutes n'aient pas reçu le même charisme de la charité missionnaire. Ce fut la charité qui entraîna le Fils de Dieu à se faire homme comme nous "pour établir entre nous, par son exemple et sa parole, la charité du prochain" (SV XII, 265).

Si nous analysons bien les origines de la Mission, nous verrons que ce fut "le zèle pour le salut des âmes" qui lui donna naissance. C'est pourquoi elle agit toujours dans la mouvance de la charité et elle demeure même "dans un état de charité" (SV XII, 275).

Le caractère saillant de la charité c'est le zèle apostolique, zèle pour la gloire de Dieu sur la terre, afin de porter l'Evangile à toutes les nations. C'est la vertu la plus typique du missionnaire, celle sur laquelle le fondateur de la Mission insiste davantage sous divers aspects. Nous avons tous si souvent entendu la réflexion qu'il fit, inspirée sûrement par une autre semblable de saint François de Sales sur la dévotion: "Le zèle consiste dans un pur désir de se rendre agréable à Dieu et utile au prochain. Zèle pour étendre l'empire de Dieu, zèle pour procurer le salut du prochain. Y a-t-il rien au monde de plus parfait? Si l'amour de Dieu est un feu, le zèle en est la flamme; si l'amour est un soleil, le zèle en est le rayon. Le zèle est ce qui est de plus pur dans l'amour de Dieu" (SV XII, 307-308). On comprend mieux maintenant pourquoi les missionnaires sont des modèles de charité: parce qu'ils suivent Jésus, "qui est venu mettre le feu au monde afin de l'enflammer de son amour. Qu'avons-nous à vouloir sinon qu'il brûle et qu'il consume tout?" (SV XII, 262).

Le missionnaire montre qu'il est embrasé de charité théologale s'il éprouve le besoin de la porter aux peuples indigents, même s'il s'en voit empêché par la faiblesse. Dans ce cas, l'ardeur de sa profonde charité produira des effets, invisibles mais réels, dans le Corps total de l'Eglise. En vertu de la communion des saints, beaucoup constateront, sans savoir comment, qu'une force les pousse à donner leur vie pour leur frères. Les Papes Paul VI et Jean-Paul II l'ont fait ressortir dans leurs encycliques et leurs allocutions missionnaires, en parlant du zèle suscité par la charité, si nécessaire dans l'entreprise commune de l'évangélisation des peuples. L'absence de zèle traduirait, en échange, des effets contraires à la charité, qui est, par nature, expansive et communicative: la pusillanimité, la lâcheté, l'insensibilité, la paresse et l'amour du confort sont des vices que saint Vincent blâme sévèrement comme de puissants ennemis de la Mission. Cela fait sourire d'imaginer le fondateur de la Congrégation raillant et ridiculisant les paresseux et ceux qui manquent de zèle évangélique, tandis qu'il soulève l'admiration et l'enthousiasme quand il exalte les apôtres intrépides de l'Evangile. Un tel enthousiasme lui survenait en constatant la vie intérieure qu'entretenaient beaucoup de missionnaires: ils étaient avides de partir en missions, malgré leur âge avancé et leur maladie; mais cet enthousiasme lui venait surtout en se rendant compte que plusieurs confrères étaient morts pour s'être engagés à fond dans l'oeuvre principale de l'Eglise

et de la Congrégation.

Il estimait ceux-ci heureux et fortunés. Saint Paul, saint Vincent Ferrier et saint François-Xavier étaient considérés comme d'authentiques témoins de Jésus, pour avoir porté aux nations le Royaume de Dieu. C'est pour cela que saint Vincent encourageait le désir des missions, qui “est l'emploi le plus relevé, le plus utile et le plus sanctifiant qui soit sur la terre (....) Les apôtres et plusieurs grands saints se sont estimés bien heureux de se consumer pour cela" (SV IV, 368-369). Dans une occasion, il signala la cause d'un tel bonheur en parlant de la vocation missionnaire: "Qu'heureuse, ô qu'heureuse est la condition d'un missionnaire qui n'a point d'autres bornes de ses missions et de ses travaux pour Jésus-Christ que toute la terre habitable! Pourquoi donc nous restreindre d'un point et nous prescrire des limites, puisque Dieu nous a donné une telle étendue pour exercer notre zèle?" (Abelly, Livre II, p. 91).

L'enviable disponibilité

Le zèle, ou la charité ardente, requiert une attitude de disponibilité sans laquelle l'oeuvre éminente des missions est impossible. Au temps du fondateur, la disponibilité était une condition requise et une preuve de vocation à la Mission. Car "notre vocation est d'aller, non en une paroisse, ni seulement en un évêché, mais par toute la terre" (SV XII, 262). Le contraire équivaudrait à nier les desseins de Dieu sur cette Compagnie, qui doit être présente là où l'on sent un plus grand besoin d'ouvriers évangéliques. Il n'y aura pas de missions si l'on n'a pas de missionnaires disponibles, libres de toute attache astreignante: aux lieux, aux ministères et aux tendances exagérées. La disponibilité ignore les frontières linguistiques, raciales, culturelles et morales. Les difficultés que présentent les missions sont sans importance pour un missionnaire détaché de lui-même et des biens que promet le Malin. Ce qui compte pour lui, c'est de suivre Jésus, qui n'eut pas de domicile fixe ni d'endroit où reposer sa tête.

La disponibilité des anciennes communautés de la Congrégation est-elle aujourd'hui en crise? N'ont-elles pas tendance à se replier sur elles-mêmes, comme l'escargot dans sa coquille? Ne sont-elles pas plus attentives à leur propre subsistance qu'à élargir leurs horizons sur l'univers? A en juger par les lettres susdites de notre actuel Supérieur Général, on constate partout des indices d'enthousiasme missionnaire; il insiste néanmoins pour adresser de nouveaux appels à la disponibilité de tous les membres de la Congrégation. Bien que la baisse numérique des vocations, en Occident, et le vieillissement du personnel des Provinces anciennes soient des données irréfutables, ils ne constituent pas, apparemment, des preuves accablantes du manque d'esprit missionnaire. S'il est certain que le nombre total des sorties et des décès dans la Congrégation dépasse aujourd'hui celui des ordinations sacerdotales, on constate, d'autre part, que l'ardeur missionnaire reste intense chez beaucoup de confrères qui travaillent dans les jeunes Eglises où il y a un avenir vocationnel prometteur. Si l'on détecte, dans l'exercice de quelques fonctions, un certain individualisme, démasqué dans des documents des dernières Assemblées, on compte en même temps sur la collaboration internationale dans des projets missionnaires. Le comportement disponible des missionnaires de notre époque est donc nuancé par des arguments pour et contre. Puissent-ils garder une "mémoire sélective" de la conduite généralisée des missionnaires d'autrefois face aux appels à l'entraide reçus des supérieurs majeurs!

Quelques communautés ont encore un champ ouvert au ministère des "missions populaires". Si, comme l'enseigne Jean-Paul II, "la mission ad intra est un signe crédible et un stimulant de la mission ad extra et vice versa" (RM 34), la disponibilité pour la première contribue à vérifier l'esprit universel que requiert la seconde; et à l'inverse, la participation active aux missions extérieures -plus elle est grande, mieux ça vaut- renforce l'idéal des missions intérieures. Cette constatation est en outre signée par l'histoire de l'Eglise et de notre propre communauté. Dans la Congrégation de la Mission, c'est sous la forte impulsion des missions dans les villages de la vieille chrétienté, que sont nées les missions "ad gentes". C'est ainsi que saint Vincent l'a compris et qu'il l'a expliqué: "Nous devons maintenir ici courageusement les possessions de l'Eglise et les intérêts de Jésus-Christ, et avec cela travailler sans cesse à lui faire de nouvelles conquêtes et à le faire reconnaître par les peuples les plus éloignés" (SV XI, 355). Il disait cela, avec le langage de son temps, en tenant compte du nombre réduit de son personnel et des adversités, prévues et imprévues.

Conclusion

Rien ni personne n'empêchent que 1'esprit missionnaire, ouvert à toutes dispositions de la Providence, se vive dans l'espérance face à l'avenir. Tous les missionnaires, même les malades et les aînés, sont appelés -chacun à leur poste- à chercher et à établir le Royaume de Dieu, que ce soit près ou loin d'eux-mêmes.

Ceux qui sont éprouvés par l'incapacité physique aident à garder vivaces les aspirations missionnaires de ceux qui travaillent malgré une forte opposition. A ce propos, il convient de rappeler cette maxime de saint Vincent: "Jésus-Christ et les saints ont fait beaucoup plus en pâtissant qu'en agissant". Les yeux fixés sur Jésus crucifié, qui est mort pour le salut de tous les peuples par obéissance à son Père et par amour pour les hommes, les missionnaires, réduits au silence et à la douleur, complètent la passion rédemptrice de Jésus en s'unissant, de bon coeur, au Corps-de-l'Eglise qui souffre et évangélise.

(Traduction: Jules Vilbas, C.M.)

_______________

(1) Le thème des missions "ad gentes", en rapport avec saint Vincent, a été amplement traité par différents auteurs. Nous donnons ici un bref extrait de ses enseignements, cf Redondo J., "Misionologia de San Vicente", Mexico 1960; Van Winsen, "saint Vincent et les missions étrangères", Vincentiana (1978), pp. 158-182; Esparza C., "San Vicente de Paul y la misión "ad gentes", Caminos de Misión (1992), n_ 50, pp. 21- 26; n_ 51, pp.23-25; Orcajo A., "La vision misionera de San Vicente", San Vicente y la misión "ad gentes", CEME, Salamanca (1995), pp. 169-199.