Le gouvernement de la Congrégation selon les nouvelles Constitutions

Le gouvernement de la Congrégation

selon les nouvelles Constitutions

par Yves DANJOU, C.M.

Province de Paris

Le gouvernement est une partie importante du droit particulier de la Congrégation de la Mission. Celle-ci est à l'image de l'Eglise dont les structures hiérarchiques sont bien connues. Mais elle a l'obligation d'être particulièrement bien organisée à cause de son statut de Société de vie apostolique où l'accent est mis sur l'apostolat mis en place par les supérieurs et soutenu par la vie communautaire.

Les premières règles de la Congrégation

Rappelons rapidement que l'organisation actuelle de la Congrégation s'enracine dans son histoire. St Vincent a conscience, dès le début, d'instituer une association de missionnaires destinée à durer. Le contrat de fondation de la Congrégation de la Mission établi le 17 avril 1625 est explicite : « Que pour perpétuer ledit œuvre, à la plus grande gloire de Dieu, édification et salut du prochain, avenant le décès dudit sieur de Paul, ceux qui auront été admis audit œuvre et y auront persévéré jusqu'alors éliront, à la pluralité des voix, tel d'entre eux qu'ils aviseront bon être pour leur supérieur". La bulle d'érection « Salvatoris Nostri », promulguée par Urbain VIII le 12 janvier 1633, reprend les mêmes dispositions en précisant un peu plus les pouvoirs du Supérieur Général.

St Vincent est conscient de l'importance de bien établir l'organisation de la Congrégation. Vers 1635, à un moment où une grave maladie met sa vie en danger, il s'interroge sur ce qu'il pourrait regretter le plus : « M'examinant sur ce qui me pourrait donner quelque peine, j'ai trouvé qu'il n'y a rien sinon de ce que nous n'avons pas encore fait nos règles ». Il s'applique, dès lors, à élaborer un règlement en demandant conseil autour de lui et en s'inspirant des pratiques déjà appliquées dans les communautés.

En 1642, le moment favorable semble venir. Le roi vient d'accepter la bulle « Salvatoris Nostri ». Un an auparavant, l'archevêque de Paris a approuvé l'usage des vœux dans la Congrégation de la Mission. St Vincent convoque alors la première assemblée générale qui s'ouvre à St Lazare le 13 octobre 1642. Composée de douze membres, cette assemblée prend le temps d'examiner les règles relatives au Supérieur Général et à sa succession. Il est prévu qu'il est aidé dans sa fonction par deux assistants, qu'il puisse intervenir par lui-même ou par d'autres dans toutes les affaires importantes de la Compagnie et que des assemblées soient organisées tous les trois ans. De plus les maisons sont réparties en quatre provinces.

L'affermissement des pratiques

Cette première assemblée est importante pour le gouvernement de la Congrégation car elle consacre l'autorité suprême de l'assemblée générale, son devoir de se réunir selon des temps déterminés et son droit d'élire le Supérieur Général qui a pour mission d'unir et d'organiser la Congrégation. Ces points seront complétés ou précisés par la suite, mais ils constituent jusqu'à nos jours les éléments de base de notre administration.

St Vincent sait que cette assemblée est déterminante pour l'avenir de la Compagnie. Il propose sa démission de Supérieur Général par humilité, certes, mais sans doute aussi pour s'assurer du bon fonctionnement et de la pérennité de l'institution qu'il a mise en place. Sur les instances de ses Confrères, il accepte de garder sa fonction « protestant que c'était le premier acte d'obéissance qu'il croyait rendre à la Compagnie ». Après cette assemblée, il s'efforce de faire reconnaître ce qui a été décidé. Le 11 novembre 1644, il écrit au supérieur de Rome, Jean Dehorgny : « Nous tâchons de faire approuver ici nos règles communes, celles du général, de l'élection et du visiteur. Si nous en venons à bout, in nomine Domini, vous ne laisserez pas de voir de delà ce qui se pourra faire pour cela »

Certaines pratiques vont s'installer au fil des temps. St Vincent s'en préoccupe pour les affermir. La communauté de Saint-Méen reçoit la visite officielle d'Antoine Portail qui en donne, d'ailleurs, un rapport positif. Malgré tout, le supérieur, Jean Bourdet, ne cache pas son désaccord pour une telle pratique. St Vincent lui répond le 22 juillet 1646 pour lui montrer l'importance de cette démarche. Il lui développe onze raisons pour garder cet usage qui restera une pratique courante dans la Congrégation.

La codification des règlements

Ainsi les règles de gouvernement se précisent peu à peu. En 1651, une nouvelle assemblée qui réunit quatorze membres se déroule à Saint-Lazare. Elle s'occupe principalement de la rédaction finale des règles communes et confirme ce qui a été dit au sujet de l'élection du Supérieur Général. En 1658, St Vincent est heureux de présenter à sa communauté les « Règles communes de la Congrégation de la Mission ». Ce texte qui est un règlement de vie, ne donne pas de précision sur l'organisation de la Congrégation. Nous savons, cependant, par ce qu'il est convenu d'appeler le Codex Sarzana qu'il existait un ensemble de textes qui réglementaient le gouvernement de la Compagnie.

Malgré tout, il faut attendre plusieurs années pour avoir un texte bien établi reconnu par les plus hautes instances de l'Eglise. René Alméras, dès son élection comme Supérieur Général après la mort de St Vincent, s'efforce de codifier les règlements relatifs à l'administration de la Congrégation. Ceux-ci, après quelques retouches, sont approuvés par l'Assemblée générale de 1668 et entérinés par l'archevêque de Paris.

Les règles les plus importantes sont alors regroupées pour être soumises à l'examen et à l'approbation du Saint-Siège. Les Constitutiones selectae qui en résultent sont approuvées par le Pape Clément X avec le Bref « Ex injuncto Nobis » du 2 juin 1670. Elles seront complétées par la suite par les décisions des différentes Assemblées Générales. L'édition privée qui en est faite en 1847 sous le titre « Collectio Bullarum, Constitutionum ac Decretorum quae Congregationis Administrationem spectant » servira de principale référence jusqu'à la promulgation des Constitutions de 1954.

Les Constitutions de 1954

Il faut le reconnaître. Les « Constitutions et Règles de la Congrégation de la Mission » promulguées le 25 janvier 1954 ne constituent pas une véritable nouveauté. Elles ont pour principal intérêt de réunir de façon claire les principales règles qui régissent la Congrégation après avoir été mises en conformité avec le Droit Canon de 1917. Le bruit courut même que ces constitutions furent imposées par le Saint-Siège. Le Supérieur général, le Père William Slattery, dut s'en expliquer dans la circulaire du 1er janvier 1954 : « Il n'y a rien qui altère l'esprit de la Compagnie. L'esprit de Saint Vincent s'y retrouve absolument intact. La plupart des changements concernent l'administration de la Compagnie…Quant aux modifications apportées aux règles communes, elles sont en très petit nombre ». Et il conclut : « Il est clair qu'aucun changement n'affecte l'essentiel ».

Ceci est exact, en particulier pour ce qui touchait le gouvernement de la Congrégation. La gêne qu'on pouvait ressentir provenait moins des règles elles-mêmes que de l'esprit qui avait présidé à leur élaboration et à leur présentation. Il y allait de notre identité. La référence plus ou moins exprimée était celle de l'état consacré alors que St Vincent avait tout fait pour nous distinguer des religieux. Celui-ci déclarait encore quelques mois avant sa mort : « Je vous dis que ce n'est pas une religion et que nous ne sommes pas religieux ».

La répartition elle-même des chapitres est révélatrice d'une conception très figée de l'organisation de la Congrégation plus axée sur les structures hiérarchiques que sur l'activité missionnaire. Le ton est donné dès le début puisque le deuxième chapitre détermine de suite la préséance entre les membres de la Congrégation. On passe ensuite à son gouvernement et aux personnes qui le constituent, les vœux et les ministères venant bien après. Les problèmes de pouvoir et d'organisation occupent presque la moitié du document. La relation interpersonnelle à l'intérieur de la communauté n'est abordée qu'une seule fois mais pour en relever en même temps les dangers (n° 223).

Les nouvelles Constitutions

Les Constitutions de 1984 sont d'une autre facture. L'organisation de la Congrégation est traitée dans la troisième et dernière partie. Elle est ainsi au service de l'activité apostolique en vue de réaliser la fin de la Congrégation et de soutenir la vie de ses membres. Elle s'inspire en même temps de la théologie de Vatican II attentive à situer les membres de l'Eglise par rapport au mystère de Dieu. Le concile, dans la constitution « Lumen Gentium », en définissant l'Eglise comme le Peuple de Dieu et en présentant cette notion avant celle de sa hiérarchie, veut montrer que tous ses membres sont égaux « quant à la dignité et l'activité commune dans l'édification du Corps du Christ» (n° 32). Une telle affirmation ne regarde pas seulement la nature profonde de l'Eglise mais aussi sa manière d'exister et d'agir.

Nous percevons la même sensibilité dans nos Constitutions. Celles-ci présentent le gouvernement de la Congrégation à partir des idées de collaboration, de participation, de coopération, de responsabilité et de communion, principes qui définissent la place et le travail de chaque membre dans la communauté. Comme tous les Confrères ont la responsabilité de participer à « l'accomplissement de la mission commune » (n° 19) il est normal qu'ils aient aussi la possibilité de collaborer à son élaboration et à son organisation.

« Tous les Confrères, du fait de la vocation qui fait d'eux des continuateurs de la mission du Christ, ont le droit et le devoir de collaborer au bien de la communauté apostolique et de participer à son gouvernement » (n° 96). Dès le début de la section qui traite du gouvernement de la Congrégation, le principe général est posé avec son fondement à la fois théologique et pastoral car tout baptisé est appelé à participer et à prolonger l'action du Christ. Les Constitutions appellent les Confrères non seulement à travailler au « bien de la Communauté apostolique », mais aussi à collaborer, c'est-à-dire à agir en accord avec les membres de la communauté et, de façon ordinaire, à œuvrer avec eux. Pour cela, ils doivent pouvoir participer à son gouvernement en ayant le droit de discuter et d'intervenir dans l'élaboration et la réalisation des projets.

Les conséquences sont ensuite explicitées : « Tous coopéreront d'une façon active et responsable dans l'accomplissement de leurs fonctions, dans la prise en charge des projets apostoliques et l'exécution des ordres reçus » (suite du n° 96). On ne peut oublier que la responsabilité a une valeur morale. Elle est l'expression d'un être libre qui s'engage en toute connaissance de cause dans ce qu'il entreprend. L'homme responsable a la connaissance claire de ce qu'il se propose de faire. Il l'accepte consciemment et il s'engage dans l'action qu'il a décidée.

La coresponsabilité

Nous retrouvons dans les Constitutions ces différentes exigences. Le dialogue au sein de la communauté (n° 37, §1), entre les Confrères (n°24, §2) et avec le Supérieur (n°97, §2), permet de réfléchir mûrement à l'action apostolique, d'en considérer tous les aspects et d'en apprécier la valeur. Il ne s'agit d'une simple prise de parole qui se limite à faire entendre sa voix dans un débat. Le Confrère doit entrer pleinement dans la décision qui est adoptée en concertation, autrement dit être « responsable dans la prise en charge des projets apostoliques ». St Vincent, dans les Règles Communes, demande que l'obéissance dépasse la simple acceptation de la décision pour s'attacher aussi a l'intention qui la sous-tend (V, 2).

Enfin, la responsabilité véritable réclame de s'engager personnellement et d'exécuter les ordres reçus. Le mot actif revient à plusieurs reprises dans les Constitutions pour bien marquer, dans l'esprit de St Vincent, que le véritable missionnaire se juge au travail apostolique qu'il réalise. Il rejoint le désir du concile Vatican II de mettre en valeur le principe de participation de tous les religieux dans le gouvernement de leur institut. Ce principe restera un des points directeurs de la révision du Droit Canon. Le numéro 96 des Constitutions s'inspire, d'ailleurs, en grande partie du décret conciliaire « Perfectae caritatis » qui déclare en particulier : « Ils (les supérieurs) amèneront les religieux à collaborer par une obéissance active et responsable tant dans l'accomplissement de leur tâche que dans les initiatives à prendre » (n°14).

Ainsi, dans la communauté, il n'y a pas de hiérarchie de dignité, mais chacun, en raison de ses fonctions et de sa place, est appelé à coopérer en prenant ses responsabilités en vue de l'œuvre commune à réaliser. Les responsabilités sont définies plus en fonction d'un vouloir commun que d'un pouvoir imposé. C'est pourquoi elles se situent dans la communauté et s'exercent à partir d'elle car celle-ci « est organisée de façon à élaborer l'activité apostolique, à la soutenir et à la seconder constamment » (n° 19). La véritable responsabilité est, en fait, une coresponsabilité qui s'exprime d'abord à l'intérieur de la communauté. Il est dit, en effet : « aidés par le service indispensable de l'autorité, nous nous efforcerons d'être coresponsables pour rechercher, avec le Supérieur et dans une obéissance active, la volonté de Dieu dans notre vie et nos œuvres ; nous entretiendrons le dialogue entre nous, dominant les tendances trop individualistes de notre façon de vivre » (n° 24, §2).

L'importance de la Communauté

Il est certain que l'importance de la vie communautaire donnée par nos Constitutions détermine un mode de gouvernement particulier. La structure d'un groupe et les rapports de ses constituants déterminent l'exercice de l'autorité et sont définis par les pouvoirs qui s'y exercent. Dans l'index analytique des Constitutions de 1954 le mot « communauté » ne figure pas. Dans les Constitutions actuelles ce terme revient fréquemment et parfois de façon insistante. Il revêt différentes significations car il désigne aussi bien la réalité du groupe religieux que la vie de relation entre les Confrères. Ce n'est pas un hasard si la vie communautaire est traitée au deuxième chapitre de nos Constitutions et que la communauté locale est définie comme une expression vivante de la Congrégation tout entière (n° 23).

Cette vision des choses caractérise un style de gouvernement. Les Règles Communes gardent toute leur valeur pour définir et entretenir notre identité et notre esprit. Elle se réfère, cependant, à des structures sociales et religieuses basées sur les rapports supérieur-sujet avec des références sociologiques du XVII° siècle selon lesquelles l'unité s'exprime avant tout par l'uniformité. Dans ce document, le supérieur apparaît comme celui autour de qui la communauté s'organise. Il lui revient de décider du déroulement de la vie quotidienne (V, 5) comme celui du travail (II, 10), chacun devant estimer que « la volonté de Dieu est signifiée par celle du supérieur » (V, 4). L'unité du groupe est établie par le supérieur et elle se réalise par l'uniformité, « vertu qui entretient le bon ordre et la sainte union » (II, 11). Le manger, le vêtir, le dormir, de même que « ce qui est de la manière de diriger, d'enseigner, de prêcher, de gouverner, comme aussi à l'égard des pratiques spirituelles » (II, 11), doivent être marqués par le souci de ne pas se distinguer. L'uniformité se présente ainsi comme un critère important de l'unité du groupe religieux qui est défini beaucoup plus par rapport à lui-même que par rapport à sa qualité d'ouverture sur l'extérieur.

Cette comparaison a ses limites à cause de son contexte historique. Au XVIIe siècle, l'autorité, basée sur le pouvoir, était dominée par le symbole du père omnipotent. La communauté, soupçonnée de beaucoup de défauts depuis la réforme protestante, ne représentait pas une valeur en elle-même. Le mot lui-même est ignoré d'Ignace de Loyola dans les règles qu'il a établies. Cependant, avec les temps modernes, la relation individuelle supérieur-sujet s'est transformée au profit de la communauté à l'intérieur de laquelle se situent les relations interpersonnelles. Ce contexte permet de mettre en relief l'esprit qui préside actuellement à l'animation des communautés, à savoir que l'autorité a une responsabilité non pas limitée mais mieux répartie en fonction des activités des différents membres qui composent ces communautés.

Sous le regard de Dieu

Ceci dit, le gouvernement dans la Congrégation de la Mission ne s'exerce pas de façon collégiale même si notre droit particulier prévoit de nombreuses consultations obligatoires. L'autorité n'est pas l'expression ni l'émanation de la volonté générale qui délègue son pouvoir en gardant un droit de regard et de contrôle. Elle n'appartient pas non plus à celui qui la reçoit comme une capacité définitive et inaliénable. Elle s'exerce en dépendance de celui qui l'a confiée, c'est-à-dire Dieu, et par l'intermédiaire des différentes médiations ecclésiales.

Elle est donc obéissance à Dieu, soumission à l'Eglise et fidélité à l'esprit de la Congrégation. A ce titre elle réclame un continuel discernement spirituel sous la mouvance de l'Esprit et avec un respect profond et éclairé des règles qui régissent la Congrégation. C'est le sens de la deuxième partie du numéro 97, §1, des Constitutions : « Conscients de leur responsabilité devant Dieu, ils se considéreront comme des serviteurs de la communauté, en vue de réaliser la fin qui lui est propre, selon l'esprit de saint Vincent, dans une véritable communion d'apostolat et de vie ».

St Vincent demande, dans les Règles Communes, d'obéir aux supérieurs en « les regardant en Notre-Seigneur, et Notre-Seigneur en eux » (V, 1). Les Constitutions actuelles parlent de « l'autorité venue de Dieu » (n°97, n°1). Elles rejoignent le Droit Canon qui affirme, en s'inspirant du décret conciliaire « Perfectae caritatis » : « Les Supérieurs exerceront dans un esprit de service le pouvoir qu'ils ont reçu de Dieu par le ministère de l'Eglise »(canon 618). Ce pouvoir ne peut être une domination car il est plutôt de l'ordre de la médiation. « Il a un aspect sacramentel dans lequel l'acte humain est instrument de grâce divine ». Il se caractérise tout naturellement par un esprit de service.

Pour s'en expliquer les Constitutions font appel à deux images qui se compénétrent mais qui sont suffisamment différentes pour être distinguées, à savoir le Bon Pasteur et le serviteur. Elles demandent que ceux qui exercent l'autorité aient « devant les yeux l'exemple du Bon Pasteur, venu non pas pour se faire servir mais pour servir », expression employée pour les évêques dans la Constitution « Lumen Gentium » (n° 27). Dans St Jean, le Christ se présente comme l'unique bon Pasteur, celui qui connaît personnellement ses brebis, les rassemble en étant prêt à partir à la recherche de la brebis perdue, les protège des mauvaises rencontres et les conduit dans des lieux propices à la vie en leur exprimant un attachement indéfectible. Il est en même temps le serviteur des hommes parce qu'il est le serviteur de Dieu. C'est pourquoi il est doux et humble de cœur, capable de se dévouer et d'aller jusqu'au bout des exigences de l'amour qui inspire son service. Nous trouvons dans ces deux images du Christ toute une théologie spirituelle du véritable responsable.

Le sens du dialogue

L'esprit de service, toutefois, n'enlève rien à l'autorité des supérieurs. C'est ce qu'affirme le canon 618 cité précédemment : « Dociles à la volonté de Dieu dans l'exercice de leur charge, ils (les supérieurs) gouvernent leurs sujets comme des enfants de Dieu, et pour promouvoir leur obéissance volontaire dans le respect de la personne humaine, ils les écoutent volontiers et favorisent ainsi leur coopération au bien de l'institut et de l'Eglise, restant sauve cependant leur autorité de décider et d'ordonner ce qu'il y a à faire ».

Les Constitutions disent la même chose d'une façon équivalente mais plus brève : « Ils engageront donc le dialogue avec leurs Confrères, restant sauf leur propre pouvoir de décider et de prescrire ce qu'il y a lieu de faire »(n° 97, §2). Nous trouvons là un des moyens les plus favorables pour permettre aux membres d'une communauté de montrer leur intérêt et leur participation à l'œuvre commune. L'importance du dialogue est ici relevée mais sans aucune autre précision sur sa nature et sur sa fin. Le but est simplement d'en marquer les limites en rappelant que le dialogue, s'il suscite une réflexion et même une délibération, ne peut obliger le supérieur qui garde sa liberté de jugement et son pouvoir de décision.

En fait, le principe du dialogue a été traité au deuxième chapitre des Constitutions. On y parle d'un « dialogue franc et engagé » entrepris au sein de la communauté en vue de susciter « une maturation et une expression de tendances communes susceptibles d'orienter les décisions adoptées » (n° 37, §1). Cette façon de faire est inspirée de l'enseignement de Paul VI dont l'influence a joué un certain rôle dans la rédaction des Constitutions puisqu'il en constitue l'unique référence pontificale explicite. Paul VI a mis le dialogue au centre de la mission évangélisatrice de l'Eglise. Il publia son encyclique « Ecclesiam suam » le 6 août 1964, quelques mois avant la promulgation de la Constitution conciliaire « Lumen Gentium », expliquant que « dans le dialogue se réalise l'union de la vérité et de la charité, de l'intelligence et de l'amour » (n° 85).

Le dialogue réclame un certain droit à l'information, ce qui pose le problème de la qualité de la communication, sujet qui est traité par petites touches dans les Statuts (n° 78, §6, et 82). De même, l'exercice de l'autorité exige la clarté et la précision dans les décisions. Le Droit Canon garde toutes ses exigences sur ce point quand il déclare : « Le décret sera donné par écrit, avec l'exposé au moins sommaire des motifs, s'il s'agit d'une décision » (canon 51 qui complète le canon 37).

A chacun sa responsabilité

La responsabilité demande que chacun reçoive la capacité de l'assumer personnellement dans les limites de la charge qui lui est confiée. C'est le sens du n° 98 des Constitutions qui cite, sans le nommer, le principe de subsidiarité. « On évitera de recourir à une instance supérieure quand une affaire peut être réglée par les Confrères eux-mêmes ou par un échelon inférieur de gouvernement ». Ce principe, utilisé dans l'enseignement social de l'Eglise pour réglementer les rapports entre l'Etat et les individus, a été repris pour définir les relations entre les différents niveaux de responsabilité dans l'Eglise. Le principe de subsidiarité est nommé explicitement pour l'ordonnance des lois décidées par l'Assemblée générale (n° 137, §3).

Les principes généraux rappellent enfin le droit d'exemption dont jouit la Congrégation (n° 99) avant de conclure sur les pouvoirs des différents niveaux de gouvernement. Une dernière remarque qui a suscité un certain nombre de réactions accompagne cette conclusion : « Les Supérieurs doivent être revêtus d'un ordre sacré » (n° 100), ce qui empêche la nomination d'un Frère comme supérieur. Cette disposition, imposée par Rome comme aux autres congrégations cléricales, est peut être regrettable, mais elle s'inscrit, il faut l'admettre, dans la cohérence de nos Constitutions. Pour celles-ci, en effet, seuls les clercs « réalisent leur vocation, chacun selon son Ordre propre et à l'exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Prêtre, Pasteur et Docteur, par l'exercice de cette triple fonction dans toutes les formes d'apostolat qui peuvent contribuer à procurer la fin de la Congrégation » (n° 52, §1).

Il fallait s'attarder sur les principes généraux qui président au gouvernement de la Congrégation de la Mission (n° 96 à 100) car ils déterminent son esprit et constituent la véritable nouveauté des Constitutions. Les règles particulières à chaque office qui les suivent ne sont pas originales dans leur ensemble. La dernière rédaction de ces textes a été surtout occupée par la répartition entre les Constitutions et les Statuts. Ce n'est pas sans importance car seul le Saint-Siège peut donner l'interprétation authentique des Constitutions, celle des Statuts étant confiée à l'Assemblée générale (n° 137, §5).

Les quatre normes principales

Néanmoins, nous pouvons relever les quatre principales normes qui donnent aux Constitutions une nouveauté particulière et sont dans la droite ligne des règles précédemment évoquées : la durée déterminée des charges, la consultation, la liberté dans la procédure de certaines nominations et l'obligation d'avoir un projet communautaire soit provincial, soit local.

La limitation dans le temps des charges est une référence constante dans l'organisation des Congrégations. Les fonctions étant définies comme des services, il est normal que l'engagement soit limité pour permettre le renouvellement des personnes et favoriser le dynamisme inventif des communautés. Le Droit Canon demande que « les supérieurs soient constitués pour un laps de temps déterminé et convenable » (canon 624, §1). Cette prescription existait dans notre ancien droit. Elle est renforcée pour être appliquée aussi au Supérieur Général qui ne peut dépasser le temps d'un double sexennat (n° 105, §3). C'est, d'ailleurs, l'élection de ce dernier qui rythme la convocation de l'Assemblée générale ordinaire (n° 137, §2 ; 138, §1).

La responsabilité des Confrères est engagée par le biais des consultations ou de ce qui en tient lieu. En vue de l'élection du Supérieur Général, « on doit faciliter le libre échange des informations sur les affaires à traiter et sur les qualités des Confrères susceptibles d'être élus » (Statuts, n°82). Pour le Visiteur et le Supérieur local, la consultation des Confrères concernés est indispensable (n° 124 ; 130, §1). Pour leur choix, une grande liberté est laissée à l'Assemblée provinciale en vue de préciser le mode de leur élection (Statuts n° 68, §2 et 3 ; Const. n°130, §2).

Enfin, l'obligation de mettre sur pied un projet soit au niveau provincial, soit au niveau local, apparaît comme un moyen nouveau et d'un grand intérêt pour unifier la vie des Confrères et dynamiser l'action apostolique. Il est établi que le projet provincial est à réaliser avec le consentement du Conseil du Visiteur (Statuts, n° 69, §1) et que le projet communautaire manifeste l'expression véritable de la communauté locale (Const. n°27 ; Statuts, n° 16 ; 69, §5 ; 78, §4). Chaque Confrère est invité à en tenir compte (Const. n° 32, §1 ; Statuts n° 19). Le nombre des références qui s'y rapportent marquent suffisamment l'intérêt particulier accordé au projet communautaire.

Une nouveauté beaucoup plus administrative est le visage du Vicaire général. Celui-ci était traditionnellement le Confrère désigné en secret par le Supérieur Général pour assumer l'intérim en cas de décès. Il apparaît désormais comme le deuxième personnage de la Congrégation chargé de remplacer le Supérieur Général en cas d'absence, d'empêchement ou de décès. Elu par l'Assemblée générale, « il devient en même temps Assistant Général » (n° 109). Il semble que sa fonction ait rendu obsolète le rôle de l'admoniteur qui a été supprimé au niveau du Supérieur Général, comme pour les autres offices, bien que son existence remonte à St Vincent.

Contrairement aux anciennes Constitutions, les qualités spirituelles et humaines requises pour être supérieur ne sont plus précisées, à part la règle qui exige qu'il soit incorporé dans la Congrégation depuis trois ans au moins et âgé de vingt-cinq révolus (n° 61). Cependant, chaque fonction étant définie de façon succincte mais suggestive, il est facile d'en déduire les qualités qui prévalent pour l'assumer. Le Supérieur Général est présenté comme le « centre d'unité et coordinateur des Provinces « (n° 102). Le Visiteur doit favoriser « la participation de tous à la vie et à l'activité apostolique de la Province » (n° 123, §2). Quant au Supérieur local, il est le « centre d'unité et animateur de la vie de la communauté » (n° 129, §2). A chacun de répondre du mieux possible à ce qui est attendu de lui. On pourrait dire schématiquement que le Supérieur général coordonne, le Visiteur stimule et le Supérieur local anime.

Le gouvernement est un élément important de la vie d'une Congrégation. Nos Constitutions actuelles le présentent dans un esprit qui tranche avec l'expression froide des anciennes Constitutions. En suivant les consignes du Concile Vatican II, elles dépassent le caractère juridique des règles qui nous gèrent pour les englober dans une vision spirituelle qui leur donne une dimension plus significative et plus vivante. La Congrégation de la Mission n'est pas une simple association à caractère religieux. Son organisation est animée de la volonté de s'inscrire avec son charisme propre dans la vie de l'Eglise et de répondre à son attente. C'est pourquoi l'importance accordée aux principes généraux de gouvernement démontre que celui-ci n'est pas seulement un élément de structure, mais qu'il participe aussi à l'identité de la Congrégation voulue par St Vincent.

Coste, XIII, 199-200

Coste, XIII, 201-202

Louis Abelly, « La vie du vénérable serviteur de Dieu, Vincent de Paul, instituteur et premier Supérieur Général de la Congrégation de la Mission », Paris, 1664, t.1, ch. LI, p. 252.

Coste XIII, 287-298

Coste XIII, 296

Coste II, 488

Ce texte est un premier brouillon de nos Règles Communes suivies des dispositions relatives aux différents offices. Il fut découvert par Angelo Coppo à Sarzana (Italie). Le texte critique a été présenté par John Rybolt dans Vincentiana, 4-5, 1991, pp.307-406.

Coste XII, 373

J. Beyer, « Le droit de la vie consacrée. Commentaires des canons 607-746. Instituts et sociétés », Paris, Tardy, 1988, p. 25

L'exhortation apostolique « Evangelii nuntiandi » est citée à trois reprises dans les Constitutions (n° 10, 11 et 16).

Le Synode extraordinaire pour le 20ème anniversaire de Vatican II, dans son rapport final du 7 décembre 1985, recommande d'étudier un peu plus le principe de subsidiarité pour l'appliquer à l'Eglise.

Plusieurs études sont déjà parues sur ce sujet. Ainsi les offices du Supérieur Général, de l'Assistant Général et des autres Assistants ont été traités au cours de la XXXVIIIe Assemblée Générale (Vincentiana, 1992, 4-5, p. 489-515). Les réunions périodiques des Visiteurs sont l'occasion de présenter et d'expliquer la fonction du Visiteur (Vincentiana, 1989, 4-5 ; 1996, 4-5). Quant au rôle du supérieur local, il est souvent traité au niveau provincial. Le Père Richard Mc Cullen a fait un très bel exposé sur ce sujet à Dublin en février 1997 sous le titre « Mission au cœur de la mission, le supérieur local », cf. Bulletin des Lazaristes de France, avril 1998, p. 103-109.

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