Le dialogue dans l'Evangélisation des cultures tribales de l'Asie du Sud-Est. Expériences, méthodologie, difficultés, comment promouvoir ce dialogue

Le dialogue dans

L'Evangélisation des cultures tribales

de l'Asie du Sud-Est

Expériences, méthodologie, difficultés,

comment promouvoir ce dialogue

Victor Bieler, C.M.

Assistant Général

Introduction

Il est difficile d'évaluer les progrès du dialogue au sujet des cultures du Sud-Est Asiatique. En tant que membre de la Congrégation de la Mission, je ne peux témoigner que touchant les tribus où nos Confrères travaillent. Les provinces de notre Congrégation établies dans le S.E. Asiatique oeuvrent aux Philippines et en Indonésie. Pour autant que je sache, nous n'avons pas de confrères actifs dans les tribus des Philippines. Des membres de notre province d'Indonésie travaillent chez les Dayaks, dans la région du Kalimantan occidental; moi-même, avant d'être appelé à Rome en 1990, j'ai travaillé chez les populations tribales de l'Irian Jaya, dans la partie Indonésienne de cette île, appelée autrefois Nouvelle Guinée Néerlandaise. C'est en 1976 que j'allai pour la première fois en Irian Jaya, pour enseigner au grand séminaire interdiocésain. A la fin de mon séjour, je fus recteur de ce séminaire interdiocésain d'Abepura.

Expériences

Les tribus subissent quantité de changements sous de multiples aspects. Un des plus grands changements résulte sans doute de l'introduction de la monnaie, qui a altéré -et continue à altérer- la mentalité et le mode de vie. De plus en plus la valeur des choses est calculée en fonction de l'argent et de l'économie de marché.

Dans cette situation de changements extrêmement rapides et profonds, il nous est difficile de nous situer et d'entamer un dialogue. Il y a tant à considérer simultanément, alors que le temps est mesuré. Des décisions sont à prendre d'urgence, et l'on risque de se tromper.

Parfois je pense que nous avons vraiment réussi à former des chrétiens dans nos tribus, mais il m'arrive de douter beaucoup. D'autre part, eu égard au comportement des chrétiens en Europe, on peut se demander si, au bout de près de 2000 ans, les gens sont devenus de vrais chrétiens, et c'est là, pour moi, une grande consolation concernant nos populations qui vivent dans des régions où le christianisme n'existe pas depuis plus d'un siècle. Cela m'amène à penser que les missionnaires doivent être extrêmement patients. Et pourtant, tant de choses ne peuvent souffrir de retard.

De profondes rivalités existent entre tribus. Une des difficultés pour le missionnaire, est d'être et de rester impartial. Vu le grand nombre des différentes tribus, on a tendance à préférer une tribu à une autre. Chez certaines tribus, des comportements paraissent répugnants, d'autres attrayants. Il est sage de ne pas parler, dans une tribu, des défauts ou des qualités d'une autre tribu.

Par suite des longues années d'isolement et de séparation entre tribus, dus aux conditions géographiques telles que montagnes escarpées, torrents sauvages et marécages, une grande méfiance existe à l'égard de ceux qui n'appartiennent pas à la même tribu. Et même de village à village règne parfois une grande hostilité. Quand on a affaire à des populations de plusieurs tribus, il faut être ouvert à n'importe quel membre de n'importe quelle tribu, et montrer que le Seigneur est venu pour toute tribu et pour toute nation. Inutile de dire que ce n'est pas facile.

Conversant avec les gens, j'ai eu l'impression qu'ils comprennent très facilement l'Ancien Testament, différent du Nouveau et de son échelle de valeurs nouvelle: amour du prochain, douceur, humilité, etc. Il est très difficile de parler de pardon, d'amour de ceux qui n'appartiennent pas à la même tribu, de monogamie, de vie éternelle, de célibat, etc.

On sera facilement accepté par la population tribale, non en tant qu'enseignant mieux informé, mais comme quelqu'un qui s'intéresse à eux, désireux d'être renseigné par eux pour connaître leur mode de vie et de pensée. Seulement quand on a été accepté, il est possible d'aller plus loin et d'annoncer la Bonne Nouvelle. Mais il faut beaucoup d'efforts sans cesse renouvelés pour se faire comprendre par ceux qui vivent dans un monde si différent, un monde qui, en quelque sorte, a été isolé du reste du monde.

On compte beaucoup de tribus en Irian Jaya; elles appartiennent à la culture mélanésienne. Je ne connais pas toutes les tribus ni les variétés des cultures. J'ai été seulement en contact avec les tribus qui avaient un étudiant au séminaire. Seules quelques tribus ont un ou plusieurs étudiants séminaristes. Cette situation est due au fait que le nord de l'Irian Jaya est surtout protestant ou évangélisé par des chrétiens non-catholiques. Le sud, lui, est en majorité catholique.

Je puis parler de mon expérience à l'Ecole Supérieure de Théologie-Philosophie où nous préparons des jeunes, hommes et femmes, à la tâche de l'évangélisation.

L'école reçoit ses étudiants des quatre diocèses de l'Irian Jaya. Il y a un numerus clausus pour l'admission: 100 à 110; la raison en est que nous ne pouvons former davantage d'étudiants eu égard au nombre des enseignants; d'autre part, un nombre supérieur de diplômés à caser constituerait une charge trop lourde pour les diocèses. Bien entendu, le cas est différent pour les candidats en provenance des Congrégations Religieuses qui envoient aussi des jeunes à cette école.

L'école est destinée à des étudiants qui désirent devenir pasteurs, soit prêtres, soit laïcs. Tous suivent le même programme d'études. L'accent est mis sur l'étude de la Sainte Ecriture. Comme les tribus sont nombreuses en Irian Jaya, il est nécessaire d'avoir une connaissance approfondie de la situation anthropologique du pays, connaissance dont l'acquisition fait l'objet primordial du cursus des études.

Méthodologie

Pour autant que je sache, la méthodologie appliquée par les premiers missionnaires consistait à se rendre dans un village, soit seul, soit accompagné d'un catéchiste d'un autre village ou d'une autre culture connaissant le langue de la tribu visitée. S'installant dans le village, ils commençaient l'enseignement de la religion, ouvraient une école pour les enfants et, au bout d'un certain temps, baptisaient les habitants. Naturellement, ce qui attirait et attire encore les gens, ce n'était pas d'abord la religion, mais d'autres choses, comme les médicaments, les biens matériels, ensuite l'éducation en tant que moyen de progrès dans un monde plus étendu. D'où l'obligation pour le missionnaire de commencer par l'étude des coutumes et de la culture de la tribu.

S'efforçant de découvrir des points de ressemblance avec l'Evangile, de traduire la Sainte Ecriture, de trouver des images accessibles aux gens, il devait ouvrir les avenues de l'inculturation.

La méthodologie a peut-être changé. Peut-être maintenant les missionnaires commencent-ils par améliorer l'environnement, bâtissant des habitations plus confortables, enseignant aux populations à mieux s'alimenter, à cultiver le sol, à mieux se vêtir.

Difficultés

D'une façon générale, les difficultés proviennent du gouvernement qui entend résoudre les problèmes tribaux. Les tribus n'ont pas de conscience nationale. Aux yeux du gouvernement, elles sont attardées, non civilisées, avec une façon de vivre qui fait honte, néanmoins susceptibles d'attirer les touristes, donc de l'argent et des devises. Elles ont des terres, dont la nation ou certains privilégiés peuvent tirer profit. Ces terres sont couvertes de forets dont le bois peut être commercialisé. Aux yeux du gouvernement, leurs terres ne sont pas exploitées par la population; et d'ailleurs, ces terres ne sont pas la propriété des populations; elles appartiennent à la nation.

Le problème des migrations

Des populations de certaines îles, particulièrement en provenance de Java et des Célèbes émigrent à Kalimantan et Irian Jaya, où la population est clairsemée et les forêts nombreuses. Les tribus de Kalimantan et Irian Jaya considèrent les terres, même si elles ne sont pas exploitées, comme leur bien, un bien nécessaire pour la chasse et la cueillette, ce que le gouvernement ne comprend pas ou refuse de comprendre. La préparation des candidats à l'émigration laisse beaucoup à désirer, de même que celle des tribus qui doivent leur permettre de s'installer chez elles, ce qui crée des tensions. On dit que les feux de brousse et les incendies de forêts dans la région de Kalimantan, qui, l'an dernier, eurent un effet sur la navigation aérienne à Singapour, étaient dus à ces tensions, les autochtones de Kalimantan préférant incendier les forêts plutôt que de laisser des migrants venus d'autres îles exploiter arbres et terrains.

Il y a beaucoup de nouveaux-venus en Irian Jaya et à Kalimantan, entre autres des catholiques Javanais, Florinais et autres. Tous prétendent imposer leur forme de catholicisme.

Islamisation dans les îles en dehors de Java

Pour les gens qui ne se déclarent pas Musulmans il est presque impossible d'émigrer dans d'autres îles. Les tribus, en général, ne sont pas attirées par l'Islam, préférant une autre religion s'il leur faut choisir. Mais l'influence de l'Islam s'étend progressivement en Irian Jaya et Kalimantan. Un des stratagèmes employés à Florès est d'importer des jeunes femmes séduisantes qui seront placées dans les maisons closes ou comme vendeuses. Les mariages qui en résulteront seront officiellement contractés à la Mosquée.

Langue

Pour comprendre réellement une population et se rendre capable de l'aider, il est nécessaire de maîtriser sa langue, ce qui est extrêmement difficile vu l'absence de grammaires et de dictionnaires. D'autre part, l'Indonésien étant la langue officielle, il nous faut l'utiliser. Il est sans doute intéressant de savoir que, sur une population totale de 180 millions d'habitants, 80 millions parlent le Javanais qui n'est ni ne sera jamais une langue nationale. Dès lors, pourquoi se donner la peine de promouvoir des langues locales, parlées tout au plus par 100.000 personnes?

Mais, bien sûr, la langue n'est qu'une des nombreuses choses à connaître pour une prise de contact. Beaucoup de secrets persistent : rites d'initiation, cérémonies, auxquels le missionnaire n'a pas accès. Et la superstition est encore bien implantée.

Dans la culture mélanésienne l'attrait du "cargo-cult" est très puissant. C'est une sorte de messianisme. Devrions-nous l'utiliser pour illustrer nos perspectives eschatologiques ou vaut-il mieux le proscrire de façon à éviter tout malentendu concernant le Messie?

Un grand scandale provient des rivalités entre religions et sectes chrétiennes. Puisque chacun prétend prêcher la Bonne Nouvelle, pourquoi tant d'églises différentes et pourquoi en arrivent-elles à se faire la guerre?

Les nouveau-venus dans l'île sont nombreux: Javanais, Florinais, d'autres encore; tous veulent imposer leur forme de catholicisme. Il est nécessaire d'inculquer le respect des autres cultures et des autres formes de pratique religieuse.

Naturellement, chaque peuple a son échelle de valeurs. Comment en tenir compte? Faut-il conserver ces valeurs anciennes comme des pièces de musée? Ou devons-nous aider les populations à entrer dans l'ère nouvelle, les amener à perdre leur identité? Bien sûr, nous savons que la vérité se trouve entre ces deux extrêmes. Mais face aux réalités de la vie, il est difficile de s'orienter.

Exploitation

L'exploitation du pays - exploitations minières, déforestation, pêche - réalisée au profit du gouvernement central fait que la population locale n'en tire que peu ou pas d'avantages. Cette population sera facilement accusée d'activité de guérilla ou de complot contre le gouvernement.

Promouvoir le dialogue

Comment promouvoir le dialogue? On peut beaucoup faire pour promouvoir le dialogue. Le plus important est la volonté de respecter - en paroles et en actes - tout homme en tant qu'homme, même s'il s'habille autrement que nous, même si son comportement diffère du nôtre. Nous devrions admettre que le mode d'habillement des membres d'une tribu puisse être motivé par des raisons pratiques que nous ne pouvons pas toujours juger correctement. Il est si facile de se considérer comme étranger à leur groupe et, de ce fait, de les juger inférieurs. On parlera d'eux comme d'un objet: ils font ceci, ils font cela, leurs coutumes sont si différentes, ils ont du chemin à faire... Il semble qu'il soit vraiment impossible de s'exprimer autrement.

Il devrait y avoir plus de compréhension, il faudrait prendre davantage conscience du fait que nous ne connaissons pas vraiment, pas encore, leur culture. Il y a peut-être, dans leurs coutumes et leur culture, bien plus de beaux éléments que nous ne percevons. Et nous manquons de temps pour les étudier. Bien sûr, nous pourrions préparer des jeunes, hommes et femmes, à s'initier, travail qui a commencé et se poursuit. Mais la formation que nous leur donnons les transforme ou les déforme; de toute façon, ils changent. Resteront-ils capables de discerner ce qui est bon ou non dans leur culture?

Le mieux serait de parvenir à intéresser des personnes influentes aux conditions de vie des tribus, de les amener à prendre conscience du fait que, si elles sont l'élite des leur pays, elles ne doivent pas oublier que les populations tribales sont leurs compatriotes jouissant des mêmes droits que tous.

Généralement, les personnes influentes détiennent le pouvoir. La question se pose: devons-nous solliciter leur aide? Cela signifierait-il que nous nous rangeons de leur côté, c'est-à-dire contre les opprimés et les tribus exploitées?

Dans un pays tel que l'Indonésie, la réponse n'est pas simple. Dans les régions éloignées du Gouvernement Central, les autorités locales sont souvent toutes-puissantes. Nombre d'officiels estiment que ce qui est bon pour la majorité des citoyens est bon pour tous. Les tribus ne sont qu'une faible minorité. Le Gouvernement prétend que 600.000 personnes seulement font partie des populations tribales.

Beaucoup de fonctionnaires à l'intérieur du pays ou dans les îles lointaines touchent rarement leur salaire en temps voulu, salaire souvent insuffisant pour subvenir aux besoins de leur famille. Il leur faut donc trouver d'autres ressources, et le meilleur moyen d'y arriver est de confisquer les droits des populations tribales. L'Evangélisation doit alors devenir une libération des structures néfastes. Permettez-moi de conclure par une prière:

Seigneur, donne-moi le courage de changer ce que je peux changer,

donne-moi la sérénité pour accepter ce que je ne peux changer

et la sagesse pour discerner la différence!

(Traduction: René Dulucq, C.M.