La dimension missionnaire de la Famille Vincentienne

Dimension missionnaire de la Famille vincentienne

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général

Le début d'un nouveau millénaire a quelque chose de fascinant: nous voici au seuil d'une nouvelle ère de notre histoire, d'un grand jubilé, d`'un temps de réjouissance.

Il serait profitable pour nous en ce moment, frères et soeurs, de noter que l'un des principaux textes de l'Écriture dans la tradition vincentienne se rapporte précisément au jubilé. Il s'agit du texte du prophète Isaïe (61, 2). Jésus l'a utilisé au début de son ministère public (Lc 4, 18-19), et saint Vincent en a repris les premiers mots pour faire la devise de la Congrégation de la Mission. Nous connaissons tous ce texte par coeur:

L'Esprit du Seigneur est sur moi

parce qu'il m'a consacré par l'onction,

pour porter la bonne nouvelle aux pauvres.

Il m'a envoyé annoncer aux captifs

la délivrance

et aux aveugles le retour à la vue,

renvoyer en liberté les opprimés,

proclamer une année de grâce du Seigneur.

Remarquez que la mission de Jésus, et la nôtre par le fait même, est d'annoncer le jubilé: "une année de grâce du Seigneur".

On peut facilement perdre de vue l'intention première d'une "année de grâce". De fait, le peuple d'Israël en a perdu le sens et ne l'a jamais, ou rarement, mis en pratique. Pourtant le jubilé a été établi comme un temps de réjouissance pour les pauvres. Tertio Millennio Adveniente souligne que l'intention était de restaurer l'égalité entre les enfants d'Israël et d'offrir un nouveau départ aux familles qui avaient perdu leur propriété et même leur liberté personnelle (1). Dans cette optique, Tertio Millennio Adveniente appelle aujourd'hui l'Église tout entière, au seuil du jubilé des jubilés, à centrer ses efforts sur l'option préférentielle pour les pauvres et les exclus (2).

Je propose donc aujourd'hui que notre mission, à l'aube du troisième millénaire, se réalise non seulement durant l'année 2000, mais que ce millénaire tout entier soit vraiment un jubilé, un temps "pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés". Pour Jésus et saint Vincent, le jubilé ne durait pas seulement une année. C'était la célébration de la présence constante et libératrice du Royaume de Dieu parmi nous. Comme missionnaires, nous sommes appelés à être des signes permanents du jubilé. Notre vie et notre mission consistent à proclamer que Jésus est vivant, qu'il est présent, et qu'il brise les liens qui nous retiennent captifs.

I. Quelques caractéristiques

de la mission de notre Famille Vincentienne

Aujourd'hui, je vous présente quatre caractéristiques, tout en étant conscient qu'il y en a

beaucoup d'autres. J'ai choisi celles-ci non seulement parce qu'elles m'apparaissent fondamentales d'un point de vue historique, mais aussi parce qu'elles me semblent particulièrement urgentes au seuil du troisième millénaire.

1.Notre mission est universelle

Comme l'a souvent souligné un grand théologien moderne, le catholicisme n'est vraiment devenu une "Église universelle" qu'au XXe siècle. En vivant ici à Rome, j'en fais l'expérience passionnante puisqu'il est possible de communiquer très rapidement avec tous les pays du monde. Les différentes réalités et les "visages" diversifiés de notre famille universelle me frappent, comme par exemple, la croissance rapide de notre famille dans les pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine, d'Europe de l'Est; la naissance de nouveaux ministères et le rôle accru des laïcs sur tous les continents; l'augmentation graduelle des communautés ecclésiales de base. La Société de Saint-Vincent-de-Paul se retrouve dans plus de 130 pays; l'Association internationale des charités (AIC) dans 49; les Filles de la Charité dans 85; la Congrégation de la Mission dans 81; la Jeunesse Mariale Vincentienne dans environ 50. Des nouvelles missions voient le jour dans toutes nos branches. Ayant été au cours de ces dernières années dans des endroits reculés comme la Tanzanie, l'Angola, les Îles Salomon, l'Albanie, l'Altiplano de Bolivie, la Mozambique, le Pakistan, la Chine, Kharkiv en Ukraine, la Sibérie, le Sénégal, la Namibie, le Belize et le Rwanda, pour n'en nommer que quelque-uns, nous devenons sans plus internationaux en tant que famille.

Alors que la période qui suivait immédiatement Vatican II était largement centrée sur l'identité nationale, celle d'aujourd'hui témoigne d'une conscience revitalisée de l'appel missionnaire global de notre famille. C'est davantage la manière dont saint Vincent envisageait la mission. À une époque où les voyages étaient difficiles et où la plupart des gens mouraient à quelques lieues de leur place natale, il envoyait des missionnaires et des Filles de la Charité en Pologne, en Italie, en Algérie, à Madagascar, en Irlande, en Écosse, aux Hébrides et aux Orcades. Lui-même, malgré son grand âge, désirait partir aux Indes. (4) Il encourageait les prêtres, les frères et les soeurs missionnaires à établir "les Charités" partout où ils allaient.

2.Notre mission requiert la mobilité

Rien n'est plus clair dans le Nouveau Testament: Jésus vient du Père et retourne au Père (5), c'est la source de toute mission. Il s'engage dans un ministère itinérant et il confie un mandat à ses disciples: "Allez par le monde entier, proclamez l'Évangile à toutes les créatures". La mission n'est pas tout bonnement l'une des activités de Jésus: elle fait partie de son être-même.

De nos jours, nous sommes très conscients que la mission n'est pas une simple activité de l'Église, mais qu'elle en est l'essence; nous insistons donc pour que tous les chrétiens et chrétiennes travaillent à la mission de l'Église. (7) Tous nous sommes missionnaires: femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, laïcs ou religieux. Nous sommes missionnaires dans nos maisons, dans nos paroisses, dans notre entourage, et nous partageons la responsabilité de la mission de l'Église tout entière, car Jésus nous a demandé de garder les yeux ouverts afin de partager les dons de Dieu avec ceux et celles qui sont dans le besoin.

Saint Vincent parlait avec éloquence de la nécessité de la mobilité missionnaire: "Imaginons-nous qu'il nous dit: "Sortez, missionnaires, sortez; quoi! vous êtes encore ici, et voilà de pauvres âmes qui vous attendent, le salut desquelles peut-être dépend de vos prédications et catéchismes!" (8) Il cite en exemple les grands missionnaires qui se sont rendus aux Indes, au Japon, au Canada "pour achever l'oeuvre que Jésus-Christ a commencée sur la terre et qu'il n'a point quittée depuis l'instant de sa vocation". (9)

Cependant, la vraie mobilité implique parfois que nous laissions à d'autres le soin de continuer des oeuvres déjà bien établies afin d'aller vers les plus pauvres et les plus abandonnés. Par exemple, la province de Colombie a récemment laissé entre les mains du clergé local un séminaire à Cochabamba, pour prendre en charge un séminaire à Arauca et pour collaborer à la formation de prêtres au Rwanda. Je suis heureux de constater qu'à travers toute la famille, ces dernières années, une sérieuse réévaluation de nos oeuvres apostoliques a été effectuée de manière à libérer notre personnel pour secourir les plus pauvres.

3.Notre mission consiste à évangéliser et à servir

Le coeur de notre mission est l'évangélisation, ce qui, dans la tradition catholique, a toujours constitué un concept large, inclusif. (10) Paul VI le soulignait: "L'évangélisation est une démarche complexe, aux éléments variés: renouveau de l'humanité, témoignage, annonce explicite, adhésion du coeur, entrée dans la communauté, accueil des signes, initiative d'apostolat. Ces éléments peuvent apparaître contrastants, voire exclusifs. Il sont en réalité complémentaires et mutuellement enrichissants. Il faut toujours envisager chacun d'eux dans son intégration aux autres." (11) En d'autres termes, le service fait partie intégrante de l'évangélisation. C'est la bonne nouvelle en action.

Saint Vincent nous dit que nous devons d'abord faire et ensuite enseigner. Pour lui, l''évangélisation ne consiste pas seulement à prêcher mais aussi à agir. En conséquence, il parlera encore et toujours de l'évangélisation "par paroles et par oeuvres". Il exhorte les Lazaristes et les Filles de la Charité à servir les pauvres "spirituellement et corporellement". En s'adressant aux membres de la Congrégation, il nous met en garde: (12)

...s'il s'en trouve parmi nous qui pensent qu'ils sont à la Mission pour évangéliser les pauvres et non pour les soulager, pour remédier à leurs besoins spirituels et non aux temporels, je réponds que nous les devons assister et faire assister en toutes les manières, par nous et par autrui... Faire cela, c'est évangéliser par paroles et par oeuvres...

Agir, d'abord. Ensuite, enseigner. C'est la règle de saint Vincent pour une évangélisation "effective". Autrement dit, pour saint Vincent la promotion humaine et la prédication sont complémentaires et font partie intégrante du processus d'évangélisation.

À la lumière de l'enseignement de saint Vincent, notre évangélisation sera pleinement vivante si nous proclamons la bonne nouvelle:

a. par le langage des oeuvres: (13) accomplir des oeuvres de justice et de miséricorde, signe que le Royaume de Dieu est déjà vivant parmi nous: nourrir les affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, les aider à trouver les causes de leur faim, de leur soif, et les moyens de les soulager; être présents dans les écoles, les hôpitaux, les centres pour personnes handicapées; offrir des programmes pour les nouvelles mamans et leurs enfants; visiter les malades à domicile;

b. par le langage des mots: annoncer avec une conviction profonde la présence du Seigneur, son amour, son offre de pardon à tous; proclamer la dignité des personnes ainsi que leurs droits, dénoncer les injustices;

c. par le langage des relations: être avec les pauvres, travailler avec eux, partager certaines de leurs privations, former avec eux une communauté qui leur montre l'amour du Seigneur pour tous.

4.Notre mission implique l'organisation et la formation des personnes au service des pauvres.

Saint Vincent était intraitable sur ce point. Peu de saints sont aussi concrets que Vincent de Paul. Il réalisait que l'évangélisation et le service effectif des pauvres demande de l'organisation. Pour atteindre ce but, Vincent a créé un grand nombre de groupes laïcs ("les Charités") et il a fondé deux communautés.

Ses dons d'organisateur, il les a également consacrés à la formation du clergé. Il considérait que les pauvres seraient bien servis à condition qu'ils aient de bons prêtres à leur service, et à cette fin, il organisa des retraites pour les ordinands et les prêtres, les Conférences du mardi, et il fonda vingt séminaires.

Il ne s'arrêta pas là. Il rassembla toutes les ressources possibles au service des pauvres: les jeunes et les personnes âgées, les hommes et les femmes, les membres du clergé et les laïcs, les riches et les pauvres eux-mêmes. La semence de ses dons d'organisation a continué de se répandre jusqu'à nos jours à travers les membres laïcs de l'AIC, la Société de Saint-Vincent-de-Paul, l'Association de la médaille miraculeuse, les groupes de Jeunesse Mariale Vincentienne, et plus de 260 instituts d'inspiration vincentienne.

II. Quatre “données” à l'aube du troisième millénaire

À l'approche de l'an 2000, des réalités saisissantes nous paraissent primordiales dès maintenant pour notre famille. Je ne tenterai pas de les prouver, puisque que vous les expérimentez sans doute dans votre vie et votre travail. Je les mentionne ici très brièvement, comme préambule à la partie finale de cet entretien.

1.Le fossé entre les riches et les pauvres s'accroît de plus en plus. Le Pape Jean-Paul II l'a souligné au Brésil (1980), au Canada (1984), à Cuba (1998): les riches sont plus riches, et cela aux dépens des pauvres.

2.La pauvreté comporte des formes nouvelles et imprévisibles. Le monde n'a jamais eu autant de réfugiés. Le trafic des armes active les guerres locales. La dette internationale crée des fardeaux insupportables pour les nations pauvres. Les nouvelles maladies comme le SIDA ou de nouvelles formes de maladies anciennes, telles que la malaria, prennent des proportions d'épidémie.

3.Nous sommes une grande famille qui peut être une force puissante au service des pauvres, une "armée" pour ainsi dire, qui compte plus de deux millions de membres.

4.Des communications rapides et presque instantanées sont possibles entre nous: télécopie, courrier électronique, Internet.

III. Quelques défis pour le troisième millénaire

Quels sont les principaux défis missionnaires auxquels sera confrontée notre Famille vincentienne au cours du troisième millénaire? Je vous en soumets quelques-uns aujourd'hui. Vous avez sûrement médité sur le sujet et vous aurez certainement d'autres suggestions à ajouter.

1.Le premier défi, fondamental, consiste à approfondir notre spiritualité missionnaire.

Quelques-uns parmi vous m'ont souvent entendu répéter cette conviction profonde qui est la mienne: quoique nous fassions, quoique nous disions, où que nous allions, qui que nous servions, nous devons proclamer par nos paroles et nos oeuvres que Jésus est vivant et qu'il rend présent l'amour de Dieu parmi nous. C'est la bonne nouvelle.

Bien sûr, la spiritualité se joue sur différentes tonalités. Toute spiritualité chrétienne nous vient de la personne de Jésus. Un chartreux prend pour modèle de sa prière celle de Jésus, un anachorète sa solitude, un franciscain sa pauvreté, mais nous dans la Famille vincentienne c'est sur son amour effectif vécu dans la simplicité et l'humilité que nous nous modelons.

Je voudrais souligner brièvement cinq énoncés de base pour la spiritualité missionnaire de notre famille.

a. Notre sainteté, notre être saisi par Dieu, est intrinsèquement lié à notre mission envers les pauvres; nous promettons de suivre le Christ évangélisateur et serviteur des pauvres.

b. Notre croissance dans la vie divine découle des liens de profonde charité qui nous unissent les uns aux autres et aux pauvres; nous ne servons pas comme individus, mais en solidarité avec les autres.

c. Notre prière, élément crucial de notre spiritualité, possède son dynamisme particulier, qui découle de l'action et guide vers elle, comme saint Vincent l'a souvent rappelé. Le divorce entre l'action et la prière peut tourner à l'évasion et créer l'illusion de la sainteté. Le divorce entre la prière et le service peut conduire à la superficialité ou à l'addiction.

d. Notre liberté d'aller où le Seigneur nous appelle implique la simplicité de vie, l'humilité dans l'écoute, le détachement de tout ce qui peut nous retenir.

e. Notre spiritualité est profondément incarnée et enracinée dans l'humanité de Jésus fait chair. Nous contemplons les pauvres dans le Christ et le Christ dans les pauvres.

J'encourage aujourd'hui tous ceux et celles qui sont ici présents ainsi que la Famille vincentienne tout entière à travers le monde, à enfoncer plus profondément encore les racines de cette spiritualité missionnaire.

Quelques défis:

1)J'exhorte notre famille, d'ici l'année prochaine, à produire une publication de base décrivant les assises et les formes concrètes d'une spiritualité laïque vincentienne.

2)J'encourage tous les groupes, et en particulier les groupes laïcs, à continuer de mettre en oeuvre des programmes complets de formation, de véritables catéchèses qui s'étalent sur plusieurs années et qui amèneront les membres à approfondir l'esprit de saint Vincent.

3)Je demande que les programmes de formation pour les prêtres, les frères et les soeurs de notre Famille Vincentienne soit réorganisés afin qu'on y mette davantage l'accent sur notre famille et sur la solidarité pour vivre une spiritualité profondément apostolique.

4)Je recommande vivement que non seulement nous travaillions ensemble dans les projets apostoliques de notre famille, mais que nous priions ensemble également.

2. Le deuxième plus grand défi que je prévois est la formation de nos formateurs.

Je vis à Rome depuis plusieurs années, depuis trop longtemps peut-être. D'après mon expérience, je vous dis ceci. La demande qui m'est formulée le plus souvent et le plus clairement, c'est une demande de formateurs. Elle vient des supérieurs provinciaux de la Congrégation de la Mission. Elle vient des Filles de la Charité partout dans le monde, et en particulier de la Mère Générale et son conseil. Elle vient de l'AIC. Elle vient des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, de la Jeunesse Mariale Vincentienne. J'ai eu d'innombrables discussions les six derniers mois à propos de la nécessité d'une bonne formation et de bons formateurs. Notre service missionnaire aux pauvres dépendra largement de la qualité de notre formation.

Quelques défis:

1)Pouvons-nous organiser des programmes nationaux et internationaux efficaces pour la formation de formateurs parmi les membres de la Congrégation de la Mission, les Filles de la Charité, et les autres groupes représentés ici? Je recommande aux responsables de chaque pays, et ici même au Conseil Général, de se poser la question: comment pouvons-nous le mieux former nos formateurs? Nous avons discuté récemment une proposition à cet effet dans le Conseil Général.

2)Je recommande que d'ici un an nous établissions un réseau efficace sur Internet, pour que nous puissions distribuer des informations et des articles éducatifs une fois par semaine ou une fois par mois, en diverses langues.

3)Je demande aux jeunes membres d'apprendre des langues afin de développer une réelle mobilité missionnaire et la capacité de devenir des formateurs dans d'autres pays que le leur.

4)J'encourage les supérieurs provinciaux à préparer quelques-uns d'entre nous à devenir des experts de la doctrine sociale de l'Église, afin que cet enseignement fasse partie intégrante de la formation vincentienne.

5)Je demande qu'au moyen de sessions, nous préparions de bons formateurs pour accompagner nos candidats dans des expériences apostoliques fécondes auprès des pauvres.

3. Bien entendu, dans une famille qui a une tradition aussi concrète et pratique que la nôtre, l'un des grands défis pour le troisième millénaire doit être d'avoir des projets en collaboration.

Ils existent déjà dans beaucoup et même dans la plupart de vos pays. Je vous encourage à y participer de plus en plus à l'avenir.

Le troisième millénaire sera le millénaire de la solidarité, du réseau. Ce sera également le millénaire des laïcs, d'après ce que le Pape Jean-Paul II a déjà proclamé en plusieurs occasions.

Notre service des pauvres sera d'autant plus efficace que nous réussirons à canaliser nos énergies, qui sont grandes, dans des projets en collaboration. J'utilise intentionnellement le mot col-laboration. Chacun et chacune de nous ici a une vocation missionnaire, que ce soit les laïcs, hommes et femmes, les soeurs, les prêtres, les frères - chacun et chacune d'entre nous. Dans notre famille, la rivalité ne doit pas exister, ni la domination cléricale. Nous devons être de simples et humbles serviteurs des pauvres. Voilà pourquoi l'humilité est si importante dans la tradition vincentienne. "...c'est ici le fondement de la perfection évangélique, affirme saint Vincent, et le noeud de toute la vie spirituelle". (14) L'humilité est la vertu de coopération par excellence. Elle ne recherche jamais la domination. La personne humble recherche les dons de Dieu partout où ils se trouvent, reçoit ces dons à la manière d'un intendant et les remet aux pauvres.

Récemment, les responsables de quelques-unes des branches de la Famille vincentienne ont publié des projets de différents types, à titre d'exemple pour stimuler des projets similaires.

Quelques défis:

1)Pouvons-nous organiser de semblables projets en collaboration dans chacun de nos pays d'ici l'an prochain? Cet objectif peut être réalisé d'ici un an, j'en suis convaincu.

2)Pouvons-nous entrevoir des missions éloignées où les missionnaires ne soient pas uniquement des prêtres, des frères ou des soeurs, mais aussi des femmes et des hommes, mariés ou célibataires, dans toutes les branches de notre famille?

3)Pouvons-nous réaliser des programmes où nous travaillerons côte à côte avec les pauvres, où ils partageront notre formation et notre prière, et où ils feront corps avec notre Famille vincentienne?

4)Pouvons-nous instaurer un réseau vincentien de justice et de paix entre tous nos pays, et à l'échelle internationale également, afin de mobiliser nos énergies, dans des circonstances particulières, pour des actions en faveur de la justice sociale?

4.Un quatrième défi pour notre famille, actuellement, c'est de produire, comme base de son efficacité missionnaire, des outils de prière simples et faciles pour les membres de la Famille vincentienne.

Saint Vincent était très pratique à propos de la prière. Il nous a donné des méthodes de méditation, comme la petite méthode qu'il appliquait à la prédication et à la prière. Il a offert des suggestions quant à l'utilisation d'images et de paroles, quant à l'usage de l'esprit, du coeur et de la volonté.

Quelques défis:

1)Est-ce que tous connaissent les façons vincentiennes de prier, depuis la Soeur de 90 ans en Chine, jusqu'au jeune de 15 ans, membre d'un groupe de Jeunesse Mariale Vincentienne au Mexique? Je ne le pense pas. Pouvons-nous enseigner plus efficacement aux autres la manière de prier de saint Vincent?

2)Pouvons-nous nous enseigner les uns aux autres les moyens d'intégrer la prière et la vie apostolique?

3)Pouvons-nous développer des formes de prière quotidienne simples, appropriées aux différents moments de la journée ou à diverses occasions, que nous pourrions offrir en particulier aux jeunes et aux pauvres?

5.Un cinquième défi, dans nos efforts missionnaires au troisième millénaire, c'est de rejoindre les jeunes surtout.

J'ai affirmé ceci récemment, et j'ai reçu peu après une lettre d'une Soeur exprimant avec force qu'il faudrait également rejoindre les aînés! C'est vrai aussi. Les aînés ont droit à notre amour et à notre attention, mais je vous encourage à rejoindre les jeunes surtout.

Y a-t-il une chose sur laquelle Jean-Paul II a insisté plus souvent, en paroles et en action? Les jeunes sont le troisième millénaire. Il leur appartient. Il ne m'appartient certainement pas. Je doute de survivre à la deuxième décennie! Et plusieurs d'entre vous peuvent probablement dire la même chose.

Je veux vous dire donc aujourd'hui que saint Vincent a laissé un merveilleux don dans l'Église. Il l'a placé, dans une large mesure, entre vos mains et entre les miennes. Passons-le aux jeunes. Dites-leur combien saint Vincent , inspiré par la perspective de Jésus, a vu le monde à l'envers. Disons-leur que les pauvres sont les rois, les reines et les présidents du Royaume de Dieu et que nous sommes leurs serviteurs. Confions-leur la riche spiritualité évangélique, enracinée dans l'humanité de Jésus. Aidons-les à partager l'amour de Jésus pour Dieu le Père, sa confiance en la providence de Dieu. Accompagnons-les dans l'écoute de la parole de Dieu comme l'a fait Marie, la mère de Jésus, et à la mettre en pratique comme elle l'a fait. Démontrons-leur, surtout par votre vie, l'importance de la vérité. Montrons-leur, par notre exemple, une façon de voir le monde avec les yeux de l'humble, afin que tout soit don - tout - et que Dieu nous rejoigne continuellement dans notre vie pour nous refaire tout à neuf. Ne faisons pas ceci seulement comme un moyen de promotion vocationnelle, mais comme un moyen de partager le merveilleux cadeau que Dieu nous a donné.

Notre charisme est très important pour l'Église. Notre Assemblée peut-elle lancer le défi aux membres de notre famille, où qu'ils se trouvent à travers le monde, de créer des groupes de jeunes et de leur donner une formation de qualité?

L'une des plaintes que j'entends souvent, surtout de la part des supérieurs, c'est la somme de temps qu'ils doivent consacrer à la gestion et le peu qu'ils donnent à la mission. Bien sûr, la gestion est nécessaire. Nous le reconnaissons tous. Mais je vous encourage à trouver des moyens de consacrer davantage les énergies de la famille à la mission. Jésus nous demande d'être libres, détachés, afin de donner pleinement notre vie à son service.

En terminant ces réflexions, je vous demande de nous imaginer devant Jésus à la fin de l'évangile de Marc. Son ministère est achevé. Il nous confie maintenant la mission de proclamer et de rendre présent l'amour de Dieu qui guérit, pardonne, nourrit, se sacrifie pour les autres. Jésus se tourne vers nous aujourd'hui, comme il s'est tourné vers ses disciples à la fin de l'évangile de Marc, et il dit: "Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toute la création." Voilà notre mission. Allons, mes frères et mes soeurs, membres de la Famille Vincentienne, et proclamons la nouvelle du jubilé que Dieu est ici pour libérer son peuple.

(Traduction: Mme Raymonde Dubois)

(1)TMA, 13.

(2)TMA, 51.

(3)Karl Rahner, "The abiding Significance of the Second Vatican Council", Theological Investigations, XX, 103-114.

(4)SV XI, 402.

(5) Jn 16, 28; cf. Jn 1,1; Jn 14, 28.

(6)Mc 16, 15.

(7)Redemptoris Missio, 71-74.

(8)SV XI, 134.

(9)Ibid.,

(10)Cf. Avery Dulles, "Seven Essentials of Evangelization", Origins 25 (no 23; November 3, 1995) 397-400.

(11)Evangelii Nuntiandi, 24.

(12) SV XII, 87.

(13)Cf. SV II, 4.

(14)Règles communes de la Congrégation de la Mission, II, 7.