Les laïcs dans l'équipe missionnaire

Les laïcs dans l'équipe missionnaire

María Asuncion Gascon Aranda

Missionnaire laïque de l'équipe de Saragosse

I. Présentation

En m'adressant à vous, je veux donner une première précision. Depuis plus de 13 ans, j'appartiens à l'équipe missionnaire de la Province de Saragosse et nous accomplissons ce ministère avec une méthode propre, qui diffère en bien des détails des autres méthodes. En parlant de la place des laïcs dans les missions, je le fais à partir de cette perspective.

Je sais que les "laïcs", comme on dit, coopèrent aux missions de diverses manières. C'est pourquoi, je le répète, je vais transmettre mon expérience et mes préoccupations qui, naturellement, peuvent trouver un enrichissement à partir d'autres perspectives.

II. Un peu de théologie

Comme vous le savez, selon beaucoup de commentateurs, le travail missionnaire des laïcs a son fondement dans la conduite même de Jésus qui envoie en mission, pour annoncer la venue du Royaume de Dieu et agir en conséquence, un bon nombre de disciples de toute condition, qui se joignent aux Douze; il y a aussi parmi eux des laïcs des deux sexes (voir Lc 8,1ss; 10,1).

Au chapitre 16 de la lettre aux Romains, l'apôtre Paul laisse un témoignage de l'importance du service missionnaire des laïcs, en particulier de gens mariés comme Prisca et Aquilas. Selon un célèbre théologien, "leur fidélité et leur esprit de sacrifice ont dû apporter une aide extraordinaire pour la mission paulinienne, pour que Paul en arrive à dire que "toutes" les églises venue du monde païen doivent leur être reconnaissantes (Rom 16,4)". Quant à Andronicus et Junias -des gens mariés-, Paul les qualifie d'"insignes parmi les apôtres" (Rom 16,7).

Fidèle à cette tradition, le Concile déclare: "Le Christ, grand prophète, qui par le témoignage de sa vie et par la puissance de sa parole a proclamé le Royaume du Père, accomplit sa fonction prophétique ... non seulement par la hiérarchie, qui enseigne en son nom et avec son pouvoir, mais aussi par les laïcs dont il fait pour cela également des témoins, en les pourvoyant du sens de la foi et de la grâce de la parole (Ac 2,17-18; Ap 19,10), afin que brille dans la vie quotidienne, familière et sociale, la force de l'Évangile" (LG 35).

Et dans le Décret Ad Gentes, il affirme: "Pour obtenir ces résultats on accorde aux laïcs une très grande importance et ils sont dignes d'un intérêt particulier ( ... ) pour annoncer le Christ par la parole et par l'action" (AG 15).

Ces textes sont clairs et nous obligent à accepter que le laïc ait sa place dans l'Église, par-delà les besoins du moment, qui sont propres à la situation actuelle des diverses églises auxquelles nous appartenons.

D'autre part, saint Vincent voulut que les Filles de la Charité fussent des "laïques" et il commença par des institutions laïques, comme les Dames de la Charité. N'essayerait-il pas aujourd'hui de promouvoir un renouveau des missions qui s'appuierait en plein sur le laïcat?

Nous, les laïcs, nous voyons que le fait de nous introduire dans les missions suppose un effort de renouveau dans la mentalité et la pratique habituelles des équipes missionnaires. Mais ce renouveau, bien qu'il ne soit pas facile, est nécessaire et en vaut la peine.

III. Témoignage d'une pratique

Passons à la pratique. Notre équipe missionnaire se compose, depuis le début, de Prêtres de la Mission, de Filles de la Charité et de "laïcs attachés à l'équipe". Et parmi nous, les laïcs, il y a des personnes mariées et d'autres célibataires, hommes et femmes. Ainsi, comme on le dit couramment, est représentée dans l'équipe "la diversité des membres et des fonctions" du Corps du Christ, de l'Église. Ce caractère ecclésial de participation et de coresponsabilité est une des choses qui attire l'attention et qui évangélise les paroisses où l'on nous appelle.

Dans la réalisation concrète de nos missions populaires, nous essayons de suivre et d'adapter, bien que de loin, la pratique de saint Vincent, qui est allé aux missions à partir des besoins du peuple; et nous répartissons le travail en trois étapes qui font partie d'une "unique mission".

l. Temps de préparation.

2. Temps fort de Mission.

3. Continuité.

Ces trois étapes constituent un tout, une mission. Et en chacune d'elles, il y a d'ordinaire une certaine participation des "laïcs"; bien que durant le temps fort, notre présence soit continue. Mais dans les deux autres étapes, notre participation et notre présence, bien que discontinues, n'en sont pas moins importantes.

3.1 Préparation de la mission

Dans le temps de la préparation, nous, les laïcs attachés à 1'équipe, nous avons un rôle important de témoignage d'une foi engagée et de l'exercice de la coresponsabilité. Notre rôle est au niveau du "témoignage", autant auprès des prêtres qu'auprès des laïcs des communautés paroissiales où nous donnons la mission. Le fait de voir que nous, les laïcs, nous participons activement, fait comprendre aux prêtres autant qu'aux laïcs que la mission est l'affaire de tous; et cela les stimule.

Nous, les laïcs, nous venons prendre part à différentes tâches de préparation, en accord avec le directeur de la mission et avec les Prêtres de la Mission. Mais, notre présence est particulièrement importante durant la présentation de la mission à toute la paroisse.

3.2 Participation durant le temps fort

Nous distinguons trois moments essentiels au cours du temps fort: les journées de rencontre avec les gens, l'annonce du message, les “Groupes de Rencontre”. Nous devons parler également de différents niveaux de participation.

Durant le Temps Fort, notre participation veut être avant tout un témoignage du rôle des laïcs dans l'Église. Rappelons-nous le texte du Concile, cité plus haut: "Pour obtenir ces résultats ( ... ), on accorde aux laïcs une très grande importance et ils sont dignes d'un intérêt

particulier ( ... ) pour annoncer le Christ par la parole et par l'action" (Ac 15). Sur ce terrain, les tâches sont différentes:

- Nous prenons part, surtout, à "l'évangélisation de personne à personne" (EN 46), (nous visitons les familles et les lieux de réunion, nous prêtons attention aux problèmes que les gens nous exposent, nous rendons de petits services, nous parlons avec les prêtres des situations rencontrées, nous dépistons les situations de pauvreté, nous dressons une liste de malades, etc ... Ici, je pense que notre contribution est de grande importance.

- Nous prenons part aux réunions/rencontres des enfants, des jeunes, des foyers, y compris à la prédication.

- De façon spéciale, aussi, dans les “Groupes de Rencontre” -communautés familiales- dans les maisons. Ici, nous nous sentons très à 1'aise, au milieu des gens. Nous nous comprenons bien.

- En certaines occasions nous avons rempli une tâche importante, comme "Modérateurs/ Animateurs", dans les réunions de formation des animateurs laïcs de la paroisse. Formation que, dans notre démarche missionnaire, nous réalisons pendant les premiers jours du temps fort de mission.

- Il me paraît important aussi de signaler ici que dans certaines communautés paroissiales, acculées en un court laps de temps à rester sans prêtre desservant, quelques laïcs de l'équipe ont rempli le rôle d'animateurs des assemblées liturgiques dominicale. Dand quel but? Pour que les laïcs de la localité voient que, pour eux aussi, c'est une tâche possible.

Je veux faire observer que ces tâches, le Prêtre de la Mission les accomplit dans une

perspective qui est propre au prêtre, la Sœur, à partir de son charisme, et nous, les laïcs, nous les faisons comme laïcs, avec notre simplicité, en partant de la vie réelle que nous partageons avec les gens, et de façon naturelle et spontanée. Cette manière d'agir et de nous comporter interpelle les gens. Et c'est à partir de là que, chez les enfants, les jeunes et les adultes, surgissent des questions qui, de nouveau, nous offrent une belle opportunité de dialogue de personne à personne (EN 46 ) et de témoignage par le service, qui sont des choses simples (EN 21 ). Ils en tirent cette conclusion : ils sont comme nous et ils vivent dans l'enthousiasme leur passion pour l'évangile ...

Nous remarquons que faire une réforme "par décret" n'est pas la même chose que de le faire "par le témoignage vivant". En mission il convient de ne pas oublier le principe vincentien, qui est de s'accommoder "aux circonstances des lieux, des temps et des personnes" (SV I, 228). Normalement, il nous en coûte moins à nous, laïcs, de nous accommoder.

De plus, en nos pays riches en clergé, il n'est pas facile de franchir le pas vers la participation des laïcs ...

3.3 Tâches de continuité

D'après notre expérience, les tâches de continuité sont très variées. En ce domaine, il y a mille possibilités. L'un d'elles, très importante pour les laïcs mariés, est de former des "groupes de foyers chrétiens". Ensuite, il y a toutes les tâches d'animation par "groupes d'âges différents", en particulier d'enfants et de jeunes. Mais toutes ces besognes sont des activités exigeantes. Ici, comme nulle part ailleurs, la spécialisation s'impose. Mais, je le répète, il y a en ce domaine des actions que nous, laïcs, nous faisons avec fruit.

En Espagne, je ne sais s'il arrive la même chose en d'autres pays, le matériel d'aide missionnaire, à l'usage du peuple, est rare. Il nous faut créer notre matériel pour les missions. Et dans cette tâche aussi, il y a des laïcs qui collaborent.

Après la mission il reste aux curés un gros travail. Il leur faut des collaborateurs. Et souvent ils sollicitent notre coopération sporadique pour mettre en marche des groupes de formation et des services. Nous, les laïcs, nous avons collaboré à cette tâche en Amérique latine.

Comme je le dirai plus loin, si l'on met en marche un catéchuménat d'inspiration vincentienne, notre participation peut s'avérer utile ou nécessaire.

Je pense qu'il reste ici une grand travail à faire. Le vide existant se vérifie en observant qu'il y a des communautés où les gens sont comme des brebis sans pasteur. Mais, aussi, quand un prêtre de village nous demande à la fin d'une mission: "Bon, et maintenant, que puis-je faire?"

Pourquoi vous ai-je transmis cette préoccupation? Précisément, parce que je suis convaincue que c'est là un travail de collaboration entre les Prêtres de la Mission, les Sœurs et le laïcat vincentien. C'est une tâche qui requiert d'avoir de l'espérance, un esprit inventif, l'étude, la réflexion, l'expérimentation, le travail en équipe..., en un mot la fidélité à l'homme d'aujourd'hui, l'expérience de l'homme d'aujourd'hui et ce que saint Vincent continue aussi à nous enseigner: l'attention constante à l'Esprit, qui souffle où il veut.

Je suis, en outre, tout à fait convaincue qu'il est nécessaire d'intensifier le travail du laïcat vincentien pour obtenir que, dans les communautés précises que nous évangélisons, on mette en route:

- Les services socio-caritatifs.

- un certain type de service et de solidarité avec le Tiers-Monde.

En ce sens je pourrais rapporter de très belles expériences d'entière disponibilité à l'Esprit-Saint et de générosité, que j'ai vécues dans les différentes missions auxquelles j'ai participé.

IV. Croissance de l'équipe des laïcs

Arrivée à ce point, je me permets de dire publiquement que vous, les Prêtres de la Mission, vous avez besoin de courage, d'humilité et de zèle pour que ce thème si souvent repris de la promotion des laïcs, surtout des laïcs missionnaires, ne reste pas belles paroles.

Dans les missions, nous voyons que ce travail doit se faire dans un double sens pour obtenir:

1. Des “laïcs Missionnaires Vincentiens”.

C'est à ce groupe que nous appartenons. Il s'agit de laïcs intégrés dans l'équipe, qui surgissent normalement des missions que nous faisons, à la suite de notre invitation ou par une démarche de leur part. Cette démarche, qui aboutit au directeur de la mission, ils la font souvent par l'entremise d'un laïc de l'Équipe.

2. Des “Laïcs Missionnaires Vincentiens Paroissiaux”.

Ce sont ceux qui, dans les paroisses, s'unissent nous et travaillent pour maintenir l'esprit évangélisateur et missionnaire. Mais il est nécessaire que ces noyaux communautaires de laïcs ouverts à l'évangélisation, pour qu'ils puissent maintenir bien vivant le souci d'évangéliser, soient spirituellement et matériellement préparés à cette tâche, et continuent à se former. C'est pour cela qu'ils ont besoin, comme nous, de l'animation missionnaire d'un Prêtre de la Mission et, aussi, de la présence d'un laïc attaché à l'équipe.

C'est donc à double titre que l'invitation portée par nous, les laïcs, qui travaillons en équipe, est très importante. Mais aussi, il faut que nous, les laïcs vincentiens, nous soyions bien conscients que nous avons besoin des fils et des filles de saint Vincent (les Prêtres de la Mission et les Filles de la Charité) -je parle de "fils et filles", parce que nous, nous sommes les “petits-enfants"-. Conscients, je le répète, de ce besoin, il est important que nous travaillions à susciter des vocations pour les Prêtres de la Mission et les Filles de la Charité. Cette tâche, je tiens à vous le dire, nous la faisons nôtre aussi.

V. Formation pour la mission.

Nous, les laïcs, nous avons besoin de formation. En arrivant à ce point, permettez-moi de rappeler ce qui est écrit dans notre Projet Missionnaire et qui est extrait des Constitutions de la C.M. : Les membres de la C.M. sont fidèles à leur fin quand ils "aident à la formation des clercs et des laïcs, les amenant à prendre une part plus grande dans l'évangélisation des pauvres" (I,3).

Nous, les Laïcs Missionnaires Vincentiens, nous avons besoin, nous demandons et nous jugeons indispensable une formation adéquate pour pouvoir répondre aux défis des missions. Une formation qui tienne compte des aspects suivants:

- Vaste formation théologico-biblique.

- Formation vincentienne fondamentale.

- Connaissance des diverses modalités de la pastorale.

- Connaissance théorique et pratique de notre méthode concrète.

Pour arriver à cet objectif, nous avons trois rencontres de formation par an, en plus de la préparation préalable à chaque mission.

Mais, en outre, nous menons à terme un catéchuménat d'inspiration vincentienne. Parce que nous voulons sentir que nous formons un "groupe”, une communauté. Et une communauté avec une identité bien définie. C'est pour nous une nécessité, si nous voulons grandir dans le véritable esprit vincentien.

Autre aspect de la formation de laïcs pour la mission:

Le laïc des communautés où nous faisons la mission est, à la fois, récepteur et agent. Pendant la mission elle-même, il y a une tâche importante: c'est de former ces laïcs. En vue de quoi? C'est pour:

- Leur faire voir quel est leur rôle dans une Église nouvelle, qui veut évangéliser;

- Les amener à prendre une part plus grande dans la vie de la communauté;

- Transformer les structures passées pour que cette participation soit possible.

Dans nos missions, cet objectif est prioritaire. Et dans cette tâche aussi , comme je l'ai dit plus haut, nous apportons notre collaboration et nous avons, nous les laïcs, des occasions d'agir. Quelquefois, on confie cette tâche à un prêtre aidé par un laïc; d'autres fois, c'est un prêtre qui commence et un laïc qui continue. Mais, en d'autres missions, c'est seulement un laïc qui se charge de ce travail. Et, nous l'avons vu, cela peut être intéressant, parce qu'ainsi les laïcs de la paroisse où nous faisons la mission voient que cette tâche est à leur portée.

Une des conclusions de tout ce qui vient d'être dit, c'est qu'il est nécessaire que nous les laïcs, nous recevions une bonne formation pour la mission dans les directions signalées.

VI. Réflexion finale

Si nous voulons être efficaces dans notre apostolat missionnaire, il faut que nous soyons réalistes et que nous écoutions humblement l'Esprit-Saint. On parle beaucoup des laïcs dans l'Eglise. Mais un travail avec eux, qui soit bien orienté, n'est pas une tâche facile. Il y a encore beaucoup de résistances à leur intégration dans la pastorale des paroisses et des missions.

Il faut dépasser certaines pratiques selon lesquelles on utilise les laïcs, ou on ne se détache pas des formes qui empêchent une collaboration positive avec eux, ou on recourt seulement à eux parce qu'il y a penurie de prêtres.

Il faut aussi dépasser l'attitude contraire, qui consiste à surestimer les laïcs. Nous ne voulons pas ignorer que l'Eglise est hiérarchique. Mais elle a besoin de la complémentarité du sacerdoce commun de tout baptisé et du sacerdoce ministériel.

Nous, les laïcs, nous avons besoin d'appui. Et il y a quelques maux à éviter:

- Que nous restions abandonnés au hasard, sans l'appui nécessaire, face aux nombreuses difficultés de la Mission.

- Que l'on ne nous donne pas une bonne formation.

- Que l'on nous corrige amicalement, quand nous nous trompons avec des initiatives et des réalisations médiocres. Ou, au contraire, que nous ne puissions faire voir les choses que nous jugeons déficientes.

Finalement, l'impatience aggraverait ces difficultés. Il y en a qui ne savent pas attendre que le travail avec les laïcs porte du fruit. En fin de compte, jusqu'à une date récente, nous avons été considérés comme de "simples récepteurs".

J'espère que la communication de ces expériences vous a servi; elles ne sont pas seulement les miennes, car j'ai consulté les membres laïcs de notre équipe. Au moins, ce que je vous ai dit n'est pas une théorie mais quelque chose que nous essayons de vivre depuis bien des années et que, naturellement, on peut vivre en d'autres endroits et en d'autres équipes. Merci!

NOTA: Pour réaliser ce travail, je me suis servi: 1) des documents missionnaires de notre Province de Saragosse, en particulier de Un Proyecto de Misión; 2) d'une conférence sur le rôle des laïcs dans les missions, donnée aux Visiteurs d'Europe par notre coordinateur; (3) des réflexions que m'ont envoyées d'autres laïcs de notre Equipe.