La Mission Nationale de Panama. Une mise en oeuvre de l'ésprit vincentien

La Mission Nationale de Panama

Une mise en oeuvre de l'esprit vincentien

Thomas Sendlein, C.M.

Introduction.

Le 1er février 1987, la Conférence Episcopale Nationale du Panama a demandé à deux Confrères lazaristes d'organiser une mission au niveau national, en guise de contribution à la préparation de la Commémoration du 500e anniversaire de l'évangélisation des Amériques. Cet article a pour but de relater brièvement cette expérience considérée sous l'angle de l'esprit vincentien.

Il ne s'agit que de l'une des nombreuses expériences en cours de réalisation dans beaucoup de nos Provinces à travers le monde. J'ai l'espoir que ces quelques pages serviront au moins à faire ressortir l'importance durable de l'esprit vincentien dans les missions, pourvu qu'une certaine créativité adapte ces dernières aux multiples réalités changeantes au sein desquelles nous vivons.

Cet article comprendra:

- quelques lignes sur le contexte historique de l'Equipe Missionnaire Vincentienne (Equipo Misionero Vicentino = EMIVI),

- des informations sur le déroulement de la Mission Nationale dans ses 3 étapes: avant-mission, mission proprement dite, après-mission,

- des réflexions sur l'esprit vincentien dans le cadre de la Mission Nationale, spécialement en ce qui concerne les pauvres, la formation, la Réconciliation et la méthodologie,

- une conclusion générale.

I. Histoire de l'équipe missionnaire Vincentienne interprovinciale

En 1983, la CLAPVI (Conférence des Provinces Latino-Américaines Lazaristes) organisa à Santiago du Chili un séminaire de réflexion sur les missions populaires. Le P. Francisco Javier Barcenas, C.M. de la Province d'Amérique Centrale, et moi-même, Thomas Sendlein, C.M. de la Mission Panaméenne de la Province Orientale des Etats-Unis, étions au nombre des participants. Grâce aux partages que nous avons eu sur l'esprit vincentien, sur nos expériences pastorales en Amérique Latine et sur nos idées relatives à l'organisation du travail apostolique, notre groupe dressa un premier projet de directives pour la rédaction d'un Directoire de la Mission Populaire Vincentienne Latino-Américaine. Au cours de ce séminaire, l'occasion nous fut donnée d'exprimer nos espoirs missionnaires pour l'avenir. Tout au long de la rencontre, nous nous sommes sentis stimulés vers le futur et plusieurs consignes pratiques concernant les missions populaires furent établies. Nous avons ensuite regagné nos affectations habituelles au Panama.

En 1986, par l'entremise de nos Visiteurs respectifs, le P. Barcenas et moi-même avons constitué une Equipe Missionnaire Lazariste Interprovinciale (EMIVI). Outre nous deux, elle était constituée des membres d'un groupe de jeunes laïcs conduit par le P. Barcenas (Centro Juvenil Vicentino - (CEJUVI), de quelques membres d'autres groupes de laïcs vincentiens et, pendant une année environ, de quelques Filles de la Charité.

Plus tard, en 1988, soeur Silvia Lopez et soeur Gumecinda Fajardo, de la Communauté Missionnaire Catéchiste Panaméenne co-fondée par Monseigneur Francis Beckman, notre défunt Confrère, se joignirent à l'équipe comme membres à plein-temps.

De février 1986 à août 1987, l'équipe missionnaire eut l'avantage de mener 14 expériences de mission, vécues dans des zones rurales aussi bien que dans des quartiers urbains marginaux du Panama.

L'équipe étant interprovinciale, il nous arriva aussi de missionner chez les Indiens du Guatemala et les paysans du Salvador. Ces deux dernières expériences furent menées avec le concours des séminaristes lazaristes de la Province d'Amérique Centrale.

Ces différentes missions nous fournirent des expériences enrichissantes sur les modalités du travail au coeur d'une équipe composée de prêtres, de soeurs, de séminaristes et de laïcs, sur la manière de nous montrer inventifs dans l'adaptation aux diverses réalités et sur la façon d'exposer les matières à enseigner avec l'aide des missionnaires eux-mêmes, afin de pouvoir dialoguer avec les gens qui participèrent activement aux missions.

II. Débuts de la Mission Nationale au Panama.

Ayant donc vécu ces expériences et souhaitant en faire profiter les paroisses des divers diocèses du Panama, nous avons demandé à nous faire entendre lors de la rencontre de la Conférence Episcopale Nationale, au début de 1987. Notre intention était de faire ouvrir quelques portes, en certaines paroisses, à la possibilité de missions populaires. A notre grande surprise, au cours de notre intervention, les évêques nous déclarèrent que le P. Barcenas et moi-même étions déjà pressentis pour lancer une Mission Nationale comme participation à la célébration des 500 ans d'évangélisation au Panama, sous la conduite de Mgr Oscar Mario Brown, Président de Commission. Au lieu de voir s'entrebâiller quelques portes, nous nous rendions compte que tout le pays s'ouvrait à nous.

Pour lancer l'affaire, nous avons alors formé la Commission Nationale d'Animation Missionnaire (Comision Nacional de Animacion Misionera = Co.N.A.M.)

Nous avons invité des personnes de toutes les régions ecclésiastiques du Panama et quelques spécialistes. Du 1er février au 1er septembre, nous avons mené à terme nos engagements spécifiques au titre de l'EMIVI et nous avons entrepris l'intégration de l'esprit et de l'expérience de l'EMIVI comme base et point de départ de la nouvelle action.

III. Déroulement de la Mission Nationale au Panama.

Conformément à la première ébauche des Directives pour les missions populaires, celles-ci comportent trois étapes, à savoir:

- l'avant-mission, temps de préparation générale à la mission,

- la mission proprement dite, temps pendant lequel les missionnaires accompagnent et évangélisent les gens,

- l'après-mission, temps de croissance pour les fruits de la mission.

Sans l'avant-mission, la mission elle-même deviendrait très difficile et les fruits de la mission resteraient très restreints. Sans une après-mission, les fruits de la mission auraient du mal à subsister ou même disparaîtraient.

1) L'avant-mission

Pour lancer cet énorme projet d'une Mission Nationale, la Co.N.A.M. fit le choix, pour les six années d'évangélisation à venir, du thème suivant: "Des personnes nouvelles dans des Communautés nouvelles pour une Société nouvelle !" Un poster et un chant de mission furent préparés sur ce thème. Un plan prévisionnel provisoire fut dressé pour organiser la mission dans les différents diocèses au cours des six prochaines années, à commencer par le diocèse de Chitre qui célébrait son 25e anniversaire. Ces décisions une fois prises, nous nous sommes mis au travail pour passer aux démarches de base de l'avant-mission.

Nous avons commencé par rencontrer l'évêque, les pasteurs, les religieux et les laïcs du diocèse en vue de mieux comprendre les réalités socio-économiques et religieuses des diverses communautés et pour les aider à mettre en route, aux différents niveaux, les comités diocésain, paroissiaux et ruraux qui seraient nécessaires pour la mission. Un certain nombre de comités se formèrent: pour la liturgie, pour les finances, pour le logement et la subsistance, pour les transports, pour la publicité, pour les visites. Chaque comité avait son domaine d'action particulier et sa responsabilité propre dans la préparation à la mission; aussi chacun s'efforça d'impliquer le plus de gens possible, afin de régler des problèmes comme celui de déterminer où les missionnaires vivraient et prendraient leur petit déjeuner pendant la mission de deux semaines et où ils auraient leur déjeuner et leur dîner, les deux lieux n'étant pas forcément les mêmes. Ils devaient prendre leurs repas avec des familles différentes chaque jour ou même à chaque repas, de telle sorte que davantage de gens pourraient prendre cette responsabilité à l'égard des missionnaires. Chaque paroisse ou communauté fit le compte des familles vivant dans la zone concernée et, ainsi, chaque famille fut visitée avant même que les missionnaires ne fussent arrivés et l'information au sujet des réalités de la région intéressée put nous être remise d'avance. A partir de cette information, nous avons pu savoir combien il fallait prévoir de communautés et de missionnaires pour chaque lieu.

En septembre 1987, nous nous sommes mis à recruter et à former les missionnaires dans tout le Panama. L'équipe en provenance de l'EMIVI mit à disposition les premiers éléments qui s'engagèrent dans la formation des missionnaires. Nous sommes allés de diocèse en diocèse puisque les missionnaires venaient de tout le pays pour prêcher l'Évangile dans les 14 paroisses, principalement rurales, du diocèse de Chitre. Chaque année, un groupe de missionnaires vint même du pays voisin, le Costa Rica. Les missionnaires furent formés par nos soins et profitèrent des facilités du Collège-Séminaire Vincentien de San José, donnant ainsi, dès le début, à notre Mission Nationale un parfum international.

L'enseignement que nous donnions dans les missions de l'EMIVI servit de dispositif de démarrage pour la formation à la Mission Nationale. Toutefois, les évaluations de chaque formation nous aidèrent à aller de l'avant et à améliorer à la fois le contenu et la méthodologie. Tout était basé sur le dialogue avec les gens et sur leur participation: on pouvait ainsi se mettre au diapason des diverses réalités des différents groupes de personnes. Religieuses, séminaristes et laïcs participèrent tous aux formations.

Essentiellement, nous nous consacrions chaque année à l'avant-mission, de mai à décembre, alors que nous passions d'un diocèse à l'autre. Certaines années, plus de 3 000 personnes participèrent à l'une ou l'autre formation pour devenir missionnaires. En 1988, nous avons formé un certain nombre de missionnaires qui sont devenus à leur tour formateurs d'autres missionnaires au diocèse de Veraguas, multipliant ainsi les possibilités de formation d'autres personnes. Il est à noter d'ailleurs que la plupart de ces formateurs venaient d'une paroisse Vincentienne. Après la réussite de cette expérience, en 1989 nous avons commencé à faire de même dans chaque diocèse.

2) La mission proprement dite.

Chaque année, de janvier à avril, durant les mois secs de l'été du Panama, les missionnaires se rendaient par équipes auprès des diverses communautés rurales, dans les villes et les centres de mission des paroisses urbaines, pour un engagement de deux semaines. Lorsque arriva le temps de la mission à Panama City en 1992, nous ne avons pu la faire que dans la moitié des paroisses durant l'été 1992 et nous l'avons faite dans l'autre moitié pendant l'été 1993, à cause du grand nombre de grosses paroisses et aussi à cause des réalités de l'environnement urbain. De mai à décembre 1992, nous avons entrepris des missions spécialisées en faveur de certains groupes.

a) Missions dans les communautés chrétiennes.

Etant donné que beaucoup, parmi les missionnaires, étaient pauvres, la Co.N.A.M. donna l'assurance que le manque d'argent ne constituait pas un empêchement à être missionnaire. Depuis leur point central de départ dans leurs diocèses respectifs jusqu'à leur retour, les déplacements des missionnaires, leur nourriture et leur logement étaient pris en charge soit directement par la Co.N.A.M. soit par les différents comités diocésains et paroissiaux. Cela a parfois concerné mille missionnaires en même temps, en provenance de diverses régions du pays.

Il y avait encore un jour entier supplémentaire de formation et d'organisation qui comportait la possibilité d'une entrevue avec le pasteur au sujet de la situation des communautés à qui la mission allait être donnée. Durant la Messe célébrée par l'évêque du diocèse, les missionnaires recevaient la croix de mission et étaient envoyés aux communautés. Quelques laïcs, venus des régions où allaient se rendre les missionnaires, participaient à cette Messe d'envoi pour, ensuite, conduire les missionnaires chez eux. Le plus souvent, la communauté accueillante attendait les missionnaires à leur arrivée. Le jour même, les visites des familles commençaient et, le soir, avaient lieu les premiers échanges avec les gens.

Tout au long des deux semaines, les enfants se rassemblaient le matin, les jeunes l'après-midi et les adultes le soir. Chaque groupe avait des thèmes et un enseignement adaptés à son niveau et utilisant la petite méthode de saint Vincent. Pour les adultes, les thèmes passaient de l'individu à la communauté puis à la société, développant ainsi le thème général:"Des Personnes nouvelles dans des communautés nouvelles pour une Société nouvelle !".

De 1988 à 1993, plus de 3 000 communautés reçurent la Bonne Nouvelle au Panama, ce qui donna une moyenne d'environ 200 centres de mission ou communautés rurales (chacune avec son équipe missionnaire) durant chaque mission de deux semaines. Les missionnaires travaillaient par équipes de 2 à 8 personnes, selon la taille du centre de mission. Il y eut un total de 9 399 engagements missionnaires de deux semaines pour mener cette tâche à bonne fin. Malgré la mentalité machiste latino-américaine qui considère que l'Eglise est une affaire de femmes, il y eut plus de missionnaires hommes que de femmes: ils étaient plus ou moins également répartis entre jeunes et adultes et 90 % d'entre eux étaient des laïcs.

Au début, un certain scepticisme se manifesta à propos de ces laïcs qui étaient les principaux agents missionnaires; mais, après la première mission de deux semaines, en janvier 1988, ces craintes s'avérèrent totalement injustifiées. Cependant, pour mettre davantage en relief le fait de l'envoi des missionnaires, aucun d'entre eux ne travailla dans sa propre communauté. Pour plus de détails sur les effectifs et autres chiffres, consultez la page finale de cet article: "Statistiques de la Mission Nationale au Panama".

Durant les mêmes années 1988-1993, la CLAPVI proposa deux autres rencontres latino-américaines sur les missions populaires, l'une en Colombie et l'autre au Panama. Durant cette dernière, beaucoup de ceux qui assistaient au Séminaire participèrent ensuite à l'une des missions de deux semaines.

La visée première de la Mission Nationale était l'évangélisation et non pas les sacrements. Cependant, le sacrement de la Réconciliation fut proposé dans la plupart des communautés. Beaucoup de personnes revinrent à une participation active à la vie de l'Eglise après des années d'éloignement. Les sacrements de Baptême, de Confirmation, de Mariage et la Première Communion ne furent pas célébrés comme tels durant la mission proprement dite, car ils font partie de l'action pastorale ordinaire de la paroisse, avec leur préparation spécifique. Les pasteurs et les agents pastoraux eurent beaucoup à faire durant l'après-mission puisque, au cours des 6 années de la mission, nous leur avions laissé des listes totalisant 5 921 couples désirant se marier et 13 214 jeunes souhaitant être confirmés.

Pendant les 2 semaines, il y eut des rassemblements de masse pour les enfants, pour les jeunes et pour toute la communauté. Au terme des 2 semaines fut célébrée une Messe d'adieu qui ne fut pas une Messe de clôture, pour une raison simple mais très importante: les missionnaires se retiraient mais la mission continuait avec l'après-mission. Les agents de l'après-mission furent les personnes qui avaient participé à la mission. Leur but devait être de faire se propager les fruits de la mission, en union avec les pasteurs et les agents pastoraux, et aussi d'étendre l'esprit de la mission à tous ceux qui n'y avaient pas participé.

b) Missions spécialisées.

En dépit des difficultés de déplacement et de communication, nous avons trouvé qu'il est plus facile de missionner dans les zones rurales que dans les grandes villes. Au fur et à mesure que nous nous engagions dans des régions plus peuplées, le pourcentage des participants à la mission baissait. Il y a probablement beaucoup de raisons à ce phénomène: davantage d'indifférentisme, plus de distractions, manque du sens de la communauté, etc. C'est pour cela que nous avons organisé des missions spécialisées. Puisque beaucoup de gens des villes ne venaient pas à la mission, il ne nous restait qu'à aller vers eux.

L'une des missions spécialisées qui atteignit un grand nombre de personnes fut la mission scolaire. Avec les autorisations nécessaires du Ministère de l'Education, les missionnaires allèrent dans la majorité des lycées, des collèges et des universités de Panama City pour dialoguer non seulement avec les enfants et les jeunes mais aussi avec les enseignants et les professeurs. Une fois encore, un nouveau thème particulier d'enseignement fut développé pour chaque groupe et la Co.N.A.M. entreprit à la fois des missions auprès des ouvriers et d'autres auprès des propriétaires des usines, des hommes d'affaires et des professionnels. Pour les deux groupes, les thèmes se basèrent sur la doctrine sociale de l'Eglise.

En lien avec les aumôniers des prisons, des missionnaires se rendirent dans les prisons de Panama City. Un groupe donna des missions à la Police Nationale et même à la Police chargée de la sécurité du président du Panama. Il y eut aussi de courtes missions pour ceux qui travaillaient à l'Assemblée Législative ou dans les municipalités.

En lien également avec le Comité Pastoral Archidiocésain pour la Famille, la Co.N.A.M. a apporté son concours au développement des thèmes et de la formation d'une Semaine de Mission Familiale à travers tout le pays. D'autres missions spécialisées ont également été organisées pour les malades des hôpitaux et pour les communautés afro-panaméenne et sino-panaméenne du Panama.

3) L'après-mission.

La mission ne s'achève pas avec le départ des missionnaires. Elle continue à la fois à travers les activités pastorales habituelles et à travers l'extension de la mission à d'autres personnes et à d'autres régions. C'est pourquoi les agents principaux de l'après-mission sont les fidèles eux-mêmes, unis à leur évêque, leurs pasteurs et aux différents agents pastoraux.

Pour faciliter l'après-mission, les missionnaires ont dressé une liste de plus de 7000 personnes qui avaient participé activement à la mission et dont les missionnaires pensaient qu'ils seraient de bons agents pastoraux. Le soir avant la Messe d'adieu, lors de la célébration de la Parole, les gens avaient la possibilité de prendre des engagements personnels ou collectifs en vue de poursuivre la mission dans leurs communautés. Plus de 1000 groupes ou commissions ont été organisés dans cette intention durant la Mission Nationale.

Aussi bien les missionnaires que ceux à qui fut donnée la mission en sont venus à ressentir le besoin de plus de formation pour une meilleure évangélisation. Beaucoup de ceux qui participèrent à la mission dans leurs propres communautés sont devenus missionnaires et de nombreux groupes de missionnaires, en union avec leurs évêques et leurs pasteurs, ont poursuivi la mission aux niveaux local et diocésain.

Plusieurs programmes pastoraux ont été lancés; d'autres ont trouvé une ferveur nouvelle dans leur action à l'intérieur de l'Eglise, par exemple, auprès des prisonniers ou des communautés afro-panaméenne et sino-panaméenne.

La Co.N.A.M. s'est chargée d'accompagner les diocèses et les paroisses dans l'après-mission: par la formation et par l'organisation de retours de mission, par la formation d'agents pastoraux, la proposition de nouveaux thèmes missionnaires d'enseignement en fonction des besoins, le support aux divers programmes pastoraux, l'animation et le soutien d'un réseau de communication parmi les missionnaires des différents diocèses, le développement de nouvelles missions spécialisées pour des groupes particuliers et, parfois, l'aide au travail des Sociétés Missionnaires Pontificales dans leur avancée pour faire progresser l'Évangile au-delà des frontières du Panama.

IV. L'esprit vincentien dans la Mission Nationale de Panama

Lorsque l'EMIVI est devenue une partie de la Co.N.A.M., il se produisit deux interactions:

1) L'EMIVI fit participer la Mission Nationale à certains aspects de l'esprit vincentien, notamment le souci des pauvres, la formation du clergé et du laïcat et, enfin, le sacrement de la Réconciliation.

2) La Mission Nationale, de son côté, donna une plus grande étendue au champ d'action de l'EMIVI de façon à y inclure d'autres que les seuls pauvres. La mission fut orientée vers l'Eglise tout entière et des personnes issues de nombreux Mouvements différents y participèrent comme missionnaires, chacun offrant son charisme particulier au bénéfice de toute l'Eglise.

1) Les pauvres

Les pauvres comme bénéficiaires des missions.

Les pauvres des zones rurales isolées, les pauvres des banlieues et des bas-quartiers des villes, les prisonniers, les malades et les ouvriers furent tous visés par la Mission Nationale. Il y avait des communautés qui ne recevaient la visite du responsable de paroisse qu'une fois l'an et, cependant, une équipe de missionnaires se mit à leur service pour deux semaines. Les missionnaires voyageaient par car, par camion, en bateau, à cheval ou à pied, de façon à être certains que toutes les communautés recevraient leurs missionnaires. En quelques occasions, nous avons même dû nous rendre auprès de certaines communautés à bord de petits avions ou d'hélicoptères. Puisque la Mission Nationale était destinée à tout le pays, aucune communauté ne fut tenue à l'écart par manque de fonds. Et, comme je l'ai déjà fait remarquer, les habitants des zones rurales pauvres furent ceux qui répondirent le plus volontiers à la mission.

Les pauvres comme missionnaires.

Si l'on excepte l'archidiocèse de Panama qui compte la moitié de la population du pays, c'est l'une des plus pauvres et des plus petites provinces du Panama qui eut constamment le plus grand nombre de missionnaires. Pour assister aux séances de formation, certains durent voyager quelque 14 heures à pied pour terminer ensuite le trajet par deux heures de car. Un jeune, qui avait été victime en son enfance d'une morsure de serpent et en avait perdu une jambe, vint de sa communauté à cheval pour suivre les formations, au cours desquelles il se déplaçait de-ci de-là sur ses béquilles. Quand vint le moment de l'affecter à une communauté, il était prêt à accepter n'importe quel endroit, en dépit de son handicap.

L'esprit de sacrifice (la mortification), l'humilité, la simplicité et la douceur dans le comportement envers les autres n'étaient surpassés que par le zèle immense qui animait la volonté de mieux connaître l'Évangile, de façon à pouvoir partager la Bonne Nouvelle avec les autres.

La situation des pauvres comme sujet de réflexion.

En Amérique Latine, le fossé entre les riches et les pauvres n'a pas cessé de s'élargir. Au Panama, à cause de la situation politique et des sanctions économiques en vigueur au début de la Mission Nationale, le chômage devenait un problème terrible. Même si quelques indicateurs économiques montraient qu'une certaine reprise se manifestait en 1991, le fait était que les pauvres n'en profitaient pas. Conscients de cela, nous avons organisé une mission spécialisée pour les professionnels et les hommes d'affaires en 1992. Des experts en économie présentèrent la situation actuelle concrète des pauvres au Panama; un prêtre fit l'application des enseignements sociaux de l'Eglise à la situation du moment et les participants engagèrent par petits groupes des discussions pour adopter des mesures concrètes afin de faire face à la situation.

Les pauvres connus personnellement.

Il est très facile de parler des pauvres en général; il n'est pas aussi facile soit d'expérimenter ce que cela signifie "être pauvre", soit de connaître n'importe quel pauvre directement. Beaucoup de missionnaires qui venaient de la société d'abondance travaillèrent en équipe, la main dans la main, avec des missionnaires pauvres. Ils eurent aussi l'occasion de vivre au milieu des pauvres et d'apprendre de ces derniers un certain nombre de choses. Ces expériences ont laissé une trace profonde et durable chez les missionnaires.

2) La formation

La formation du clergé.

Outre nos séminaristes lazaristes, des séminaristes diocésains et d'autres venant de différentes communautés religieuses participèrent chaque année à la formation et aux missions. Une partie de la formation fut assurée par nos formateurs laïcs. Pendant la mission, ils devenaient membres de l'équipe qui regroupait le laïcat en provenance des différentes parties du pays. Ils travaillèrent avec les pauvres dans des zones rurales et beaucoup sont maintenant pasteurs de communautés rurales. En janvier 1995, par exemple, six prêtres ont été ordonnés, appartenant tous à l'un des diocèses: ils avaient tous participé aux missions.

La formation des religieux.

Beaucoup de communautés de soeurs participèrent à la mission et présentèrent le charisme de leur vie religieuse à des gens qui, pour la plupart, n'avaient guère eu d'occasions de rencontrer des soeurs. Leur ferveur, leur sincérité et leur créativité ont grandement aidé à soutenir la continuité de la mission.

La formation du laïcat.

Au coeur de l'Eglise Catholique, le laïcat est comme un géant endormi. Si l'occasion s'en présente, il peut devenir un facteur puissant d'évangélisation. Grâce à la formation, nous avons pu communiquer aux laïcs un esprit missionnaire et les aider à regarder au-delà des limites étroites de leur petit monde paroissial, afin de découvrir les besoins et les genres de vie des autres et, spécialement, des pauvres. Les laïcs sont très désireux de participer plus activement à la vie de l'Eglise et la mission leur en a révélé la possibilité. Par ailleurs, beaucoup de jeunes missionnaires recherchent maintenant un engagement plus intense à l'intérieur de l'Eglise.

3) La Réconciliation

L'un des éléments les plus importants de la mission vincentienne traditionnelle est le sacrement de la Réconciliation. Ce sacrement n'a pas perdu son rôle dans la mission d'aujourd'hui. Au cours de chaque mission, à cause du grand nombre des communautés et des distances qui les séparaient, à cause aussi de la grande quantité de personnes qui voulaient se confesser à des prêtres trop peu nombreux, nous avons toujours été très soucieux d'essayer de répondre à ce besoin. Après des années d'éloignement de la confession, beaucoup de gens se réconcilièrent avec Dieu et avec la communauté. Malheureusement, il y eut quelques cas où il nous fut absolument impossible de nous rendre dans tous les quartiers.

Comme du temps de saint Vincent, la mission fut une chance pour la réconciliation avec les membres de la famille et avec les voisins. Dans une communauté rurale où plus de 150 personnes s'étaient installées, en se serrant sur des bancs de bambou sous une énorme toiture de chaume, des membres d'une même famille assistaient à la mission, les uns d'un côté, les autres loin à l'autre extrémité. A mi-parcours de la mission, la belle-fille commença à parler à sa belle-mère, pour la première fois depuis cinq ans ! Un peu plus tard, dans le même centre de mission, deux voisins se serrèrent la main et se remirent d'accord. L'un des deux avait installé une clôture sur une propriété que l'autre revendiquait comme sienne.

4. Méthodologie.

La méthodologie reposa sur un dialogue dynamique grâce auquel le missionnaire devenait un facilitateur et un guide dans la discussion, amenant les gens à participer à la mission et à en être des agents actifs.

Les thèmes majeurs de discussion furent étudiés selon la petite méthode de saint Vincent: nature, motifs et moyens. Que signifie le thème, surtout dans la réalité où nous sommes ? Pourquoi devons-nous faire telle chose ou éviter telle autre ? Comment pouvons-nous mettre le thème en pratique dans notre réalité ?

Ces questions étaient traitées à l'aide de lectures de la Sainte Ecriture et des documents de l'Eglise, à l'aide de chants et socio-drames, grâce aussi à l'analyse de prières, d'adages, de dessins et de photographies panaméens, le tout enrichi de discussions et de témoignages. Selon les questions, les gens se répartissaient en groupes de 2 ou 3, 4 à 5 ou 7 à 10 personnes. Parfois des secrétaires donnaient le résumé des discussions à tout le groupe. Chaque réponse était reçue telle quelle, mais parfois elle était clarifiée par le missionnaire. Et, peu à peu, même les adultes timides qui n'avaient jamais eu l'occasion d'aller à l'école commencèrent à partager. Cette méthodologie du dialogue s'est insérée dans tout le processus missionnaire d'enseignement pour les enfants, les jeunes, les adultes et les différentes missions spécialisées.

Le deuxième dimanche de la mission, nous rassemblions les centres de mission voisins les uns des autres pour une "convivencia", une rencontre conviviale, un partage de la foi chrétienne dans l'Eucharistie, une table ronde sur les vocations, un repas, des distractions et des jeux pour les familles.

La table ronde était organisée de la façon suivante: le missionnaire coordinateur ou un autre prêtre dialoguait avec les gens à propos du passage des Ephésiens sur le mariage et à propos de l'Évangile de Matthieu où les apôtres sont appelés "pêcheurs d'hommes". Puis chaque animateur de la table ronde disposait de deux minutes pour donner une explication ou un témoignage concernant sa vocation. Il y avait habituellement six personnes pour animer la table ronde: un prêtre, une religieuse, un(e) missionnaire, un couple marié et un(e) catéchiste ou un ministre laïque du service dominical. Après cela, tous les membres de l'assemblée pouvaient poser à l'un ou l'autre des animateurs (-trices) une question sur sa vocation.

Conclusion.

L'esprit des missions populaires vincentiennes a encore tout à fait sa place dans l'évangélisation d'aujourd'hui. Toutefois il est indispensable de procéder à une adaptation de cet esprit aux nouvelles réalités du monde.

Les rencontres de la CLAPVI pour traiter des missions populaires ont aidé à confirmer la valeur et l'adaptabilité de cet esprit à la réalité latino-américaine. Nous qui sommes appelés à être les "évangélisateurs des pauvres", nous devons chercher à aider les pauvres à devenir eux-mêmes évangélisateurs non seulement de leur entourage immédiat mais aussi des autres parties de leur pays et du monde.

Le défi que le Séminaire de la CLAPVI nous a proposé au Panama a trouvé son expression dans l'EMIVI. Ce ne peut être que la Providence qui a proposé à l'EMIVI cette façon de partager avec toute l'Eglise panaméenne, au cours de la Mission Nationale, les préoccupations vincentiennes pour les pauvres et pour la formation du futur clergé et des agents pastoraux.

Le passage de la modeste expérience missionnaire de l'EMIVI (mission prêchée à 20 communautés en même temps dans une seule paroisse) à l'expérience missionnaire nationale de la Co.N.A.M. (missions prêchées à 200 communautés en même temps dans un diocèse) fut rendu possible grâce à beaucoup de prières et aux efforts créatifs de toute l'Eglise panaméenne. Cela exigea la délégation de différentes tâches et de missions spécialisées à beaucoup de personnes et de groupes qui répondirent tous généreusement et avec joie aux appels occasionnels.

Comme je l'ai fait remarquer au début de cet article, l'expérience missionnaire ci-dessus n'est que l'une des nombreuses expériences en cours dans beaucoup de nos Provinces dans le monde. Ainsi que nous l'avons appris à partir d'autres expériences réalisées en Amérique Latine, on peut espérer que l'expérience missionnaire de l'EMIVI/Co.N.A.M. servira à encourager ce processus d'adaptation à d'autres réalités. J'espère, en outre, que d'autres expériences, révélatrices de la créativité dans la mise en oeuvre de l'esprit des missions vincentiennes en d'autres parties du monde, nous seront communiquées.

En terminant, je sollicite vos prières pour la conservation et l'accroissement des fruits de notre Mission Panaméenne tout au long de la phase de l'après-mission.

(Traduction: Emile Toulemonde)


Statistiques de la Mission Nationale de Panama

Année de la mission

1988

1989

1990

1991

1992

1993

Total

Nb. de missions de 2 semaines (1)

1

3

3

4

3

2

16

Nb. de paroisses

7

20

23

25

47

35

157

Nb. d'engagements missionnaires (2)

300

1 655

2 241

2 184

2 183

836

9 399

Communautés, centres de missions (3)

121

667

755

669

575

261

3 048

Nb. de maisons visitées

14 500

35 000

48 572

42 927

73 851

32 880

247 730

Assistance quotidienne moyenne

11 500

67 500

74 831

38 724

48 013

16 572

257 140

Couples voulant se marier (4)

300

2 200

1 540

1 058

722

101

5 921

Jeunes souhaitant être confirmés (4)

5 760

4 104

2 764

583

13 214

Agents pastoraux envisageables (5)

450

1 700

1 878

1 596

1 150

390

7 164

Commissions d'après-mission (5)

816

193

186

43

1 238

Notes:

1) Nombre de missions de 2 semaines. Chaque mission durait deux semaines pendant lesquelles une équipe de missionnaires vivait dans la communauté ou le centre de mission en vue de visiter et de rencontrer les enfants, les jeunes et les adultes et d'organiser des réunions et un programme d'ensemble de la communauté.

(2) Nombre d'engagements missionnaires de 2 semaines. Certains missionnaires ont assuré plus d'une mission de 2 semaines par an.

(3) Communautés ou Centres de mission. Chaque communauté rurale et chaque centre de mission urbain avaient leur propre équipe de mission durant 2 semaines.

(4) La Mission Nationale visait plus l'évangélisation que la sacramentalisation; nous avons donc remis les listes de ceux qui voulaient être confirmés ou se marier aux curés afin qu'ils puissent procéder à une bonne préparation sacramentelle selon les normes pastorales du diocèse.

(5) De même pour les agents pastoraux et les commissions formées, en vue du travail à assurer durant l'après-mission.